CA Bastia, ch. civ. B, 2 octobre 2013, n° 12/00179
BASTIA
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lavigne
Conseillers :
Mme Alzeari, Mme Benjamin
Avocats :
Me Jobin, Me Recchi
Vu le jugement réputé contradictoire du 13 février 2012 par lequel le tribunal de commerce d'Ajaccio, saisi par Maître Jean Pierre Celeri ès qualité de liquidateur de la SARL AB Transports, a :
- dit que M. X doit supporter personnellement les dettes de la SARL AB Transports,
- condamné M. X à payer la somme de 148 830,26 euros entre les mains de Me Celeri, liquidateur,
- condamné M. X à payer la somme de 3 588 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
Vu l'appel formé par M. X suivant déclaration reçue au greffe de la cour le 29 février 2012.
Vu la communication de la procédure au ministère public pour avis.
Vu l'arrêt de la présente cour en date du 5 juin 2013 qui, avant dire droit :
- ordonne la réouverture des débats,
- invite les parties à présenter leurs observations sur la nullité du jugement encourue en raison de la présence du juge commissaire dans la formation de jugement et de sa participation au délibéré, moyen soulevé d'office,
- renvoie l'affaire à l'audience du vendredi 5 juillet 2013 à 9 heures,
- réserve les dépens.
Vu les dernières conclusions déposées par l'appelant le 2 juillet 2013 après réouverture des débats, demandant à la cour de :
- annuler le jugement,
- principalement, rejeter la demande d'évocation,
- subsidiairement, constater que les fautes de gestion ne sont pas établies ; dire que le gérant ne peut être tenu personnellement au règlement du passif de la société,
- condamner l'intimé aux dépens.
Vu les dernières conclusions déposées par l'intimée le 25 mai 2012 avant réouverture des débats, demandant à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner l'appelant au paiement de la somme de 3 588 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Après débats à l'audience du 5 juillet 2013, l'affaire a été mise en délibéré au 2 octobre 2013.
SUR QUOI, LA COUR
Il résulte des dispositions de l'article L 651-3 du code de commerce qu'en matière de condamnation au paiement de l'insuffisance d'actif, le juge commissaire ne peut siéger dans la formation de jugement, ni participer au délibéré.
Il ressort de la procédure que M. Y a été désigné en qualité de juge commissaire au redressement judiciaire de la SARL AB Transports et qu'à ce titre il a notamment établi un rapport sur lequel il a été entendu par le tribunal.
Il est précisé sur la décision entreprise que tant lors des débats que du délibéré, la formation de jugement était présidée par M. Y.
La violation des dispositions précitées de l'article L 651-3 est ainsi avérée. Elle constitue une irrégularité d'ordre public en ce qu'elle touche à la composition des juridictions et contrevient à l'exigence d'impartialité. Elle doit dès lors être sanctionnée par l'annulation du jugement.
Il résulte des dispositions de l'article 562 alinéa 2 du code de procédure civile que lorsqu'elle annule un jugement, la cour est tenue, par l'effet de la dévolution s'opérant en pareil cas, de statuer sur l'entier litige, étant en outre observé qu'en l'espèce les deux parties ont conclu au fond.
Aux termes de l'article L 651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.
Au soutien de l'action en comblement de l'insuffisance d'actif qu'il exerce, sur le fondement de ce texte, à l'encontre de M. X, Me Celeri, agissant en qualité de liquidateur de la société AB Transports mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Ajaccio en date du 21 juillet 2008, se prévaut d'une insuffisance d'actif établie à 148 830, 26 euros qui, à l'entendre, trouverait son origine dans une succession de fautes de gestion imputables au gérant.
Il invoque, à cet égard, la poursuite d'une activité manifestement déficitaire à compter de l'année 2006 ; la perte des capitaux propres à partir de la même année et l'absence de toute tentative de reconstitution ; la cession à vil prix le 1er juin 2008 d'une licence de taxi constituant un actif important ainsi que d'autres cessions d'actifs intervenues au cours de l'année 2007 pour un montant de 31 804 euros ; des paiements préférentiels au profit de la SCI Bartaccia gérée par son épouse ainsi qu'en faveur de son beau fils.
M. X soutient de son côté que, désigné comme gérant qu'à compter du 2 août 2006 seulement, il ne peut endosser la responsabilité de dettes antérieures ; que les licences de taxi qu'il avait mises à la disposition de la société lui appartenaient et qu'il était dès lors libre de les céder ; que le produit de la vente des actifs a été crédité sur le compte de la société ; que son épouse, avec laquelle il est en instance de divorce et le fils de celle ci ont signé des chèques à leur profit et à celui de tiers en imitant sa signature. Il prétend qu'en définitive les difficultés de la société ne résultent pas de fautes de gestion qui lui sont imputables.
Sur l'insuffisance d'actifs, il résulte des justificatifs produits par le liquidateur que la société AB Transports, qui avait pour activité le transport de voyageurs, présente en effet, à la date où la cour statue, une insuffisance d'actifs d'un montant de 148 830, 26 euros au demeurant non contesté par M. X.
La consultation du Kbis produit aux débats confirme que celui ci, ainsi qu'il le prétend, est devenu gérant de la société à compter du 1er juin 2006. Dans la mesure où aucun élément invoqué par le demandeur ou ressortant des productions ne permet d'attribuer à l'intéressé, antérieurement, un quelconque rôle, de droit ou de fait, dans la direction de la société liquidée, il convient de se placer à compter de cette dernière date pour se prononcer sur les fautes de gestion qui lui sont imputées par le liquidateur.
La liquidation judiciaire a été ouverte suite à la cessation des paiements déclarée par M. X le 8 juillet 2008. Il est vrai que les premiers impayés, concernant des cotisations dues à la Carcept et des créances de l'URSSAF sont apparus dès le mois de décembre 2006 mais pour des montants modestes. En outre, la société a perdu en 2006 ses capitaux propres qui n'ont pas été reconstitués par la suite. Toutefois, plus généralement, l'évolution des dettes comparée à celle des résultats caractérise une situation financière qui n'est devenue irrémédiablement compromise qu'à partir de janvier 2008. La déclaration de cessation des paiements intervenue sept mois après est certes tardive mais dans des proportions et des circonstances qui relèvent plutôt d'une appréciation erronée des facultés de redressement de la société que d'une faute de gestion caractérisée.
Par acte sous seing privé prenant effet le 1er juin 2008, M. X, agissant en qualité de représentant légal de la SARL AB Transports a en effet cédé une licence de taxi à M. G. Joël moyennant la somme de 20 000 euros. Toutefois, l'examen des relevés du compte bancaire de la société démontre que cette somme a été entièrement versée au crédit de celle ci sous l'écriture "virement reçu de M. G. Joël - achat licence".
Dans de telles conditions, il n'est pas suffisamment démontré que l'opération a appauvri la société, contrairement à ce que soutient le liquidateur, et elle ne peut en conséquence être qualifiée de faute de gestion.
Si le liquidateur vise "d'importantes cessions d'actifs intervenues au cours de l'année 2007 pour un montant de 31 804 euros" il s'abstient d'apporter un quelconque élément, soit par pièce soit à travers ses explications, sur la nature, l'objet et les circonstances exactes des opérations incriminées. Cette carence dans l'administration de la preuve ne permet pas à la cour de qualifier ces actes de fautes de gestion.
Enfin, sur les règlements par chèques intervenus au profit de l'épouse du gérant, Mme A. Angèle, et du fils de celle ci M. Jean Pierre T., la cour, procédant à la comparaison de la signature apposée sur les chèques litigieux, dont M. X conteste l'authenticité, avec celles de l'intéressé figurant sur l'acte de cession de la licence de taxi et la facture, constate des différences très accusées et en revanche l'absence de similitude. Dans de telles conditions, la signature des chèques ne peut être attribuée au gérant et le fait que les règlements litigieux soient intervenus au profit de deux anciens gérants de la société est compatible avec la thèse de la fraude soutenue par M. X. Dans de telles conditions, les règlements incriminés par le syndic ne peuvent être mis à la charge du défendeur y compris sur le fondement du défaut de surveillance, un gérant n'ayant pour vocation de déceler des falsifications de signature.
En définitive, aucune des fautes articulées par le liquidateur au soutien de son action en comblement de l'insuffisance d'actif n'apparaît suffisamment caractérisée et il convient dès lors de le débouter de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. X.
Les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Vu la violation des dispositions de l'article L 651-3 alinéa 3 du code de commerce,
Annule, dans toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce d'Ajaccio en date du 13 février 2012 déféré à la cour,
Statuant sur le fond en vertu de l'effet dévolutif,
Déboute Maître Jean Pierre Celeri, agissant en qualité de liquidateur de la SARL AB Transports de toutes ses demandes,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.