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Décisions

Cass. 1re civ., 8 mars 2023, n° 20-16.475

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Kerner-Menay

Avocat général :

M. Aparisi

Avocats :

SARL Corlay, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Poitiers, du 28 janv. 2020

28 janvier 2020

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [A] du désistement de son intervention au soutien du pourvoi formé par la SCP [H]-[P]-[Z]-[W]-[S]-[C].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 28 janvier 2020), Mme [X] (l'avocate salariée), engagée le 2 mai 1996 par la Selafa cabinet conseil [L]-[Y], a exercé ses fonctions en qualité d'avocate stagiaire, puis d'avocate salariée.

3. A compter du 1er janvier 2016, son contrat de travail a été transféré à l'Association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle [H] 1927 (l'AARPI), créée le 22 décembre 2011, dont les associés étaient, d'une part, la SCP [H]-[J]-[P], devenue la SCP [H]-[P]-[Z]-[W]-[S]-[C] (la société [H]), d'autre part, la Selarl Cabinet conseil [L]-[Y], devenue la Selas [B] [Y] (la société [Y]).

4. Le 19 décembre 2017, l'avocate salariée a été informée par l'AARPI qu'en raison de l'exclusion de la société [Y] de l'AARPI, elle serait employée de nouveau par cette société, ainsi que par l'AARPI à temps partiel. La société [Y] s'est opposée à sa reprise.

5. Le 7 février 2018, après avoir refusé cette modification de son contrat de travail, l'avocate salariée a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers (le bâtonnier) d'une demande de conciliation dirigée contre l'AARPI, laquelle s'est révélée vaine, et, le 2 mars 2018, a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

6. Le 9 mai 2018, elle a saisi le bâtonnier en application de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et demandé une requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement d'indemnités. Après avoir appelé à l'instance la société [Y], elle a conclu à son encontre les 22 octobre 2018 et 12 mars 2019, sollicitant en dernier lieu une condamnation solidaire de l'AARPI et des sociétés [Y] et [H] au paiement d'indemnités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal et sur le pourvoi incident

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La société [H] fait grief à l'arrêt de dire que l'AARPI dispose de la personnalité civile, de dire que l'action de l'avocate salariée est recevable à son endroit et de la condamner solidairement en conséquence, avec l'AARPI et la société [Y], à payer certaines sommes à la salariée, alors « qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir ; qu'une association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle est une société créée de fait soumise au régime des sociétés en participation, qui n'a pas de personnalité morale, et à l'encontre de laquelle aucune demande ne peut être dirigée en justice ; qu'en disant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 32 et 122 du code de procédure civile ensemble les articles 1871 à 1873 du code civil et l'article 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, modifié par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007 et les articles 7 et 8 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 32 du code de procédure civile, 1871 à 1873 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :

9. Selon le premier de ces textes, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

10. Il résulte des suivants qu'une AARPI est une société créée de fait qui est soumise au régime des sociétés en participation et qui n'a pas la personnalité morale.

11. Pour déclarer recevable l'action de la salariée à l'encontre de l'AARPI, l'arrêt retient que, si celle-ci constitue une société de fait, n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés et ne dispose pas de la personnalité morale, elle peut avoir un avocat pour salarié ou collaborateur et postuler en justice par le ministère d'un avocat, que le contrat de l'avocate salariée lui a été transféré le 1er janvier 2016, qu'elle lui a fixé sa mission, a établi ses fiches de paie et est immatriculée auprès de l'URSSAF, qu'elle a la personnalité civile qui lui permet d'ester en justice et de défendre à l'action de l'avocate salariée et qu'une condamnation serait exécutable à son encontre puisqu'elle est titulaire d'un compte bancaire et d'avoirs.

12. En statuant ainsi, alors que, l'AARPI n'étant pas une personne morale, aucune demande ne pouvait être dirigée contre elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

13. La société [H] fait grief à l'arrêt de dire que la notification des conclusions de l'avocate salariée à la société [Y] le 22 octobre 2018 a interrompu la prescription et de rejeter en conséquence la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action à son égard et, en conséquence, de la condamner solidairement avec l'AARPI et la société [Y] à payer différentes sommes à l'avocate salariée, alors « que sauf en cas de solidarité parfaite, l'assignation d'un seul des coresponsables n'interrompt pas la prescription contre les autres au prétexte qu'ils seraient tenus in solidum ; que dans une AARPI chaque membre de l'association est tenu vis-à-vis des tiers des actes accomplis par l'un d'entre eux, au nom de l'association, à proportion de ses droits et sans solidarité ; que la qualité de coemployeur est insuffisante à conférer une solidarité parfaite entre les associés d'une AARPI, coemployeurs, vis-à-vis d'un employé ; que l'action dirigée à l'encontre de l'un des coemployeurs ne peut donc avoir pour effet d'interrompre la prescription à l'encontre de l'autre ; qu'en disant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1310, 1312, 1872-1, alinéa 2, 2241 et 2245 du code civil, ensemble L.1471-1 du code du travail et le principe selon lequel il n'y a pas de solidarité sans texte. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2245 et 1872-1, alinéas 1 et 2, du code civil :

14. Selon le premier de ces textes, l'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice interrompt le délai de prescription contre tous les autres.

15. Aux termes du second, chaque associé d'une société en participation contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers. Toutefois, si les participants agissent en qualité d'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu à l'égard de ceux-ci des obligations nées des actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, avec solidarité, si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas.

16. Il en résulte que, si un contrat de travail conclu avec une AARPI confère à ses associés la qualité de coemployeurs en vertu des dispositions légales régissant les sociétés en participation, aucune solidarité n'existe entre associés.

17. Pour déclarer recevable l'action de l'avocate salariée à l'encontre de la société [H], l'arrêt retient que celle-ci est coemployeur solidaire avec la société [Y] et que la notification à elle, le 22 octobre 2018, des conclusions de l'avocate salariée, dans le délai de la prescription, l'a interrompue à l'égard de la société [H], de sorte que les demandes de l'avocate salariée à son encontre ne sont pas prescrites.

18. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence de solidarité entre les deux coemployeurs, l'interruption de la prescription de l'action à l'égard de l'un demeurait sans effet à l'endroit de l'autre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation sur les chefs de dispositifs critiqués par le premier moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen du pourvoi principal, laquelle porte sur les condamnations prononcées à l'encontre de l'AARPI et de la société [H] n'entraîne pas la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif condamnant la société [Y] à payer à l'avocate salariée différentes sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, à titre d'indemnité légale de licenciement, de rappel de salaire et congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnant aux dépens et à payer à l'avocate salariée une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, lesquels ne s'y rattachent pas par un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sur le fond.

22. Pour les motifs précités, les demandes formées par l'avocate salariée contre l'AARPI et la société [H] sont irrecevables.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'AARPI [H] 1927 dispose de la personnalité civile, rejette la fin de non-recevoir soulevée par la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] tirée de la prescription de l'action à son égard, dit que l'AARPI [H] 1927 et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] sont coemployeurs et solidairement tenus chacun pour le tout des sommes dues à Mme [X], condamne solidairement l'AARPI [H] 1927 et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] à payer à Mme [X] les sommes de 9 736,86 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 973,68 euros au titre des congés payés afférents, 21 096,53 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, 149,78 euros au titre du rappel de salaire et 14,98 euros au titre des congés payés afférents, 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonne à l'AARPI [H] 1927, et la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] de remettre à Mme [X] les bulletins de paie afférents aux créances salariales, le certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle Emploi dans le mois de la signification du présent arrêt, sous peine, passé ce délai, d'être solidairement débiteurs d'une astreinte de 30 euros par jour de retard pendant trois mois, passé lequel délai il serait de nouveau fait droit, condamne in solidum l'AARPI [H] 1927, la SCP [H]-[P]-[W]-[S]-[C] aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme [X] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.