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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 janvier 2010, n° 09/00034

REIMS

Arrêt

Autre

T. com. Poitiers, du 6 sept. 2004

6 septembre 2004

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 janvier 2010 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

La société EUROTEXTILE a confié le 1er janvier 1996 à la société JCL POITIERS l'exploitation et la gestion d'un fonds de commerce exploité sous l'enseigne BABOU, situé à [...].

La société EUROTEXTILE a constitué la société JCL POITIERS pour sa mandataire particulière en vue de vendre au détail, gros ou demi-gros, les articles limitativement visés dans l'acte, JCL POITIERS n'étant par ailleurs autorisée à vendre que les produits fournis par EUROTEXTILE. Ces produits lui étaient remis à titre de dépôt avec mandat de vendre, et restaient, ainsi que les recettes provenant de la vente, propriété de EUROTEXTILE.

JCL POITIERS gardait l'initiative de l'embauche et du licenciement du personnel.

Après résiliation de ce premier contrat, un contrat similaire a été conclu le 2 janvier 1997 entre la société EUROTEXTILE et JCL REIMS, dirigée par les mêmes personnes que JCL POITIERS, qui a cependant déposé son bilan le 11 avril 1997. Le représentant légal a alors expliqué que depuis la prise d'exploitation du magasin rémois, il avait changé la dénomination sociale de la SARL JCL POITIERS en SARL JCL REIMS.

Le transfert d'immatriculation ayant moins de six mois, la juridiction consulaire de POITIERS était compétente et a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de JCL REIMS par jugement du 11 avril 1997.

Maître Michel BERAULT, désigné en qualité de liquidateur, a été remplacé par Maître Marie-Laëtitia CAPEL.

Par exploit d'huissier du 20 mai 2003, Maître CAPEL ès qualités a assigné devant le tribunal de commerce de POITIERS la société EUROTEXTILE à l'effet de la voir condamner à lui payer la somme de 284 455,68€ au titre des pertes du mandataire à l'occasion de sa gestion, soit le montant du passif de la société liquidée, outre 3 000€ au titre des frais irrépétibles et les dépens.

La société défenderesse concluait principalement à l'incompétence du tribunal de commerce de POITIERS au profit de celui de REIMS, subsidiairement, au débouté des demandes, sollicitant reconventionnellement l'allocation d'une indemnité de procédure de 2 000€.

Par jugement du 6 septembre 2004, le tribunal de commerce de POITIERS a écarté l'exception d'incompétence et condamné EUROTEXTILE à payer à maître CAPEL ès qualités la somme de 284 455,68€ en principal ainsi que celle de 3 000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur appel de la société BABOU, venant aux droits de la société EUROTEXTILE, la Cour d'appel de POITIERS, par arrêt du 16 mai 2006, a réformé le jugement entrepris en condamnant la SAS BABOU à payer à Me CAPEL la somme de 249 231,05€ correspondant au montant du passif privilégié vérifié.

La société BABOU s'est pourvue en cassation contre cette décision.

Par arrêt du 2 octobre 2007, la Cour de Cassation a cassé le dit arrêt et renvoyé l'affaire devant la même juridiction autrement composée, motif pris de ce que la contestation (consistant à rechercher la responsabilité du mandant) dont le tribunal était saisi n'était pas née de la procédure collective de la société et n'était pas soumise à l'influence juridique de cette procédure.

Par arrêt en date du 2 décembre 2008, la cour d'appel de POITIERS, saisie d'une exception d'incompétence élevée par la société BABOU, a réformé le jugement dont appel, et s'est déclarée incompétente ratione loci pour connaître du litige au profit de la cour d'appel de REIMS devant laquelle elle a renvoyé la cause et les parties, réservant les dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 5 mai 2009, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de ses prétentions et moyens, la société BABOU anciennement dénommée EUROTEXTILE poursuit le rejet des demandes présentées par Maître CAPEL ès qualités de liquidateur de la société JCL REIMS , infiniment subsidiairement, demande à la Cour de dire et juger que ces demandes ne peuvent concerner la convention de mandat relative à l'exploitation du fonds de MIGNE AUXANCES et ne sont susceptibles de porter que sur les dettes formées à l'occasion de la seconde convention de mandat concernant le fonds de REIMS , de constater que les dites demandes ne sont nullement identifiables et justifiées, en conséquence, de les rejeter intégralement, et en tout état de cause de condamner Mme CAPEL ès qualités au paiement de la somme de 3 000€ au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens, avec pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct au profit de la SCP DELVINCOURT JACQUEMET CAULIER-RICHARD, avoués.

Par dernières écritures notifiées le 1er novembre 2009, auxquelles il convient de même de se reporter, Maître Marie-Laëtitia CAPEL, prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de la SARL JCL REIMS , conclut au visa de l'article 2000 du code civil à la condamnation de la SAS BABOU au paiement de la somme de 284 455,68€ sauf à parfaire, outre 3 000€ au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens avec pour ceux d'appel, faculté de recouvrement direct au profit de la SCP THOMA DELAVEAU GAUDEAUX, avoués.

SUR CE, LA COUR,

Attendu que pour combattre la décision déférée, la SA BABOU fait valoir que les dispositions de l'article 2000 du code civil sur lesquelles Me CAPEL fonde sa demande en paiement ont un caractère supplétif et qu'il peut y être dérogé par convention ; qu'en l'espèce, il était convenu entre les parties que l'indemnisation du mandataire s'effectuerait forfaitairement sur la base d'un pourcentage du chiffre d'affaires (9,5%), la dite commission ayant vocation à couvrir à la fois les diligences du mandant et la totalité des charges que la société JCL REIMS aurait pu engager, excluant que lui soit répercutée une nouvelle fois une quelconque charge sur le fondement de cet article ;

Qu'elle ajoute que, surtout, le principe de l'indemnité du mandataire a été expressément écarté par les parties en cas de cessation du lien contractuel ; qu'en effet il a été convenu que chacune pouvait mettre fin à tout moment à la convention 'sans pouvoir du fait de cette résiliation réclamer à l'autre partie une indemnité à quelque titre que ce soit' ;

Qu'elle estime subsidiairement qu'il ne pourrait rien lui être demandé sur le fondement de l'article 2000 au titre de la période d'activité dans la région poitevine, la résiliation du lien contractuel étant intervenue expressément, et que faute pour Me CAPEL de présenter des comptes permettant de distinguer les montants exigibles au titre de l'exercice rémois, sa réclamation doit en tout état de cause être rejetée ;

Attendu qu'aux termes de l'article 2000 du code civil, 'le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable' ;

Qu'il est constant que ce texte n'a pas un caractère d'ordre public et qu'il peut y être dérogé par convention ;

Qu'il appert des pièces produites que la convention signée le 1er janvier 1996 entre la société JCL POITIERS et EUROTEXTILE a été résiliée amiablement le 2 janvier 1997 ; qu'une nouvelle convention de mandat a été signée entre JCL REIMS et la société EUROTEXTILE le 1er janvier 1997, pour une durée indéterminée ;

Qu'était insérée dans chacun de ces contrats une clause 2.3 intitulée 'rémunération' prévoyant qu''en rémunération du présent mandat et de toutes les charges et obligations qu'elle assumera à ce titre, la SARL ( JCL POITIERS puis JCL REIMS ) recevra une rémunération qui sera calculée en tenant compte des éléments suivants(...)', et notamment par référence au chiffre d'affaires de la société ;

Mais attendu que la stipulation d'une commission forfaitaire ne peut avoir pour objet de couvrir les pertes d'exploitation subies par le mandataire dès lors qu'elle prévoit que la société mandataire perçoit une commission couvrant forfaitairement sa rémunération et l'ensemble de ses frais sans prévoir expressément qu'elle englobe les pertes essuyées à l'occasion de la gestion du mandat ;

Que, partant, il ne peut être argué de l'existence de la clause ci-dessus rappelée pour échapper à l'obligation prévue par l'article 2000 du code civil ;

Attendu ensuite que chacune des conventions stipulait expressément que chacune des parties pouvait y mettre fin à tout moment moyennant un préavis de trois mois signifiés à l'autre partie par LRAR, sans pouvoir du fait de cette résiliation réclamer à l'autre partie une indemnité à quelque titre que ce soit ;

Que cette clause interdit à Me CAPEL de former toute réclamation indemnitaire au titre du premier contrat, effectivement résilié d'un commun accord ;

Qu'en l'absence de texte spécifique applicable à l'époque concernant la poursuite des contrats en cours dans l'hypothèse du placement du mandataire en liquidation judiciaire, il convient, par analogie, de se référer aux dispositions applicables en cas de redressement judiciaire, telles que résultant de l'article L 621-28 ancien du code de commerce, lequel conditionne la résiliation de plein droit des dits contrats à l'envoi par l'administrateur (ou le liquidateur) d'une mise en demeure préalable restée sans réponse ;

Qu'une telle formalité n'a pas été accomplie en l'espèce, de sorte que le placement de la société JCL REIMS en liquidation judiciaire n'a pas eu pour effet automatique de mettre fin à la convention la liant à EUROTEXTILE devenue SAS BABOU ;

Qu'il en résulte que cette dernière, nouvellement dénommée SAS BABOU, est bien tenue d'indemniser la société liquidée pour les pertes enregistrées entre le 1er janvier et le 11 avril 1997 ;

Attendu que l'absence de décompte détaillé produit par Me CAPEL n'exonère pas la juridiction de son obligation de statuer sur le montant à revenir à cette dernière ;

Qu'il convient de rechercher le montant à revenir à la demanderesse en paiement ;

Que l'état de la vérification du passif fait permet de retenir incontestablement les créances suivantes :

- créance CGIS : 40 000 F

- créance ORGANIC de REIMS : 4 985F

- créance ORGANIC de POITIERS (premier trimestre 1997) : 3 180F

- créance Recette des Impôts de REIMS -NORD :133 267F

- créance URSSAF de la Marne : 154 168F

- créance URSSAF de la Vienne : 55 074F

- créance salariale au prorata du nombre de mois d'exercice du mandat JCL REIMS : 35 415F

soit un total en francs de 426 089 francs, soit 64 956,85€, au paiement duquel la société BABOU sera condamnée ;

Attendu que ne peuvent entrer dans ce décompte les créances chirographaires, dont Me CAPEL soutient qu'elle a procédé à leur vérification, mais ne produit qu'un état des créances non définitives (pièce 14 pourtant annoncée comme constituant un état de vérification du passif chirographaire) ;

Attendu que la SAS BABOU, partie succombante, supportera la charge des entiers dépens de l'instance, sans qu'aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement,

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de POITIERS en date du 2 décembre 2008,

Condamne la SAS BABOU à payer à Me Marie-Laëtitia CAPEL, ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL JCL REIMS la somme de 64 956,85€ ;

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS BABOU aux entiers dépens de l'instance et admet pour le recouvrement de ceux d'appel la SCP THOMA DELAVEAU GAUDEAUX, avoués, au bénéfice de l'article 699 du code précité.