Cass. 2e civ., 13 avril 2023, n° 21-14.540
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteur :
Mme Latreille
Avocat général :
M. Adida-Canac
Avocats :
Me Goldman, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 janvier 2021), sur le fondement d'un acte de prêt notarié du 25 juin 2008, ayant pour monnaie de compte le franc suisse et pour monnaie de paiement l'euro, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a délivré, le 11 octobre 2013, à M. [M] un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.
2. Par jugement d'orientation du 10 juillet 2014, un juge de l'exécution a fixé le montant de la créance du poursuivant à une certaine somme, et ordonné la vente forcée.
3. Après avoir perçu une somme le 19 octobre 2015 à la suite de la vente du bien, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie-attribution sur les comptes de M. [M] à fin de paiement du solde du prêt, mesure que M. [M] a contestée devant un juge de l'exécution.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir constater la prescription de la créance de la banque et de dire que la saisie-attribution pratiquée à son préjudice à la requête de la banque le 4 septembre 2018 entre les mains de la Banque postale produira son plein et entier effet à concurrence de la somme de 39 459,82 euros en principal, intérêts alors « que l'effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation, consécutive à un commandement valant saisie immobilière, produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance introduite par cette assignation, laquelle résulte, lorsqu'il n'existe qu'un seul créancier et en l'absence de contestation, du jugement d'adjudication ; que la cour d'appel qui, en présence de la BNP pour seul créancier inscrit et en l'absence de contestation relative au versement du prix, a retenu, pour écarter la prescription de sa créance, que le délai biennal de prescription, qui avait été interrompu par l'assignation à l'audience d'orientation, avait recommencé à courir pour deux ans à compter du versement du prix à la banque le 19 octobre 2015, a violé les articles 2242 du code civil et R. 332-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
5. En application de l'article 2244 du code civil, le commandement valant saisie immobilière interrompt le délai de prescription.
6. L'assignation à l'audience d'orientation interrompt ensuite le délai de prescription par application de l'article 2241 du code précité, et, en application de l'article 2242, cette interruption produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance de la procédure de saisie immobilière.
7. Or, la saisie immobilière et la distribution du prix constituent les deux phases d'une même procédure.
8. Dès lors, l'instance engagée par la saisine du juge de l'exécution à l'audience d'orientation ne s'éteint que lorsque ce dernier ne peut plus être saisi d'une contestation à l'occasion de la saisie immobilière.
9. Lorsqu'il n'y a qu'un seul créancier, le débiteur peut, en application des articles R. 311-5 et R. 332-1 du code des procédures civiles d'exécution, contester le paiement dans le délai de quinze jours à compter de la notification qui lui en est faite.
10. Il résulte de ce qui précède que l'effet interruptif de prescription d'une instance de saisie immobilière, qui n'a pas pour terme le jugement d'adjudication, se poursuit, lorsqu'il n'y a qu'un seul créancier répondant aux critères de l'article L. 331-1 du code des procédures civiles d'exécution, jusqu'à l'expiration du délai de quinze jours suivant la notification du paiement ou, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision tranchant la contestation formée dans ce délai.
11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes et de dire que la saisie-attribution pratiquée à son préjudice à la requête de la banque le 4 septembre 2018 produira son plein et entier effet à concurrence de la somme de 39 459,82 euros en principal, intérêts, alors « que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; que bien qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, la cour d'appel qui, nonobstant l'absence d'appel incident sur ce point, s'est abstenue de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen, contestée par la défense
13. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est incompatible avec la thèse soutenue par M. [M] devant la cour d'appel, selon laquelle les poursuites n'étaient pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l'autorité de la chose jugée, s'étant substitué au contrat.
14. Cependant, le moyen, en ce qu'il invoque l'obligation pour le juge d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle, est né de la décision attaquée.
15. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :
16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
17. Aux termes du second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
18. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
19. Le moyen conduit la chambre à s'interroger sur l'office du juge de l'exécution en matière de clauses abusives.
20. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).
21. Ensuite, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national, régulièrement saisi par le consommateur, d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).
22. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé les contours de cet office tel qu'il s'impose au juge national en retenant que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation nationale qui n'autorise pas une juridiction nationale, agissant d'office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l'égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l'objet d'une procédure d'exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d'une procédure subséquente en vue d'obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l'application de clauses abusives (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco).
23. Il résulte de ce qui précède que, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d'un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen, et pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif.
24. Or, en matière de contrat de prêt libellé en devise étrangère, par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :
- l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;
- l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
25. C'est à ce titre, sur le fondement de cet arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne , que la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600).
26. Après avoir rejeté l'exception de nullité de la saisie attribution et la fin de non-recevoir prise de la prescription de la créance, l'arrêt, sans examiner le caractère abusif des clauses du prêt libellé en devises étrangères, retient que la saisie attribution est justifiée dans son quantum.
27. En statuant ainsi, alors que, disposant des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, il lui appartenait d'examiner d'office si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement en tant qu'il a débouté M. [M] de sa demande tendant à la prescription de la créance, l'arrêt rendu le 7 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.