CJUE, 3e ch., 29 juin 2023, n° C-211/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Super Bock Bebidas (SA)
Défendeur :
Autoridade da Concorrência
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Jürimäe
Juges :
M. Safjan, M. Piçarra, M. Jääskinen, M. Gavale
Avocat général :
Mme Kokott
Avocats :
Me Caimoto Duarte, Me da Silva, Me Espregueira Mendes, Me Mesquita Guimarães, Me Navarro de Noronha, Me Sarabando Pereira, Me Veloso Pedrosa, Me Whyte
LA COUR (troisième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 4, sous a), du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, [TFUE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO 2010, L 102, p. 1), ainsi que des lignes directrices sur les restrictions verticales (JO 2010, C 130, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Super Bock Bebidas SA (ci-après « Super Bock »), AN et BQ à l’Autoridade da Concorrência (autorité de la concurrence, Portugal) au sujet de la légalité de la décision de cette dernière constatant que Super Bock, AN et BQ avaient commis une infraction aux règles de concurrence et leur infligeant des amendes à ce titre.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le règlement no 330/2010 a succédé, avec effet au 1er juin 2010, au règlement (CE) no 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO 1999, L 336, p. 21). Conformément à son article 10, second alinéa, le règlement no 330/2010 a expiré le 31 mai 2022.
4 Les considérants 5 et 10 du règlement no 330/2010, auxquels correspondent, en substance, les considérants 5 et 10 du règlement no 2790/1999, étaient formulés comme suit :
« (5) Il y a lieu de limiter le bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le présent règlement aux accords verticaux dont on peut présumer avec suffisamment de certitude qu’ils remplissent les conditions prévues à l’article 101, paragraphe 3, [TFUE].
[...]
(10) Le présent règlement ne doit pas exempter des accords verticaux contenant des restrictions qui risquent de restreindre la concurrence et d’être préjudiciables aux consommateurs ou qui ne sont pas indispensables pour produire les gains d’efficience. En particulier, les accords verticaux contenant certains types de restrictions graves de concurrence, comme l’imposition d’un prix de vente minimal ou d’un prix de vente fixe ou certains types de protection territoriale, doivent être exclus du bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le présent règlement, quelle que soit la part de marché des entreprises concernées. »
5 L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 330/2010 contenait les définitions suivantes :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “accord vertical”, un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services ;
b) “restriction verticale”, une restriction de concurrence dans un accord vertical entrant dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] ».
6 Des définitions, en substance, identiques figuraient à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 2790/1999.
7 Les articles 2 des règlements nos 2790/1999 et 330/2010 énonçaient une règle d’exemption. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 330/2010, qui correspond, en substance, à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no° 2790/1999 :
« Conformément à l’article 101, paragraphe 3, [TFUE], et sous réserve des dispositions du présent règlement, l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] est déclaré inapplicable aux accords verticaux.
La présente exemption s’applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions verticales. »
8 Les articles 4 des règlements nos 2790/1999 et 330/2010 portaient sur les « restrictions caractérisées » qui ne pouvaient pas bénéficier de l’exemption par catégorie. L’article 4 du règlement no 330/2010, qui correspond, en substance, à l’article 4 du règlement no 2790/1999, disposait :
« L’exemption prévue à l’article 2 ne s’applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d’autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet :
a) de restreindre la capacité de l’acheteur de déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n’équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet de pressions exercées ou d’incitations par l’une des parties ;
[...] »
Le droit portugais
9 L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la lei n.o 19/2012 – Aprova o novo regime jurídico da concorrência, revogando as leis n.os 18/2003, de 11 de junho, e 39/2006, de 25 de agosto, e procede à segunda alteração à lei n.o 2/99, de 13 de janeiro (loi no 19/2012 approuvant le nouveau régime juridique de la concurrence, abrogeant les lois nos 18/2003, du 11 juin, et 39/2006, du 25 août, et apportant une deuxième modification à la loi no 2/99, du 13 janvier), du 8 mai 2012 (Diário da República, 1re série, no 89/2012, du 8 mai 2012, ci-après le « NRJC »), prévoit :
« Sont interdits les accords entre entreprises, les pratiques concertées entre entreprises et les décisions d’associations d’entreprises qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de fausser ou de restreindre totalement ou partiellement le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché national, et notamment ceux qui consistent à :
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Super Bock est une société établie au Portugal, qui produit et commercialise des bières, des eaux en bouteille, des boissons rafraîchissantes, du thé glacé, des vins, des sangrias et des cidres. Son activité principale repose sur les marchés de la bière et de l’eau en bouteille.
11 AN et BQ sont, respectivement, membre du conseil d’administration de Super Bock et directeur de son service commercial pour les ventes dans le canal de distribution « HoReCa », dit aussi canal « on-trade ».
12 Ce canal, sur lequel porte le comportement en cause au principal, correspond aux achats de boissons effectués dans les hôtels, les restaurants et les cafés, à savoir pour une consommation hors domicile. Aux fins de la distribution des boissons par ledit canal au Portugal, Super Bock a conclu des accords de distribution exclusive avec des distributeurs indépendants. Ceux-ci revendent les boissons achetées auprès de Super Bock sur la quasi-totalité du territoire portugais. Seules certaines zones sont approvisionnées par des ventes directes effectuées par Super Bock. Il s’agit de Lisbonne, de Porto, de Madère, de Coimbra (Portugal) (jusqu’en 2013) ainsi que, à partir de l’année 2014, des îles de Pico et Faial (Portugal).
13 Selon les faits tenus pour établis par la juridiction de renvoi, Super Bock a, au moins au cours de la période comprise entre le 15 mai 2006 et le 23 janvier 2017, fixé et imposé de manière régulière, généralisée et sans aucun changement, à l’ensemble de ces distributeurs les conditions commerciales que ceux-ci devaient respecter lors de la revente des produits qu’elle leur vendait. En particulier, Super Bock a fixé des prix minimaux de revente dans le but d’assurer le maintien d’un niveau de prix minimal stable et aligné sur l’ensemble du marché national.
14 Concrètement, la direction des ventes de Super Bock approuvait, en règle générale chaque mois, une liste de prix minimaux de revente, qu’elle transmettait aux distributeurs. Les responsables de réseau ou de marché au sein de Super Bock transmettaient les prix de revente aux distributeurs soit oralement, soit par écrit (par courrier électronique). Ces prix étaient, en général, appliqués par les distributeurs. À leur tour, ces derniers, dans le cadre d’un système de contrôle et de surveillance établi par Super Bock, avaient l’obligation de communiquer à cette dernière les données relatives à la revente, par exemple en termes de quantités et de montants. En cas de non-respect des prix, les distributeurs s’exposaient, conformément aux conditions commerciales fixées par Super Bock, à des « représailles », telles que la suppression des incitations financières, constituées des remises commerciales sur l’achat des produits et du remboursement des remises pratiquées par eux sur la revente, ainsi que la suppression de l’approvisionnement et du réapprovisionnement des stocks. Ils risquaient, ainsi, de perdre la garantie de marges de distribution positives qui leur était accordée dans le cadre desdites conditions commerciales.
15 L’autorité de la concurrence a estimé que cette pratique de fixation, par des moyens directs et indirects, des prix et des autres conditions applicables à la revente de produits par un réseau de distributeurs indépendants dans le canal de distribution HoReCa sur la quasi-totalité du territoire portugais était constitutive d’une infraction aux règles de concurrence, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), du NRJC et de l’article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE. Elle a donc infligé des amendes à Super Bock, à AN et à BQ.
16 Saisi par ces derniers, le Tribunal da Concorrência, Regulação e Supervisão (Tribunal de la concurrence, de la réglementation et de la surveillance, Portugal) a confirmé la décision de l’autorité de la concurrence.
17 C’est contre le jugement de ce tribunal que Super Bock, AN et BQ ont interjeté appel devant le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne, Portugal), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire.
18 Au vu des arguments soulevés devant elle et des questions préjudicielles proposées par les parties au litige qui lui est soumis, la juridiction de renvoi estime nécessaire d’obtenir des clarifications sur l’interprétation de l’article 101 TFUE. En substance, elle s’interroge, premièrement, sur le point de savoir si la notion de « restriction de concurrence par objet » est susceptible de couvrir, et le cas échéant sous quelles conditions, un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente. Deuxièmement, ses interrogations portent sur la notion d’« accord » lorsque des prix minimaux de revente sont imposés par un fournisseur à ses distributeurs. Troisièmement, elle se demande si la notion d’« affectation du commerce entre États membres » peut viser les conséquences d’un accord de distribution s’appliquant, seulement, sur la quasi-totalité du territoire d’un État membre.
19 C’est dans ces circonstances que le Tribunal da Relação de Lisboa (cour d’appel de Lisbonne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La fixation verticale de prix minimaux est-elle en soi une infraction par objet qui ne nécessite pas une appréciation préalable du degré suffisant de nocivité de l’accord ?
2) La démonstration de l’élément “accord” de l’infraction par fixation (tacite) de prix minimaux pour les distributeurs requiert elle de prouver concrètement que les distributeurs ont suivi, dans la pratique, les prix fixés notamment au moyen de preuves directes ?
3) [Premièrement,] l’envoi de listes indiquant les prix minimaux et les marges de distribution, [deuxièmement,] la demande de prix de vente de la part des distributeurs, [troisièmement,] le dépôt de plaintes de la part des distributeurs – lorsqu’ils considèrent que les prix de revente qui leur sont imposés ne sont pas compétitifs ou lorsqu’ils constatent que les distributeurs concurrents ne sont pas alignés –, [quatrièmement,] l’existence de mécanismes de surveillance des prix (moyens minimaux) et, [cinquièmement,] des mesures de rétorsion (sans démonstration de leur application concrète) sont-ils des éléments suffisants pour considérer qu’il y a eu infraction par fixation (tacite) de prix minimaux pour les distributeurs ?
4) À la lumière de l’article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE, de l’article 4, sous a), du règlement [no 330/2010], des lignes directrices sur les restrictions verticales et de la jurisprudence de l’Union [européenne], est-il présumé que l’accord entre fournisseur et distributeurs visant à la fixation (verticale) de prix minimaux et d’autres conditions commerciales applicables à la revente présente un degré suffisant de nocivité pour la concurrence, sans préjudice de l’appréciation des éventuels effets économiques positifs découlant de ladite pratique, conformément à l’article 101, paragraphe 3, TFUE ?
5) Est-il compatible avec l’article 101, paragraphe 1, sous a), TFUE et avec la jurisprudence de l’Union [...] qu’une décision de justice constate que l’élément de type objectif “accord” entre fournisseur et distributeurs a été établi sur la base :
a) de la fixation et de l’imposition, par le premier aux seconds, de manière régulière, généralisée et sans changement pendant la durée de la pratique, de conditions commerciales qu’ils doivent respecter lors de la revente des produits qu’ils achètent au fournisseur, à savoir les prix qu’ils pratiquent à l’égard de leurs clients, principalement en termes de prix minimaux ou de prix moyens minimaux[ ;]
b) de la transmission des prix de revente imposés oralement ou par écrit (par courrier électronique) ;
c) du fait que les distributeurs ne sont pas en mesure de déterminer eux-mêmes leurs prix de revente ;
d) de la pratique habituelle et généralisée (lors de conversations téléphoniques ou en personne) selon laquelle des employés du fournisseur demandent aux distributeurs de respecter les prix indiqués ;
e) du fait que tous les distributeurs respectent les prix de revente fixés par le fournisseur (sauf désaccords ponctuels) et de la constatation que le comportement des distributeurs sur le marché correspond généralement aux conditions énoncées par le fournisseur ;
f) du fait que, pour ne pas être en défaut, ce sont souvent les distributeurs eux-mêmes qui demandent l’indication des prix de revente au fournisseur ;
g) de la constatation que les distributeurs se plaignent souvent auprès du fournisseur des prix à pratiquer au lieu de pratiquer simplement d’autres prix ;
h) de la fixation par le fournisseur de marges de distribution (faibles) et du fait que les distributeurs considèrent que ces marges correspondent au niveau de rémunération de leur activité ;
i) de la constatation que, en imposant des marges faibles, le fournisseur a imposé un prix de revente minimum, faute de quoi les marges des distributeurs sont négatives ;
j) de la politique de remises accordées par le fournisseur aux distributeurs sur la base du prix de revente qu’ils ont effectivement pratiqué (le prix minimum préalablement fixé par le fournisseur étant le seuil des repositionnements qu’il a effectués s’agissant des ventes aux clients finals) ;
k) de la nécessité pour les distributeurs (compte tenu, dans de nombreux cas, de la marge de distribution négative) de se conformer aux niveaux de prix de revente imposés par le fournisseur ; la pratique de prix de revente plus bas ne s’est produite que dans des situations très occasionnelles et sur demande des distributeurs au fournisseur d’une nouvelle remise sur les ventes aux clients finals ;
l) de la fixation, par le fournisseur, et du respect, par les distributeurs, de remises maximales à appliquer à leurs clients, conduisant à un prix de revente minimal, faute de quoi la marge de distribution est négative ;
m) de la démarche directe du fournisseur auprès des clients des distributeurs et de la fixation des conditions de revente qui leur sont imposées par la suite ;
n) de l’intervention du fournisseur, à l’initiative des distributeurs, pour que ce soit lui qui décide d’appliquer une certaine remise commerciale ou de renégocier les conditions commerciales de revente, et
o) du fait que les distributeurs demandent au fournisseur l’autorisation de conclure certaines affaires selon des conditions déterminées afin de garantir leur marge de distribution ?
6) Un accord de fixation de prix de revente minimaux, présentant les caractéristiques décrites ci-dessus et couvrant la quasi-totalité du territoire national, est-il susceptible d’affecter le commerce entre États membres ? »
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
20 Sans exciper de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle ni mettre formellement en cause la recevabilité de certaines questions, Super Bock et la Commission européenne ont fait part de leurs doutes, respectivement, quant à l’intelligibilité de la cinquième question et à la nécessité de la deuxième question pour les besoins du litige au principal.
21 Il importe de rappeler que le renvoi préjudiciel, instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, repose sur un dialogue de juge à juge. S’il appartient à une telle juridiction d’apprécier si l’interprétation d’une règle de droit de l’Union est nécessaire pour lui permettre de résoudre le litige qui lui est soumis, eu égard au mécanisme de la procédure prévue à l’article 267 TFUE, il incombe également à ladite juridiction de décider de quelle manière ces questions doivent être formulées. Si la même juridiction est libre d’inviter les parties au litige dont elle est saisie à suggérer des formulations susceptibles d’être retenues pour l’énoncé des questions préjudicielles, c’est toutefois à elle seule qu’il incombe de décider en dernier lieu tant la forme que le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Kelly, C 104/10, EU:C:2011:506, points 63 à 65).
22 Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C 179/16, EU:C:2018:25, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
23 À ce dernier égard, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, désormais reflétée à l’article 94, sous a) et b), du règlement de procédure de la Cour, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Ces exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (voir, en ce sens, arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C 320/90 à C 322/90, EU:C:1993:26, points 6 et 7, ainsi que du 19 janvier 2023, Unilever Italia Mkt. Operations, C 680/20, EU:C:2023:33, point 18 et jurisprudence citée).
24 En outre, il est indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.
25 En l’occurrence, dans l’esprit de coopération inhérent au dialogue de juge à juge et pour permettre à la Cour de rendre une décision la plus utile possible, il aurait été souhaitable que la juridiction de renvoi expose, de manière plus synthétique et claire, sa propre compréhension du litige dont elle est saisie ainsi que des questions de droit sous-tendant sa demande de décision préjudicielle plutôt que de reproduire, de manière excessivement longue, de nombreux extraits des pièces du dossier qui lui a été soumis. De la même manière, si la juridiction de renvoi a, certes, exposé les raisons l’ayant conduite à saisir la Cour à titre préjudiciel, il aurait été dans l’intérêt d’une coopération utile qu’elle procède également à une reformulation des questions qui lui ont été suggérées par les parties au principal, afin d’éviter des recoupements inutiles entre ces questions. Il aurait également été utile de clarifier les prémisses juridiques et factuelles sur lesquelles ces questions reposent de manière à permettre à la Cour d’apporter des réponses plus précises et ciblées.
26 Dans ces conditions, si le présent renvoi préjudiciel est recevable dans la mesure où il répond aux conditions de l’article 94 du règlement de procédure, la Cour n’est en mesure de fournir à la juridiction de renvoi que des indications minimales et générales, afin de la guider dans l’application de l’article 101 TFUE dans les circonstances du litige au principal.
Sur les première et quatrième questions, relatives à la notion de « restriction de concurrence par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
27 Par ses première et quatrième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la constatation qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente constitue une « restriction de concurrence par objet » peut être effectuée sans examiner préalablement si cet accord révèle un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence ou s’il peut être présumé qu’un tel accord présente, en lui-même, un tel degré de nocivité.
28 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le rôle de cette dernière est limité à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union sur lesquelles elle est interrogée, en l’occurrence sur l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi d’apprécier en définitive si, compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents qui caractérisent la situation au principal ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s’insère, l’accord en cause a pour objet de restreindre la concurrence (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, point 51 et jurisprudence citée).
29 Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, sur la base des éléments du dossier dont elle dispose, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son interprétation afin que cette dernière puisse trancher le litige (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, point 52 et jurisprudence citée).
30 À titre principal, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous les accords conclus entre les entreprises, toutes les décisions d’associations d’entreprises et toutes les pratiques concertées, susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.
31 Pour relever de l’interdiction énoncée à cette disposition, un accord doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le marché intérieur. Selon une jurisprudence constante de la Cour depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38), le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 16 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, points 54 et 55 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence (arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C 373/14 P, EU:C:2016:26, point 25 et jurisprudence citée).
32 La notion de « restriction de concurrence par objet » doit être interprétée de manière restrictive. Ainsi, cette notion ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre des entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C 345/14, EU:C:2015:784, point 18 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, point 60 et jurisprudence citée).
33 Cela étant, la circonstance qu’un accord constitue un accord vertical n’exclut pas la possibilité que celui-ci comporte une « restriction de concurrence par objet ». En effet, si les accords verticaux sont, par leur nature, souvent moins nuisibles pour la concurrence que les accords horizontaux, ils peuvent, eux aussi, dans certaines circonstances, comporter un potentiel restrictif particulièrement élevé (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C 32/11, EU:C:2013:160, point 43, ainsi que du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, point 61).
34 Le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord, qu’il soit horizontal ou vertical, comporte une « restriction de concurrence par objet » réside donc dans la constatation qu’un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C 67/13 P, EU:C:2014:2204, point 57, et du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, point 59 ainsi que jurisprudence citée).
35 Afin d’apprécier si ce critère est rempli, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation de ce contexte, il y a également lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question (arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C 32/11, EU:C:2013:160, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
36 En outre, lorsque les parties à l’accord se prévalent d’effets proconcurrentiels attachés à celui-ci, ces éléments doivent être pris en compte en tant qu’éléments de contexte de cet accord. En effet, pourvu qu’ils soient avérés, pertinents, propres à l’accord concerné et suffisamment importants, de tels effets pourraient permettre de raisonnablement douter du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence de cet accord [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C 307/18, EU:C:2020:52, points 103, 105 et 107].
37 Il découle de cette jurisprudence que, afin d’apprécier si un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente comporte une « restriction de concurrence par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cet accord présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, à la lumière des critères rappelés aux points 35 et 36 du présent arrêt.
38 Dans le cadre de cette appréciation incombant à la juridiction de renvoi, celle-ci devra également tenir compte de la circonstance, qu’elle a elle même mise en exergue, qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente est susceptible de relever de la catégorie des « restrictions caractérisées », au sens de l’article 4, sous a), des règlements nos 2790/1999 et 330/2010, en tant qu’élément du contexte juridique.
39 En revanche, cette circonstance n’est pas de nature à exempter la juridiction de renvoi de procéder à l’appréciation visée au point 37 du présent arrêt.
40 En effet, l’article 4, sous a), du règlement no 2790/1999, lu à la lumière de son considérant 10, ainsi que l’article 4, sous a), du règlement no 330/2010, lu à la lumière de son considérant 10, ont pour seul objet d’exclure certaines restrictions verticales du champ de l’exemption par catégorie. Cette exemption, énoncée à l’article 2 de chacun de ces règlements, lu à la lumière de leur considérant 5 respectif, bénéficie à des accords verticaux présumés comme n’étant pas nocifs pour la concurrence.
41 En revanche, lesdites dispositions des règlements nos 2790/1999 et 330/2010 ne contiennent pas d’indication sur la qualification desdites restrictions en tant que restriction « par objet » ou « par effet ». En outre, ainsi que la Commission l’a fait observer dans ses observations écrites devant la Cour, les notions de « restriction caractérisée » et de « restriction par objet » ne sont pas conceptuellement interchangeables et ne coïncident pas nécessairement. Il convient donc de procéder à un examen, au cas par cas, des restrictions exclues de ladite exemption, au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
42 Il s’ensuit que la juridiction de renvoi ne saurait faire l’économie de l’appréciation visée au point 37 du présent arrêt, au motif qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente constituerait en toute hypothèse ou serait présumé constituer une telle restriction par objet.
43 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et quatrième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la constatation qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente comporte une « restriction de concurrence par objet » ne peut être effectuée qu’après avoir déterminé que cet accord révèle un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, compte tenu de la teneur de ses dispositions, des objectifs qu’il vise à atteindre ainsi que de l’ensemble des éléments caractérisant le contexte économique et juridique dans lequel il s’insère.
Sur les troisième et cinquième questions, relatives à la notion d’« accord », au sens de l’article 101 TFUE
44 Par ses troisième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner en second lieu et conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il y a un « accord », au sens de cet article, lorsqu’un fournisseur impose à ses distributeurs des prix minimaux de revente des produits qu’il commercialise.
45 La juridiction de renvoi cherche, ainsi, à être éclairée sur la notion d’« accord », au sens de ladite disposition, afin de pouvoir déterminer s’il existe, dans les circonstances du litige au principal, un tel accord entre Super Bock et ses distributeurs. Dès lors que son interrogation est fondée sur de nombreuses hypothèses factuelles énumérées dans les troisième et cinquième questions posées, qui divergent pour partie et dont certaines sont contestées par Super Bock, il importe de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur les faits du litige au principal conformément à la séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour rappelée au point 28 du présent arrêt.
46 Cela étant, il peut être retenu, à la lecture des constatations de fait effectuées par la juridiction de renvoi, que ces questions s’inscrivent dans un contexte où Super Bock transmet, régulièrement, à ses distributeurs des listes de prix minimaux de revente et de marges de distribution. Il ressort de ces constatations que les prix de revente ainsi indiqués sont, en pratique, suivis par les distributeurs lesquels sollicitent parfois une telle indication et n’hésitent pas à se plaindre auprès de Super Bock des prix transmis au lieu de pratiquer d’autres prix. Enfin, selon lesdites constatations, l’indication des prix minimaux de revente est assortie de mécanismes de surveillance des prix et le non-respect de ces prix peut donner lieu à des mesures de rétorsion et conduire à l’application de marges de distribution négatives.
47 Cette précision liminaire étant faite, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’il y ait un « accord », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C 306/20, EU:C:2021:935, point 94 et jurisprudence citée).
48 Un accord ne saurait donc se fonder sur l’expression d’une politique purement unilatérale d’une partie à un contrat de distribution (voir, en ce sens, arrêt du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C 2/01 P et C 3/01 P, EU:C:2004:2, points 101 et 102).
49 Toutefois, un acte ou un comportement apparemment unilatéral constitue un accord, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors qu’il est l’expression de la volonté concordante de deux parties au moins, la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n’étant pas déterminante par elle-même (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2006, Commission/Volkswagen, C 74/04 P, EU:C:2006:460, point 37).
50 Cette volonté concordante des parties peut résulter tant des clauses du contrat de distribution en cause, lorsqu’il contient une invitation explicite à respecter des prix minimaux de revente ou autorise, à tout le moins, le fournisseur à imposer de tels prix, que du comportement des parties et, notamment, de l’existence éventuelle d’un acquiescement, explicite ou tacite, de la part des distributeurs à une invitation de respecter des prix minimaux de revente (voir, en ce sens, arrêts du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C 2/01 P et C 3/01 P, EU:C:2004:2, points 100 et 102, ainsi que du 13 juillet 2006, Commission/Volkswagen, C 74/04 P, EU:C:2006:460, points 39, 40 et 46).
51 Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier les circonstances du litige au principal à la lumière de cette jurisprudence.
52 Dans ce contexte, le fait qu’un fournisseur transmette régulièrement aux distributeurs des listes indiquant les prix minimaux déterminés par lui et les marges de distribution ainsi que le fait qu’il leur demande de les respecter, sous sa surveillance, sous peine de mesures de rétorsion et au risque, en cas de non-respect de ces mesures, d’appliquer des marges de distribution négatives, sont autant d’éléments susceptibles de conduire à la conclusion que ce fournisseur cherche à imposer à ses distributeurs des prix minimaux de revente. Si, à eux seuls, ces faits paraissent refléter un comportement apparemment unilatéral dudit fournisseur, il en irait autrement si les distributeurs ont respecté ces prix. À ce titre, les circonstances que les prix minimaux de revente sont, en pratique, suivis par les distributeurs ou que leur indication est sollicitée par ces derniers, lesquels, tout en se plaignant auprès du fournisseur des prix indiqués, n’en pratiquent pas pour autant d’autres de leur propre initiative, pourraient être de nature à refléter l’acquiescement des distributeurs à la fixation, par le fournisseur, de prix minimaux de revente.
53 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et cinquième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il y a un « accord », au sens de cet article, lorsqu’un fournisseur impose à ses distributeurs des prix minimaux de revente des produits qu’il commercialise, dans la mesure où l’imposition de ces prix par le fournisseur et leur respect par les distributeurs reflètent l’expression de la volonté concordante de ces parties. Cette volonté concordante peut résulter tant des clauses du contrat de distribution en cause, lorsqu’il contient une invitation explicite à respecter des prix minimaux de revente ou autorise, à tout le moins, le fournisseur à imposer de tels prix, que du comportement des parties et, notamment, de l’existence éventuelle d’un acquiescement, explicite ou tacite, de la part des distributeurs à une invitation à respecter des prix minimaux de revente.
Sur la deuxième question, relative à la preuve de l’existence d’un « accord », au sens de l’article 101 TFUE
54 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 101 TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’un « accord », au sens de cet article, entre un fournisseur et ses distributeurs peut être établie uniquement au moyen de preuves directes.
55 Selon la jurisprudence de la Cour, en l’absence de règles de l’Union relatives aux principes régissant l’appréciation des preuves et le niveau de preuve requis dans le cadre d’une procédure nationale d’application de l’article 101 TFUE, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de les établir, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition toutefois qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C 74/14, EU:C:2016:42, points 30 à 32 ainsi que jurisprudence citée).
56 Or, il ressort également de cette jurisprudence que le principe d’effectivité exige que la preuve d’une violation du droit de la concurrence de l’Union puisse être apportée non seulement par des preuves directes, mais également au moyen d’indices, pourvu que ceux ci soient objectifs et concordants. En effet, l’existence d’une pratique concertée ou d’un accord doit, dans la plupart des cas, être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence (arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C 74/14, EU:C:2016:42, points 36 et 37 ainsi que jurisprudence citée).
57 Il s’ensuit que l’existence d’un « accord », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, portant sur des prix minimaux de revente peut être établie non seulement au moyen de preuves directes, mais également sur la base de coïncidences et d’indices concordants, dès lors qu’il peut en être inféré qu’un fournisseur a invité ses distributeurs à suivre de tels prix et que ces derniers ont, en pratique, respecté les prix indiqués par le fournisseur.
58 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens que l’existence d’un « accord », au sens de cet article, entre un fournisseur et ses distributeurs peut être établie non seulement au moyen de preuves directes, mais encore par des indices objectifs et concordants, dont il peut être inféré l’existence d’un tel accord.
Sur la sixième question, relative à la notion d’« affectation du commerce entre États membres », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE
59 Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente s’étende à la quasi-totalité, mais non l’intégralité, du territoire d’un État membre empêche que cet accord puisse affecter le commerce entre États membres.
60 Selon une jurisprudence constante, pour que la condition selon laquelle un accord, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, doit être susceptible d’affecter le commerce entre États membres soit retenue, il est nécessaire que cet accord permette d’envisager avec un degré de probabilité suffisant, sur la base d’un ensemble d’éléments de fait et de droit, qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre les États membres, et cela de manière à faire craindre qu’il puisse entraver la réalisation d’un marché unique entre les États membres. Il faut, en outre, que cette influence ne soit pas insignifiante (arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C 439/11 P, EU:C:2013:513, point 92 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 juillet 2015, ING Pensii, C 172/14, EU:C:2015:484, point 48 et jurisprudence citée).
61 Une incidence sur les échanges entre États membres résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants. Pour vérifier si une entente affecte sensiblement le commerce entre États membres, il faut l’examiner dans son contexte économique et juridique (arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C 439/11 P, EU:C:2013:513, point 93 et jurisprudence citée).
62 À cet égard, le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. Ainsi, la Cour a jugé qu’une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, EU:C:1975:160, points 25 et 26, ainsi que du 16 juillet 2015, ING Pensii, C 172/14, EU:C:2015:484, point 49 et jurisprudence citée).
63 De même, la Cour a jugé qu’une entente ne couvrant qu’une partie du territoire d’un État membre peut, dans certaines circonstances, être susceptible d’affecter le commerce entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 1987, Aubert, 136/86, EU:C:1987:524, point 18).
64 Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si, eu égard au contexte économique et juridique de l’accord en cause au principal, celui-ci est susceptible d’affecter sensiblement le commerce entre États membres.
65 À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la sixième question que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que la circonstance qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente s’étende à la quasi-totalité, mais non l’intégralité, du territoire d’un État membre n’empêche pas que cet accord puisse affecter le commerce entre États membres.
Sur les dépens
66 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE
doit être interprété en ce sens que :
la constatation qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente comporte une « restriction de concurrence par objet » ne peut être effectuée qu’après avoir déterminé que cet accord révèle un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, compte tenu de la teneur de ses dispositions, des objectifs qu’il vise à atteindre ainsi que de l’ensemble des éléments caractérisant le contexte économique et juridique dans lequel il s’insère.
2) L’article 101, paragraphe 1, TFUE
doit être interprété en ce sens que :
il y a un « accord », au sens de cet article, lorsqu’un fournisseur impose à ses distributeurs des prix minimaux de revente des produits qu’il commercialise, dans la mesure où l’imposition de ces prix par le fournisseur et leur respect par les distributeurs reflètent l’expression de la volonté concordante de ces parties. Cette volonté concordante peut résulter tant des clauses du contrat de distribution en cause, lorsqu’il contient une invitation explicite à respecter des prix minimaux de revente ou autorise, à tout le moins, le fournisseur à imposer de tels prix, que du comportement des parties et, notamment, de l’existence éventuelle d’un acquiescement, explicite ou tacite, de la part des distributeurs à une invitation à respecter des prix minimaux de revente.
3) L’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité,
doit être interprété en ce sens que :
l’existence d’un « accord », au sens de cet article, entre un fournisseur et ses distributeurs peut être établie non seulement au moyen de preuves directes, mais encore par des indices objectifs et concordants, dont il peut être inféré l’existence d’un tel accord.
4) L’article 101, paragraphe 1, TFUE
doit être interprété en ce sens que :
la circonstance qu’un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente s’étende à la quasi-totalité, mais non l’intégralité, du territoire d’un État membre n’empêche pas que cet accord puisse affecter le commerce entre États membres.