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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 8 avril 2022, n° 19/20484

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Woopex (SAS)

Défendeur :

Nova Veolia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Texier, Mme Dubois-Stevant

Avocats :

Me Jais, Me Roth, Me Boccon Gibod, Me Pasternak

T. com. Paris, du 11 oct. 2019, nº J2019…

11 octobre 2019

FAITS ET PROCÉDURE :

La SAS Nova Veolia, créée en 2010, est une filiale à 100 % de la société Veolia Eau France (VEF). Elle est spécialisée en matière de technologie digitale et a pour objectif de permettre à la société VEF de prendre et de développer des participations en capital dans des start-up de services à forte composante digitale.

En 2014, A… a présenté au groupe Veolia un projet de plateforme numérique pour les métiers de l'eau et d'assainissement.

La société Nova Veolia et A… se sont rapprochés, afin de conclure un partenariat et le 30 septembre 2015, Nova Veolia a créé la société ‘Compagnie Locale d'Investissement et de Gestion 29 (CLIG 29), qui a pour nom commercial 'Fluksaqua', pour développer le projet de A… consistant à mettre via internet à la disposition des clients des données et des outils informatiques hébergés à l'extérieur de leur entreprise, moyennant un abonnement

Le capital social de CLIG 29 était détenu au 10 janvier 2018 à 96,06% par Nova Veolia et à 3,94% par la SAS Woopex, filiale à 100% de la SASU Fluks, dont A… est l'associé unique et président.

Le 30 septembre 2015, un pacte d'associés a été signé entre les parties aux termes duquel, Nova Veolia s'engageait à contribuer au capital par apport en espèces de 2.437.000 euros et A… s'est vu confier la direction de l'entreprise pendant 6 ans. L'article 4.7 du Pacte d'associés prévoit en cas de cessation du mandat social de A…, que Nova Veolia consent à la société Woopex une promesse d'achat portant sur l'intégralité de sa participation, les parties convenant qu'à défaut d'accord, le prix de cession sera fixé par un expert conformément aux termes de l'article 1843-4 du code civil.

Un conflit étant apparu entre les associés quant au développement de leur projet commun, un mandataire ad hoc a été nommé le 30 septembre 2017 à la demande de A….

Le 10 janvier 2018, l'assemblée générale de CLIG 29 a révoqué A… et lui a versé l'indemnité conventionnelle prévue par le pacte.

Les parties ne s'étant pas entendues sur le prix de cession des titres détenus par la société Woopex dans CLIG 29, la société Nova Veolia a désigné le cabinet Accuracy comme expert évaluateur.

Accuracy a remis son rapport d'évaluation définitif le 29 novembre 2018, en concluant à une valeur de marché des capitaux propres de CLIG 29 au 10 janvier 2018 de 3,8 millions d'euros et à une valeur de 201.000 euros pour les titres (3,94% du capital social) détenus par Woopex, sous forme d'actions de préférence.

La société Woopex a contesté la pertinence du rapport Accuracy et a sollicité en référé la désignation d'un nouvel expert. Par ordonnance du 10 janvier 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a débouté la société Woopex de cette demande.

C'est dans ce contexte que le 21 janvier 2019, la société Woopex a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris la société Nova Veolia en nullité du rapport Accuracy.

Le 24 janvier 2019, la société Nova Veolia a, de son côté, assigné la société Woopex à bref délai devant le même tribunal en exécution forcée de la promesse de vente.

Les deux procédures ont été jointes par le tribunal.

Par jugement du 11 octobre 2019 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Woopex de toutes ses demandes, a dit que Woopex avait cédé les actions détenues par elle dans CLIG 29 au prix de 201.000 euros, ordonné à Woopex de signer l'ordre de mouvement pour le transfert à Nova Veolia desdites actions, dit qu'à défaut pour Woopex de le faire dans le délai de 30 jours suivant la signification du jugement ladite cession pourra être retranscrite dans le registre des mouvements de CLIG 29, dit que Nova Veolia devra s'acquitter du prix en payant la somme de 201.000 euros à Woopex dès réception de l'ordre de mouvement et au plus tard dans les 7 jours suivant la retranscription des actions dans le registre des mouvements de CLIG 29 et a condamné Woopex à verser 15.000 euros à Nova Veolia au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration du 4 novembre 2019, la SAS Woopex a relevé appel de cette décision.

Par conclusions nº2 déposées et signifiées le 19 février 2021, la société Woopex demande à la cour de réformer le jugement et statuant à nouveau'

de :

- juger que l'expert Accuracy a manqué d'indépendance et d'impartialité dans l'exercice de ses fonctions d'expert évaluateur,

- prononcer en conséquence la nullité du rapport Accuracy' au motif d'une absence d'indépendance et d'impartialité de la part de l'expert, s'assimilant à une faute grossière,

- prononcer la nullité du rapport Accuracy' à raison de la violation par la société Nova Veolia des dispositions de l'article 4. 7. 4 du Pacte d'associés conclu le 30 septembre 2015 en choisissant un expert qu'elle savait ne pas être indépendant à son égard et en ayant manqué à l'obligation de bonne foi qui pèse sur toute partie à un contrat, en dissimulant ses liens professionnels avec Accuracy et en donnant, directement ou indirectement, des informations erronées à l'expert concernant la société CLIG 29,

- prononcer la nullité du rapport Accuracy' du fait des erreurs grossières commises à raison, d'une part, de la non prise en compte du modèle économique de la société, qui résultait pourtant des contrats conclus entre les parties et des attestations de tiers qualifiés, impactant significativement la valeur de la société et par conséquent des actions de préférence de la société Woopex, à raison d'autre part, de l'erreur commise sur la date d'évaluation dans l'application d'une des méthodes utilisées et à raison enfin de la non prise en compte d'un actif essentiel dans deux des méthodes retenues par l'expert,

- en conséquence des manquements commis par Nova Veolia aux obligations pesant sur elle en vertu du Pacte d'associés et de l'article 1104 du Code civil, nommer tel expert qu'il plaira, inscrit sur la liste des experts près la Cour d'Appel de Paris, sous la rubrique D03.02 (produit dérivé - finance) ou à défaut D03.01 (finance d'entreprise) en lui confiant la mission définie par le pacte d'actionnaires du 30 septembre 2015, à savoir procéder à l'évaluation des Actions de Préférence sur la base d'une méthode multicritères, en l'occurrence au moins cinq critères, en écartant les deux critères donnant lieu à l'évaluation la plus haute et la plus basse afin de faire une moyenne de la valeur définie grâce aux trois critères médians, les manquements commis par Nova Veolia lui interdisant de se prévaloir de la clause du pacte lui réservant le choix de l'expert,

- subsidiairement, renvoyer les parties, une fois le rapport annulé, aux dispositions du Pacte d'associés du 29 septembre 2015,

- ordonner la restitution des honoraires versés en exécution de l'acte nul par la société Woopex,

- ordonner que le transfert de propriété soit différé à la date à laquelle le prix aura été défini de manière définitive,

- débouter Nova Veolia de toutes ses demandes,

- condamner Nova Veolia au paiement de 30. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 26 mai 2021, Nova Veolia demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter Woopex de toutes ses demandes, fins et prétentions, condamner Woopex à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures.

SUR CE

- Sur la demande d'annulation du rapport Accuracy

Par courrier du 13 avril 2018, Woopex a notifié à Nova Veolia sa décision de lever la promesse d'achat portant sur l'intégralité des titres qu'elle détenait dans CLIG 29.

Il n'est pas contesté qu'à la suite de la révocation de A… et de sa promesse dans ce cas de figure prise à l'article 4.7 du Pacte, celui-ci est tenu de céder la participation qu'il détient dans CLIG 29 à Nova Veolia.

Les parties ne s'accordent pas sur les conditions dans lesquelles le prix de cession a été déterminé par le cabinet Accuracy désigné comme tiers-évaluateur et partant sur le prix de cession des actions CLIG 29.

Le Pacte prévoit en son article 4.7.3 deux formules différentes d'évaluation pour déterminer le prix de cession des titres selon la nature de l'Evènement déclencheur. L'Evènement déclencheur en l'espèce relève de la seconde formule de sorte que ' le prix de cession des Actions de Préférence sera déterminé à la date de réalisation de l'Evénement Déclencheur concerné (a)par référence à la valeur retenue pour la dernière transaction (cession ou souscription à une augmentation de capital par un Tiers) intervenue au cours des douze (12) derniers mois, ou (b) à défaut d'une telle transaction, la valeur de la Société sera déterminée à dire d'expert conformément aux conditions définies ci-après, cette valeur déterminant le Multiple de Performance (calculé conformément à la formule figurant en Annexe 2 des présentes), qui lui-même définira le prix des Actions de Préférence. '

Les parties, ne s'étant pas entendues sur le prix de cession, ont mis en oeuvre les dispositions de l'article 4.7.3 in fine, qui stipulent : 'En cas de contestation par le Promettant du prix fixé par le Bénéficiaire conformément à la formule ci-avant, et à défaut d'accord entre les Parties sur le prix des Titres et des Prêts d'Associés en application de la formule, dans les trente (30) jours Ouvrés suivant Notification de l'Exercice de la Promesse, le prix des Titres et des Prêts d'Associés sera déterminé par un Expert agissant en application des dispositions de l'article Aricle 4.7.4 ci-après. Le prix tel que déterminé par l'Expert liera définitivement les Parties, sauf en cas d'erreur manifeste. Les frais et charges de l'Expert seront partagés à parts égales entre les Parties. '

L'article 4.7.4 du Pacte énonce que l'expert qui sera désigné dans le cadre de la mise en oeuvre des Promesses ' agira conformément aux termes de l'article 1843-4 du Code civil et déterminera la valeur des Actions de Nova sur la base d'une méthode multicritères. Les Parties conviennent que Nova choisira l'Expert, au moment de la survenance de l'Evénement Déclencheur concerné, sur la liste des quatre experts suivants : Accuracy ; ou Eight Advisory; ou Duff Phelps; ou Mazard [....]'.

Le 26 avril 2018, la société Nova Veolia a désigné le cabinet Accuracy comme expert devant évaluer les titres.

La société Woopex fonde sa demande d'annulation du rapport Accuracy sur différents moyens qu'il convient d'examiner successivement.

- Sur le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire

La société Woopex soutient tout d'abord que le principe du contradictoire, qui s'applique selon elle à l'évaluation que réalise un expert en application de l'article 1843-4 du code civil, n'a pas été respecté. Elle expose que l'expert a entretenu des relations non contradictoires avec Nova Veolia avant le début de ses opérations, qu'il n'y a pas eu de transparence dans les échanges durant l'exécution de la mission, l'expert ayant refusé de communiquer le détail de ses calculs et n'ayant pas pris en compte les éléments qu'elle avait transmis notamment sa note du 2 août 2018 et le rapport technique Sorgem qui concluait à une valeur de CLIG 29 huit fois plus importante que celle retenue par Accuracy, que l'expert a au contraire retenu des pièces non communiquées à Woopex et s'est abstenu d'organiser une réunion contradictoire.

Nova Veolia réplique que le principe de la contradiction n'est pas applicable à une mission d'évaluation régie par l'article 1843-4 du code civil, l'expert évaluateur n'étant ni juge, ni expert judiciaire. Elle observe qu'en tout état de cause, ce moyen est infondé dès lors que les parties ont chacune eu connaissance des observations adressées à Accuracy et du pré-rapport de l'expert qui expose de façon détaillée l'ensemble des éléments sur lesquels il s'est fondé, chacune des parties ayant eu la possibilité d'y répondre.

Si la mission dévolue au cabinet Accuracy n'est pas celle d'un expert judiciaire soumis aux dispositions du code de procédure civile applicables aux expertises judiciaires, l'article 1843-4 du code civil n'exclut pas en lui-même l'application du principe du contradictoire, de sorte qu'il appartient à l'expert, appelé à fixer librement le prix de cession des titres en fonction de critères définis par la convention des parties, de veiller à ce que son rapport ne soit pas entaché d'erreur grossière en ce qu'il reposerait sur des éléments non connus de l'ensemble des parties.

En l'espèce, Nova Veolia, après avoir désigné le cabinet Accuracy le 26 avril 2018, a mis à disposition de A…, le 23 mai suivant l'ensemble des documents qui avait été transmis à Accuracy en vue de la réalisation de sa mission, par l'intermédiaire d'une plateforme électronique ' drive ', transmission effectuée par Y… et dont A… a accusé réception le même jour (pièce 20 de l'intimée).

Répondant le lendemain à A… qui s'informait sur les échanges intervenus et le calendrier des opérations, Y… a précisé avoir mis à disposition de l'expert désigné par Nova Veolia, les documents qui lui semblaient être la base minimale nécessaire à sa mission, documents qui ont été partagés avec Woopex, ajoutant qu'elle ignorait si l'expert avait commencé à étudier les documents mis sur le ' drive ' et établi un calendrier du déroulé de l'expertise, sachant seulement qu'il préparait la lettre de mission devant être signée par les parties, et qu'elle ne manquerait pas de partager celle-ci dès réception. Le 1er juin suivant Y… a communiqué à A… la lettre de mission d'Accuracy, en précisant qu'elle convenait à Nova Veolia et que dès signature par Nova Veolia et Woopex, Accuracy débutera sa mission d'évaluation.

Le 15 juin 2018, la société Woopex a fait part à Accuracy d'un certain nombre d'observations sur la lettre de mission, au vu desquelles elle n'entendait pas la signer en l'état et a proposé à Nova Veolia de faire choix d'un autre expert, le cabinet Eight Advisory, aux honoraires moins élevés, Nova Veolia ayant alors répondu qu'Eight Advisory avait travaillé pour le pôle France Veolia depuis moins de six mois, de sorte que ce cabinet ne pouvait être choisi. Après que le cabinet Accuracy a accepté de limiter ses honoraires à un forfait de 45.000 euros, la lettre de mission a finalement pu être signée le 30 juillet 2018.

Il résulte de ces éléments que la transmission de documents par Nova Veolia au cabinet Accuracy avant la signature de la lettre de mission fait suite à sa désignation, conformément aux dispositions du Pacte, et que les éléments transmis à l'expert à cette occasion ont été dès l'origine partagés avec le dirigeant de Woopex.

Il est également constant, qu'avant d'établir son pré-rapport, le cabinet Accuracy a organisé une réunion avec les parties le 4 septembre 2018, à laquelle A… s'est rendu, assisté de son expert, la circonstance que Nova Veolia qui était également conviée n'ait pas participé à cette réunion et que A… n'ait pu échanger en direct avec celle-ci devant l'expert ne caractérise pas une atteinte au principe du contradictoire ou à l'exigence de transparence. Au cours de cette réunion, la société Woopex assistée de son propre expert a donc été mise en mesure de développer tous éléments qu'elle jugeait utiles de porter à la connaissance d'Accuracy, notamment ceux exposés dans sa note du 2 août 2018, et de produire les documents jugés nécessaires. Il ressort du courriel adressé par A… à Accuracy à la suite de cette réunion qu'il a bien remis des pièces à l'expert.

L'expert a ensuite établi un pré-rapport qu'il a communiqué aux parties par courrier daté du 25 octobre 2018, dans lequel il estimait la valeur des titres détenus par Woopex à 201.000 euros. Son courrier précise les méthodes appliquées, les principaux documents communiqués par le management de la société sur lesquels il a fondé ses travaux, l'identité et la fonction des personnes avec lesquelles il a eu des entretiens, parmi lesquelles A…, dirigeant de Woopex, accompagné de Z… du cabinet Sorgem, que Woopex avait mandaté pour établir son propre rapport d'évaluation. Accuracy indique dans ce courrier avoir pris en compte le rapport d'évaluation des fonds propres de CLIG 29 réalisé par Sorgem, daté du 20 septembre 2018. En page 24 du pré-rapport, Accuracy précise avoir retenu dans la méthode dite DCF le dernier plan d'affaires disponible à savoir celui du 6 avril 2018, dont se prévalait A…, quand bien même celui-ci faisait l'objet d'un débat, Nova Veolia ayant objecté que ce plan n'avait pas été approuvé par le conseil de surveillance et ne devait pas être retenu.

Le 5 novembre 2018, Woopex a porté à la connaissance de l'expert ses observations sur le projet de rapport et indiqué qu'il réfutait l'ensemble de ses conclusions. Accuracy a accusé réception de ces observations et a adressé son rapport aux parties le 27 novembre 2018.

Les critiques de Woopex sur le pré-rapport se rapportaient :

- à l'absence de prise en compte de la spécificité du business model de CLIG 29 à savoir le modèle Soft-as-a-Service (SaaS),

- à l'absence de démonstration du caractère incertain du renouvellement du contrat conclu avec Veolia Eau,

- au fait que le contrat conclu avec Veolia Eau diffère de la relation d'actionnariat existant entre Nova Veolia et CLIG 29,

- à l'absence de valorisation ou à la valorisation incomplète de plusieurs actifs clés de la société,

- à l'absence de valorisation des titres à la date du 10 janvier 2018,

- à l'absence de référence aux analyses contenues dans le rapport Sorgem.

Le rapport définitif remis par Accuracy aux parties le 27 novembre 2018 et/ou sa lettre d'accompagnement intègrent un paragraphe s'expliquant sur la date d'évaluation (page 2), sur les raisons pour lesquelles le modèle économique de CLIG 29 diffère de celui habituellement présenté sous le vocable SaaS. Il reprend également ses observations sur le renouvellement du contrat VEF arrivant à échéance et sur la valorisation de cet élément d'actif. Il rappelle à nouveau qu'il a pris en compte le rapport d'évaluation établi par Sorgem. Il en résulte qu'Accuracy n'a pas ignoré les éléments dont se prévalait Woopex, ni ses observations sur le pré-rapport. Ne s'agissant pas d'une expertise judiciaire, il ne lui appartenait pas d'y répondre sous forme de réponse à un dire.

Il s'ensuit que la société Woopex manque à établir que l'expert a commis une erreur grossière dans l'évaluation des titres en ce qu'il aurait fondé son évaluation sur des éléments non connus des parties et sans examen des observations de Woopex.

- Sur le défaut d'indépendance et d'impartialité du cabinet Accuracy

L'article 4.7.4 du Pacte stipule que l'Expert choisi devra faire une déclaration d'indépendance au terme de laquelle il déclarera ne pas avoir travaillé ' depuis au moins six mois à la date de sa désignation pour le pôle France Veolia d'une part et pour OLM [A…] d'autre part '.

Woopex soutient qu'Accuracy n'a effectué aucune déclaration d'indépendance se contentant d'insérer dans sa lettre une mention sous la rubrique contexte.

Dans sa proposition de service pour l'évaluation des titres de CLIG 29, du 30 juillet 2018, faisant suite à sa désignation par Nova Veolia, Accuracy rappelle à la rubrique 'contexte de la mission' que le 26 avril 2018, Nova Veolia a désigné Accuracy comme expert, ' sous réserve de la confirmation de ne pas avoir travaillé au cours des six derniers mois pour i) le pôle France de la société Veolia Eau- Compagnie Générale des Eaux, ii) la société Woopex, iii) la société Fluks, iv) A…. ' Cette confirmation ayant été faite, Nova Veolia et Woopex ont mandaté Accuracy pour la réalisation de cette expertise.'

Par mail du 2 mai 2018, faisant suite au courrier du 26 avril 2018 informant Accuracy de sa désignation comme expert sous réserve de sa confirmation de ne pas travailler ou ne pas avoir travaillé depuis au moins six mois pour le pôle France de la société Veolia Eau-Compagnie Générale des Eaux et pour les sociétés Woopex et Fluks et A…, le cabinet Accuracy sous la signature de X…, a confirmé ' ne pas avoir travaillé au cours des six derniers mois pour les sociétés et personnes que vous mentionnez, à savoir: -le pôle France de la société Veolia Eau-Compagnie Générale des Eaux - la société Woopex - la société Fluks -A… .'

Ainsi, contrairement à ce que soutient Woopex, l'expert a bien effectué une déclaration d'indépendance, qui satisfait dans la forme aux dispositions du Pacte.

Il reste à déterminer si cette déclaration d'indépendance était sur le fond conforme aux exigences du Pacte.

Pour remettre en cause l'indépendance de l'expert désigné, Woopex soutient que le cabinet Accuracy avait récemment collaboré avec VEF dans le cadre d'une affaire contentieuse et médiatisée, 'Olkypay', qui avait provoqué une crise politique au sein de VEF, ce dont il n'a pas fait état dans sa lettre de mission, alors que l'affaire en était à ses prémisses fin 2017 et s'est poursuivie en 2018.

Nova Veolia verse au débat une attestation d'Accuracy certifiant que sa mission dans l'affaire Olkypay correspond à un travail finalisé en février 2017 plus d'un an avant le courrier du 26 avril 2018 reçu de Nova Veolia.

Il ressort des pièces 37 et 38 de Woopex qu'un litige a opposé la société Veolia Eau Compagnie Générale des Eaux à la société Olkypay, à la suite de la rupture par la première de ses relations commerciales avec la seconde, qui avait été chargée du recouvrement des factures de ses abonnés, qui a donné lieu à un arrêt de la cour d'appel du 2 novembre 2017 disant n'y avoir lieu à référé. Le cabinet Accuracy avait établi le 23 mars 2017, à l'usage des avocats de VE-CGE, un rapport sur les enjeux économiques et financiers relatifs au contrat conclu entre VE-CGE et Olkypay. Il n'est pas établi que la collaboration sur cette affaire se soit poursuivie après le dépôt du rapport du 23 mars 2017 ou dans le délai de six mois précédant la désignation du cabinet Accuracy par Nova Veolia, soit sur la période courant d'octobre 2017 au 26 avril 2018.

Manque également en fait, le moyen pris de ce qu'Accuracy a ou aurait pu être mandatée comme expert par VEF en 2016 à l'occasion du rachat d'une participation détenue par Orange dans la société M2O, dès lors que si Veolia, M2O City et Accuracy apparaissent dans un document de la banque Lazard intitulé ' Working Group List' à propos du projet 'H20" comme faisant partie de la liste des contacts, ce document n'est pas daté.

Woopex soutient encore plus généralement que le cabinet Accuracy ne pouvait établir de déclaration d'indépendance alors que dans la présentation commerciale qu'il fait de son activité, il mentionne Veolia comme étant l'un de ses principaux clients.

Dans le document reproduit par Woopex, Veolia figure parmi la soixantaine de principaux clients dont se prévaut Accuracy à des fins de présentation. Cependant, le fait qu'Accuracy soit intervenu à plusieurs reprises pour d'autres missions confiées par Veolia dans des affaires n'impliquant pas Woopex, ne suffit pas à caractériser un manque d'indépendance ou la partialité de cet expert dans sa mission d'évaluation des titres de CLIG 29. En effet, les parties ont arrêté d'un commun accord une liste de quatre experts pouvant être désignés sous la seule condition qu'il n'ait pas collaboré avec le pôle de Veolia France ou A… pendant au moins les six mois précédant sa désignation.En fixant ce délai d'incompatibilité à une durée de six mois, même si ce délai constitue un minimum, les parties ont entendu viser une mission récente de l'expert avec l'une ou l'autre des parties et n'ont pas considéré que toute relation de travail passée disqualifiait l'expert et exigé l'absence de toute relation en amont de la période fixée.

Le seul fait qu'Accuracy ait exercé des missions pour le pôle France de Veolia Eau avant la période d'incompatibilité ne suffit donc pas à remettre en cause son indépendance dans le cadre de la mission distincte qu'elle a réalisée pour le compte de Nova Veolia et Woopex.

C'est encore vainement que la société Woopex déduit un manque d'indépendance du cabinet Accuracy, de ce que ce dernier a accepté de réduire notablement ses honoraires sur l'insistance de Nova Veolia pour conserver le bénéfice de sa désignation. En effet, il est établi que la société Woopex a critiqué le montant de la fourchette d'honoraires (70.000 à 90.000 euros) annoncé par Accuracy après sa désignation par Nova Veolia et a fait établir un devis mieux-disant (45.000 euros) par le cabinet concurrent Eight Advisory qu'il souhaitait voir désigner, cabinet qui selon Nova Veolia ne répondait pas à la condition d'indépendance (6 mois) prévue au Pacte. C'est dans ce contexte, après deux mois de discussion, qu'Accuracy a accepté au vu d'une première revue des documents de fixer ses honoraires à un forfait de 45.000 euros, ce qui a permis la signature de la lettre de mission. Cette situation traduit l'existence de négociations sur le montant des honoraires de l'expert et contrairement à ce que soutient Woopex n'est pas de nature à faire suspecter un manque d'indépendance du cabinet Accuracy.

Ne caractérise pas non plus un manque d'indépendance de l'expert, le fait qu'il ait refusé de communiquer au cabinet Sorgem le détail de ses fiches personnelles de calcul, le cabinet Accuracy étant fondé à soutenir qu'il s'agit de ses documents personnels et de son savoir-faire qu'il n'a pas à divulguer, étant observé que dans son rapport, l'expert détaille les éléments des différentes méthodes appliquées.

Dès lors qu'il n'est pas démontré qu'Accuracy a travaillé avec le pôle France de Veolia durant la période visée dans le Pacte et qu'aucun élément n'établit plus généralement que l'expert a fait preuve de partialité à l'égard de la société Woopex, le moyen pris de l'absence d'indépendance et d'impartialité de l'expert sera rejeté.

- Sur les erreurs grossières d'appréciation

L'article 1843-4, I du code civil, en sa version issue de l'ordonnance du 31 juillet 2014, dispose que le tiers désigné pour fixer le prix de cession des actions, ' est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties '.

L'article 4.7.4 du Pacte stipule que ' L'Expert devra procéder à l'évaluation des Actions de Préférence sur la base d'une méthode multicritères. A ce titre, les Parties conviennent que l'Expert devra baser son analyse sur au moins 5 critères et écartera les deux critères donnant lieu à l'évaluation la plus haute et la plus basse afin de faire une moyenne de la valeur définie grâce aux trois critères médians. La décision de l'Expert liera les Parties, sauf erreur grossière. '

Aux termes de son analyse, Accuracy a conclu que la valeur de marché des capitaux propres de CLIG 29 s'élevait à 3,8 millions d'euros et que la valeur des titres détenus par Woopex au 10 janvier 2018, représentant 3,94% des titres de la société, ressortait dans une fourchette d'estimations comprise entre 115.000 euros et 256.000 euros, soit une valeur moyenne de 201.000 euros.

La société Woopex expose que le cabinet Accuracy a commis une série d'erreurs grossières dans ses travaux qui impactent la valeur des Actions de Préférence Woopex à hauteur de 2,8 millions d'euros, aboutissant à diviser par 15 la valeur de ses actions. Elle se prévaut du rapport du cabinet Sorgem en date du 31 juillet 2018, qu'elle a mandaté au soutien de ses discussions sur la valeur de ses titres,qui après avoir procédé à une analyse selon les méthodes DCF, de valorisation par les multiples observés sur les sociétés comparables cotées, de valorisation selon les multiples SaaS réalisées par River Cities, de valorisation par les coûts historiques et de valorisation par les coûts de remplacement, a retenu une valeur centrale des fonds propres de CLIG 29 à hauteur de 27,4 millions d'euros.

Nova Veolia conteste l'existence d'erreurs grossières.

Les parties s'en étant remises dans leur convention à la détermination du prix par un expert ayant les pouvoirs prévus à l'article 1843-4 du code civil, ont accepté de faire de la décision de celui-ci leur loi, seule l'erreur grossière permettant de remettre en cause la force obligatoire de l'évaluation proposée par l'expert.L'erreur grossière est celle d'un telle gravité qu'un technicien normalement soucieux de ses fonctions ne saurait la commettre.

Avant d'examiner les différentes erreurs invoquées par Woopex, il convient d'évoquer les modalités mises en oeuvre par l'expert pour évaluer les titres.

Conformément aux dispositions du Pacte, Accuracy a eu recours à une analyse multicritère, en utilisant cinq critères qu'il a choisis.

Se référant à la méthodologie multicritère préconisée par l'AMF, Accuracy a :

- procédé à une analyse intrinsèque en appliquant la méthode DCF (Discounted Cash-Flow) correspondant aux flux de trésorerie actualisés, cette méthode étant présentée par l'expert comme appropriée pour évaluer les activités de CLIG 29 présentant des degrés de maturité différents (activités : Forum, Apps, Benchmark), dont il résulte une valeur d'entreprise de 4.434.000 euros,

- procédé à une approche analogique en recourant à deux méthodes :

- la méthode des comparaisons boursières fondée sur un échantillon de sociétés cotées comparables, qui aboutit à une valorisation de 4.094.000 euros

- la méthode des transactions comparables fondée sur un échantillon de sociétés comparables impliquées dans des transactions de gré à gré conduisant à une valeur de 5.601.000 euros

- eu recours à deux critères s'agissant des références d'évaluation :

- le critère de l'investissement initial dans la société, dont il résulte une valorisation à 2.537.000 euros,

- le critère de l'Actif net réévalué (ANR), fondé sur l'actif net comptable de la société et sur la réévaluation de ses principaux actifs (employés, R&D, Apps, Forum, Benchmark ) dont il ressort une valorisation à hauteur de 2.801.000 euros.

Faisant application du Pacte, Accuracy a ensuite écarté le résultat le plus faible (le critère de l'investissement initial à 2,5 millions d'euros) et le résultat le plus élevé (la méthode des transactions comparables à 5,6 millions d'euros) pour ne retenir que la moyenne résultant des trois autres méthodes : DCF, Comparaisons boursières et ANR.

Le choix des critères relevait de la libre appréciation de l'expert, en l'absence de dispositions particulières dans le Pacte.

- Sur l'erreur de qualification du modèle économique en ce que CLIG 29 ne relèverait pas d'un modèle 'Software as a Service' (SaaS)

La société Woopex soutient que les prémisses de l'évaluation sont erronés, en ce que l'expert a fait abstraction du modèle d'affaires de CLIG 29, qui commercialise uniquement ses services en mode 'SaaS', c'est à dire sous forme d'abonnements récurrents, que la qualification de SaaS n'est pas subordonnée à la mise en oeuvre d'un logiciel innovant mais à la récurrence des revenus, que le produit Fluksaqua remplit tous les critères d'un service en mode SaaS en ce que les logiciels sont installés sur des serveurs distants et non chez l'utilisateur et en ce que les utilisateurs accèdent au service via internet en payant un abonnement.Elle ajoute que la qualification retenue par l'expert est contraire à celle mentionnée par les parties dans le pacte d'associés, dans le contrat VEF, et à la présentation du commissaire aux comptes et que cette erreur initiale sur le modèle économique a un impact significatif sur la valorisation de l'entreprise, de 21 millions d'euros en application de la méthode des comparables boursiers, de 12 millions d'euros avec la méthode des transactions comparables, ou encore de 7 millions d'euros dans la méthode 'DCF', de sorte qu'il peut être retenu un impact moyen de 13 millions d'euros sur la valeur d'entreprise obtenue par trois des cinq méthodes utilisées par l'expert.

Nova Veolia réplique que le modèle économique de CLIG 29 différe de celui de l'activité habituelle d'une SaaS, quand bien même son systéme de facturation s'en rapproche, puisqu'elle ne tend pas à mettre à disposition au moyen d'un abonnement une solution logicielle innovante mais à permettre l'accès à des données opérationnelles présentées dans des tableaux de bord facilitant leurs lecture et analyse. Elle souligne que le cabinet Sorgem, expert mandaté par Woopex, a lui-même émis des réserves sur le fait que le modèle serait celui d'une SaaS. Elle ajoute que l'expert n'était pas lié par le fait que les parties avaient employé le vocable SaaS dès lors qu'il n'a jamais été convenu que l'évaluation devait être faite sur la base d'un modèle SaaS et qu'il a bien pris en compte les spécificités réelles de l'activité de CLIG 29 pour évaluer les titres. Elle considère en tout état de cause, que Woopex échoue à démontrer la moindre incidence de cette prétendue erreur sur l'évaluation proposée.

Le rapport Accuracy précise que CLIG 29 développe et commercialise des outils de suivi de débit et de qualité de l'eau à destination des exploitants de l'eau et de l'assainissement et propose trois fonctionnalités : les ' Apps ' des tableaux de bord hébergés en ligne et commercialisés au travers d'abonnements mensuels, un forum d'entraide entre exploitants (gratuit) et un outil de comparaison (benchmark) reposant sur un modèle d'open data, gratuit et accessible à tous. Le chiffre d'affaires de la société est principalement réalisé à travers un client (99,8% du chiffre d'affaires), la société Veolia Eau France (VEF) avec lequel un contrat a été signé, le contrat arrivant à échéance le 1er juillet 2009.

Les applications Apps exploitent les données récupérées sur les capteurs des clients, lesquelles sont redirigées vers la plateforme internet de la société, puis présentées dans des tableaux de bord afin d'en permettre une analyse plus aisée

Après avoir analysé l'activité de CLIG 29, l'expert a considéré que si le modèle de facturation, à savoir un systéme d'abonnement et non pas de vente de licence ou de vente de maintenance, ressemblait à celui des SaaS, en revanche CLIG 29 ne proposait pas de composante logicielle innovante, mais plutôt une composante solution/service, à savoir une synthèse des données qui appartiennent aux utilisateurs et qui peuvent faire l'objet d'une visualisation facile. Accuracy indique avoir tenu compte de cette différence dans l'analyse des sociétés comparables et des transactions dans le secteur.

L'expert souligne également (page 23 du rapport) que CLIG 29 est encore une société en stade de développement, la société ayant été créée le 30 novembre 2015, et qu'après deux années seulement d'exploitation son modèle économique n'est pas encore défini.

Si le préambule du contrat de services entre CLIG 29 et Veolia Eau-CGE, annexé au Pacte précise que CLIG 29 a pour ambition d'être le site de référence en matière de partage de connaissances sur l'eau et l'assainissement et de proposer des services en mode SaaS de collecte, stockage, contextualisation et restitution des données d'exploitation relatives au petit cycle de l'eau, et si la documentation commerciale de l'offre Fluksaqua communique en direction des tiers en ce sens, ce vocable, que les parties ont fait le choix d'utiliser dans leurs relations commerciales, ne s'imposait pas pour autant à l'expert, dès lors que l'évaluation selon le modèle économique SaaS ne faisait pas partie des critères figurant dans sa mission, l'expert étant dès lors libre d'effectuer sa propre analyse du modèle économique de CLIG 29.

A ce motif, il ne peut davantage être déduit l'existence d'une erreur grossière de la mention dans le rapport du commissaire aux comptes sur l'exercice clos au 31 décembre 2017, selon laquelle le chiffre d'affaires réalisé par CLIG 29 correspond à des prestations de services SaaS vendues sous forme d'abonnement en ligne.

Il s'ensuit, que l'expert n'a pas fait abstraction du modèle SaaS en l'ignorant, mais s'en est écarté après analyse du fonctionnement de CLIG 29, pour les motifs qui viennent d'être exposés. Le seul fait qu'une discussion puisse s'instaurer sur ce que recouvre le modèle économique de CLIG 29 et sur l'incidence quant à ce modèle du système d'abonnement et/ ou du caractère ou non innovant des services proposés, ne permet pas de démontrer l'existence d'une erreur grossière dans l'analyse du modèle économique faite par Accuracy, s'agissant d'une société encore en phase de développement.

Au demeurant, cette différence d'appréciation du modèle économique n'intervient que pour deux des cinq critères : les comparables boursiers et les transactions dans le secteur. L'évaluation résultant de la méthode dite des transactions comparables, ayant donné lieu à l'évaluation la plus haute, a été écartée en application des dispositions du Pacte, de sorte que quand bien même elle aurait abouti à une valorisation encore plus élevée, elle n'aurait pas été prise en compte.

Dans la méthode des comparables boursiers, ayant donné lieu à une valorisation de l'entreprise par Accuracy à hauteur de 4.094 millions d'euros, il est reproché à l'expert d'avoir écarté toutes les sociétés informatiques en mode SaaS (échantillon 1) et d'avoir écarté de l'échantillon 2 la société Carl Data dont l'activité est la plus proche de CLIG 29, ajoutant que le coefficient multiplicateur n'est pas de 1,4 fois le chiffre d'affaires mais de 8,1 fois le chiffre d'affaires.

Dans son échantillon nº2 composé de 8 sociétés, l'expert a retenu des entreprises qui développent des compteurs intelligents et des solutions logicielles associées pour les réseaux d'eau, de gaz et d'électricité, dont il a extrait un multiple moyen de chiffre d'affaires 2017, de 1,4 fois. Il n'a pas exclu de son échantillon la société Carla Data Solutions Inc, société canadienne fournissant des solutions de collecte, de stockage et d'analyse des données selon un modèle 'Big Data- as- a- service', dont l'activité est selon Woopex proche de celle de CLIG 29, mais seulement la société Smart Metering Systems plc au profil de marge trop différent. La composition de cet échantillon, qui repose sur des sociétés développant des activités approchant celles de CLIG 29, ne révèle pas d'erreur grossière d'appréciation. L'expert a en outre utilisé, non pas un multiple de résultat d'exploitation et d'EBE dans la mesure où ces composantes dans les comptes de CLIG 29 étaient négatives pour les exercices 2015 et 2016 et presque nulles pour 2017, mais un multiple de chiffre d'affaires, solution qui présentait un risque de sur-valorisation dans une société qui n'était pas encore profitable et qui supportait le risque lié à l'aspect mono-client , d'où l'application d'un forfait risque de 30% du résultat obtenu par cette méthode. Ces indications démontrent que l'expert a veillé à faire une analyse rigoureuse, qu'il a justifiée.

Quant à la méthode DCF, elle n'est pas directement affectée par une différence d'analyse de modèle économique, l'expert ne procédant pas à une comparaison avec les résultats d'entreprises de modèle SaaS, mais étudiant spécifiquement les résultats de CLIG 29 au vu de son plan d'affaires du 6 avril 2018.

Il s'ensuit que la société Woopex n'établit pas l'existence d'une erreur grossière dans l'analyse du modèle économique de CLIG 29.

- Sur l'erreur portant sur la date de l'évaluation

L'article 4.7.3 du Pacte prévoit que le prix de cession des titres CLIG 29 doit être déterminé à la « 'date de l'évènement déclencheur'de l'exercice de la Promesse », dont aucune des parties ne conteste qu'il corresponde à la révocation de A… intervenue le 10 janvier 2018.

La société Woopex fait valoir que l'expert a commis une erreur grossière en valorisant la société à la date de sa création, en 2015, en ne comptabilisant aucun des investissements réalisés entre 2015 et 2017, cette erreur ayant une incidence de 14 millions d'euros sur la valeur de l'entreprise, que l'application de la méthode de « référence constituée par l'investissement initial dans la Société », caractérise une erreur consistant à n'avoir pas évalué les investissements réalisés par CLIG 29 à la date de l'élément déclencheur (soit le 10 janvier 2018) mais à la date de création de la société, en 2015.

La société Nova Veolia soutient au contraire qu'Accuracy a bien dans son rapport final évalué les titres au 10 janvier 2018 et que le choix d'appliquer le critère constitué par l'investissement initial en 2015 ne signifie pas une valorisation à la date de création de la société, mais seulement que l'investissement initial constitue un élément pertinent pour apprécier sa valeur à une date ultérieure.

Le cabinet Accuracy expose clairement en page 2 de son rapport qu'il a estimé la valeur de la société à la date du 10 janvier 2018, que pour déterminer cette valeur il a pris l'information disponible à la date de ses travaux et ne s'est pas limité aux seuls documents et informations antérieurs au 10 janvier 2018, à l'instar du principe comptable qui consiste à prendre en compte les événements postérieurs à la clôture de l'exercice pour déterminer la valeur d'un actif comptable, et qu'il a donc retenu les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2017, qui se situent à seulement 10 jours de l'événement déclencheur, ainsi que le budget 2018 et le plan d'affaires présenté au comité de surveillance du 6 avril 2018, comme base de son analyse des perspectives de développement de CLIG 29 et les multiples boursiers au 10 janvier 2018.

La circonstance que l'une des cinq méthodes utilisées fait référence à l'investissement initial, en l'espéce le montant de 2,5 millions d'euros investi par les actionnaires ( 2,4 millions d'euros par Nova Veolia et 0,1 million d'euros par Woopex), que l'expert a considéré comme pertinente au regard de la création récente de la société, celle-ci se trouvant encore en phase de construction et ne disposant pas encore d'un modèle économique clairement défini et pérenne tant en termes de développement des 'Apps' en dehors du contrat VEF que de la reconduction de ce contrat, n'a pas pour effet de remettre en cause l'évaluation finale de l'expert à la date du 10 janvier 2018, laquelle résulte d'une moyenne entre différents critères, étant au surplus observé que cette méthode aboutissant à la valorisation la plus basse a été écartée conformément aux dispositions du pacte.

- Sur l'omission d'un actif essentiel, le contrat Veolia Eau France (VEF)

La société Woopex fait grief au rapport Accuracy d'avoir omis de prendre en compte le contrat VEF dans deux des cinq méthodes d'évaluation utilisées (méthode de l'investissement initial et méthode de l'actif net réévalué) alors que l'expert attribue par ailleurs une valeur importante à ce contrat (marge brute de 3,3 millions d'euros) et d'avoir appliqué une importante prime de risque pour ce contrat dans la méthode des comparables boursiers et la méthode des transactions comparables, le contrat ayant été reconduit sans surprise pour quatre années supplémentaires en juin 2019. Elle en déduit une sous-évaluation de la société de 15 millions d'euros.

Nova Veolia argue que l'expert n'a aucunement ignoré cet élément d'actif, que dans la méthode dite DCF basée sur le plan d'affaires du 6 avril 2018, les revenus générés par le renouvellement du contrat VEF sont bien pris en compte, l'expert ayant simplement tenu compte dans son évaluation de l'aléa pesant sur la reconduction du contrat VEF, qu'il en est de même dans la méthode des comparables boursiers pour laquelle l'expert a pris en compte le chiffre d'affaires 2017 composé quasi intégralement des sommes reçues au titre du contrat VEF, que s'agissant de la méthode de l'investissement initial, l'expert était libre de considérer ce critère comme approprié, quant à la méthode dite ANR, elle repose sur une réévaluation des éléments déjà inscrits au bilan, et le contrat VEF est valorisé au travers de la prise en compte des 'Apps' développées pour ce contrat et inscrites au bilan et que les méthodes d'évaluation complémentaires permettent de prendre en compte ce contrat qui représente plus de 99% du chiffre d'affaires.

Contrairement à ce que soutient Woopex l'expert n'a pas ignoré le contrat passé avec VEF dans sa valorisation des titres, qu'il le pouvait d'autant moins que CLIG 29 réalisait la quasi totalité de son chiffre d'affaires avec ce client. Accuracy a revanche tenu compte d'un aléa lié à l'absence de certitude du renouvellement de ce contrat arrivant à échéance en juin 2019, ce qui est totalement différent.

L'expert n'a pu obtenir lors de ses travaux la confirmation des propos de A…, selon lesquels le contrat VEF serait renouvelé dans des termes identiques, ayant relevé qu'à la date du 10 janvier 2018, les discussions entre CLIG 29 et VEF n'avaient pas été engagées et qu'il résultait de ces échanges avec VEF que différentes options étaient possibles, au regard d'une réflexion de ce client sur le rapport coût/bénéfice, ces options ayant toutes en commun un rééquilibrage financier en faveur de VEF, compte tenu de la charge financière que représentait ce contrat.

Ainsi, à la date d'évaluation des titres, l'expert ne pouvait considérer comme acquises la reconduction du contrat, ni même, à le supposer reconduit, les conditions financières de ce contrat.

C'est dans ces conditions, sans commettre d'erreur grossière que l'expert a tenu compte dans ses évaluations de l'aléa existant sur le chiffre d'affaires de CLIG 29. Tout en prenant en compte, comme le souhaitait Woopex et malgré la contestation de Nova Veolia, le plan d'affaires ( 2018-2020) présenté au comité de surveillance le 6 avril 2018, Accuracy a dans la méthode DCF retenu un taux d'actualisation de 20% correspondant au profil de risque d'une jeune entreprise ayant atteint un certain niveau de maturité, l'expert relevant en outre que ce plan traduisait une révision à la baisse très importante du plan d'affaires initial annexé au pacte, lequel prévoyait une croissance rapide et forte et un chiffre d'affaires en 2020 de 53 millions d'euros, la projection pour ce même exercice n'étant plus que de 9,4 millions d'euros dans le plan du 6 avril 2018.

De la même manière, il n'est pas démontré l'existence d'une erreur grossière de ce chef dans les méthodes des comparaisons boursières et des transactions comparables dans lesquelles, pour tenir compte du risque induit sur l'activité de la société au regard de l'aspect 'mono-client', Accuracy a appliqué au résultat obtenu par ces méthodes une prime de risque spécifique forfaitaire de 30%'.

Il ne peut enfin y avoir d'erreur de ce chef dans la méthode dite de l'investissement initial qui n'a vocation à retenir que le montant investi lors de la création de la société.

Il résulte de tout ce qui vient d'être jugé, que l'expert a évalué les titres de CLIG 29 selon cinq méthodes différentes qu'il lui appartenait de choisir librement et qu'il a justifiées, ce croisement de critères ayant permis conformément aux dispositions du pacte d'examiner la valeur de la société sous différents critères, avant de retenir la moyenne des trois valorisations médianes. Il n'a pas été établi l'existence d'erreur grossière affectant la mise en oeuvre de ces méthodes.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Woopex de sa demande d'annulation du rapport et l'appelante déboutée de ses demandes tendant à voir ordonner une nouvelle expertise ou à renvoyer les parties après annulation du rapport aux dispositions du pacte.

L'appelante sera également déboutée de sa demande de restitution des honoraires versés à l’expert.

Le prix de cession des titres de CLIG 29 détenus par la société Woopex déterminé par le cabinet Accuracy liant définitivement les parties, le transfert des titres doit conformément à l'article 4.7.5 intervenir dans les 10 jours ouvrés suivant la détermination définitive du prix de cession, de sorte que la société Woopex ne peut qu'être déboutée de sa demande tendant à voir différer le transfert des titres.

Ainsi que le demande la société Nova Veolia, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné à la société Woopex de signer l'ordre de mouvement des titres objet de la cession et en ce qu'il a dit qu'à défaut pour la société Woopex de s'exécuter dans le délai de 30 jours de la signification du jugement, le jugement valait vente, cette mention pouvant être portée sur le registre des mouvements de titres de CLIG 29, la société Nova Veolia devant s'acquitter du prix de cession de 201.000 euros dès réception de l'ordre de mouvement et au plus tard dans un délai de sept jours suivant la retranscription du transfert des actions.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Woopex aux dépens et à payer à la société Nova Veolia une indemnité procédurale de 15.000 euros.

La société Woopex, partie perdante en appel, supportera les dépens de la procédure d'appel et ne peut prétendre au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée à payer à la société Nova Veolia une indemnité procédurale de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel pour assurer sa défense.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la société Woopex de ses demandes tendant à voir ordonner une nouvelle expertise ou à renvoyer les parties aux dispositions du pacte après annulation du rapport, de sa demande de restitution des honoraires versés à l'expert et de sa demande tendant à voir différer le transfert des titres au jour de la fixation définitive du prix de cession,

Déboute la société Woopex de sa demande en paiement d'une indemnité procédurale fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Woopex à payer à la société Nova Veolia 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Woopex aux dépens.