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Décisions

CA Aix-en-Provence, Pôle 1 ch. 9, 10 mars 2022, n° 21/04511

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Mi Construction (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Denjoy

Conseillers :

Mme Pochic, M. Tatoueix

JEX Grasse, du 6 avr. 2021, n° 20/00750

6 avril 2021

FAITS ET PROCEDURE

Le 26 octobre 2016, M. Z B et Mme A Y ont conclu avec la SARL Mi construction un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans.

Invoquant le défaut de paiement du solde du prix soit d'une somme de 77 385,42 euros par les maîtres d'ouvrage, la société de construction a refusé de procéder aux opérations de réception et a obtenu la délivrance d'une ordonnance de référé le 31 juillet 2019 les condamnant à lui payer solidairement ladite somme de 77 385,42 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance et les condamnant aux dépens ainsi qu'à une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En vertu de cette ordonnance, le constructeur a fait procéder, suivant procès-verbal du 27 décembre 2019, à la saisie de la licence professionnelle de taxi de M. C

Cet acte d'exécution a été dénoncé au débiteur par acte d'huissier signifié le 2 janvier 2020.

M. B et Mme Y ont fait assigner la SARL Mi construction devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Grasse par acte d'huissier du 31 janvier 2020 aux fins de mainlevée de cette saisie.

Par le jugement dont appel rendu le 6 avril 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Grasse a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SARL Mi construction tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir de Mme Y,

- déclaré recevable la contestation de la saisie de la licence de taxi de M. B,

- débouté M. B et Mme Y de leur demande de mainlevée de la saisie de la licence de taxi,

- débouté les consorts D de leur demande de sursis à exécution de l'ordonnance de référé dans l'attente de l'arrêt d'appel,

- débouté la SARL Mi construction de sa demande reconventionnelle de dommages intérêts,

- condamné M. B et Mme Y à payer la société Mi construction la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- rappelé que le jugement bénéficiait de l'exécution provisoire de droit.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 25 mars 2021, M. Z B et Mme A Y ont interjeté appel des dispositions du jugement :

- les ayants déboutés de leur demande de mainlevée de la saisie de la licence de taxi,

- les ayant déboutés de leur demande de sursis à exécution de l'ordonnance de référé dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel,

- les ayant condamnés à payer à la SARL Mi construction la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- ayant rappelé que le jugement bénéficiait de l'exécution provisoire de droit.

Suivant dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2021, M. Z B et Mme A Y demandent à la cour de :

- prendre acte de l'intervention volontaire de Me E X,

- déclarer nul et de nul effet le jugement déféré,

- subsidiairement :

- constater qu'une procédure de sauvegarde a été ouverte au bénéfice de M. B,

- constater que M. B et Mme Y ont une créance potentielle sur la SARL Mi construction d'un montant de 132 122,12 euros,

- infirmer le jugement dont appel,

- ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée sur la licence de taxi de M. B,

- condamner la société Mi construction à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Les appelants exposent :

- qu'ils ont tenté à différentes reprises de faire prononcer la réception de l'ouvrage, le constructeur s'y refusant et leur envoyant prématurément une facture représentant le solde du contrat alors que celui-ci n'était pas exigible puisque devant être payé à l'issue de la réception,

- qu'ils ont fait constater par huissier les malfaçons et non façons,

- qu'ils ont fini par prendre possession de la villa le 25 juin 2019 et ont vécu près de deux ans dans une maison sans portes et sans chauffage, tandis qu'ils obtenaient la désignation d'un expert judiciaire par ordonnance du 13 janvier 2020.

Ils précisent que cet expert a conclu à la présence d'importants désordres et au fait que la facture du constructeur n'était pas exigible à la date à laquelle elle a été émise.

Ils ajoutent qu'ils ont tenté d'obtenir la suspension de l'exécution provisoire devant le premier président de la cour d'appel et, subsidiairement, son aménagement, mais qu'ils ont été déboutés de leur demande et que par ailleurs, leur appel de l'ordonnance de référé a été radié pour inexécution de la décision.

Ils indiquent qu'ils ont obtenu entre temps la désignation d'un expert judiciaire par ordonnance de référé du 13 janvier 2020, expert dont les premiers comptes rendus démontrent la réalité des désordres qu'ils invoquent et leur importance, l'expert précisant que la facture émise par le constructeur n'était pas exigible à la date à laquelle elle a été émise.

Ils ajoutent que la mesure d'indisponibilité du certificat d'immatriculation du véhicule Volkswagen Touran a été levée par le juge de l'exécution.

Ils invoquent la nullité du jugement dont la date mentionnée sur la décision n'est pas exacte, ce qui équivaut à une absence de date.

M. B se prévaut encore du fait qu'il a été placé sous sauvegarde par jugement du tribunal de commerce du 8 septembre 2021 alors que la créance invoquée par le constructeur est antérieure à cette décision, ce qui ne lui permet pas de la payer.

Il estime que la saisie de sa licence de taxi a été diligentée de façon abusive par la partie adverse dans la mesure où son véhicule professionnel représente son instrument de travail ; il invoque les dispositions de l'article L.111-7 du CPCE pour estimer que la mesure contestée est disproportionnée et résulte d'une volonté de nuire et de faire pression en paralysant l'exercice de son activité professionnelle.

Il invoque les dispositions de l'article 14 ' 4 de la loi du 9 juillet 1991 et conclut qu'en vertu de ce texte, une licence de taxi n'est pas saisissable.

Il estime que d'ailleurs, une telle licence n'est pas négociable indépendamment de la personne qui exerce l'activité ce qui résulte des articles 3 et 4 de la loi 95 ' 66 du 20 janvier 1995 dont il résulte que l'autorisation administrative de stationnement de taxi sur la voie publique est strictement personnelle à celui qui en bénéficie et que la faculté de présentation d'un successeur auprès de l'autorité administrative ayant délivré cette autorisation est strictement personnelle au titulaire de cette licence.

Ensuite, les appelants indiquent que le juge de l'exécution les a autorisés par ordonnance du 17 août 2021 à saisir entre leurs propres mains la somme qu'ils doivent à Mi construction en garantie de leur propre créance paraissant fondée qu'ils détiennent envers cette société et qui se monte à 123 122 euros, ce montant représentant un devis descriptif et estimatif des travaux nécessaires pour remédier aux désordres de la construction qui résultent des conclusions du rapport de l'expert judiciaire.

Or, ils invoquent les dispositions de l'article L.523 ' 1 du code des procédures civiles d'exécution dont il résulte l'indisponibilité des sommes saisies à hauteur du montant autorisé et ajoutent que la décision du 17 août 2021 a été signifiée le 6 septembre à Mi construction, qui ne l'a pas contestée.

Suivant dernières conclusions notifiées le 14 juin 2021, la SARL Mi construction demande à la cour de :

- juger irrecevables les appelants en leur demande d'annulation du jugement du 6 avril 2021,

- les en débouter,

- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré Mme Y recevable en son intervention, dire qu'elle n'a ni intérêt ni qualité à agir et la débouter de ses demandes,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les demandeurs de leur demande d'annulation de la saisie de la licence de taxi entre les mains de la mairie de Cannes le 27 décembre 2019,

- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages intérêts pour résistance abusive, statuant à nouveau, condamner les appelants à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts,

- en tout état de cause, les condamner aux dépens et dire qu'ils sont recouvrés directement dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamner les appelants à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée fait valoir :

- que la déclaration d'appel n'ayant pas mentionné qu'il s'agissait d'un appel nullité la demande de ce chef est irrecevable,

- qu'en tout état de cause, l'erreur de date du jugement est en l'espèce, une simple erreur matérielle,

L'intimée conteste à nouveau la recevabilité à agir de Mme Y puisque cette dernière n'est pas titulaire d'un droit quelconque sur la licence de taxi faisant l'objet du litige.

Sur le fond, elle indique que l'article L 112 ' 2, 5° du CPCE n'est pas applicable puisqu'une licence de taxi n'est pas un bien meuble corporel, et qu'à défaut de toute disposition spécifique restrictive, l'autorisation administrative de stationnement est saisissable en application des articles 59 de la loi du 9 juillet 1991 et 38 du décret du 31 juillet 1992.

Elle rappelle que M. B n'est pas dessaisi de sa licence, qu'il exploite toujours.

Elle estime que les appelants ont multiplié les recours dilatoires alors qu'ils ne justifient ni l'un ni l'autre de leur situation financière et qu'ils ont emménagé dans une maison depuis juin 2019 sans en payer le prix.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'intervention à la procédure de Mme Y :

Comme l'a estimé le premier juge, Mme Y dispose d'un intérêt au moins moral à intervenir à la procédure en appui des prétentions de M. B puisqu'elle a commandé la construction de la maison à l'origine du litige au même titre que ce dernier.

Sur la demande des consorts B de nullité du jugement dont appel :

Cette prétention n'ayant pas été émise dans l'acte de déclaration d'appel saisissant la cour, la demande est irrecevable comme le soutient la partie intimée.

Sur la demande aux fins de « prendre acte de l'intervention volontaire de Me E X, administrateur judiciaire» :

Cette demande est sans objet, ce mandataire judiciaire n'étant pas intervenu volontairement à l'instance.

Sur les demandes aux fins de constatations :

Il n'appartient pas à la juridiction de procéder à des constatations ; cette demande est sans objet.

Sur la demande d'infirmation du jugement et de mainlevée de la saisie de la licence de taxi délivré à M. B :

La SARL Mi construction a fait procéder à la saisie de la licence de taxi dont M. B est titulaire par acte d'huissier du 27 décembre 2019 dénoncé à M. B le 2 janvier 2020.

Il s'agit d'une saisie portant sur un bien incorporel et qui est régie par les articles R.232 ' 1 et suivants du code des procédure civile d'exécution.

Une licence de taxi ne relève pas des dispositions relatives à la saisie des meubles corporels.

En revanche, les appelants invoquent à bon droit les dispositions de l'article L 111 ' 7 du code de procédure civile d'exécution qui donne pouvoir au juge de l'exécution d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive.

En l'espèce, le caractère abusif de la mesure résulte du fait que la SARL créancière a entamé cette procédure de saisie en décembre 2019 mais ne l'a pas menée à son terme depuis plus de deux ans ce qui laisse le débiteur dans l'incertitude alors que matériellement cette licence lui est indispensable pour l'exercice de son activité professionnelle de taxi.

La mesure qui a été entamée sur le fondement de l'ordonnance de référé du 31 juillet 2019 doit d'autant plus faire l'objet d'une mainlevée que les consorts B ont été autorisés par ailleurs, par ordonnance du juge de l'exécution, à procéder à une saisie conservatoire entre leurs mains du montant intégral de la créance faisant l'objet du titre exécutoire servant de base à la saisie de cette licence.

En conséquence il doit être fait droit au recours des appelant sur ce point, statuant à nouveau la cour ordonnera la mainlevée de la saisie de la licence de taxi de M. C

Sur la demande d'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages intérêts de la SARL Mi construction pour résistance abusive :

L'évolution du litige ne permet pas de faire droit à la demande.

Son rejet doit être confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Déclare irrecevable la demande des consorts D aux fins de nullité du jugement,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SARL Mi construction tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir de Mme Y,

- débouté la SARL Mi construction de sa demande de dommages intérêts pour résistance abusive,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Ordonne la mainlevée de la saisie de la licence de taxi de M. Z B intervenue le 27 décembre 2019,

Y ajoutant,

Déclare sans objet les demandes présentées par les consorts B aux fins de constatations, et aux fins de donné acte de l'intervention de Me Bienfait,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SARL Mi construction à payer à M. Z B la somme de 3 000 euros et la déboute de sa demande de ce chef,

Condamne la SARL Mi construction aux dépens de première instance et d'appel.