Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. civ. 2, 22 janvier 2019, n° 17/05166

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Gavriane (SAS)

Défendeur :

Irisolaris (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lamoine

Conseillers :

M. Grava, M. Blanc

Avocats :

Me Dauphin, Me Gris, Me Grimaud, Me Manalai

TGI Vienne, du 19 oct. 2017, n° 17/00079

19 octobre 2017

EXPOSE DU LITIGE :

La société GAVRIANE, anciennement CAP SUD, et ses filiales ont pour activité la construction et l'installation des unités de production électrique dans le domaine de l'énergie photovoltaïque, soit pour un compte propre, soit pour le compte de tiers, et l'accomplissement des prestations associées, notamment l'exploitation et la maintenance.

CAP SUD a, courant 2016, acquis des projets de création de centrales photovoltaïques en cours de développement et a été amenée à contracter avec la société IRISOLARIS.

IRISOLARIS est une société qui réalise des centrales et des installations photovoltaïques sur des bâtiments neufs ou à rénover, ou des centrales photovoltaïques au sol. IRISOLARIS assure également la maintenance de ses installations.

Le 16 mars 2016, IRISOLARIS et CAP SUD ont conclu deux contrats ayant pour objet la construction de 140 bâtiments intégrant des centrales photovoltaïques.

Par ordonnance rendue le 26 avril 2017, sur requête de la société IRISOLARIS, le Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de VIENNE a autorisé la société IRISOLARIS à faire pratiquer une saisie conservatoire de créance au préjudice de la société GAVRIANE entre les mains de la SA SOCIETE GENERALE pour garantie de la somme de 300 000 €, évaluée provisoirement comme étant la créance d'IRISOLARIS au titre de l'exécution des contrats.

Cette saisie a été pratiquée par acte du 19 juillet 2017 et dénoncée à la société GAVRIANE le 25 juillet 2017.

Sur assignation du 27 juillet 2017, le Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de VIENNE a, par jugement du 19 octobre 2017 :

- constaté l'existence d'une créance de la société IRISOLARIS envers la société GAVRIANE, anciennement dénommée CAP SUD fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement

- constaté le bien fondé de la saisie conservatoire pratiquée

- débouté la société GAVRIANE, anciennement dénommée CAP SUD, de l'intégralité de ses demandes

- condamné la société GAVRIANE, anciennement dénommée CAP SUD, à payer à la société IRISOLARIS la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société GAVRIANE, anciennement dénommée CAP SUD, aux dépens

- rappelé que la décision est exécutoire par provision.

Par déclaration au greffe transmise par RPVA le 6 novembre 2017, la SAS GAVRIANE a interjeté appel dudit jugement en l'ensemble de ses dispositions.

Le Président de la chambre a fait application de la procédure à bref délai de l'article 905 du code de procédure civile.

La SAS GAVRIANE entend voir aux termes de ses conclusions d'appelante n° 2 transmises au greffe et notifiées le 16 novembre 2018 :

Vu les articles R. 511-4 et L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution,

À titre principal,

- Prononcer la nullité de l'ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Vienne du 26 avril 2017 et de la saisie conservatoire du 19 juillet 2017 ;

- Ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créance pratiquée au préjudice de la société GAVRIANE entre les mains de la Société Générale le 19 juillet 2017 ;

À titre subsidiaire,

- Ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créance pratiquée au préjudice de la société GAVRIANE entre les mains de la Société Générale le 19 juillet 2017 ;

En tout état de cause,

- Condamner la société IRISOLARIS à payer à la société GAVRIANE la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;

- Condamner la société IRISOLARIS à payer à la société GAVRIANE la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner la société IRISOLARIS aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- Autoriser la SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC avocat au barreau de Grenoble, à recouvrer

directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu de provision.

Elle fait valoir que :

- l'ordonnance autorisant la saisie conservatoire, ainsi que la saisie conservatoire susbséquente, sont entachées de nullité dans la mesure où l'ordonnance ne précise pas la nature juridique des biens sur lesquels porte la mesure en méconnaissance de l'article R 511-4 du CPCE.

- la société IRISOLARIS ne justifie pas d'une créance fondée en son principe à hauteur de 300 000 € car elle lui a opposé des malfaçons et inexécutions à ses obligations contractuelles, faisant état de plusieurs correspondances à ce titre entre les parties

- il n'existe aucune menace sur le recouvrement de la créance alléguée, en ce qu'elle ne rencontre aucune difficulté financière

- la saisie conservatoire est injustifiée et lui a été préjudiciable

La SARL IRISOLARIS entend voir aux termes de ses conclusions n° 2 transmises au Greffe et notifiées par RPVA le 6 novembre 2018 :

A titre principal,

DIRE ET JUGER que la demande de la société GAVRIANE relative à la nullité de l'ordonnance

rendue le 26 avril 2017 par le Juge de l'exécution près le Tribunal de grande instance de

Vienne est irrecevable,

A titre subsidiaire,

CONSTATER la parfaite validité de l'ordonnance du 26 avril 2017 et DIRE ET JUGER que la demande de la société GAVRIANE relative à la nullité de ladite ordonnance est mal fondée,

En tout état de cause,

DEBOUTER la société GAVRIANE de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

CONFIRMER le jugement du 19 octobre 2017 en toutes ses dispositions,

CONDAMNER la société GAVRIANE à payer à la société IRISOLARIS la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER la société GAVRIANE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient que :

- elle se prévaut de retards de paiement injustifiés de la part de la société GAVRIANE

- au visa de l'article 564 du code de procédure civile, la société GAVRIANE est irrecevable à soulever la nullité de l'ordonnance et de la saisie conservatoire subséquente au motif que la nature juridique des biens n'est pas indiquée pour la première fois en cause d'appel

- subsidiairement, l'ordonnance du 26 avril 2017 satisfait aux conditions de l'article R 511-4 du CPCE puisqu'elle précise que la saisie porte sur le compte bancaire ouvert à la SOCIETE GENERALE

- elle a une créance fondée en son principe en ce qu'elle justifie des prestations réalisées

- la société GAVRIANE ne fournit aucune évaluation du préjudice subi à raison des manquements qu'elle allègue et aucune compensation ne peut être envisagée

- il existe une menace de recouvrement de sa créance dès lors que la société GAVRIANE refuse de payer et notamment au vu du retard dans le dépôt des comptes sociaux de la société GAVRIANE et des observations du Commissaire aux comptes

- la saisie pratiquée sur autorisation du Juge de l'exécution ne résulte d'aucun comportement fautif de sa part

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus visées.

La clôture a été prononcée selon ordonnance en date du 19 novembre 2018.

EXPOSE DES MOTIFS

Sur la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande de nullité de l'ordonnance du Juge de l'exécution de VIENNE en date du 26 avril 2017

Au visa de l'article 565 du code de procédure, il convient de relever que la demande, formée pour la première fois en cause d'appel, de nullité de l'ordonnance du Juge de l'exécution de VIENNE en date du 26 avril 2017 autorisant la société IRISOLARIS a faire pratiquer à l'encontre de la société GAVRIANE une saisie conservatoire de créance, tend en réalité aux mêmes fins que la demande de mainlevée de la saisie conservatoire présentée en première instance, dès lors que cette demande de nullité de la décision d'autorisation de la saisie conservatoire est un complément nécessaire de celle de mainlevée de la saisie autorisée.

Il y a lieu en conséquence de rejeter la fin de non recevoir soulevée par la SARL IRISOLARIS.

Sur la demande de nullité de l'ordonnance du Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de VIENNE du 26 avril 2017

L'article R 511-4 du code des procédures civiles d'exécution dispose qu'à peine de nullité de son ordonnance, le juge détermine le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée, et précise les biens sur lesquels elle porte.

L'ordonnance du 26 avril 2016 a satisfait à la condition de détermination juridique de la nature des biens pouvant faire l'objet de la saisie conservatoire, puisqu'elle autorise la société IRISOLARIS à faire pratiquer une saisie conservatoire de « créance » au préjudice de la société CAP SUD, en réalité GAVRIANE, auprès de la banque SOCIETE GENERALE, ce qui suppose nécessairement tout compte bancaire ouvert par la société GAVRIANE auprès de la SOCIETE GENERALE, par opposition à une saisie conservatoire de droit d'associés et de valeurs mobilières, à une saisie conservatoire des biens placés dans un coffre fort ou encore à une saisie conservatoire sur les biens meubles corporels.

La demande de nullité de l'ordonnance du 26 avril 2018 et celle de mainlevée subséquente de la saisie conservatoire seront dès lors rejetées, étant relevé que les parties, et en particulier la SAS GAVRIANE, n'ont élevé aucune discussion sur la nature juridique des créances saisies, et notamment pas sur le compte à terme TRESO PLUS.

Sur l'existence d'une créance fondée en son principe de la société IRISOLARIS à l'égard de la

société GAVRIANE

Il ressort des éléments du dossier que la société IRISOLARIS a fait une présentation tronquée et inexacte des relations entre les parties lors du dépôt de sa requête auprès du Juge de l'exécution aux fins d'autorisation de saisie conservatoire.

En effet, elle a alors indiqué que « CAP SUD a donc imaginé une nouvelle stratégie pour bloquer les paiements à savoir qu'elle fait un blocus sur l'acceptation des situations de travaux qui lui sont présentées. Il n'y a aucune contestation, aucune demande de complément d'information, ni même aucun refus, simplement un silence total et injustifié si bien bien qu'IRISOLARIS ne peut émettre les factures et les lettres de change pour acceptation » tout en annexant à sa requête seulement la mise en demeure du 31 mars 2017 qu'elle avait adressée à la société CAP SUD au titre des situations n°7, 8 et 9, ainsi que la facturation de prestations au titre du contrat AMO, d'un avoir du 05 août 2016 et d'une indemnisation pour le retard cumulé dans la livraison des onduleurs, soit un montant total de 261 637,85 € TTC, correspondant au montant alléguée de sa créance par la société IRISOLARIS dans sa requête, auquel elle a ajouté des frais et accessoires, sans y faire figurer aucun courrier entre la société GAVRIANE et elle même.

Or, il résulte des pièces produites qu'avant le dépôt de cette requête, les parties ont échangé les 11 janvier 2017, 14 janvier 2017 et 17 janvier 2017 des correspondances portant sur les situations de travaux litigieuses, aux termes desquelles la société GAVRIANE reprochait à la société IRISOLARIS des manquements contractuels et des désordres, et cette dernière à la fois apportait certaines explications et proposait une certaine nombre d'interventions.

Par ailleurs, par courrier du 27 mars 2017, les Conseils de la société GAVRIANE ont sollicité la compagnie d'assurance de la société IRISOLARIS pour l'organisation d'une expertise amiable au titre d'inexécutions contractuelles alléguées.

En outre, il apparaît que la société IRISOLARIS a sollicité par courrier du 13 avril 2017, soit quelques jours seulement avant le dépôt de la requête aux fins d'autorisation de faire pratiquer une saisie conservatoire, la société GAVRIANE aux fins de mettre en oeuvre la clause de conciliation contractuelle.

Postérieurement, à la saisie conservatoire litigieuse, la société GAVRIANE a encore mis en demeure la société IRISOLARIS par courrier du 16 juin 2017 pour qu'il soit procédé aux réceptions des chantiers.

La société IROSOLARIS ne justifie aucunement avoir répondu à cette dernière demande, ce qui aurait permis de déterminer si elle a effectivement exécuté les travaux conformément aux règles de l'art et aux conditions contractuelles, ou si, au contraire, les contestations et réserves formulées par la société GAVRIANE sont fondées.

Les constats d'huissiers produits aux débats par la société IROSOLARIS ne permettent aucunement de lever ces interrogations puisqu'ils ont été réalisés à sa seule demande de celle ci, sans qu'un représentant de la société GAVRIANE y assiste et puisse faire consigner ses observations et réserves.

Au vu de l'ensemble de ces éléments essentiels non portés à la connaissance du Juge de l'exécution au jour de la requête, et des événements survenus postérieurement, il ne peut aucunement être considéré que la société IRISOLARIS dispose d'une créance fondée en son principe, étant relevé que les moyens développés par cette dernière sur des difficultés de paiement concernant des situations antérieures sont inopérants à caractériser la créance fondée en son principe objet du litige, puisqu'ils concernent des situations de travaux non concernées par la requête.

Au visa de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, il convient en conséquence de réformer le jugement dont appel et d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créances qu'a fait pratiquer la société IRISOLARIS à l'encontre de la société GAVRIANE, entre les mains de la SA SOCIETE GENERALE par acte en date du 19 juillet 2017, dénoncé le 25 juillet 2017.

Sur la demande indemnitaire de la société GAVRIANE pour abus de saisie

Au visa de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, la société GAVRIANE ne justifie aucunement que la saisie litigieuse ait pu porter atteinte à ses relations commerciales avec son établissement bancaire, et plus particulièrement n'établit pas que cette mesure conservatoire injustifiée a pu lui faire perdre une chance d'obtenir un financement ou que l'établissement bancaire aurait, de ce fait, mis fin en tout ou partie à des facilités de paiement ou à tout ou partie de leurs relations contractuelles.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé à ce titre et la demande indemnitaire présentée par la société GAVRIANE rejetée.

Sur les demandes accessoires

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, dès lors que la société IRISOLARIS est la partie perdante à l'instance, le jugement dont appel sera réformé si bien que la société IRISOLARIS sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.

Au visa de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement sera réformé en ce qu'il a accordé une indemnité de procédure à la société IRISOLARIS.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire après en avoir délibéré

CONFIRME le jugement déféré seulement en ce qu'il a débouté la SAS GAVRIANE de sa demande de dommages et intérêts.

L'INFIRME pour le surplus,

statuant à nouveau et y ajoutant :

DÉCLARE recevable mais mal fondée la demande de nullité de l'ordonnance du 26 avril 2017 rendue par le Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de VIENNE, et la REJETTE.

ORDONNE la mainlevée de la saisie conservatoire de créances qu'a fait pratiquer la SARL IRISOLARIS à l'encontre de la SAS GAVRIANE, entre les mains de la SOCIETE GENERALE par acte du 19 juillet 2017, dénoncé le 25 juillet 2017

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNE la SARL IRISOLARIS aux dépens de première instance et d'appel avec distraction s'agissant des dépens d'appel au profit de la SELARL DAUPHIN et MIHAJLOVIC, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.