CA Douai, 2e ch. sect. 2, 21 janvier 2016, n° 15/02198
DOUAI
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fontaine
Conseillers :
Mme Andre, Mme Cordier
FAITS ET PROCEDURE
Le 14 février 2012, Me V., mandataire ad hoc de l'EURL Avipêche, exploitant à Boulogne-sur-Mer une activité d'avitaillement et de consignation de bateaux de pêche, a procédé au greffe du tribunal de commerce de cette ville à la déclaration de l'état de cessation des paiements et demandé l'ouverture d'une procédure collective.
Le 21 février 2012, ce tribunal a ouvert la liquidation judiciaire d'Avipêche (la société) et nommé Me R. en qualité de liquidateur.
Par acte d'huissier du 26 novembre 2013, M. L. a été assigné à la requête du liquidateur en comblement de passif et faillite personnelle.
Le jugement rendu le 6 juin 2014 déboute Me R. de ses demandes.
Celui-ci a formé appel (total).
Aux termes de son avis écrit du 7 octobre 2015 (communiqué le même jour aux conseils des parties par le greffe), le ministère public demande à la cour d'infirmer le jugement, et de condamner M. L. à supporter une partie de l'insuffisance d'actif pour un montant qui pourrait être fixé à 75 000 euros, puisqu'ayant commis une faute de gestion en poursuivant une exploitation déficitaire ayant eu pour effet de contribuer à l'insuffisance d'actif.
Sur l'usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci, ou en vue de favoriser une autre personne morale, Mme la procureure générale s'en rapporte à l'appréciation de la cour.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par ses conclusions signifiées par voie électronique le 27 avril 2015, Me R., ès qualités, demande à la cour de :
Vu les dispositions de la loi du 26 juillet 2005, de l'Ordonnance du 18 décembre 2008 et du décret du 12 février 2009 applicables aux procédures collectives ouvertes à compter du 15 février 2009,
Vu les articles L. 651-2, L. 651-3 et L. 653-4.3 du code de commerce,
- DIRE ET JUGER recevable et fondé l'appel interjeté par Me R., pris es qualités de liquidateur de 1'EURL AVIPECHE, contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Boulogne/ mer du 6 juin 2014,
- REFORMER le Jugement attaqué en toutes ses dispositions,
Et, statuant à nouveau,
- DIRE ET JUGER qu'Amos L., gérant de droit de l'EURL AVIPECHE, a commis une faute de gestion en poursuivant une activité déficitaire au préjudice des créanciers, conjuguée à une absence de mesure de restructuration, et/ou conciliation,
- DIRE ET JUGER que cette faute de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif déplorée, puisque si elle n'avait pas été commise, l'insuffisance d'actif aurait été de moindre importance,
En conséquence,
- LE CONDAMNER à régler, dans le cadre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, à Me R., es qualité de liquidateur de 1'EURL AVIPECHE, la somme de 75 000 euros (Soixante quinze mille euros), sanction infligée en proportion de la faute de gestion commise et son impact sur l'insuffisance d'actif,
- En outre,
- DIRE ET JUGER qu'Amos L. a fait des biens ou du crédit de la personne morale AVIPECHE un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, ou pour favoriser une autre personne morale (ALMER) dans laquelle il était intéressé (gérant associé),
En conséquence,
- PRONONCER à son encontre une mesure de faillite personnelle dont la durée ne peut excéder 15 années au visa des Articles L 653-4 et L653-5 du Code de Commerce,
- CONDAMNER l'intimé succombant à régler à Me R., es qualité de liquidateur, la somme de 3 500 euros HT, au titre de l'Article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel,
- ORDONNER les publications et transcriptions prévues par la Loi, et notamment au visa des Articles R 653-3 du Code de Commerce et 768 du code de procédure pénale , à la diligence du Greffe, ainsi qu'au fichier national (FNIG) créé par la Loi du 22 mars 2012 , en applications des articles L128-1 à L128-5 du code de commerce.
M. R. expose que la société Avipêche a été créée le 15 février 2001, avec, pour unique associée, la société Unipêche puis la Sofipêche ; que son objet social était 'toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à l'avitaillement et la consignation des bateaux de pêche' ; que M. L. en est devenu gérant à compter du 19 mars 2010 ; que le capital social était alors de 115 000 euros ; que, quelques mois après, étant intéressé par l'achat du fonds de commerce exploité par la société, il a créé le 15 juin 2011 une société dénommée EURL Almer comptoir marin (la société Almer), dont il était le gérant et associé unique ; qu'il l'exploitait dans les mêmes locaux que la société Avipêche, et avec le même personnel ; que cette confusion a été entretenue jusqu'à la démission de M. L. de ses fonctions de gérant d'Avipêche le 3 octobre 2011 (avec une cessation effective le 20 novembre 2011) ; qu'aucune cession n'a pu intervenir entre les deux sociétés et qu'Avipêche a cessé toute activité en novembre 2011, alors même que tous ses salariés avaient été embauchés et rémunérés depuis le 1er juillet 2011 par Almer.
Après avoir précisé que le jugement n'a pas été signifié, il critique le tribunal pour avoir estimé que M. L. était ignorant et inexpérimenté dans le domaine de la gestion, qu'il n'avait pas été à même de prendre la mesure de la situation catastrophique, qu'il n'avait pas d'intérêt personnel à la poursuite de l'activité déficitaire ni favorisé une autre personne morale au préjudice d'Avipêche.
Il fait valoir que l'existence d'une insuffisance d'actif (de l'ordre de 380 000 euros environ) n'est pas contestée ; que les fautes de gestion reprochées au dirigeant sont établies (poursuite d'une activité déficitaire et absence de mesure des restructuration) ; qu'en agissant ainsi M. L. a créé un passif supplémentaire et engendré l'insuffisance d'actif déplorée.
Sur les sanctions non patrimoniales, après avoir rappelé les textes applicables et le principe de proportionnalité, il soutient que M. L. a fait des biens ou du crédit de la société Avipêche un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ; qu'en effet il était gérant associé unique de la société Almer, qui s'est installée physiquement dans les locaux d'Avipêche et qui a travaillé en association avec la société Copebo (ayant pour objet social la fabrication et la commercialisation de câbles d'acier, filets de pêche et fournitures pour la marine et l'industrie), avant que celle-ci ne devienne associée au sein d'Almer, avec M. L. ; que, selon les statuts au 18 août 2011, Almer est devenue une SARL et le capital social s'est alors trouvé réparti entre M. L. et Copebo ; qu'à l'évidence Avipêche et Almer étaient concurrentes ; que l'activité d'Avipêche s'est effondrée en 2011 ; qu'après avoir détourné la clientèle d'Avipêche et s'être assuré que cette captation était solide, M. L. a démissionné le 3 octobre '2012" d'Avipêche pour se consacrer à Almer.
À titre selon lui surabondant, il mentionne le fait que la situation au 30 septembre 2011 faisait état d'un stock de 121 280 euros alors que l'inventaire du 21 février 2012 mentionne un stock de 75 321 euros.
Il souligne enfin, pour réfuter la motivation du tribunal, que le client F. a été détourné pour qu'il traite avec Almer ; que M. L. n'hésitait pas à transmettre le RIB de la société Almer, notamment aux fournisseurs, et dès le 8 septembre 2011 ; qu'après démission les salariés de l'une sont devenus les salariés de l'autre.
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 8 juillet 2015, M. L. sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement et qu'elle condamné l'appelant à lui payer une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir qu'il a été embauché sur la base d'un contrat de travail à durée indéterminée le 24 janvier 2005 par la société Avipêche, en qualité de magasinier ; qu'il a travaillé de façon permanente et régulière jusqu'à son départ de l'entreprise ; qu'en 2010, l'associé unique et gérant, M. W., lui a proposé d'assumer, en plus, les fonctions (non rémunérées) de gérant, avec effet au 19 mars 2010 ; qu'en réalité, M. W. est resté le véritable gérant ; que celui-ci, souhaitant se désengager progressivement de l'ensemble de ses activités commerciales, lui a fait une offre d'acquisition d'Avipêche, imaginant la création de la société Almer et lui proposant même un crédit vendeur ; que plusieurs projets de cession ont échoué ; que, n'ayant pas abandonné l'espoir de réaliser cette opération, il a néanmoins continué de travailler en tant que gérant d'Almer et en tant que gérant et magasinier pour Avipêche ; qu'il n'a plus été payé par Avipêche, tandis que les trois salariés 'communs aux deux sociétés' ont été payés exclusivement par Almer à compter du 1er juillet 2011 ; qu'Almer s'approvisionnait alors auprès d'Avipêche et d'autres fournisseurs, que les charges étaient réparties entre les deux sociétés, les factures établies en bonne et due forme, mais que les comptabilités étaient bien séparées ; qu'à compter de novembre 2011, Almer a pris le relais pour le paiement des charges et que c'est alors qu'il a démissionné de ses fonctions de gérant d'Avipêche, 'prenant de court' M. W..
Il soutient que l'immixtion permanente de l'associé unique dans la gestion d'Avipêche, les engagements bancaires pris par cet associé unique (crédit vendeur et garantie de passif), le pilotage de l'opération de cession témoignent d'une véritable gestion de fait dépassant le simple pouvoir de contrôle d'un associé ; qu'il n'a été qu'un simple homme de paille pour M. W. et que l'insuffisance d'actif est bien antérieure à sa nomination comme gérant d'Avipêche.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à 'constater que...' ou 'dire que ...', telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lorsqu'elles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.
Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif
- 1 - L'article L. 651-1 du code de commerce précise que les dispositions de ce chapitre, intitulé 'De la responsabilité pour insuffisance d'actif', sont applicables aux dirigeants d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective, ainsi qu'aux personnes physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée.
L'article L. 651-2 du code de commerce (dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008 - 1345 du 18 décembre 2008, article 131) dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.
S'agissant d'une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, doivent être prouvés l'existence d'une faute de gestion, celle d'un préjudice consistant en une insuffisance d'actif et un lien de causalité entre eux.
- 2 - L'insuffisance d'actif, qui n'est pas contestée, s'élève à - au moins - 95 787, 24 euros, dès lors que :
- au 22 avril 2015, l'actif était de 78 664, 23 euros (selon la pièce n°3, qui fait aussi apparaître que sur cette somme ont déjà été prélevés 28 745, 28 euros pour payer divers honoraires et frais de procédure),
- le passif privilégié, déjà vérifié, s'élève à 174.451, 47 euros et le passif chirographaire, déclaré à hauteur de 284 836, 21 euros, était en cours de vérification au 27 avril 2015.
- 3 - En l'espèce, les fautes de gestion reprochées à M. L. sont la poursuite d'une activité déficitaire et l'absence de mesure de restructuration.
Au vu des pièces et explications fournies par les parties, la cour retient que celui-ci a été gérant de l'EURL Avipêche à compter du 19 mars 2010 ; qu'il a démissionné de ses fonctions le 3 octobre 2011 ; qu'un administrateur ad hoc a été désigné le 9 décembre 2011 ; qu'il résulte du bilan clos au 31 décembre 2010 que le résultat d'exploitation, en perte de 58 453 euros à l'exercice n-1, était négatif à cette date de 135 543 euros ; que le chiffre d'affaires est passé de 759 000 euros en 2010 (soit une moyenne mensuelle de 63 250 euros) à 241 000 euros en 2011 (pour 9 mois, soit en moyenne 26 777 euros) ; que, déjà en novembre 2010, M. L. reconnaissait l'existence des 'difficultés de trésorerie' et sollicitait un échéancier pour payer la somme due à un créancier, Nausipêche ; qu'il n'est pas contesté que les échéances sociales et fiscales n'ont pu être respectées pour le premier semestre 2011 (cotisations Urssaf dues notamment depuis le 4ème trimestre 2010) ; qu'il résulte de la plupart des déclarations de créance que de nombreuses factures restaient impayées depuis plusieurs mois, certaines même depuis février, avril et mai 2010 ; qu'à la même époque les soldes des comptes bancaires (Société générale et Crédit coopératif, pièces n°8 et 9) étaient débiteurs de manière permanente (de -14 903, 36 euros au 3 janvier 2011 ou encore de - 14 346, 49 euros au 31 octobre 2011, pour le premier ; du 31 décembre 2010 au 19 avril 2011, date de transfert, pour le second) ; qu'il n'est aucunement allégué par M. L. qu'une amélioration de l'activité de la pêche ou de la situation de la société était alors attendue et plausible.
Il en ressort que, durant la gestion de M. L., l'activité est restée déficitaire, qu'aucune perspective d'amélioration n'a été invoquée, qu'il n'est justifié d'aucune mesure prise par l'intéressé pour tenter de remédier à ces difficultés financières.
Lui-même reconnaît d'ailleurs que 'la situation financière d'Avipêche était déjà catastrophique avant qu'il ne devienne gérant, certaines dettes remontant à février 2010".
Les fautes reprochées par Me R., ès qualités, sont donc caractérisées.
- 4 - Les mêmes éléments prouvent que, durant la gestion de droit de M. L., le passif n'a cessé de croître (multiplication au fil du temps des factures ou des cotisations impayées, par exemple), sans augmentation de l'actif.
Quant aux prétendues qualité 'd'homme de paille' de M. L. et gestion de fait de M. W., elles ne sauraient exonérer le dirigeant de droit de sa responsabilité du fait de cette insuffisance d'actif, pas plus que ses prétendues ignorance et inexpérience en matière de gestion, ni que le projet de cession à l'instigation de M. W., étant de surcroît observé que le mandataire liquidateur n'a pas recherché la responsabilité de celui-ci en qualité de gérant de fait.
Compte tenu de l'état de la société à la date à laquelle M. L. en est devenu le gérant de droit, des pièces versées aux débats, des montants des dettes dont les dates d'exigibilité sont justifiées, il convient de le condamner à supporter une partie de l'insuffisance d'actif en lien de causalité directe avec ses agissements, à hauteur de 20 000 euros.
Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur les sanctions personnelles
¤ Selon l'article L. 653-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions de ce chapitre III, intitulé 'de la faillite personnelle et des autres mesures d'interdiction', sont applicables :
1° aux personnes physiques exerçant (ordonnance du 18 décembre 2008) 'une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs' et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;
2° aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;
3° aux personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2°.
Ces mêmes dispositions ne sont pas applicables aux personnes physiques ou dirigeants de personnes morales, exerçant une activité professionnelle indépendante et, à ce titre, soumises à des règles disciplinaires.
¤ L'article L. 653-2 du code de commerce prévoit que la faillite personnelle emporte interdiction de gérer, diriger, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
¤ Aux termes de l'article L. 653-3 de ce code, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée au 1° du I de l'article L. 653-1 (...) contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements ;
2° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif.
(...).
¤ (article L. 653-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008 - 1345 du 18 décembre 2008, art. 135) 'Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
¤ L'article L. 653-5 du même code ajoute que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
(...)
5° avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
¤ Quant à l'article L. 653-6 suivant, il précise que le tribunal peut aussi prononcer la faillite personnelle du dirigeant de la personne morale ou de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui n'ont pas acquitté les dettes mises à leur charge en application de l'article L. 651-2.
¤ Enfin, selon l'article L. 653- 8 du code de commerce (dans sa rédaction en vigueur du 15 février 2009 au 1er juillet 2014) :
'Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'
- 2 - À l'appui de sa demande en sanction personnelle, l'appelant reproche à M. L. une seule faute, celle d'avoir fait des biens ou du crédit de la société Avipêche un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement (faute prévue par l'article L. 653-4, 3°, du code de commerce).
Il est constant que M. R. ne vise pas directement les fins personnelles recherchées par l'intéressé (sauf en ce qu'il était associé chez Almer), mais l'intention de favoriser la société Almer, et il lui incombe donc d'établir la réalité de manoeuvres ou d'opérations réalisées, avec cet objectif, au détriment d'Avipêche.
Il doit d'abord être retenu que le caractère concurrentiel des activités de ces deux sociétés n'est pas contesté.
Ensuite, force est de constater que Me R. affirme que 'le gérant L., après avoir détourné la clientèle et s'être assuré que cette captation était relativement solide, a démissionné d'Avipêche pour se consacrer à sa fonction de gérant d'Almer', sans aucunement le démontrer, la seule pièce n°30 n'étant à cet égard pas probante. En effet, il s'agit d'un courriel adressé par un M. F. à M. W., dont la teneur ne permet aucunement de caractériser un détournement de clientèle, étant de surcroît observé que la date du prétendu fait n'est pas précisée (la date du 16 décembre 2011 figurant au bas du feuillet d'impression ne permettant même pas de déterminer si les relations F. / L. ont eu lieu avant ou après la démission de ce dernier de ses fonctions à Avipêche).
Par ailleurs, le grief de 'captation des fournisseurs', à l'appui duquel Me R. ne produit que sa pièce n°31, n'est pas plus établi : d'abord, la généralité ne saurait être déduite d'un seul exemple ; ensuite, le texte du message 'ne plus facturer à Avipêche mais à Almer comptoir marin' (partie haute de ce feuillet) n'est pas suffisamment circonstancié pour étayer ladite accusation ; en outre, la deuxième partie de ce document (mail de Mme L. (orange-ftgroup.com) à Almer du 8 septembre 2011) n'est que le tableau récapitulatif des 'factures orange Avipêche' payées du 3 octobre 2010 au 2 septembre 2011, la mention manuscrite 'payée par Almer' rajoutée dans la dernière case pour la dernière facture ayant été ajoutée par un auteur inconnu et à un moment indéterminé.
En outre, la pièce n°32, censée prouver la commande de matériel par Almer, installée dans les locaux d'Avipêche, auprès d'un fournisseur, ladite 'commande ayant suscité la réaction de Sofipêche, se sentant légitimement flouée' (page 11 des conclusions et pièce 33, mail de M. W. à M. L. du 18 novembre 2011 pour le sommer de cesser toute opération commerciale), est un document partiellement illisible, sur lequel apparaît la date du 25 novembre 2011, date postérieure à la démission de M. L..
Au surplus, Me R. se contente d'affirmer que les salariés d'Avipêche, après démission, sont devenus les salariés d'Almer, sans établir la réalité de ces faits ni surtout justifier de leur date.
Il ressort de l'ensemble des pièces et explications fournies par les parties que, même si les accusations du liquidateur judiciaire sont plausibles et décrivent une situation vraisemblable, cela seul ne suffit pas pour prouver la réalité des actes que M. L. aurait accomplis et qui rempliraient tous les critères de l'article L. 653-4, 3°, du code de commerce.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute Me R. de sa demande de prononcé d'une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. L..
En conséquences, les demandes de publications et transcriptions prévues par les articles R 653-3 du code de commerce et 768 du code de procédure pénale , à la diligence du greffe, ainsi qu'au fichier national (FNIG) créé par la Loi du 22 mars 2012 , en applications des articles L128-1 à L128-5 du code de commerce, sont sans objet.
Sur les frais et dépens
Le jugement sera confirmé en ce qu'il ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective et les dépens d'appel seront mis à la charge de M. L., en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Enfin, il est équitable d'allouer à Me R., ès qualités, une somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement en ce qu'il déboute Me R., liquidateur judiciaire de la société Avipêche, de sa demande tendant à prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. L., en ce qu'il le déboute de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il ordonne l'emploi des dépens de première instance en frais privilégiés de procédure collective,
LE REFORME en ce qu'il déboute Me R., ès qualités, de sa demande en paiement au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif,
STATUANT à nouveau de ce chef,
CONDAMNE M. L. à payer à Me R., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Avipêche, une somme de 20 000 euros (vingt mille euros),
Y AJOUTANT,
CONDAMNE M. L. à payer à Me R., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Avipêche, une somme de 2 000 euros (deux mille euros), en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. L. au paiement des dépens d'appel.