Cass. crim., 14 février 2023, n° 22-84.288
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Leblanc
Avocat général :
M. Aubert
Avocat :
SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [O] [E] a été mis en examen le 3 avril 2021 des chefs susvisés.
3. Par une requête déposée le 4 octobre 2021 devant la chambre de l'instruction, il a demandé l'annulation de plusieurs actes de la procédure.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tirés de l'illégalité et de l'irrégularité des opérations d'interception et de captation effectuées sur le fondement de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale, alors :
« 2°/ que l'autorisation de captation de données informatiques délivrée par le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale doit expressément préciser la durée maximale pour laquelle cette mesure attentatoire à la vie privée est autorisée ; qu'en rejetant la requête tendant à son annulation, lorsqu'elle constatait expressément « l'absence d'indication de la durée de la mesure au sein de l'ordonnance en date du 31 mars 2020 », la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
6. Pour écarter le moyen de nullité, fondé sur l'absence de mention du délai prévu à l'article 706-102-3 du code de procédure pénale au sein de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 31 mars 2020, l'arrêt attaqué retient qu'il ressort de la procédure que le recours à un dispositif de captation de données informatiques mis en place le 1er avril 2020 a été autorisé par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le 30 janvier 2020 pour une durée d'un mois, tandis que les ordonnances ultérieures des 12 février, 4 mars, 20 mars et 31 mars 2020 correspondent à des ordonnances complémentaires précisant les mesures techniques spécifiques devant accompagner le recours à ce dispositif.
7. Les juges ajoutent que la mesure a été mise en oeuvre le 1er avril 2020 et qu'elle a été prolongée pour une période d'un mois par ordonnance du juge des libertés et de la détention le 29 avril 2020 de sorte que M. [E] ne peut se prévaloir d'aucun grief.
8. En l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte que l'autorisation prévue dans l'ordonnance critiquée était délivrée pour la durée d'un mois, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
9. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la perquisition opérée dans le box de garage, alors « qu'en retenant, pour écarter le moyen pris de l'irrégularité de la perquisition effectuée dans le box situé chemin Saint Georges à Tarascon, qu'« un box de garage [?] ne constitue[] pas [un] domicile au sens de l'article 57 du code de procédure pénale », lorsqu'elle constatait expressément que les fonctionnaires de police ont réalisé cette perquisition le 31 mars 2021, hors la présence de M. [E], la chambre de l'instruction, qui s'est prononcée par des motifs erronés en droit, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 56, 57, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel la perquisition du box de garage n° 9 situé au [Adresse 1], réalisée hors la présence de M. [E], indiquant en être le locataire, était irrégulière, l'arrêt attaqué énonce que le terme de domicile, au sens des articles 56 et 76 du code de procédure pénale, ne signifie pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement mais encore celui où, qu'elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle.
12. Les juges en déduisent qu'un box de garage ne constitue pas un domicile au sens de l'article 57 du code de procédure pénale et que les opérations de perquisition menées dans ce lieu ne nécessitaient pas la présence de M. [E].
13. C'est à tort que la chambre de l'instruction a écarté la notion de domicile pour un garage dont il ressort des pièces de la procédure qu'il était officieusement sous-loué et occupé par le requérant, de sorte que ce dernier avait le droit de s'y dire chez lui quel que soit le titre juridique de son occupation et de l'affectation donnée au local.
14. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure dès lors qu'au moment où les enquêteurs sont intervenus pour perquisitionner le box de garage, ils étaient en possession à la fois de l'identité de la propriétaire du garage et de celle de la locataire, dont le nom figurait sur un contrat de bail et qui ne répondait pas aux sollicitations téléphoniques, de sorte qu'ignorant à ce moment là que le garage était sous-loué officieusement à M. [E], ils étaient bien-fondés, en application de l'article 57 du code de procédure pénale, à faire appel à deux témoins.
15. Ainsi, le moyen sera écarté.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'illégalité des informations et des éléments de preuve obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, alors « que si les dispositions des articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale - qui prévoient la communication immédiate des données de connexion aux autorités nationales compétentes - peuvent être interprétées de façon conforme au droit de l'Union comme permettant, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, la conservation rapide des données de connexion stockées, c'est à la condition que la juridiction chargée d'apprécier la régularité d'une telle mesure d'investigation examine, d'une part, que les éléments de fait en justifiant la nécessité répondent à un critère de criminalité grave, et d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de l'irrégularité des éléments de procédure dont il ressort de ses propres constatations qu'ils résultaient de l'exploitation de données relatives au trafic et à la localisation conservées de manière généralisée et indifférenciée par les opérateurs en vertu des articles L. 34-1 et R. 10-14 du code des postes et des communications électroniques, sans s'expliquer aucunement sur les circonstances de la prétendue participation de M. [E] aux faits poursuivis, sur la durée des peines qu'il encourait, et sur le caractère strictement nécessaire de la conservation opérée, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 5, § 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, des dispositions précitées, de l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
17. Pour rejeter le moyen pris de la non-conformité de certains actes au droit de l'Union européenne de la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, l'arrêt attaqué relève que les réquisitions litigieuses ont été délivrées dans le cadre d'une enquête préliminaire, par un officier de police judiciaire, après autorisation et sous le contrôle du procureur de la République et que la loi française autorise et encadre cette mesure.
18. Les juges ajoutent que la réquisition adressée à l'opérateur de téléphonie mobile visait à permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d'une procédure pénale relative à des faits ciblés d'importation de produits stupéfiants en bande organisée, transport, détention, acquisition, offre ou cession de produits stupéfiants, participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer un crime d'importation de produits de stupéfiants en bande organisée, participation à une association de malfaiteurs en vue de préparer les délits de transport, détention, acquisition, offre ou cession de produits stupéfiants et qu'elle tendait par conséquent à la prévention des infractions pénales ainsi qu'à la protection de la santé publique, poursuivant ainsi un but légitime.
19. Ils en concluent que ces réquisitions étaient nécessaires pour démanteler un trafic de stupéfiants de grande ampleur, mettant en cause de nombreux individus identifiés dont le requérant, agissant de manière cachée et illicite, en lien avec des réseaux étrangers et qu'elles n'ont pas violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'atteinte portée au droit à la vie privée étant proportionnée au but poursuivi de protection de la sécurité publique.
20. En statuant ainsi, par des énonciations rappelant le caractère strictement nécessaire de la conservation opérée, et dont il se déduit que les faits en cause relevaient de la criminalité grave, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
21. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la garde à vue faute d'examen du gardé à vue par un médecin dans les délais requis, alors « qu'il résulte de l'article 63-3 du code de procédure pénale qu'à tout moment, l'officier de police judiciaire peut d'office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue, lequel examen intervient alors sans délai ; que la suspension du délai de cette intervention en raison de circonstances insurmontables n'est applicable qu'en cas de demande formulée par la personne gardée à vue ; qu'en retenant, pour écarter le moyen de nullité tiré de la tardiveté de l'examen médical, que « l'examen médical n'est pas intervenu plus tôt en raison du risque de déperdition de preuves et de la sensibilité des lieux des perquisitions effectuées juste après son interpellation », lorsqu'il ressort de ses propres constatations, d'une part, qu'un officier de police judiciaire a estimé, à 5h50, nécessaire la réalisation d'un examen médical par M. [E], et d'autre part, que cet examen n'est effectivement intervenu qu'à 11h55, soit plus de six heures après, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait valablement invoquer l'existence d'une circonstance prétendument insurmontable pour justifier ce délai, a violé les article 63-3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
23. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
24. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel le retard dans la réalisation de l'examen médical de la personne gardée à vue était non-conforme à l'article 63-3 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué retient que M. [E], qui présentait des saignements sur l'ensemble du visage dus au choc de l'accident survenu alors qu'il tentait d'échapper à son interpellation, a été avisé le 31 mars 2021 à 5 heures 50, dans le cadre de la notification de ses droits, qu'un examen médical allait être effectué à la demande de l'officier de police judiciaire.
25. Les juges relèvent qu'un médecin de l'hôpital d'[Localité 2], agissant sur réquisition, a procédé à cet examen le 31 mars 2021 à 11 heures 55, et a estimé que l'état de santé de M. [E] était compatible avec la mesure de garde à vue mais uniquement en milieu hospitalier. Ils ajoutent que les enquêteurs ont précisé que cet examen médical ne pouvait pas avoir lieu immédiatement en raison du risque de déperdition de preuves et de la sensibilité des lieux des perquisitions effectuées juste après son interpellation.
26. Ils retiennent, en outre, qu'il ne ressort pas des procès-verbaux établis et signés par M. [E] que ce dernier se soit trouvé dans l'incapacité d'assister aux perquisitions qui ont eu lieu le 31 mars 2021 à 7 heures 30, à 9 heures 10 et à 9 heures 45.
27. Ils en concluent que le requérant ne démontre aucun grief précis.
28. En se déterminant ainsi, alors que l'examen médical décidé d'office par l'officier de police judiciaire à 5 heures 50 n'a été pratiqué que six heures plus tard et que le médecin a conditionné la compatibilité de la poursuite de la garde à vue à l'hospitalisation de M. [E], la chambre de l'instruction, qui n'a constaté aucune circonstance insurmontable justifiant le report de l'examen et qui ne pouvait écarter l'existence de tout grief en raison même des conclusions de l'examen, n'a pas justifié sa décision.
29. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
30. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions rejetant le moyen de nullité relatif à l'examen de la personne gardée à vue par un médecin. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 30 juin 2022, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen de nullité relatif à l'examen de la personne gardée à vue par un médecin, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.