Cass. 1re civ., 12 janvier 1980, n° 77-12.714
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charliac
Rapporteur :
M. Jégu
Avocat général :
M. Baudoin
Avocat :
Me Desaché
Sur le premier moyen :
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, la société anonyme l'Olivetto, dont Stolkind, israélite, était le principal actionnaire, comme détenant 9950 actions sur 10000, était propriétaire d'un lotissement qui, en application de la loi du 22 juillet 1941, portant mise sous séquestre et confiscation des biens juifs, fut placé sous séquestre le 30 octobre 1941 ; que, par acte notarié du 10 avril 1943 régulièrement publié, l'administrateur des biens juifs vendit à la dame Y... le terrain correspondant au lot n° 22 du lotissement de la société l'Olivetto ; qu'en application de l'ordonnance du 21 avril 1945 portant restitution aux israélites des biens dont ils avaient été spoliés, un arrêt du 13 juillet 1949 prononça la nullité de la vente consentie en 1943 à la dame Y..., tant au profit de Z... qu'au profit de la société l'Olivetto ; que cet arrêt fut cassé par un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 13 juillet 1953, mais seulement en ce qu'il avait prononcé la nullité au profit de Z... ; que l'arrêt de la Cour d'appel du 13 juillet 1949, devenu définitif en ce qu'il avait prononcé la nullité de la vente au profit de la société l'Olivetto, ne fut pas publié à la Conservation des hypothèques, que la Cour de renvoi ne fut pas saisie par Z..., et que la dame Y... resta en possession du terrain ; qu'après le décès de Z..., survenu le 14 novembre 1964, la dame Y... revendit le terrain à la société civile immobilière Les Lys, représentée par son gérant X..., par acte notarié en date du 1er octobre 1965 ;
Que ledit acte portait la mention suivante : "il est fait ici observer que, de l'origine de propriété établie du chef de la venderesse, il résulte que le terrain vendu avait fait l'objet à l'encontre de la société l'Olivetto, précédente propriétaire, de mesures de disposition et d'aliénation exceptionnelles, exorbitantes du droit commun, en vertu des lois et décrets, arrêtés et règlements du gouvernement de Vichy alors en vigueur, et devenues depuis nuls et sans effets ; Madame Y..., venderesse aux présentes, alors acquéreur en vertu de ces dispositions, déclare à ce sujet n'avoir fait l'objet d'aucune procédure ou demande de restitution du terrain de la part de qui que ce soit, à l'exception toutefois de la réclamation faite par le sieur Z... Abraham, demeurant à Nice, Hôtel Negresco, et demeurée sans objet, ainsi qu'il en a été justifié à la société acquéreur, ainsi que Monsieur X..., es-qualités, le reconnaît" ; qu'en 1967, la Chase National Manhattan Bank, agissant en qualité d'exécuteur testamentaire de stolkind, après avoir acquis en cette qualité les cinquante actions de la société l'Olivetto dont Z... n'était pas propriétaire, et après avoir fait constater en conséquence, la dissolution de la société l'Olivetto, assigna la société civile immobilière Les Lys pour faire juger que la succession de Z... était seule propriétaire du terrain portant le n° 22 du lotissement et que la vente consentie par la dame Y... à la société civile immobilière Les Lys le 1er octobre 1965 était nulle ;
Que ladite société civile immobilière appela en garantie la dame Y..., et produisit un document que lui avait remis cette dernière lors de la vente, et ainsi libellé : "Je, soussigné, Abraham Z..., reconnais avoir reçu, de Madame Germaine Y..., un bon du trésor de un million de francs pour régulariser son acquisition d'un terrain n° 22 du lotissement de l'Olivetto qui a fait l'objet de diverses procédures. Je me désiste en faveur de Mademoiselle Y... de tous mes droits sur ledit lot" ; que, la Chase National Manhattan Bank ayant contesté l'authenticité de ce document ainsi que la perception par Z... de la somme de un million de francs, l'arrêt attaqué, statuant après expertises, et estimant qu'il n'était établi, ni que la signature de ce document fut celle de Z..., ni que ce dernier avait perçu le montant du bon du Trésor, décida que le document ne pouvait valoir confirmation de la vente consentie à la dame Y... en 1943 et annulée par la suite, et que la succession de Z... était restée propriétaire du terrain, déclara nulle la vente consentie par la dame Y... à la société civile immobilière Les Lys le 1er octobre 1965, accueillit l'action en garantie de ladite société contre sa venderesse et condamna celle-ci à rembourser le prix de vente, à payer les frais et loyaux coûts de l'acte du 1er octobre 1965, et à indemniser la société civile immobilière Les Lys du préjudice résultant de l'éviction ;
Attendu que la dame Y... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nulle la vente consentie par elle le 1er octobre 1965 à la société civile immobilière Les Lys, au motif que la vente consentie en 1943 à la dame Y... et annulée par la suite n'avait pas été régularisée, alors que, d'une part, comme le soulignait la dame Y... dans des conclusions qui seraient restées sans réponse, la succession de Z... n'avait pas apporté la preuve du remboursement à la dame Y... du prix de la vente annulée du 10 avril 1943, et que cette circonstance, qui faisait présumer que ladite vente avait bien été régularisée, était corroborée par l'attitude de Z... qui s'était abstenu de faire mentionner en marge de la transcription de l'acte de vente l'arrêt de la Cour d'appel du 13 juillet 1949 et de saisir la Cour de renvoi à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 1953, et qui avait laissé la dame Y... en possession du terrain pour lequel elle acquittait régulièrement les contributions foncières, alors que, d'autre part, l'acte de vente du 10 avril 1943, qui était seulement annulable à la demande de la société spoliée, aurait pu être confirmé et que l'attestation remise à la dame Y... par Z..., actionnaire majoritaire et administrateur unique de la société anonyme l'Olivetto, aurait engagé cette société, qui n'aurait pu dès lors opposer le défaut de publication ;
Mais attendu que, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue d'examiner chacune des présomptions invoquées par les parties, après avoir relevé que l'expertise en vérification d'écritures n'avait pas établi que la signature portée sur le document signé "Z..." émanait bien de celui-ci, et que la seconde expertise n'avait pas davantage établi que Z... eût encaissé le montant d'un bon du trésor d'un million de francs, a estimé que la dame Y... ne rapportait pas la preuve de ce que Z... ait accepté de régulariser la vente annulée de 1943 et se soit désisté de ses droits sur le terrain ; que par ce seul motif, tout en répondant au moyen invoqué, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision sur ce point, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche du moyen ; qu'ainsi le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Le rejette.
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 1599 et 1630 du Code civil,
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'en l'absence d'une clause expresse de non garantie, l'acquéreur évincé ne peut prétendre, au-delà de la restitution du prix au remboursement des frais et loyaux coûts du contrat et au paiement de dommages-intérêts que s'il n'a pas eu connaissance, lors de la vente, du risque de nullité de celle-ci ;
Attendu que, pour condamner la dame Y..., non seulement à la restitution à la société civile immobilière Les Lys du prix de la vente, mais encore au paiement des dommages-intérêts prévus par l'article 1630 du Code civil, la Cour d'appel, tout en constatant que la société civile immobilière Les Lys avait, au moment de la vente du 1er octobre 1965, connaissance de la nullité du titre de propriété de sa venderesse et ne pouvait en conséquence invoquer sa bonne foi, énonce qu'en l'absence d'une clause de non garantie le vendeur est tenu à garantie même si l'acheteur a eu, lors de la vente, connaissance du risque d'éviction ;
qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
Casse et annule, en ce qu'il a condamné la dame Y... à indemniser la société civile immobilière du préjudice subi par elle, l'arrêt rendu le 31 janvier 1977 entre les parties par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en la Chambre du conseil.