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Décisions

CJUE, 3e ch., 29 juin 2023, n° C-543/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verband Sozialer Wettbewerb eV

Défendeur :

famila-Handelsmarkt Kiel GmbH & Co. KG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Jürimäe

Juges :

M. Jääskinen, M. Gavalec

Avocat général :

M. Emiliou

Avocats :

Me Marquardt, Me Rohnke

CJUE n° C-543/21

28 juin 2023

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous a), et de l’article 10 de la directive 98/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs (JO 1998, L 80, p. 27), ainsi que de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Verband Sozialer Wettbewerb eV (ci-après « VSW »), une association de droit allemand ayant pour objet de veiller au respect du droit de la concurrence, à famila-Handelsmarkt Kiel GmbH & Co. KG (ci-après « famila »), une société commerciale distribuant des denrées alimentaires, au sujet de l’obligation, ou non, d’inclure le montant de la consigne à payer par les consommateurs dans le prix de vente des marchandises conditionnées dans des contenants consignés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3        Les considérants 2, 6 et 12 de la directive 98/6 énoncent :

« (2)      [...] il importe d’assurer aux consommateurs un niveau élevé de protection ; [...] la Communauté [européenne] doit y contribuer par des actions spécifiques qui soutiennent et complètent la politique menée par les États membres en ce qui concerne une information précise, limpide et sans ambiguïté des consommateurs sur les prix des produits qui leur sont offerts ;

[...]

(6)      [...] l’obligation d’indiquer le prix de vente [...] contribue de façon notable à l’amélioration de l’information des consommateurs, étant donné qu’il s’agit de la manière la plus simple de donner aux consommateurs les possibilités optimales pour évaluer et comparer le prix des produits et donc de leur permettre d’opérer des choix éclairés sur la base de comparaisons simples ;

[...]

(12)      [...] une réglementation au niveau communautaire permet d’assurer une information homogène et transparente au profit de l’ensemble des consommateurs dans le cadre du marché intérieur ; [...] »

4        Aux termes de l’article 1er de cette directive, celle-ci « a pour objet de prévoir l’indication du prix de vente et du prix à l’unité de mesure des produits offerts par des professionnels aux consommateurs, afin d’améliorer l’information des consommateurs et de faciliter la comparaison des prix ».

5        L’article 2 de ladite directive prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “prix de vente” : le prix définitif valable pour une unité du produit ou une quantité donnée du produit, c’est-à-dire comprenant la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] et toutes les taxes accessoires ;

[...] »

6        L’article 3 de la même directive dispose, à ses paragraphes 1 et 4 :

« 1.      Le prix de vente et le prix à l’unité de mesure doivent être indiqués pour tous les produits visés à l’article 1er [...]

[...]

4.      Toute publicité qui mentionne le prix de vente des produits visés à l’article 1er doit également indiquer le prix à l’unité de mesure, sous réserve de l’article 5. »

7        En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/6, le prix de vente doit être non équivoque, facilement identifiable et aisément lisible.

Le droit allemand

8        L’article 1er de la Preisangabenverordnung (règlement relatif aux indications de prix), du 18 octobre 2002 (BGBl. 2002 I, p. 4197), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « PAngV »), intitulé « Dispositions fondamentales », est ainsi libellé :

« 1.      Toute personne qui, à titre commercial ou professionnel ou, de manière régulière, à tout autre titre, offre des produits ou des services aux consommateurs [...], ou qui, en tant que vendeur, réalise des annonces publicitaires indiquant un prix, adressées aux consommateurs finals, est tenue d’indiquer le prix à payer, lequel comprend la TVA ainsi que tous les autres éléments du prix (le prix total). [...]

[...]

4.      Lorsqu’il est demandé au consommateur de s’acquitter d’une garantie remboursable en sus du prix d’un produit ou d’un service, il convient d’en indiquer le montant séparément, en sus du prix du produit ou du service, sans indiquer de montant total.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        famila a lancé une campagne de publicité pour des boissons et des yaourts conditionnés respectivement dans des bouteilles et des pots en verre consignés, au moyen d’un dépliant dans lequel le montant de la consigne afférente à ces contenants était indiqué par la mention séparée « consigne en sus : … euros ».

10      Considérant qu’une telle publicité, en ce qu’elle n’indiquait pas le prix total, consigne comprise, des produits qui en faisaient l’objet, était illégale, VSW a saisi le Landgericht Kiel (tribunal régional de Kiel, Allemagne) d’un recours tendant, notamment, à faire cesser la publicité en cause. Cette juridiction ayant fait droit à ce recours, famila a interjeté appel devant l’Oberlandesgericht Schleswig (tribunal régional supérieur de Schleswig, Allemagne), lequel a accueilli cet appel et réformé le jugement attaqué.

11      VSW a alors introduit un recours en Revision devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi. Celle-ci considère que l’issue du litige dépend de l’interprétation notamment de l’article 2, sous a), de la directive 98/6.

12      Cette juridiction relève que l’article 1er, paragraphe 1, première phrase, de la PAngV, en ce qu’il oblige les professionnels du commerce à indiquer le prix total des produits en vente, TVA comprise, vise à transposer dans le droit allemand l’article 1er, l’article 2, sous a), l’article 3 et l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/6. Elle estime, toutefois, que la réponse à la question de savoir si le montant de la consigne dont les consommateurs sont tenus de s’acquitter lors de l’achat de produits conditionnés dans des bouteilles ou des pots en verre consignés doit être inclus dans le prix de vente, au sens de l’article 2, sous a), de cette directive, ne ressort pas clairement de celle ci.

13      Reconnaissant que l’interprétation de cette disposition doit être uniforme dans toute l’Union européenne et donc indépendante du fait que les consommateurs allemands, en vertu de l’article 1er, paragraphe 4, de la PAngV, sont habitués à ce que le montant de la consigne afférent aux bouteilles et aux pots en verre soit indiqué séparément, la juridiction de renvoi invoque l’arrêt du 7 juillet 2016, Citroën Commerce (C 476/14, EU:C:2016:527, point 37), pour considérer que ce montant constitue un élément inévitable et prévisible du prix de vente, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 98/6, qui est obligatoirement à la charge du consommateur et constitue une partie de la contrepartie pécuniaire de l’acquisition du produit concerné. Elle fait observer à cet égard que le consommateur ne peut acquérir la boisson conditionnée dans l’emballage réutilisable qu’avec cet emballage et qu’il doit savoir ce qu’un tel achat lui coûte au total, y compris à des fins de comparaison des prix.

14      Cette juridiction ajoute que l’adoption de l’article 1er, paragraphe 4, de la PAngV a été déterminée par la conception du législateur allemand selon laquelle l’obligation d’indiquer le prix final d’un produit en tant que somme du prix de ce produit et du montant de la consigne jouait visuellement en défaveur des emballages réutilisables par rapport aux emballages jetables. Cette disposition viserait ainsi, d’une part, à permettre aux consommateurs de comparer sans difficulté le prix des produits et, d’autre part, à favoriser l’utilisation d’emballages réutilisables en tant que mesure de politique environnementale.

15      C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La notion de “prix de vente”, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 98/6, doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle inclut le montant de la consigne que le consommateur est tenu de payer lors de l’achat de produits conditionnés dans des bouteilles ou des pots en verre consignés ?

2)      Dans le cas où la première question appellerait une réponse affirmative :

L’article 10 de la directive 98/6 autorise-t-il les États membres à maintenir une disposition dérogatoire à l’article 3, paragraphes 1 et 4, lu en combinaison avec l’article 2, sous a), de cette directive, telle que l’article 1er, paragraphe 4, [de la PAngV], aux termes duquel, lorsqu’il est demandé au consommateur, outre le prix du produit, de s’acquitter d’une garantie remboursable, le montant de cette garantie doit être indiqué à part, en sus du prix du produit, sans combiner ceux ci dans le cadre d’un montant total, ou la logique d’harmonisation complète de la directive 2005/29 s’y oppose t elle ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

16      Par cette question, la juridiction de renvoi demande si l’article 2, sous a), de la directive 98/6 doit être interprété en ce sens que la notion de « prix de vente », prévue à cette disposition, inclut le montant de la consigne dont le consommateur est tenu de s’acquitter lors de l’achat de produits conditionnés dans des contenants consignés.

17      S’agissant de l’interprétation littérale de la disposition en cause, le libellé de l’article 2, sous a), de cette directive définit la notion de « prix de vente » comme étant « le prix définitif valable pour une unité du produit ou une quantité donnée du produit, c’est-à-dire comprenant la TVA et toutes les taxes accessoires ».

18      En premier lieu, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 31 à 35 de ses conclusions, la consigne ne saurait être assimilée à une « taxe », au sens de l’article 2, sous a), de la directive 98/6, dans la mesure où le montant de la consigne ne présente aucune des caractéristiques d’une taxe, à savoir n’est pas une source de recettes publiques et implique la fourniture d’une contrepartie.

19      En second lieu, le prix de vente, en tant que prix définitif, doit inclure nécessairement les éléments inévitables et prévisibles de ce prix, lesquels sont obligatoirement à la charge du consommateur et constituent la contrepartie pécuniaire de l’acquisition du produit concerné (arrêt du 7 juillet 2016, Citroën Commerce, C 476/14, EU:C:2016:527, point 37).

20      Or, un produit conditionné dans un contenant consigné ne peut pas être acquis sans ce contenant et, de ce fait, le montant de la consigne constitue un « élément inévitable du prix de vente ». Toutefois, la restitution du contentant, par le consommateur, auprès d’un point de vente, confère à ce consommateur le droit au remboursement du montant de la consigne.

21      Ainsi, dans la mesure où le consommateur est en droit d’exiger du vendeur ou d’un autre professionnel qu’il reprenne le contenant consigné et lui rembourse le montant de la consigne payé, ce montant n’est pas « obligatoirement » à la charge du consommateur et, par conséquent, ne saurait être considéré comme étant « définitif », au sens de l’article 2, sous a), de la directive 98/6.

22      Si le consommateur ne restitue pas, de son propre chef, un contenant soumis à consigne, de sorte que le montant y afférent, une fois payé, devient une charge économique définitive pour ce consommateur, il n’en demeure pas moins que, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général aux points 52 et 55 de ses conclusions, le système de consigne implique que ce montant peut, par principe, être remboursé et est censé l’être.

23      Il s’ensuit que le montant de la consigne dont le consommateur est tenu de s’acquitter lors de l’achat d’un produit conditionné dans un contenant consigné ne constitue pas un élément du prix de vente, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 98/6, tel qu’interprété par la jurisprudence citée au point 19 du présent arrêt.

24      Cette constatation n’est pas remise en cause par le point 38 de l’arrêt du 7 juillet 2016, Citroën Commerce (C 476/14, EU:C:2016:527), dans lequel la Cour a jugé que les frais de transfert d’un véhicule du fabricant à un professionnel-vendeur, supportés obligatoirement par un consommateur, constituent un élément du prix de vente, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 98/6. En effet, de tels frais, qui s’ajoutent au prix de ce véhicule et sont obligatoirement à la charge du consommateur, sans que celui-ci puisse les récupérer ultérieurement, doivent être distingués du montant d’une consigne tel que celui en cause dans l’affaire au principal, qui, ainsi qu’il a été relevé au point 21 du présent arrêt, doit être remboursé au consommateur lors de la restitution du contenant consigné.

25      La constatation opérée au point 23 du présent arrêt est, par ailleurs, corroborée par les objectifs poursuivis par la directive 98/6, énoncés à l’article 1er de celle-ci, lu à la lumière du considérant 6 de cette directive, à savoir améliorer l’information des consommateurs et faciliter la comparaison des prix de vente des produits offerts par des professionnels aux consommateurs afin de permettre à ceux-ci d’opérer des choix éclairés. À cet égard, le considérant 12 de ladite directive précise que celle ci vise à assurer une information homogène et transparente au profit de l’ensemble des consommateurs dans le cadre du marché intérieur. En outre, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la même directive, lu à la lumière du considérant 2 de celle ci, le prix de vente des produits offerts aux consommateurs doit être non équivoque, facilement identifiable et aisément lisible, afin que ladite information soit précise, limpide et sans ambiguïté.

26      Étant donné, d’une part, que certains de ces produits peuvent être soumis à une consigne, tandis que d’autres peuvent ne pas l’être, et que, d’autre part, des consignes de montants différents peuvent s’appliquer en fonction du type de contenant, l’inclusion du montant de la consigne dans le prix de vente du produit implique un risque, pour les consommateurs, d’effectuer des comparaisons inexactes à cet égard.

27      En revanche, l’indication du montant de la consigne séparément, en sus du prix de vente du produit conditionné dans un contenant consigné, permet aux consommateurs d’évaluer et de comparer les prix d’un produit et d’opérer des choix éclairés sur la base de comparaisons simples, conformément aux objectifs poursuivis par la directive 98/6, rappelés au point 25 du présent arrêt, ainsi que dans le respect de l’exigence de limpidité et d’absence de toute ambiguïté de ces prix, énoncée au considérant 2 de cette directive.

28      Dans ce contexte, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, est en mesure d’additionner le prix du produit et le montant de la consigne pour déterminer le montant total dont il est tenu de s’acquitter à la date de l’achat (voir, par analogie, arrêt du 4 octobre 2007, Schutzverband der Spirituosen-Industrie, C 457/05, EU:C:2007:576, point 27 et jurisprudence citée).

29      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 2, sous a), de la directive 98/6 doit être interprété en ce sens que la notion de « prix de vente », prévue à cette disposition, n’inclut pas le montant de la consigne dont le consommateur est tenu de s’acquitter lors de l’achat de produits conditionnés dans des contenants consignés.

Sur la seconde question

30      Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

31      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 2, sous a), de la directive 98/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs,

doit être interprété en ce sens que :

la notion de « prix de vente », prévue à cette disposition, n’inclut pas le montant de la consigne dont le consommateur est tenu de s’acquitter lors de l’achat de produits conditionnés dans des contenants consignés.