CA Paris, Pôle 4 ch. 8, 4 juillet 2019, n° 18/28207
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lebée
Conseillers :
M. Malfre, Mme Trouiller
Avocats :
Me Genet, Me Schlesinger, Me Pujos
Vu la déclaration d'appel en date du 18 décembre 2018 ;
Vu les conclusions récapitulatives de H J F Z J Y E IdaresI, (le liquidateur de la banque Imar), représenté par K G I D X, en date du 16 mai 2019, tendant, à titre principal, à voir la cour infirmer le jugement entrepris, débouter M. B L de ses demandes, le condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions récapitulatives de M. B L, en date du 17 mai 2019, tendant à voir la cour, à titre principal, confirmer le jugement entrepris, à titre subsidiaire, cantonner la saisie, ordonner la restitution par l'huissier instrumentaire des titres au porteur Libananco, Ceas et Kepez de telle sorte que ne restent par devers lui que des actifs dont la valeur n'excédera pas 5 234 239 euros, désigner en tant que de besoin un expert financier aux fins d'aider l'huissier instrumentaire dans ses opérations de restitution desdits titres, et en tout état de cause débouter l'appelante de ses demandes, la condamner à lui payer la somme de 200 000 euros au titre du préjudice moral subi, celle de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée ;
Pour plus ample exposé du litige, il est fait renvoi aux écritures visées.
SUR CE :
La faillite de la banque Imar, dont le capital était détenu par différents membres de la famille L, a été prononcée par jugement du tribunal de première instance d'Istamboul (Turquie), en date du 08 juin 2005.
Par jugement du même tribunal, en date du 19 juin 2013, M. L a été condamné au paiement à la banque Imar de la somme totale de 4 022 791,96 dollars, 1 667 948,70 euros, 7 007,84 livres sterling, 14 000 francs suisses, soit un total d'environ 5 234 239 euros, à parfaire d'intérêts.
Par jugement du même tribunal (8ème chambre criminelle) du 29 mars 2013, M. B L avait notamment été condamné à une peine de 18 ans d'emprisonnement pour détournement de fonds aggravé au préjudice de la banque Imar, à une peine d'emprisonnement et à une amende, ainsi qu'au paiement de la somme principale de 1 468 240 378,21 lires turques, soit 375 826 241,64 euros, à titre de dommages intérêts civils en réparation du préjudice subi par la banque Imar.
Le recouvrement de ces créances a été confié, en vertu d'un mandat consenti suivant décision n°2837 du 3 août 2015, au TMSF, fonds turc d'assurance des dépôts d'épargne, créé par décret du 23 juillet 1983, chargé d'assurer la sécurité des dépôts bancaires et d'administrer les institutions financières en faillite.
Le liquidateur de la banque Imar, agissant par le TMSF, a fait procéder à diverses mesures conservatoires à l'encontre de M. L et, par acte du 22 août 2017, a fait assigner celui-ci en exequatur des deux jugements turcs rendus à son encontre.
Il a notamment fait pratiquer, le 25 août 2017, au domicile de M. L, la saisie conservatoire de meubles corporels et du contenu de son coffre-fort.
Par arrêt infirmatif du 6 septembre 2018, frappé de pourvoi, cette cour a annulé la saisie du 25 août 2017.
Par ordonnance du 30 août 2017, Maître A, huissier instrumentaire, avait été désignée séquestre des biens et documents contenus dans le coffre-fort.
Le 4 septembre 2018, le liquidateur de la banque Imar a fait pratiquer une nouvelle saisie conservatoire des biens séquestrés dans le coffre-fort loué à cet effet par l'huissier de justice instrumentaire.
Le 17 septembre 2018, M. L a contesté cette saisie devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris. Par acte du même jour, il a sollicité la rétractation de l'ordonnance du 30 août 2017 ayant autorisé le séquestre. Les deux affaires ont été jointes.
Par jugement du 18 décembre 2018, le juge de l'exécution a déclaré recevable la demande de rétractation de l'ordonnance, rétracté l'ordonnance du 30 août 2017, ordonné mainlevée de la saisie conservatoire du 4 septembre 2018, rejeté la demande de dommages et intérêts de M. L, condamné le liquidateur de la banque Imar aux dépens et a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
C'est la décision attaquée.
Le 18 décembre 2018, le liquidateur a assigné M. L en référé devant le premier président de la cour d'appel de Paris afin qu'il soit sursis à l'exécution du jugement.
Par ordonnance du 13 juin 2019, le premier président a déclaré irrecevable la demande de sursis à exécution du jugement du 18 décembre 2018 en ce qu'il a rétracté l'ordonnance du 30 août 2017 et a ordonné le sursis à exécution du jugement en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire du 4 septembre 2018.
Par jugement du 27 mars 2019, frappé d'appel, le tribunal de grande instance de Paris a débouté le liquidateur de la banque Imar de sa demande d'exequatur du jugement du tribunal de première instance d'Istamboul en date du 29 mars 2013.
Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a, en substance, relevé que l'annulation de la saisie conservatoire du 6 septembre 2017 a un effet rétroactif, que cette annulation emporte restitution immédiate au débiteur des biens meubles corporels saisis, de sorte que l'ordonnance du 30 août 2017, au lieu de 2018 indiqué par erreur, qui a exclusivement pour objet des biens qui ne sont plus en possession du créancier saisissant, doit être rétractée, que la saisie conservatoire visant exclusivement les biens placés sous séquestre en exécution de cette ordonnance doit être rétractée.
Sur la rétractation de l'ordonnance du 30 août 2017, dont l'examen est préalable :
Le liquidateur soutient, d'abord, que c'est à tort que le premier juge a fait droit à la demande de rétractation de l'ordonnance ayant désigné un séquestre, qu'en effet l'arrêt du 6 septembre 2018, non signifié au séquestre, à avocat constitué et à partie, n'était pas exécutoire, que la mise sous séquestre n'exclut pas la possibilité d'exercer une saisie conservatoire entre les mains du séquestre, que, la décision d'annulation de la saisie du 25 août 2017, frappée de pourvoi, n'étant pas irrévocable, le maintien du séquestre est justifié en raison des menaces existantes sur le recouvrement des créances.
Le liquidateur soutient, ensuite, que les conditions de la rétractation s'apprécient au jour où l'ordonnance initiale a été rendue, que la mainlevée ne peut être ordonnée que si les conditions de validité de la mesure de séquestre ne sont pas, ou plus, réunies au jour où le juge statue, qu'en l'espèce les conditions du séquestre prévues à l'article R. 221-19 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution étaient réunies au jour du prononcé de l'ordonnance du 30 août 2017, de sorte que l'annulation de la saisie prononcée par arrêt du 6 septembre 2018 ne pouvait se résoudre que par une décision de mainlevée de celle-ci.
Cependant, de première part, l'arrêt du 6 septembre 2018 ayant annulé la saisie du 25 août 2017 étant revêtu de l'autorité de la chose jugée dès son prononcé, il importe peu qu'il ait été signifié, ce que soutient l'intimé, ou non, ou encore qu'il ait été l'objet d'un pourvoi, de deuxième part, ainsi que le relève également l'intimé, les conditions de la rétractation s'apprécient au jour où le juge saisi de la demande en rétractation statue, de troisième part, à cette date, la saisie conservatoire, préalable nécessaire à la décision de séquestre, avait été annulée de sorte que celle-ci était devenue sans objet et que c'est à bon droit que le premier juge l'a rétractée.
Sur la validité de la saisie conservatoire du 4 septembre 2018 :
Le liquidateur soutient, d'abord, qu'il appartenait au premier juge, conformément aux termes de l'article R. 512-1 du code des procédures civiles d'exécution, de vérifier si les conditions de validité de la saisie étaient réunies, ensuite, que l'annulation de la saisie du 25 août 2017 n'interdisait pas au liquidateur de faire procéder à une saisie conservatoire, en dehors des locaux d'habitation, entre les mains du séquestre qui détenait légitimement les biens saisis, que cette saisie a prolongé leur indisponibilité.
Cependant, comme le soutient l'intimé, l'annulation de la saisie du 25 août 2017 a entraîné, ainsi qu'il vient d'être dit, la rétractation de l'ordonnance désignant M° A en qualité de séquestre des biens saisis et la perte du fondement de la détention par l'huissier de justice des biens saisis de sorte que la saisie étant devenue inopérante, c'est à bon droit que le premier juge a ordonné sa mainlevée, étant rappelé que l'huissier de justice séquestre avait fait procéder à l'ouverture forcée des portes du domicile de M. L et à celle d'un coffre-fort s'y trouvant sans être porteur d'un titre exécutoire ou de l'autorisation d'un juge.
Sur les dommages intérêts’ :
M. L, au-delà d'une affirmation de principe relative à la protection dont il doit bénéficier envers les persécutions de l'État turc, n'établit pas l'existence du préjudice moral qui résulterait de ce qu'il appelle un stratagème procédural. Il ne sera pas fait droit à sa demande de dommages intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
L'appelant qui succombe doit être condamné aux dépens, débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à l'intimé, en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Condamne H J F Z J Y E IdaresI, représenté par K G I D X à payer à M. L la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.