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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. A, 28 mai 2009, n° 08/06113

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Restaire (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lienard

Conseillers :

M. Bresson, Mme Bebon

Avoués :

SCP Touzery - Cottalorda, SCP Garrigue -Garrigue

Avocats :

Me Alirol, Me Aimonetti

TI Millau, du 25 juill. 2008, n° 07-154

25 juillet 2008

La SA RESTAIRE exploite sur l'aide de service de l'Autoroute A75 à SEVERAC LE CHATEAU une activité de restauration. Monsieur Laurent R. a occupé le poste de Directeur salarié de cette cafétéria.

Estimant que le train de vie de Monsieur R. était nettement supérieur à son salaire mensuel, les dirigeants de la SA RESTAIRE ont déposé plainte à son encontre pour abus de confiance.

Mis en examen des faits reprochés Monsieur R. a reconnu avoir détourné une somme de 200 000 euros.

Au moyen de cinq ordonnances sur requête rendues par le Juge de l'exécution, du Tribunal de Grande instance de MILLAU en date du 17 juillet 2007 la SA RESTAIRE a été autorisée à pratiquer plusieurs saisies-conservatoires sur un ensemble des biens appartenant à Mr R. et à Melle F. ainsi qu'à la société EDL.

Par exploit du 17 août 2007, M. Laurent R. a fait assigner la S.A. RESTAIRE devant le Juge de l'exécution afin d'obtenir :

-l'annulation des significations qui lui ont été faites dans le cadre de ces mesures conservatoires,

-la mainlevée immédiate, pure et simple, de toutes les mesures conservatoires dont il a fait l'objet,

-le paiement des sommes de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé par ces mesures et de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 25 juillet 2008, le Juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de MILLAU l'a débouté de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamné à payer la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il a relevé appel de cette décision le 12 août 2008, par déclaration au greffe.

Par conclusions notifiées le 7 avril 2009, il demande de réformer en totalité le jugement entrepris et de :

-prononcer la nullité des significations réalisées,

-d'ordonner la mainlevée immédiate, pure et simple, de l'ensemble des mesures conservatoires dont il a fait l'objet,

-ordonner leur cantonnement à la somme de 200.000 euros et ordonner la mainlevée des mesures pratiquées au delà de cette somme,

-ordonner la substitution à l'hypothèque judiciaire provisoire de la consignation de la partie du prix devant lui revenir sur la vente de l'immeuble concerné,,

-condamner la S.A. RESTAIRE à lui payer la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts,

-la condamner à lui payer la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 10 avril 2009, la S.A. RESTAIRE demande de débouter M. Laurent R. de son appel et de le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre celle de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Laurent R. soutient que les significations des différents actes de saisie et des ordonnances les autorisant sont nulles pour ne pas lui avoir été remises à personne, l'huissier de justice n'ayant pas mentionné les recherches auxquelles il s'était livré pour tenter la remise à personne ;

Que les conditions légales permettant les mesures conservatoires ne sont pas remplies ; qu'en effet, la S.A. RESTAIRE ne justifie pas d'une créance paraissant fondée en son principe, alors qu'il est présumé innocent et que la somme de 200.000 euros ne repose sur aucun élément sérieux discuté contradictoirement ; que le secret de l'instruction interdit de produire les pièces pénales dans la présente instance civile ; que de plus il n'est pas démontré de risque portant sur le recouvrement de la créance prétendue ; que son patrimoine est suffisant pour exclure toute insolvabilité, la S.A. RESTAIRE ne procédant que par allégations ;

Que les mesures sont caduques, faute par la créancière prétendue d'avoir engagé dans le délai légal une procédure pour obtenir un titre exécutoire ;

Que les dites mesures sont excessives au regard du montant retenu par le Juge de l'exécution, soit 200.000 euros ; que sa maison d'habitation est estimée entre 300.000 et 320.000 euros, sa part

s'établissant donc à 150.000 euros ; que l'intimée ne pouvait donc rechercher des sûretés complémentaires que pour un montant total de 50.000 euros alors que les sommes sur lesquelles elle a agi représentent plus de 280.000 euros ;

Qu'enfin il est en droit d'obtenir le cantonnement des mesures conservatoires à la somme de 200.000 euros et propose une substitution de garantie.

La S.A. RESTAIRE répond que les exceptions de nullité ne sont pas recevables, car dans le corps de ses conclusions, M. Laurent R. avait d'abord développé une argumentation sur le fond ;

Que d'autre part, la nullité n'est pas encourue ; qu'en effet M. Laurent R. ne justifie d'aucun préjudice que l'irrégularité prétendue lui aurait causé ; que l'huissier de justice s'est rendu à l'hôpital pour tenter de procéder à la remise des actes, mais n'a pu y procéder dès lors que l'intéressé était interné dans une cellule psychiatrique et que les visites étaient interdites ;

Que le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile satisfait aux obligations imposées par les dispositions de l'article 70 de la loi du 9 juillet 1991 et de l'article 215 du décret du 31 juillet 1992 ;

Que la malhonnêteté de M. Laurent R. entraîne les plus grandes craintes pour le recouvrement de la créance et justifient les mesures conservatoires ; que le principe de créance est suffisamment fondé en son principe au regard des propres déclarations de l'intéressé dans le cadre de la procédure pénale ; que ce dernier a tenté de vendre l'immeuble, ce qui démontre l'existence d'un risque pour le recouvrement ; que la demande dite de cantonnement ne remplit pas les conditions exigées par l'article 259 du décret du 31 juillet 1992 ;

Que la demande de substitution de garantie est irrecevable comme nouvelle ; que de plus elle n'est pas de nature à préserver les intérêts de la créancière ; que de plus il n'est pas établi que les droits de M. Laurent R. sur l'immeuble seraient limités à la moitié de la valeur de celui-ci.

SUR CE

Attendu que l'appel, interjeté dans les formes et délai de la loi est recevable ;

Attendu que c'est à tort que la S.A. RESTAIRE soutient que la demande de nullité des actes serait irrecevable ; qu'en effet la lecture du dispositif de l'assignation initiale révèle que cette demande figure

en premier lieu dans les prétentions de M. Laurent R., après celle visant à faire déclarer son action recevable, et avant celles présentant des demandes au fond, visant à la mainlevée des mesures conservatoires ; que si, dans le corps de cette assignation, cette demande ne figure qu'à la page 8 et suit une demie page de raisonnement sur les dispositions des articles 67 et 72 de la loi du 9 juillet 1991, elles sont expressément présentées « à titre préliminaire » ; que surtout, la procédure devant le Juge de l'exécution, étant orale, et les notes d'audience n'étant pas produites, rien ne permet de considérer que les moyens de fond auraient été développés devant le juge, lors de l'audience, avant les exceptions de nullité ; qu'en conséquence ces exceptions ne peuvent être déclarées irrecevables ;

Attendu qu'elles sont au contraire mal fondées ; qu'en effet, à supposer avérées les irrégularités prétendues, M. Laurent R. ne prouve ni n'offre de prouver le préjudice qu'elles lui auraient causé, se contentant de l'affirmation péremptoire et abstraite selon laquelle elles lui auraient causé un préjudice, lequel n'est ni précisé, ni décrit, alors qu'aucun délai de prescription ou de forclusion ne lui est opposé et qu'il a pu développer ses moyens de droit et de fait et organiser sa défense dans des conditions normales et satisfaisantes dont témoigne la longueur de ses écritures ; que de plus, les mentions des différents actes permettent de vérifier que l'officier ministériel a satisfait aux obligations de la loi et s'est heurté à la situation de fait créée par l'hospitalisation de l'intéressé et à l'absence de précisions données par sa compagne (signification de procès verbal de saisie conservatoire du 17 juillet 2007), qu'il a pour certains actes pu procéder à une remise à personne à l'hôpital (dénonciation au tiers

saisi en date du 24 juillet 2007, dénonciation de la saisie conservatoire des droits d'associé en date du 25 juillet 2007) et s'est ensuite heurté à l'interdiction des visites (dénonciations de saisie conservatoire de droits d'associés du 20 juillet 2007 et de créances du même jour, dénonciation de la saisie conservatoire des biens placés dans un coffre-fort du 19 juillet 2007, dénonciation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire du 20 juillet 2007) ; qu'en conséquence non seulement les irrégularités prétendues n'ont pas causé de préjudice, mais elles n'existent pas ;

Attendu que l'intimée justifie amplement de l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe ; qu'en effet il résulte du procès-verbal d'interrogatoire de première comparution de M. R. devant le juge d'instruction, en date du 17 juillet 2007, que ce dernier a reconnu qu'il avait « pris de l'argent progressivement » et ceci en quantité depuis 2005, qu'il avait prévu de poursuivre ces détournements jusque l'âge de 55 ans (il avait 37 ans lors de cette première comparution) et que les détournements portaient sur environ 200.000 euros ; que l'intimée, qui est partie civile et n'est pas tenue au secret de l'instruction, est autorisée à produire les pièces de la procédure d'instruction en cours devant la présente

juridiction ; que même si M. R. est présumé innocent, il n'en demeure pas moins que ses aveux circonstanciés peuvent être retenus contre lui ; que de plus ces aveux sont confortés par d'autres pièces, notamment les comptes manuscrits des détournements qu'il a lui-même tenus ;

Attendu que c'est à bon droit que le Juge de l'exécution qui a autorisé les mesures conservatoires a fixé provisoirement le montant de la créance à la somme de 200.000 euros ; qu'en effet, outre la certitude résultant des aveux susvisés et des pièces complémentaires, il résulte des déclarations de M. R. lors de sa garde à vue qu'il s'agit d'un minimum ; qu'en effet il indique qu'il avait commencé à détourner de l'argent dès l'année 1994 ;

Attendu que l'attitude malhonnête prolongée de M. R. légitime les craintes de l'intimée sur le recouvrement de sa créance ; que ces craintes sont d'autant plus fondées qu'il est démontré que M. R. a mis en vente son immeuble personnel, ce qui aurait fait disparaître l'élément d'actif le plus solide de son patrimoine ; qu'il est donc démontré que les circonstances sont susceptibles de menacer le recouvrement de la créance de la S.A. RESTAIRE ;

Attendu que la société RESTAIRE a satisfait à son obligation de saisir le juge du fond en vue d'obtenir un titre exécutoire ; qu'en effet elle justifie s'être constituée partie civile devant le juge d'instruction contre M. R. et tout co-auteur ou complice ; que cette procédure lui permettra d'obtenir des dommages et intérêts contre M. R. ;

Attendu que M. Laurent R. ne prouve pas que les mesures conservatoires sont excessives au regard du montant de sa dette et de ses capacités contributives ; qu'en effet l'estimation de son immeuble ne peut être acceptée purement et simplement, étant observé qu'elle date du 2 août 2007, que depuis le marché immobilier a connu une chute sérieuse, notamment dans l'ancien, et dont rien ne permet de considérer qu'elle serait terminée et enfin que le compromis de vente produit n'a pas été signé et ne valorise l'immeuble qu'à hauteur de 272.000 euros, somme nettement inférieure à l'évaluation de 300.000 à 320.000 euros ; que d'autre part, M. Laurent R. déclare lui-même n'en être propriétaire que pour moitié ; que la valeur des parts de la société EDL est aléatoire ; que la valeur de réalisation des meubles saisis est tout aussi aléatoire et qu'il n'est pas justifié de leur prix d'acquisition ; que le contenu du coffre-fort et sa valeur sont inconnus ; qu'en raison du caractère aléatoire de la valeur

de réalisation de nombre des actifs saisis, de la plus grande fongibilité des créances en comparaison des difficultés prévisibles de vente de l'immeuble, il ne peut être considéré que la S.A. RESTAIRE aurait abusé du droit de procéder à de multiples saisies pour garantir le recouvrement de sa créance ;

Attendu que la demande de cantonnement des saisies ne peut trouver d'autre fondement que dans les dispositions de l'article 259 du décret du 31 juillet 1992, lequel permet au juge de limiter les effets d'une sûreté provisoire si le débiteur justifie que les biens demeurant grevés ont une valeur double du montant des sommes garanties ; que tel n'est pas le cas ; qu'en effet, à supposer même que son immeuble vaudrait 320.000 euros ainsi qu'il le prétend, il ajoute n'en être propriétaire que pour moitié et d'autre part cette valeur ne représente pas le double de la créance de 200.000 euros ; qu'aucun autre élément d'actif n'a cette valeur ; que la demande doit être rejetée ;

Attendu que le Juge de l'exécution peut substituer à la mesure conservatoire initialement prise toute autre mesure propre à sauvegarder les intérêts des parties ; que la demande à ce titre est recevable en cause d'appel, car elle constitue un complément de la demande initiale, conformément aux dispositions de l'article 566 du Code de procédure civile ; que toutefois elle ne peut prospérer car la S.A. RESTAIRE conteste la répartition par moitié des droits indivis sur cet immeuble, soutenant avec une apparence sérieuse de vraisemblance que les moyens financiers limités de Mme F. ne lui permettaient pas de payer sa part du prix d'acquisition, en l'absence de tout prêt, et que le prix a été en réalité payé au moyen des détournements commis par M. Laurent R., la dite société se réservant expressément d'engager une action sur le fondement des dispositions de l'article 1166 du code civil ; qu'en conséquence la substitution de garantie proposée, qui consisterait en la consignation de la moitié du prix de vente de l'immeuble, ne constitue pas une mesure propre à sauvegarder les intérêts de la créancière, qui doivent être pris en considération autant que ceux du débiteur ;

Attendu en conséquence que M. Laurent R. ne peut être accueilli en aucun de ses moyens et que la décision du premier juge sera confirmée ;

Attendu que les circonstances de l'espèce ne permettent pas de considérer que M. Laurent R. aurait abusé des voies de droit ; qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts ;

Attendu qu'il serait contraire à l'équité de laisser à la charge de la S.A. RESTAIRE, au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel, la somme qui sera précisée au dispositif du présent arrêt ;

PAR CES MOTIFS

Déclare l'appel recevable,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

Déboute la S.A. RESTAIRE de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne M. Laurent R. à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de la somme déjà accordée au même titre par le premier juge,

Condamne M. Laurent R. aux dépens de première instance et d'appel,

Autorise la SCP TOUZERY COTTALORDA, avoués, à recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu de provision.