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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 21 juin 2023, n° 22/06346

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Besson

Conseillers :

M. Chazalette, Mme Lefevre

Avocats :

Me Ohana, Me Fragne, Me Janet

T. com. Créteil, du 3 mars 2022, n° 2022…

3 mars 2022

La SAS Arc TCE a été créée en 2015 et a exploité un fonds de commerce de réhabilitation de tout type d'immeubles, petites constructions, entreprise générale de réhabilitation et construction tous corps d'état. Le capital social de 100 000 euros était notamment détenu par M. [X] (60 %) et son épouse, Mme [D] (18 %). M. [X] a été président de la société Arc TCE depuis le 5 janvier 2016.

Le 13 août 2019, la société Arc TCE a déclaré la cessation de ses paiements aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 27 août 2019, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 6 novembre 2019, le tribunal de commerce de Créteil a prononcé la liquidation judiciaire de la société Arc TCE, avec maintien de l'activité pendant deux mois pour recueillir les offres de reprise, et a nommé la société S21Y, prise en la personne de Mme [V], comme liquidateur.

Par requête du 1er février 2022, visant l'article L. 651-4 alinéa 2 du code de commerce , et adressée au président du tribunal de commerce de Créteil, le liquidateur S21Y a demandé à être autorisé à faire pratiquer des saisies conservatoires sur tous les établissements bancaires, organismes, sociétés ou tous tiers détenant des créances ou des valeurs mobilières pour le compte de M. [X], dirigeant de droit, et de Mme [X], dirigeante de fait, pour sûreté de leur responsabilité pour insuffisance d'actif d'un montant de 1 776 852,36 euros.

Le liquidateur détaillait les éléments de patrimoine des intéressés sur lesquels il avait des informations, notamment la vente en cours de leur résidence principale à [Localité 5], [Adresse 3], des parts sociales de différentes sociétés, et divers comptes bancaires.

Par ordonnance du 8 février 2022, le président du tribunal de commerce a fait droit à la requête et a :

autorisé la consultation par huissier de justice du fichier FICOBA concernant M. [X] et Mme [D] épouse [X] ;

ordonné la mise en oeuvre, par huissier de justice, de :

une saisie- conservatoire entre les mains de tous établissements bancaires, organismes, sociétés ou tous tiers, en ce compris notaire, détenant des créances et/ou des valeurs mobilières pour le compte de M. et Mme [X] ;

une saisie- conservatoire entre les mains des sociétés (i) la SAS Cap 89 (882 698.368 RCS Auxerre), (ii) la SCI Le prieuré de cours (814 799 680 RCS Auxerre), (iii) la SAS CT2I (834 259 251 RCS Créteil), et (iv) la SAS Art Maniac (381 171115 RCS Créteil), détenant des créances et/ou des valeurs mobilières pour le compte de M. et Mme [X] ;

Et ce pour sûreté et conservation leur responsabilité pour insuffisance d'actif d'un montant de 1 776 852,36 euros.

Des saisies conservatoires ont été exécutées par huissier de justice entre le 15 février 2022 et le 18 février 2022 pour un montant total 49 378,44 euros.

Par acte d'huissier du 28 février 2022, M. et Mme [X] ont fait assigner la société S21Y en référé à heure indiquée devant le président du tribunal de commerce de Créteil en lui demandant notamment de :

À titre principal,

prononcer la rétractation de l'ordonnance sur requête du 8 février 2022,

À titre subsidiaire,

prononcer la rétractation de l'ordonnance sur requête du 8 février 2022 concernant les dispositions relatives aux saisies visant :

les comptes de Mme [D] épouse [X],

les comptes de la société CT2I,

les comptes de la société Art Maniac.

Par ordonnance de référé du 3 mars 2022, le président du tribunal de commerce de Créteil a :

rétracté en toutes ses dispositions l'ordonnance sur requête du 8 février 2022 et dit que les opérations de saisies diligentées en vertu de celle-ci sont nulles ;

ordonné, par conséquent, la mainlevée des saisies conservatoires exécutées en vertu de l'ordonnance sur requête du 8 février 2022 ;

condamné la société S21Y prise en la personne de Mme [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Arc TCE, au paiement d'une somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, aux parties demanderesses.

mis les dépens, qui seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Arc TCE, à la charge de la partie défenderesse.

rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Par déclaration du 25 mars 2022, la société S21Y prise en la personne de Mme [V], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Arc TCE, a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 2 novembre 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise ;

débouter M. et Mme [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

condamner solidairement M. et Mme [X] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dont distraction sera faite à l'A.A.R.P.I. Ikki Partners, prise en la personne de Me Bent-Mohamed, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

M. et Mme [X], aux termes de leurs dernières conclusions en date du 23 juin 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demandent à la cour de :

confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

condamner la société S21Y à verser à chacun d'eux la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dans le cadre de la présente procédure d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 avril 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE,

La requête soumise au président du tribunal de commerce de Créteil, fondait expressément la demande d'autorisation de mettre en oeuvre des saisies conservatoires sur le 2e alinéa de l'article L. 651-4 du code de commerce.

Cette disposition, dérogeant à l'art. L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, permet au président du tribunal, pour l'application de la responsabilité pour insuffisance d'actif de l'article L. 651-2 du même code, d'ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens des dirigeants et des représentants permanents des dirigeants personnes morales mentionnés à l'art. L. 651-1 (Com. 31 mai 2011, 10-18.472 P).

En l'espèce, dans la requête du 1er février 2022, le liquidateur affirmait l'existence d'une insuffisance d'actif d'un montant de 1 776 852,36 euros et expliquait que Mme [X] dirigeait la société avec son mari, détenait la signature sur les comptes bancaires de la société et était dirigeante d'une société CT2I avec laquelle la société Arc TCE avait conclu le 24 décembre 2018 une convention d'assistance générale, incluant les volets administratif, comptable, marketing et gestion RH lui permettant d'exercer de facto un important pouvoir décisionnel.

Le liquidateur affirmait qu'il disposait d'éléments de nature à engager une action en responsabilité pour insuffisance d'actif des dirigeants de droit et de fait, notamment : déclaration de cessation des paiements tardive ; abus de biens sociaux ; poursuite abusive d'une activité déficitaire.

La requête litigieuse contenait donc un exposé permettant de vérifier l'existence d'une insuffisance d'actif, qui n'est contestée par les intimés que dans son montant, et des raisons pour lesquelles le liquidateur considérait que la responsabilité des dirigeants de fait et de droit était engagée à cet égard.

Sur la violation des règles de dénonciation des actes de saisies aux débiteurs

M. et Mme [X] reprochent à la société S21Y d'avoir contacté préalablement le notaire qui devait recevoir la vente de leur résidence principale dans la matinée du 15 février 2022, afin qu'il séquestre le prix de vente au motif qu'une ordonnance de saisie aurait été signée par le président du tribunal de commerce de Créteil ; or, selon eux, ce ne sera que l'après-midi du même jour que l'huissier mandaté par la SELARL S21Y est passé à l'étude notariale. S'agissant des saisies sur comptes bancaires, M. et Mme [X] reproche à la société S21Y d'avoir dénoncé les actes de saisies le 23 février 2022 de mauvaise foi à l'adresse de la maison qu'ils étaient censés avoir vendue, au lieu de dénoncer les saisies à leurs adresses professionnelles.

Cependant, vu l'article 497 du code de procédure civile qui dispose que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance sur requête, le contentieux de l'exécution des mesures conservatoires ordonnées sur le fondement de l'article L. 651-4 du code de commerce , qui n'affecte pas la décision ayant ordonné ces mesures, ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétractation, mais ressort à la compétence générale du juge de l'exécution à laquelle renvoie expressément l'article R. 662-1-1 du code de commerce .

Sur l'inexactitude des motifs de la requête

Les intimés reprochent au liquidateur d'avoir dépeint M. [X], dans sa requête, comme un dirigeant ayant non seulement été fautif, mais en outre s'étant enrichi, alors que celui-ci s'est porté caution de la société Arc TCE auprès de la Société Générale. Ils ajoutent, concernant Mme [X], qu'elle ne saurait être sérieusement qualifiée de gérante de fait, et qu'aucun enrichissement n'a été constaté. Ils considèrent que des éléments faux ont été portés à la connaissance du juge de la requête.

Ce moyen sera rejeté dès lors que les intimés ne démontrent pas que la requête contient des éléments grossièrement inexacts, même s'ils en discutent le détail. Le liquidateur devait seulement motiver sa requête en justifiant, comme il l'a fait, de l'existence d'une insuffisance d'actif, et évoquer, au moins sommairement, les raisons pour lesquelles les dirigeants ou représentants visés par les mesures conservatoires seraient susceptibles d'être poursuivis en responsabilité pour insuffisance d'actif ' point qui est également exposé dans la requête. En effet, aux termes de l'article L. 651-4, les mesures conservatoires tout comme les mesures d'investigation patrimoniale également prévue par cette disposition, doivent seulement être prises pour l'application des dispositions de l'article L. 651-2 sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif : le bien-fondé de cette action ne peut utilement discuter devant le juge de la requête, qui doit seulement vérifier qu'une telle action est possible.

Sur le caractère tardif de la signification de l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif

Les intimés affirment que la requête litigieuse vise l'article L. 651-4 du code de commerce, qui renvoie à l'article L. 631-10-1 du même code aux termes duquel la requête ne peut être présentée que postérieurement à l'introduction d'une action en responsabilité, et donc à l'assignation. Ils font valoir que l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif a été signifiée les 24 et 28 février 2022, donc postérieurement à la présentation de la requête, signée le 1er février 2022, de sorte que l'ordonnance sur requête doit être rétractée.

Ce moyen manque en droit et sera rejeté. En effet, le 2e alinéa de L. 651-4 du code de commerce, visé par le liquidateur dans sa requête, prévoit que le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l'égard des biens des dirigeants ou de leurs représentants visés au premier alinéa ou encore des biens de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée compris dans son patrimoine non affecté. Il peut maintenir la mesure conservatoire ordonnée à l'égard des biens du dirigeant de droit ou de fait en application de l'article L. 631-10-1.

Il en résulte que le renvoi à l'article L. 631-10-1 ne s'applique qu'au maintien d'une mesure conservatoire déjà ordonnée, et ne constitue pas une condition préalable à la décision d'autoriser une mesure conservatoire. Les mesures conservatoires fondées sur la première phrase du 2e alinéa de L. 651-4 du code de commerce peuvent être ordonnées par le président du tribunal de commerce avant même que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne soit engagée.

En définitive, l'ordonnance entreprise sera infirmée en toutes ses dispositions.

Autres demandes

L'ordonnance entreprise sera infirmée quant à la charge des dépens et des frais irrépétibles. Les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées. M. et Mme [X] seront tenus aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS,

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déboute M. et Mme [X] de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Créteil du 8 février 2022 ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires ;

Condamne M. et Mme [X] aux entiers dépens, et dit que Me Bent-Mohamed, avocat au barreau de Paris, pourra recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, par application de l'article 699 du code de procédure civile.