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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 28 juin 2007, n° 07/00975

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Alsaid

Défendeur :

M. Lebatard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avoués :

SCP Tetelin Marguet et De Surirey, SCP Selosse Bouvet et Andre

Avocats :

SCP Courtin Ruol, SCP Guiraud - Ziberlin - Boquet

TGI Laon, du 22 fév. 2007

22 février 2007

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte sous seing privé du 1er octobre 1998, les Docteurs ALSAÏD et LEBÂTARD ont constitué une société civile de moyens dénommée 'Le Centre d'Imagerie Médicale' (ci-après abrégé 'C.I.M.'), et dont le siège social était situé aux Antilles.

Pour financer l'acquisition de matériel médical, la société C.I.M. a souscrit auprès de FRANFINANCE un prêt et divers crédits-baux, avec les cautions personnelles des Docteurs LEBÂTARD et ALSAÏD.

A la suite d'un différend, ces deux praticiens ont poursuivi leurs activités professionnelles séparément.

Par jugement du 17 janvier 2006, le tribunal de grande instance de Laon a :

- condamné solidairement Messieurs ALSAÏD et LEBÂTARD, en leur qualité de cautions, à payer à FRANFINANCE diverses sommes au titre des contrats souscrits par la société C.I.M. ;

- donné acte de ce qu'un acompte de 96 550,99 euros avait été réglé par Monsieur LEBÂTARD entre les mains de la société FRANFINANCE le 5 juillet 2002 ;

- condamné Monsieur LEBÂTARD à garantir Monsieur ALSAÏD de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;

- assorti ces dispositions de l'exécution provisoire.

Se prévalant de ce jugement, Monsieur ALSAÏD a obtenu du Juge de l'exécution de Laon, par ordonnance sur requête du 13 décembre 2006, l'autorisation :

- de pratiquer saisie - conservatoire sur les créances que détient ou que détiendra le Docteur LEBÂTARD, ainsi que sur tous les comptes détenus pour lui par des tiers ;

- de pratiquer saisie - conservatoire sur tous les biens meubles appartenant au Docteur LEBÂTARD, détenus par celui-ci ou par des tiers, y compris dans un coffre-fort ;

- d'apposer les scellés sur le matériel médical appartenant à FRANFINANCE et exploité dans les locaux de la S.C.I. LUMEX, à Saint-Martin ;

- de pratiquer saisie - conservatoire sur les parts des S.C.I. LA GERBETTE et LUMEX, lesdites sociétés ayant comme porteurs de parts Madame LEBÂTARD COUTANT et le fils de cette dernière ;

- de pratiquer saisie - conservatoire sur les parts de la S.E.L.A.R.L. (') ayant son siège social au [...].

L'ordonnance précisait que les saisies conservatoires s'exerceraient dans la limite de 945 657,90 euros.

C'est sur le fondement de cette ordonnance que le 30 janvier 2007, différentes mesures de saisie conservatoire ont été mises en place.

Par exploit du 10 février 2007, Monsieur LEBÂTARD a fait assigner Monsieur ALSAÏD devant le Juge de l'exécution de Laon afin de voir :

- par rétractation, déclarer nulle l'ordonnance du 13 décembre 2006, au motif que le juge de l'exécution de Saint-Martin serait seul compétent ;

- déclarer nulle l'apposition de scellées à titre conservatoire pratiquée le 30 janvier 2007, faute d'être prévue par de quelconques dispositions légales ou réglementaires ;

- ordonner la mainlevée de l'ensemble des mesures conservatoires pratiquées au visa de l'ordonnance du 13 décembre 2006 ;

- dire que les frais de mainlevée et de tous actes nécessaire à celle-ci seront à la charge du saisissant ;

- prononcer une astreinte de 100 euros par jour de retard à la mainlevée, à compter du jugement ;

- condamner le défendeur, outre aux dépens, à payer 15 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 22 février 2007, le Juge de l'exécution a :

-rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée tirée par Monsieur ALSAÏD d'un défaut de mention de la véritable adresse du défendeur ;

- rétracté l'ordonnance du 13 décembre 2006, au motif qu'il n'était pas territorialement compétent pour autoriser sur requête les mesures conservatoires litigieuses ;

- ordonné la mainlevée immédiate, et sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, de l'ensemble des mesures conservatoires pratiquées en application de l'ordonnance du 13 décembre 2006 ;

- dit que les frais de mainlevée ainsi que les actes et formalités subséquents seraient laissés à la charge du saisissant ;

- débouté Monsieur LEBÂTARD de ses demandes de dommages-intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- condamné Monsieur ALSAÏD aux dépens.

Suivant déclaration reçue au greffe de la Cour le 26 février suivant, Monsieur ALSAÏD a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, il demande à la juridiction de céans de débouter Monsieur LEBÂTARD de l'intégralité de ses demandes et de le condamner, outre aux dépens, à lui payer 1 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il soutient, comme en première instance, que l'assignation en rétractation de l'ordonnance sur requête délivrée le 10 février 2007 est nulle, en ce que Monsieur LEBÂTARD s'y domicilie à l'adresse de son cabinet médical, alors qu'il n'y dispose d'aucun logement et qu'il a fixé sa résidence sur la partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin.

Il fait valoir par ailleurs que depuis 2002, son confrère exploite un centre d'imagerie médicale avec le matériel de la société FRANFINANCE sans qu'il ait réglé à celle-ci le coût de ce matériel ; qu'il organise par ailleurs son insolvabilité sur le territoire métropolitain ; qu'il procède de même à Saint-Martin puisque sa résidence se trouve dans la partie néerlandaise de l'île et qu'il y transfère ses avoirs, ce qui rend impossible toute mesure d'exécution ; et que les scellées, qui rendent indisponible le matériel saisi, sont licites, puisque telle est la finalité de la saisie conservatoire , comme l'énoncent les articles 91 et 221 du décret du 31 juillet 1992.

Monsieur LEBÂTARD demande pour sa part à la Cour de déclarer l'appel sans objet.

Il fait valoir que ce n'est que le 3 avril 2007 que Monsieur ALSAÏD l'a fait assigner à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre, afin de voir déclarer nulles, sur le fondement de l'article 1167 du Code civil, certaines cessions et ventes immobilières, et que les mesures conservatoires intervenues le 30 janvier 2007 seraient ainsi caduques - ce à quoi l'appelant objecte qu'une instance aux fins d'obtention d'un titre exécutoire est actuellement pendante devant la juridiction de céans, puisque celle-ci est saisie de l'appel du jugement rendu le 17 janvier 2006 par le tribunal de grande instance de Laon.

Il ajoute que le 27 février 2007, il a été donné mainlevée des différentes saisies conservatoires, ainsi que de la mise sous scellées du matériel médical.

L'intimé conclut, 'en toutes hypothèses', à la confirmation du jugement, mais réclame toujours 3 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Rappelant qu'aux termes de l'article 211 du décret du 31 juillet 1992, le juge de l'exécution du lieu où réside le débiteur a compétence exclusive pour autoriser une mesure conservatoire , il soutient qu'il réside bien à [...], et que c'est d'ailleurs à cette adresse que Monsieur ALSAÏD l'a domicilié dans toutes ses procédures.

Il continue par ailleurs à soutenir que l'huissier ne pouvait placer sous scellées le matériel médical alors que ni la loi du 9 juillet 1991, ni le décret pris pour son application ne le permettent.

Enfin, il fait valoir que Monsieur ALSAÏD ne justifie pas d'une créance certaine, liquide et exigible, et notamment pas de poursuites exercées à son encontre par FRANFINANCE pour recouvrer sa propre créance.

Pour un plus ample rappel des faits de l'espèce, ainsi que de l'argumentation des parties, on se reportera, au besoin, à leurs dernières conclusions, déposées le 2 mai 2007, soit le jour de la clôture (les conseils des parties ont cependant indiqué à l'audience que cela ne posait pas de difficultés quant au respect du contradictoire).

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le caractère prétendument sans objet de l'appel

Le moyen tiré de ce que le présent appel serait devenu sans objet au motif qu'il a été donné mainlevée des diverses mesures conservatoires le 27 février 2007 est particulièrement spécieux.

Car ce faisant, Monsieur ALSAÏD n'a fait que se conformer au jugement entrepris, dont on rappellera qu'il est exécutoire par provision nonobstant appel.

Le moyen tiré d'une prétendue caducité des mesures conservatoires n'est pas plus pertinent.

En effet, ces mesures ont été diligentées sur le fondement d'un titre exécutoire, à savoir le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Laon le 17 janvier 2006, frappé d'un appel également pendant devant la Cour, mais assorti de l'exécution provisoire.

La caducité prévue à l'article 70 de la loi du 9 juillet 1991 ne trouve donc pas à s'appliquer en l'espèce.

En conséquence, il n'y a pas lieu de déclarer le présent appel sans objet.

Sur la validité de l'assignation délivrée le 10 février 2007

L'article 648 du nouveau Code de procédure civile dispose que tout acte d'huissier de justice doit mentionner, à peine de nullité, le domicile du requérant lorsque celui-ci est une personne physique.

L'article 102 du Code civil dispose que 'le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement'.

A la lumière de ce texte, l'indication par le requérant-personne physique de son adresse professionnelle ne saurait être assimilée à celle de son domicile. Il suffit pour s'en convaincre de se reporter à l'article 103 du Code civil (qui dispose que 'le changement de domicile s'opérera par le fait d'une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l'intention d'y fixer son principal établissement'), ce texte assimilant le domicile de la personne physique à une résidence effective.

Evidemment, c'est à la partie qui conteste la réalité du domicile allégué d'en rapporter la preuve.

L'assignation du 10 février 2007 mentionne Monsieur LEBÂTARD comme 'demeurant [...].

Il est établi par un extrait des 'Pages Jaunes' versé aux débats que cette adresse correspond à celle du cabinet d'imagerie médicale.

D'autres pièces (plans des lieux, attestations du Docteur BARTOLI et de Monsieur DE REU, manipulateur en radiologie) tendent à démontrer que ces locaux ne comportent aucun logement, et se situent dans un immeuble à usage de bureaux.

Toutefois, les cartes d'électeurs de Monsieur et Madame LEBÂTARD et un avis d'imposition sur les revenus 2005 édité au nom des deux époux mentionnent la même adresse.

En outre, aucune pièce ne vient accréditer les allégations de Monsieur ALSAÏD selon lesquelles Monsieur LEBÂTARD serait domicilié dans la partie néerlandaise de l'île.

Aussi, dans le doute, le moyen tiré de la fausseté du domicile ne saurait être accueilli.

D'ailleurs, quand bien même le caractère fallacieux de l'adresse déclarée serait-il établi que Monsieur ALSAÏD devrait encore, s'agissant d'un vice de forme, établir l'existence d'un grief.

Or, bien que le premier juge le lui ait déjà fait remarquer, Monsieur ALSAÏD ne rapporte pas cette preuve, ni même ne s'en explique dans ses conclusions d'appel (étant observé que l'article 954 du nouveau code de procédure civile sont applicables à l'appel des jugements du juge de l'exécution).

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'assignation délivrée le 10 février 2007.

Sur la mainlevée des mesures conservatoires

Compte tenu de ce qui précède, mais aussi de l'absence de démonstration de ce que Monsieur LEBÂTARD résiderait à l'étranger, est pleinement applicable au cas d'espèce la disposition de l'article 211 du décret du 31 juillet 1992 aux termes de laquelle 'le juge compétent pour autoriser une mesure conservatoire est le juge de l'exécution du lieu où demeure le débiteur'.

Il en résulte que le juge de l'exécution de Laon n'était pas compétent pour autoriser les mesures conservatoires litigieuses.

Aussi le jugement sera-t-il confirmé en ce qu'il a ordonné la rétractation de l'ordonnance du 13 décembre 2006, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens.

Sur des dommages-intérêts

Les principales dispositions du jugement entrepris étant confirmées, Monsieur ALSAÏD est mal fondé en sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Mais il convient également de débouter Monsieur LEBÂTARD de la demande de dommages-intérêts qu'il a présentée sur le même fondement, le simple échec de Monsieur ALSAÏD à convaincre le Juge de l'exécution, puis la Cour, du bien fondé de ses prétentions, ne suffisant pas à démontrer l'intention de nuire, ou la légèreté blâmable équipollente au dol qui caractérise l'abus du droit d'ester.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Monsieur ALSAÏD, qui succombe sur l'essentiel du litige, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, conformément au principe posé par l'article 696 du nouveau Code de procédure civile, auquel aucune considération d'équité ne commande de déroger en l'espèce.

Pour les mêmes motifs, il sera débouté de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mais il n'apparaît pas inéquitable de débouter également Monsieur LEBÂTARD de la demande qu'il a présentée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes d'indemnités au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Dit n'y avoir lieu de condamner Monsieur ALSAÏD à des dommages-intérêts pour appel abusif ;

Le condamne cependant aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application au profit de la S.C.P. SELOSSE-BOUVET & ANDRÉ du droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.