CA Rennes, 2e ch., 7 janvier 2022, n° 21/01054
RENNES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
M. Jobard, Mme Barthe Nari
Avocats :
Me Sebal, Me Chesnais
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte authentique du 27 juin 2014, M. I D L et Mme B G son épouse (les époux L) ont vendu à Mme Z C M et Mme H C J O :
une maison individuelle à usage d'habitation et dépendances, l'ensemble dit 'Manoir de la Vallée', situé ... à Saint Malo, cadastré section VN n° 217, 218, 238 et 239, pour une contenance de 19a 82ca,
• les fractions d'un immeuble en copropriété situé ... à Saint Malo, cadastré section VN n° 240 et 241 et comportant notamment, en pleine propriété, les lots 13, 15 et 16 de la copropriété de l'immeuble
Les époux A, propriétaires d'un appartement dans l'immeuble mitoyen situé 43 bis ... ont, par ordonnance de référé du 11 août 2016, obtenu l'organisation d'une expertise judiciaire confiée à M. C Y, à l'égard notamment de Mme C M et des époux L, à la suite de désordres affectant la copropriété découverte à l'occasion de travaux de réaménagement de Mme C M sur son lot.
Puis, Mmes C M et de la Rivière ont, par acte du 19 février 2018, fait assigner les époux L afin que la mission de l'expert judiciaire soit étendue à des désordres qu'elles disent avoir constatés dans le manoir.
Par ordonnance du 5 avril 2018, le juge des référés a déclaré irrecevable la demande d'extension d'expertise, mais ordonné une expertise contradictoire à l'égard des époux L et désigné pour y procéder le même expert.
L'expert judiciaire a déposé le 1er mai 2018 son premier rapport en exécution de l'ordonnance du 11 août 2016 et, le 20 avril 2020, son second rapport en exécution de l'ordonnance du 5 avril 2018.
Se fondant sur ce second rapport d'expertise, Mmes C M et de la Rivière ont, par acte du 17 février 2020, fait assigner devant le tribunal judiciaire de Saint Malo, les époux L en indemnisation de leurs préjudices, sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil.
Corrélativement, elles ont, selon ordonnance sur requête du 24 juillet 2020, obtenu l'autorisation du juge de l'exécution de Saint Malo de pratiquer, en garantie d'une créance évaluée à 950 000 euros, une saisie conservatoire sur les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant aux époux L.
Par acte du 6 août 2020, il a ainsi été procédé à une saisie conservatoire sur le compte bancaire ouvert par M. L auprès de la Caisse d'épargne pour une somme de 20 925,15 euros, cette saisie ayant été dénoncée à M. L le 11 août suivant.
Puis, par acte du 7 août 2020, il a été procédé à une seconde saisie conservatoire sur l'ensemble des comptes ouverts par les époux L auprès de la Banque postale, pour une somme totale de 70 828,47 euros, cette saisie ayant été dénoncée aux époux L le 11 août 2020.
Enfin, par acte du 17 août 2020, il a été procédé à la saisie conservatoires des biens mobiliers garnissant le domicile des époux L.
Contestant l'ensemble de ces mesures conservatoires, les époux L ont, par acte du 11 septembre 2020, fait assigner Mmes C M et de la Rivière devant le juge de l'exécution de Saint Malo, afin d'en obtenir la mainlevée.
Par jugement du 4 février 2021, le juge de l'exécution a :
débouté les époux L de leurs contestations et demandes, dit n'y avoir lieu à mainlevée des saisies conservatoires pratiquées à l'encontre des époux L les 6, 7 et 17 août 2020,
• condamné les époux L à payer à Mmes C M et de la Rivière la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
•
Les époux L ont relevé appel de ce jugement le 16 février 2021, pour demander à la cour de l'infirmer et de :
ordonner la mainlevée de la mesure de saisie conservatoire autorisée par ordonnance du 24 juillet 2020, ainsi que les saisies conservatoires suivantes effectuées par la SELARL Bretagne Huissiers :
• sur le compte bancaire ouvert au nom de M. L auprès de la Caisse d'épargne le 6 août 2020,
• sur les comptes bancaires des époux L ouverts à la Banque postale, le 7 août 2020, ainsi que celle portant sur les meubles garnissant leur logement situé au ..., le 17 août 2020,
• condamner solidairement Mmes C M et de la Rivière à leur verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, en ce compris les frais bancaires engendrés par les saisies critiquées.
Mmes C M et de la Rivière concluent quant à elles à la confirmation du jugement attaqué et sollicitent en outre la condamnation des époux L au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les époux L le 12 octobre 2021, et pour Mmes C M et de la Rivière le 2 juin 2021, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 28 octobre 2021.
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur s'il justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.
Il ressort du rapport de l'expert Y en date du 15 avril 2020 les constatations suivantes :
'les désordres affectant la structure de l'immeuble sont antérieurs à la réalisation des embellissements (lesquels) n'étaient pas affectés par des déformations ou des fissurations [...],
• la trémie (de l'escalier) a été élargie, avec sectionnement des poutres porteuses, sans reprise de charge [...],
• les embellissements réalisés par les époux L ont masqué de graves non-conformités et malfaçons qui ne pouvaient être ignorées par un professionnel normalement compétent [...],
• en l'état, bien que les travaux d'urgence et de confortement aient été réalisés, l'immeuble n'est pas habitable et ne pourra pas l'être tant que les travaux indispensables n'auront pas été réalisés, aussi bien dans la maison principale que dans la petite maison,
• à défaut de travaux d'urgence réalisés par Mme C M, la pérennité de l'immeuble à moyen terme n'aurait pas pu être garantie [...],
• la totalité des aménagements et embellissements est désormais à reprendre, le manoir : la structure de l'immeuble était atteinte par des ruptures de liaison, des fissures et des déformations dues à la suppression d'un entrait, à l'ouverture de deux portes dans
• deux murs de pignon et de renfend et à la non réparation des désordres existants cachés derrière les aménagements et embellissements (;) la déformation de la façade jardin, conséquence des désordres ci-dessus aurait conduit inexorablement à un sinistre important voire majeur du bâtiment, petite maison : ce bâtiment n'est pas habitable à la date de la vente et les désordres majeurs de structure du mur aveugle (mur de clôture est) et de la charpente auraient conduit rapidement à la ruine complète du bâtiment [...],
• en partie nord, la déformation du mur de soutènement est inquiétante (;) un effondrement probable de tout ou partie du mur, notamment lors d'un épisode d'importantes intempéries créerait un danger grave pour le bâtiment de la parcelle nord situé immédiatement sous ce mur.
Il résulte de ces conclusions et des clichés photographiques les accompagnant que, s'agissant du manoir, la structure de l'immeuble est affectée par des ruptures de liaison, des fissures et des déformations dues à la suppression d'une pièce de charpente, à l'ouverture de deux portes dans des murs pignon et de refend, et à la non réparation des désordres existants, cachés derrière les aménagements et embellissements, et, d'autre part, que la petite maison n'est pas habitable, les désordres majeurs de structure du mur de clôture est et de la charpente étant de nature à conduire rapidement à la ruine complète du bâtiment.
Ainsi, Mmes C M et de la Rivière justifient indubitablement d'une créance paraissant fondée en son principe à l'encontre de leurs vendeurs, dans le cas où la clause d'exclusion des vices cachés serait réputée non écrite en raison de la connaissance des vices affectant les biens vendus que ces derniers pouvaient avoir au moment de la vente, ce qu'il appartiendra aux juges du fond de déterminer.
D'autre part, il ressort du rapport d'expertise qu'un maître d'oeuvre a été missionné afin de concevoir et chiffrer les travaux de remise en état, et que le montant total des travaux de sauvegarde et réparatoires a été évalué à 583 730,78 euros TTC, outre la somme de 138 816,04 euros TTC au titre des travaux réparatoires de la clôture nord.
L'expert a également évalué le préjudice locatif à la date du 28 février 2020 à la somme de 88 400 euros, sur la base d'une valeur locative de 1 300 euros par mois.
Il s'ensuit qu'il n'existe, en l'état des éléments du dossier, pas de principe de créance suffisamment établi pour un montant supérieur à 810 946,82 euros (583 730,78 + 138 816,04 + 88 400).
Or, Mmes C M et de la Rivière ne caractérisent nullement que le recouvrement d'une créance de ce montant serait en péril.
En effet, les époux L justifient être propriétaires d'un immeuble situé ... acquis au prix de 560 000 euros en janvier 2015, sur lequel Mmes C M et de la Rivière ont fait inscrire le 25 septembre 2020 une hypothèque judiciaire provisoire, après y avoir été autorisées, selon ordonnance sur requête du juge de l'exécution de Saint Malo du 1er juillet 2020.
Il ressort en outre de la vente récente de biens similaires situés à proximité que ce bien immobilier peut raisonnablement avoir bénéficié depuis son acquisition d'une plus value de l'ordre de 30 %, ce qui rend plausible l'estimation actuelle de sa valeur à 800 000 euros.
Il s'en évince que l'inscription d'hypothèque est suffisante pour garantir le recouvrement de la créance de Mmes C M et de la Rivière, et qu'il convient en conséquence de prononcer, après réformation du jugement attaqué, la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées les 6,7 et 17 août 2020 sur les comptes bancaires des époux L et sur les meubles garnissant leur logement, lesquelles ne sont pas strictement nécessaires à la conservation des droits des créancières.
Il n'y a toutefois pas matière à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme en l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu le 4 février 2021 par le juge de l'exécution de Saint Malo ;
Ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 6 août 2020 sur le compte bancaire ouvert par M. L auprès de la Caisse d'épargne ;
Ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 7 août 2020 sur les comptes bancaires ouverts par les époux L auprès de la Banque postale ;
Ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 17 août 2020 sur les meubles garnissant le logement des époux L situé ... ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidairement Mmes C M et de la Rivière aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais afférents aux mesures conservatoire dont il a été donné mainlevée.