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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 7 juillet 2022, n° 22/02357

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garbati (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Texier, Mme Dubois-Stevant

Avocats :

Me Miorini, Me da Cunha, Me André

TJ Bobigny, du 2 déc. 2021, n° 21/01789

2 décembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE :

La société MG 2000, créée en 1994 et dont la gérante est Mme [Z] [X], a été locataire de la société Garbati suivant contrat de bail du 28 juillet 2004. Elle a fait l'objet d'une expulsion suivant une ordonnance du 25 janvier 2006 confirmée par arrêt du 29 septembre 2006 et mise en oeuvre le 24 octobre 2007. Une saisie conservatoire a également été pratiquée le 15 novembre 2007 à la demande de la société Garbati. Ont ainsi été saisis trois ordinateurs comprenant selon Mme [X] les archives, comptabilité, fichiers clients et prospects, comptes rendus d'assemblée générale de la société et des documents personnels, familiaux et fiscaux. Par jugement du 9 mars 2010, la société MG 2000 a été autorisée à prendre copie des données. Selon Mme [X], la société Garbati n'a pas permis l'accès aux ordinateurs.

La société MG 2000 a été placée en redressement judiciaire par jugement du 19 avril 2011 du tribunal de commerce de Bobigny. Le juge-commissaire a ordonné à la société Garbati de donner accès aux lieux où avaient été entreposés les objets saisis aux fins d'inventaire mais le commissaire-priseur mandaté s'est heurté à l'impossibilité de remplir sa mission en raison du déménagement des biens saisis.

Le 16 octobre 2013, la société MG 2000 a porté plainte avec constitution de partie civile pour vol et abus de confiance visant les biens détenus au titre de la saisie conservatoire.

Par jugement du 24 novembre 2015, le tribunal de commerce a prononcé la résolution du plan de redressement de la société MG 2000 et sa liquidation judiciaire. Le 4 avril 2016, le liquidateur judiciaire s'est constitué partie civile dans l'information judiciaire.

L'information judiciaire s'est soldée par un arrêt de la chambre de l'instruction du 24 octobre 2017 confirmant l'ordonnance de non-lieu du 15 avril 2015.

La procédure collective de la société MG 2000 a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 27 octobre 2017 et, par décision du 22 décembre 2017, la SELAFA MJA a été désignée en qualité de mandataire ad litem. Dans un courrier du 17 avril 2018, la SELAFA MJA a informé Mme [X] que la totalité des actifs mobiliers corporels avaient été abandonnés, faute d'intérêt à procéder à leur vente aux enchères publiques, et qu'elle 'était autorisée à reprendre sa liberté sur lesdits biens'.

Agissant pour son propre compte, invoquant un abus de confiance dont aurait été victime la société MG 2000, mise ainsi dans l'incapacité de pouvoir exercer normalement son activité, et une négligence dans la garde des meubles saisis, et se prévalant de préjudices subis en conséquence de ces faits, Mme [X] a, par acte du 29 décembre 2020, assigné la société Garbati devant le tribunal judiciaire de Bobigny en réparation des préjudices subis.

La société Garbati a soulevé l'irrecevabilité de la demande de Mme [X] faute d'intérêt à agir.

Par ordonnance du 2 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Garbati, l'a déclarée mal fondée, dit que Mme [X] justifiait d'un intérêt à agir, rejeté le surplus des demandes et réservé les droits des parties, dit qu'il serait statué sur les frais irrépétibles et les dépens dans le cadre de la décision rendue sur le fond et renvoyé à une audience de mise en état.

Par déclaration du 28 janvier 2022, la société Garbati a fait appel de cette ordonnance.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 4 mars 2022, la société Garbati demande à la cour de constater que Mme [X] n'a aucun intérêt à agir, 'de constater l'application de l'article L. 110-4 aux circonstances de l'espèce', en conséquence de prononcer l'irrecevabilité des demandes de Mme [X] telles que formulées dans son assignation, de condamner l'intimée à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Elle soutient que Mme [X] ne justifie pas d'un intérêt à agir.

Elle fait valoir que la société MG 2000 a failli dans les diligences permettant de réclamer les données informatiques, base de la réclamation de Mme [X], que cette dernière ne détient aucun droit sur les fichiers clients et les données comptables qu'elle présente pourtant comme les siennes à titre personnel, que la lettre du liquidateur judiciaire du 17 avril 2018 dont elle se prévaut ne lui transmet en effet aucun droit particulier dès lors que le liquidateur judiciaire n'avait à ce moment-là aucun pouvoir pour décider d'un abandon des actifs - sa mission étant alors terminée depuis le jugement de clôture pour insuffisance d'actif du 24 octobre 2017 et le liquidateur n'ayant pas le pouvoir de procéder à une cession à titre gratuit, telle qu'un abandon de meubles, sans autorisation préalable du juge-commissaire - qu'au surplus cet abandon des biens mobiliers ne fait pas référence aux réclamations de Mme [X], le liquidateur ne pensant certainement pas conférer des droits immatériels à Mme [X], qui se prévaut en outre de préjudices indirects.

Elle prétend également que l'origine du préjudice allégué n'est pas l'abandon des biens mobiliers mais les difficultés subies par Mme [X] à titre personnel en raison de la liquidation de la société MG 2000, que Mme [X] ne possède aucun droit tel que ceux fondant ses demandes indemnitaires, que ses demandes ne sont pas en relation directe avec le préjudice allégué, Mme [X] s'étant toujours opposée au règlement des loyers, même dans le cadre du plan de redressement, qu'elle est la seule responsable de la liquidation et de ses conséquences, que les données informatiques ont disparu des ordinateurs en raison de leur ancienneté au jour de l'assignation, que Mme [X] avait récupéré une unité centrale, que Mme [X] n'a pas veillé à des sauvegardes régulières de sa comptabilité ou autres données.

La société Garbati soutient par ailleurs que l'action, de nature commerciale, est prescrite en application de l'article L. 110-4 du code de commerce, l'assignation ayant été délivrée le 29 décembre 2020 plus de cinq ans après le jugement de liquidation judiciaire du 24 novembre 2015.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 21 mars 2022, Mme [X] demande à la cour de rejeter les demandes de la société Garbati, de dire son appel irrecevable et mal fondé, de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé qu'elle avait un intérêt à agir direct et personnel, de rejeter comme nouveau le moyen soulevé par la société Garbati tiré de la prescription, subsidiairement de dire son action non prescrite, de condamner la société Garbati à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Elle fait observer que la prescription soulevée par la société Garbati est un moyen nouveau en cause d'appel et, partant, irrecevable.

Elle soutient qu'elle a un intérêt à agir personnel, direct, né et actuel au sens des articles 30 et 31 du code de procédure civile faisant valoir qu'elle agit en son nom propre dans la mesure où la liquidation judiciaire de la société MG 2000, résultant des agissements de la société Garbati, lui a causé de graves préjudices personnels, qu'en effet la société Garbati n'a jamais permis à la société MG 2000 d'accéder aux ordinateurs pour en copier les données, que la société MG 2000 n'a donc pas pu continuer son exploitation et honorer les échéances de son plan de continuation et que la société Garbati l'a assignée en résolution du plan. Mme [X] ajoute qu'elle est devenue propriétaire des actifs mobiliers corporels de la société MG 2000 à partir du 17 avril 2018, la validité du courrier du liquidateur ne pouvant être contestée et le liquidateur judiciaire ayant alors tout pouvoir pour abandonner des actifs sans valeur marchande sans y être autorisé par le juge-commissaire.

SUR CE,

Mme [X] soulève l'irrecevabilité de l'appel de la société Garbati sans soutenir le moindre moyen au soutien de sa fin de non-recevoir. Aucun moyen n'étant susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la société Garbati recevable.

La société Garbati soulève devant la cour la prescription des demandes de Mme [X]. Toutefois, cette fin de non-recevoir, soulevée pour la première fois devant la cour, n'a pas été soumise à l'appréciation du juge de la mise en état. La cour, à laquelle est déférée une ordonnance du juge de la mise en état, n'a pas le pouvoir de statuer sur des fins de non-recevoir qui n'ont pas été préalablement soumises à l'appréciation du juge de la mise en état. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par la société Garbati et tirée de la prescription n'est pas recevable.

Aux termes de l'assignation délivrée à la société Garbati, Mme [X] demande sa condamnation en paiement de dommages et intérêts à son profit au titre de la perte de son compte courant d'associé, de la perte de revenus en sa qualité de gérante depuis l'expulsion de la société MG 2000 en 2007 jusqu'à sa liquidation judiciaire en 2015, de la perte de pension de retraite de base et de retraite complémentaire résultant de l'absence de cotisations de 2007 à 2015, de la dégradation de sa santé l'empêchant de reprendre une activité résultant d'un acharnement procédural de la part de la société Garbati. Elle impute les préjudices dont elle demande réparation à des agissements de la société Garbati à l'égard de la société MG 2000.

Si Mme [X], qui agit en son nom personnel, invoque des fautes commises par la société Garbati à l'égard de la société MG 2000, son action en responsabilité tend à la réparation de préjudices personnels. Mme [X] a ainsi un intérêt personnel à agir à l'encontre de la société Garbati.

La réalité des préjudices dont Mme [X] se prévaut, l'existence d'un lien de causalité avec les fautes alléguées et la caractérisation de ces fautes relèvent de l'appréciation du bien-fondé de l'action de Mme [X]. Les propres défaillances de la société MG 2000 invoquées par la société Garbati, la question de l'existence de droits de Mme [X] sur le matériel ayant appartenu à la société MG 2000 et celle de l'origine des préjudices allégués par Mme [X], qui relèvent du bien-fondé des demandes indemnitaires, sont donc impropres à établir l'absence d'intérêt à agir de Mme [X].

Mme [X] justifiant d'un intérêt à agir, ses demandes sont recevables. Il s'ensuit que l'ordonnance du juge de la mise en état sera confirmée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant contradictoirement,

Déclare recevable l'appel interjeté par la société Garbati ;

Déclare irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Garbati et tirée de la prescription des demandes de Mme [X] ;

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société Garbati à payer à Mme [Z] [X] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Condamne la société Garbati aux dépens d'appel.