CA Chambéry, 2e ch., 30 juin 2022, n° 21/01798
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Caullireau-Forel
Conseillers :
M. Gauvin, Mme Lavergne
Avocats :
Selarl Lexavoue Grenoble - Chambery, Selarl Alcyon
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon devis accepté le 18 novembre 2016, M. [E] [K] a confié à l'entreprise Kacemi Constructions la réalisation de travaux de rénovation d'une maison d'habitation dont il est propriétaire à Saint Béron (73520), pour un montant global de 146 486,36 euros HT, dont 47 236,36 euros au titre des travaux de couverture ainsi désignés : 'ensemble charpente suivant plans charpente traditionnelle, y compris ensemble de poutre, chevron, volige, sous-face isolation...couverture et tuile suivant (permis de construire)'.
La somme de 47 236,36 euros, majorée de la TVA, a été intégralement payée par M. [K], l'entreprise Kacemi Constructions ayant émis une facture d'acompte le 6 novembre 2016, puis au fur et à mesure de l'exécution des travaux, trois factures datées du 7 décembre 2016, 11 janvier 2017 et 9 mars 2017, factures qui ont été réglées le 30 novembre 2016, le 22 décembre 2016, le 3 février 2017 et le 9 mars 2017.
Les tuiles mises en oeuvres par l'entreprise Kacemi Constructions sur le toit de la maison de M. [K] ont été achetées auprès de la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports, qui indique qu'elles ne lui ont pas été payées.
Par courrier du 26 avril 2017, la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports a demandé à M. [K] le règlement de 5 factures impayées émises le dernier jour des mois d'août 2016, décembre 2016, janvier, février et mars 2017, d'un montant global de 21 332,23 euros, correspondant pour partie à des tuiles.
Par courrier du 8 juin 2017, M. [K] a répondu à la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports que s'il avait contracté avec une entreprise générale qui s'était fournie auprès d'elle, cela ne le rendait pas débiteur à son égard du prix des dites fournitures, quand bien même il avait, en janvier 2017, accepté ponctuellement, à la demande de cette entreprise, de payer une facture émise sous le n°21611386, à hauteur de 11 575,63 euros.
Le 15 septembre 2020, Me [X], huissier de justice à Pont de Beauvoisin (38), mandaté par la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports, adressait à M. [K] une mise en demeure de payer la somme de 21 332,23 euros.
Le conseil de M. [K] répondait le 22 septembre 2020 que celui-ci n'était pas débiteur à l'égard de la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports et soulevait en tout état de cause, la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation.
Le 26 avril 2021, la Selarl Juris 38 Montoya - Paysan - Nallet, huissier de justice mandatée par la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports, présentait au juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Chambéry une requête aux fins de saisie-revendication de 26 palettes de tuiles, sur lesquelles elle prétendait avoir un droit réel en vertu de la clause de réserve de propriété incluse dans ses conditions générales de vente.
Par ordonnance du 3 mai 2021, rendue au visa des articles L. 511-1 et R. 222-17 du code des procédures civiles d'exécution, la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports était autorisée à pratiquer une saisie-revendication sur 26 palettes de tuiles se trouvant chez M. [K], y compris dans les locaux d'habitation de M. [K] ou de tout autre détenteur.
Cette ordonnance a été signifiée à M. [K], par la SCP Céline Boursier, huissier de justice à Montmélian, par un acte du 20 juillet 2021 délivré à l'adresse de Saint-Béron, acte transformé en procès-verbal de recherches infructueuses conformément aux dispositions de l'article 659 du code de procédure civile.
La saisie-revendication a été pratiquée le 20 juillet 2021, par la SCP Céline Boursier, dans des circonstances très particulières puisque les tuiles mises en oeuvre sur le toit depuis plus de quatre ans, ont été déposées et remises sur des palettes, avant d'être emportées.
Cette saisie-revendication a été dénoncée à M. [K] par acte du 27 juillet 2021 délivré à son adresse dans le Var.
Après y avoir été autorisé, M. [K] a notamment fait assigner d'heure à heure, la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports, la Selarl Juris 38 Montoya - Paysan - Nallet et la SCP Céline Boursier, aux fins essentiellement d'obtenir la main-levée de la saisie-revendication.
Par jugement du 17 août 2021, exécutoire de droit par provision, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Chambéry a :
- rejeté la demande de la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports tendant à ce que l'assignation délivrée par M. [K] soit déclarée nulle,
- déclaré recevable l'action de M. [K],
- déclaré recevable la demande de mainlevée de la saisie-revendication autorisée par ordonnance du 3 mai 2021,
- ordonné la mainlevée de cette saisie-revendication,
en conséquence,
- condamné la Sarl R. Vial Matériaux Combustibles Transports à restituer à M. [K],
. 12 palettes de 384 tuiles arboise écaille chevreuse
. 13 palettes de 480 tuiles arboise écaille chevreuse
. 1 palette de 424 tuiles arboise écaille chevreuse
lesdites palettes étant portables à son domicile sis Relais des Moines des Bozons, 3063 route de Guiers 73520 Saint Béron, et ce sous astreinte provisoire de 100 euros par jour à l'issue d'un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision, en application de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné la Sarl R. Vial matériaux combustibles à payer à M. [K] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la Sarl R. Vial matériaux combustibles, la Selarl Juris 38 Montoya-Paysan-Nallet et la SCP Céline Boursier de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl R. Vial matériaux combustibles aux entiers dépens de l'instance,
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
Par déclaration du 8 septembre 2021, la SARL R.Vial matériaux combustibles transports a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 12 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, la SARL R.Vial matériaux combustibles transports demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel ,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
statuant à nouveau,
- déclarer irrecevable la demande de mainlevée de la saisie-revendication présentée par M. [K],
- subsidiairement, déclarer mal fondée cette demande,
- en tout état de cause,
. débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes,
. condamner M. [K] à lui payer la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 8 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, M. [K] demande à la cour de :
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré,
- débouter la Sarl R. Vial matériaux combustibles de l'ensemble de ses demandes et prétentions formées à son encontre,
- condamner la Sarl R. Vial matériaux combustibles à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 avril 2022 .
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient d'observer qu'aucun des deux huissiers de justice ne sont parties à l'instance en cause d' appel et que la disposition du jugement déféré ayant rejeté les demandes qu'ils avaient présentées en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile n'est pas déférée à la cour .
Sur la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de M. [K]
La Sarl R. Vial matériaux combustibles soutient que M. [K] ne peut pas revendiquer être propriétaire des tuiles puisqu'il prétend ne pas les lui avoir achetées et que le contrat qu'il avait conclu avec l'entreprise Kacemi Constructions était un 'contrat de prestation de travaux' ou de 'prestations de construction' et 'nullement un contrat de fourniture de matériaux'.
Il convient de rappeler les dispositions de l'article 1787 du code civil selon lesquelles Lorsqu'on charge quelqu'un de faire un ouvrage, on peut convenir qu'il fournira seulement son travail ou son industrie, ou bien qu'il fournira aussi la matière.
En l'espèce, il ressort clairement des termes du devis accepté le 18 novembre 2016 par M. [K] que l'entreprise Kacemi Constructions ne fournissait pas que son travail et son industrie mais également la matière, soit notamment les tuiles litigieuses.
Ce contrat ayant été, du moins en ce qui concerne la toiture, intégralement exécuté par les deux parties, M. [K] est fondé à soutenir qu'il est devenu propriétaire des tuiles mises en oeuvre sur son toit par l'entreprise Kacemi Constructions.
En toute hypothèse, dès lors que la mesure exécutée le 20 juillet 2021 a eu pour effet de découvrir la toiture de la maison dont M. [K] est propriétaire à Saint-Béron, alors que les tuiles notamment de rives et faîtières étaient fixées à la structure de la maison et que l'enlèvement des tuiles a endommagé notamment le pare-pluie installé sur la charpente, il justifie amplement d'un intérêt à agir.
Sur la validité de la saisie-revendication
L'article L. 222-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que Toute personne apparemment fondée à requérir la délivrance ou la restitution d'un bien meuble corporel peut, en attendant sa remise, le rendre indisponible au moyen d'une saisie-revendication.
Selon l'article R. 222-17 du même code, sauf dans les cas prévus par l'article L. 511-2, la saisie-revendication ne peut être pratiquée que sur autorisation préalable du juge de l'exécution délivrée sur requête. Et aux termes de l'article R. 222-18, la validité de la saisie-revendication est soumise aux conditions édictées pour les mesures conservatoires par les articles R. 511-2, R. 511-3 et R. 511-5 à R. 511-8.
Il résulte de ces dispositions que la saisie-revendication est une mesure conservatoire.
Pour justifier de ce qu'elle est apparemment fondée à requérir la remise des tuiles litigieuses, la Sarl R. Vial matériaux combustibles invoque la clause de réserve de propriété mentionnée dans ses conditions générales de vente.
Conformément à l'article 2367 du code civil, la propriété réservée est l'accessoire d'une créance dont elle garantit le paiement.
En conséquence, en l'espèce, la Sarl R. Vial matériaux combustibles ne peut opposer la clause de réserve de propriété qu'à la personne qui a acheté les tuiles et qui les lui doit. Elle ne conteste ni que les tuiles ont été achetées par le représentant de l'entreprise Kacemi Constructions, ni qu'elles lui ont été livrées sur le chantier de rénovation de la maison de M. [K]. Mais elle soutient que celui-ci était le mandataire de M. [K]. Or, le contrat liant M. [K] à l'entreprise Kacemi Constructions n'est pas un mandat mais un contrat de louage d'ouvrage portant non seulement sur l'industrie et le travail de l'entrepreneur mais également sur les matériaux qu'il a mis en oeuvre, étant observé que l'émission des factures au nom de M. [K] et le paiement par celui-ci de la facture émise le 28 novembre 2016 ne sont pas suffisants à établir l'existence d'une relation contractuelle entre les parties à l'instance.
Selon l'article 2370 du même code, l'incorporation d'un meuble faisant l'objet d'une réserve de propriété à un autre bien ne fait pas obstacle aux droits du créancier lorsque ces biens peuvent être séparés sans subir de dommage.
En l'espèce, il convient de rappeler, ainsi que l'a déjà fait le premier juge, que l'ordonnance du 3 mai 2021 autorisait la saisie-revendication de palettes de tuiles, c'est à dire de tuiles se trouvant encore sur des palettes et non encore mises en oeuvre.
Par ailleurs, il suffit de lire le constat que M. [K] a fait établir le 23 juillet 2021 par un huissier de justice que la mesure exécutée n'a pas seulement consisté à déposer des tuiles mais à démonter la couverture du toit, ce qui a causé des dommages au pare-pluie installé sur la charpente.
Enfin, selon l'article 2372 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, le droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l'égard du sous-acquéreur.
En conséquence, en l'espèce, dès lors que les tuiles ont été achetées par l'entreprise Kacemi Constructions puis cédées à M. [K] en exécution du contrat de louage d'ouvrage du 18 novembre 2016, la clause de réserve de propriété n'avait plus pour objet les dites tuiles mais la créance de l'entreprise Kacemi Constructions à l'égard de M. [K], créance éteinte depuis le 9 mars 2017.
Il résulte de tout ce qui précède que la Sarl R. Vial matériaux combustibles n'était pas apparemment fondée à pratiquer une saisie-revendication des tuiles litigieuses.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- ordonné la main-levée de la saisie-revendication contestée,
- condamné la Sarl R. Vial matériaux combustibles à restituer à M. [K] des tuiles en même quantité, même qualité et même caractéristiques que celles enlevées, sous astreinte de 100 euros par jour ; il convient toutefois :
. d'une part, de modifier le point de départ de l'astreinte en le fixant à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt,
. d'autre part, de la limiter dans le temps à une durée de quatre mois.
Sur la demande indemnitaire de la Sarl R. Vial matériaux combustibles
Dans la mesure où il a été fait droit à sa demande de main-levée de la saisie-revendication tant en première instance qu'en cause d' appel , il ne peut pas être reproché à M. [K] d'avoir commis un abus de droit.
La demande indemnitaire de l'appelante ne peut donc qu'être rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions du présent jugement ayant statué sur ces deux points méritent d'être confirmées.
Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d' appel doivent être supportés par la Sarl R. Vial matériaux combustibles, qui succombe en son recours.
Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies en cause d' appel qu'au profit de M. [K]. Il lui sera alloué une somme de 3 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a été contraint d'exposer devant la cour .
PAR CES MOTIFS
La cour , après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme toutes les dispositions critiquées du jugement déféré,
sauf à :
- fixer le point de départ de l'astreinte assortissant la condamnation de la SARL R.Vial matériaux combustibles à restituer à M. [E] [K], les mêmes quantité et qualité de tuiles que celles enlevées, à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt,
- dire que cette astreinte ne courra que durant quatre mois,
Ajoutant au jugement déféré,
Déboute la Sarl R. Vial matériaux combustibles de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,
Condamne la Sarl R. Vial matériaux combustibles :
- aux dépens d' appel,
- à payer à M. [E] [K] la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d' appel.