CA Lyon, 6e ch., 29 septembre 2022, n° 21/09358
LYON
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boisselet
Conseillers :
Mme Allais, Mme Robin
Avocats :
Me Nehman, Me Alleaume
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
Par jugement du 5 novembre 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lyon a prononcé le divorce des époux [S] [C] et [U] [I].
Le 8 janvier 2021, Maître [B], notaire en charge de la liquidation et du partage du régime de participation aux acquêts ayant existé entre les époux [C]-[I] a dressé un procès-verbal de difficultés.
Par ordonnances respectives des 10 mars et 22 avril 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon a autorisé Mme [C] à faire pratiquer une saisie conservatoire sur Ies valeurs mobilières détenues par M. [I] sur la société [7] et sur Ia société [8] à hauteur de la somme de 500.000 euros, correspondant à une provision sur la soulte due par M. [I] à Mme [C] suite à la liquidation du régime matrimonial.
Suivant procès-verbal du 12 avril 2021, dénoncé le 14 avril 2021, Mme [C] a fait procéder à la saisie conservatoire des droits d'associés ou valeurs mobilières de M. [I] entre les mains de la société [7] en exécution de l'ordonnance du 10 mars 2021.
Suivant procès-verbal du 29 avril 2021, dénoncé le même jour, Mme [C] a fait procéder à la saisie conservatoire des droits d'associés ou valeurs mobilières de M. [I] entre les mains de la société [8] en exécution de l'ordonnance du 22 avril 2021.
Par acte d'huissier de justice du 23 avril 2021, Mme [C] a fait assigner devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Lyon M. [I] aux fins de voir procéder à la liquidation du régime matrimonial ayant existé entre les époux.
Par acte d'huissier de justice du 9 juillet 2021, Mme [C] a fait assigner devant Ie juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon les sociétés [7] et [8]. Elle sollicitait en dernier lieu de voir condamner in solidum ces sociétés à Iui payer à titre principal Ies causes de Ia saisie et à titre subsidiaire des dommages et intérêts.
Les sociétés [7] et [8] ont conclu au débouté des prétentions de Mme [C] et ont réclamé reconventionnellement la condamnation de celle-ci à leur payer des dommages et intérêts.
Par jugement du 30 novembre 2021, le juge de l'exécution a :
- débouté les parties de leurs demandes,
- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [C] aux dépens,
- rappelé que la décision était assortie de plein droit de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 29 décembre 2021, Mme [C] a interjeté appel de la décision.
L'affaire a été fixée d'office à l'audience du 5 juillet 2022 par ordonnance du président de la chambre du 3 janvier 2022 en application des articles R.121-20 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution et 905 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 27 juin 2022, Mme [C] demande à la Cour, au visa des articles L.123-1, R.522-5, R.221-21 et R.232-8 du code des procédures civiles d'exécution, de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
- infirmé le jugement en ce qu'il :
'l'a déboutée de ses demandes,
'dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
'l'a condamnée aux dépens,
- dire et juger que les sociétés [7] et [8], tiers saisis, ont commis diverses fautes et manquements qui lui ont causé un préjudice,
à titre principal,
- condamner les sociétés [7] et [8] in solidum au paiement des causes de la saisie, soit la somme de 500.000 euros,
à titre subsidiaire,
- condamner les sociétés [7] et [8] in solidum au paiement de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,
en tout état de cause,
- condamner les sociétés [7] et [8] in solidum aux entiers dépens comprenant le coût de l'ensemble des saisies, dénonciations et sommations, et à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, Mme [C] fait valoir que :
- aux termes de l'ordonnance du 10 mars 2021 précitée, le juge de l'exécution l'a également autorisée à faire procéder à une saisie-conservatoire sur les créances et valeurs mobilières détenues par M. [I] au sein de plusieurs établissements bancaires,
- M. [I], qui a eu connaissance de la teneur de l'ordonnance du 10 mars 2021 le 7 avril 2021, date de dénonciation des premières saisies effectuées sur ses comptes bancaires, a créé rapidement une nouvelle société, la société [8], à laquelle la totalité des parts de la société [7] ont été apportées ; cette opération a permis à M. [I] de vider la société [7] de sa substance et de recevoir en rémunération de cet apport 40.000 actions de 10 euros chacune entièrement libérées,
- par ailleurs, par décision de M. [I], associé unique de la société [7] du 19 avril 2021, il a été décidé de distribuer le bénéfice de l'exercice clos le 31 octobre 2020 et de prélever la somme de 294.649,39 euros, soit de distribuer et de mettre en paiement la somme de 350.000 euros alors que cette somme était indisponible depuis la dénonciation de la saisie du 12 avril 2021,
- la fraude commise l'empêche de pratiquer une quelconque saisie, les sommes en compte au sein de la société [7] n'étant pas saisissables du fait qu'elles appartiennent à la société [8] et cette dernière n'ayant pas de chiffre d'affaires ni de bénéfice,
- sa demande en paiement est fondée sur les articles L.123-1, R.221-21 auquel renvoie l'article R.522-5, R.232-8 auquel renvoie l'article R.524-3 du code des procédures civiles d'exécution ainsi que sur les articles 314-6 et 314-7 du code pénal.
Dans leurs conclusions notifiées le 1er février 2022, les sociétés [7] et [8] demandent à la Cour, au visa des articles L.123-1, L.211-3, R.221-21, R.232-8, R.522-5 et R.524-1 du code des procédures civiles d'exécution, 314-6 et 314-7 du code pénal, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [C] de ses prétentions envers elles,
- condamner Mme [C] à payer à chacune d'elles une somme de 5.000 euros pour procédure abusive,
- condamner Mme [C] à payer à chacune d'elles une somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens distraits au bénéfice de Maître Frédéric Alléaume sur son offre de droit.
Les sociétés [7] et [8] répliquent que :
- aucun des articles invoqués par Mme [C] n'a vocation à s'appliquer,
- la saisie-conservatoire pratiquée entre les mains de la société [7] n'a pas été effective non en raison d'une faute de cette société mais du fait que M. [I] ne disposait plus de parts sociales au sein de cette société, celles-ci ayant été apportées à la société [8] le 1er mars 2021 ; par ailleurs, la distribution de dividendes du 19 avril 2021 n'a été opérée qu'au bénéfice de la société [8],
- la saisie-conservatoire pratiquée entre les mains de la société [8] est effective depuis le 29 avril 2021, de telle sorte que celle-ci est apte à garantir la créance de Mme [C].
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 juin 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
L'article L.123-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose :
"Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l'exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu'ils en sont légalement requis.
Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts.
Dans les mêmes conditions, le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut aussi être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur."
La saisie conservatoire des droits d'associé et des valeurs mobilières est régie par les dispositions des articles L.523-1, R.524-1 et R.524-3 du code des procédures civiles d'exécution. Aussi, les sociétés [7] et [8] n'étaient pas tenues de procéder à la déclaration prévue par l'article R.221-21 du code des procédures civiles d'exécution auquel renvoie l'article R.522-5 du même code, celui-ci ne concernant que la saisie conservatoire sur les biens meubles corporels.
L'article R.232-8 du code des procédures civiles d'exécution auquel renvoie l'article R.524-3 du même code dispose : "l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ; celui-ci peut en obtenir la mainlevée en consignant auprès de la caisse des dépôts et consignations une somme suffisante pour désintéresser le créancier ; cette somme est spécialement affectée au profit du créancier saisissant.
Les sociétés [7] et [8] n'avaient pas d'obligation particulière de déclaration en vertu de cet article, étant observé que Mme [C] ne leur reproche pas de ne pas lui avoir fait connaître l'existence d'éventuels nantissements ou saisies en application de l'article 5° de l'article R.524-1 du code des procédures civiles d'exécution.
Suivant contrat d'apport du 1er mars 2021, les 2.000 parts sociales de 10 euros en valeur nominale, détenues par M. [I], associé unique de la société [7], ont été cédés en totalité à la société [8], même si cette société n'a été immatriculée que le 8 avril 2021. M. [I] ne disposait donc plus de valeurs mobilières au sein de la société [7] le 12 avril 2021, de telle sorte qu'il n'est pas démontré que la saisie-conservatoire opérée entre les mains de la société [7] n'a pas été effective par la faute de celle-ci.
M. [I], associé unique de la société [8], a obtenu 40.000 actions de 10 euros au sein de cette société en rémunération de l'apport des parts sociales de la société [7], après valorisation. Aussi, la saisie conservatoire opérée entre les mains de la société [8] est effective. En outre, la décision de l'associée unique de la société [7] du 19 avril 2021 de distribuer 350.000 euros à titre de dividende global bénéficie non à M. [I] mais à la société [8] et n'a pas eu d'incidence sur l'indisponibilité des parts sociales du débiteur.
Enfin, Mme [C] ne démontre pas que les sociétés [7] et [8] ont commis les infractions de détournement de gage ou d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité prévues par les articles L.314-6 et L.314-7 du code pénal.
Il ressort de ces éléments que les sociétés [7] et [8] n'ont pas manqué à leurs obligations en qualité de tiers-saisis. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [C] de ses demandes afin de voir condamner les sociétés [7] et [8] aux causes de la saisie ou encore à des dommages et intérêts.
Compte tenu des difficultés de Mme [C] à recouvrer sa créance et des liens étroits existant entre M. [I] et les sociétés [7] et [8], dont il est le gérant, ces sociétés ne caractérisent pas en l'espèce une faute de l'appelante de nature à faire dégénérer en abus le droit de celle-ci à agir en justice. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés [7] et [8] de leurs demandes respectives de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le jugement sera également confirmé quant aux dépens et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile. Mme [C], qui n'obtient pas gain de cause dans le cadre de son recours, sera condamnée aux dépens d'appel, avec le droit pour Maître Frédéric Alléaume, avocat, de recouvrer directement ceux dont il aura fait l'avance sans avoir reçu provision en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Mme [C] conservera la charge de ses frais irrépétibles et sera condamnée à payer aux sociétés [7] et [8] la somme de 1.500 euros (soit 750 euros à chacune de ces sociétés) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [C] aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct de ceux-ci au profit de Maître Frédéric Alléaume, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [C] à payer aux sociétés [7] et [8] la somme de 1.500 euros (soit 750 euros à chacune de ces sociétés) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Rejette le surplus des demandes.