CA Bordeaux, 5e ch. civ., 4 décembre 2013, n° 13/3555
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Mme Marci
Défendeur :
Chantier Naval Couach (SAS), SCP Silvestri & Baujet, SCP Valliot-Le Guerneve-Abitbol
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Miori
Conseillers :
M. Ors, Mme Sallabberry
Avocats :
Me Maysounabe, Me Bezzina, Me Leconte, Me Favarel-Veidig
OBJET DU LITIGE ET PROCÉDURE
Mme Georges Marci a fait l'acquisition d'un navire Yacht Couach 2300 Fly au prix de 2.700.000 € HT, la livraison du navire était prévue en juillet 2012, la SAS Chantier Naval Couach (la société Couach) reprenant à Mme Georges Marci son navire d'occasion, le Shanghai Belle III au prix de 1.000.000 €.
Le 17 juillet 2012, la société Couach a émis une facture N° 1207231 de 3.302.466,96 € TTC avec mention de la reprise du Shanghai Belle III au prix de 1.000.000 €.
Le 19 juillet 2012, les parties ont établi un protocole d'accord aux termes duquel notamment, la date de livraison du navire est reportée au 25 août 2012, convenant également d'une liste de travaux complémentaires à réaliser par la société Couach.
Par jugement du 25 juillet 2012, la société Couach a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde. La SCP Silvestri-Baujet a été désignée en qualité de mandataire judiciaire et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol a été désignée en qualité d'administrateur judiciaire.
A défaut de livraison du navire dans les délais prévus, Mme Marci a fait citer, par acte en date du 21 décembre 2012, la société Couach, la SCP Silvestri -Baujet et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol ès qualités, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux, afin d'obtenir leur condamnation à lui livrer le navire Shangai Belle IV, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, la fixation de sa créance aux sommes de 150.000 € correspondant aux pénalités de retard, et la somme de 100.000 € au titre du préjudice de jouissance.
Par ordonnance en date du 31 décembre 2012 le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux a notamment, condamné la société Couach à livrer le navire Shanghai Belle IV à Mme Georges Marci, condamné Mme Georges Marci à livrer le navire Shanghai Belle III à la société Couach, en précisant que ces opérations se feront simultanément et sous astreinte de 1.000 € à la charge de chacune des parties à compter du 30ème jour de la signification de l'ordonnance, et ce pendant un mois, le juge des référés s'est en outre réservé le droit de liquider l'astreinte.
Par ordonnance de référé du 7 mars 2013 le premier président de la cour d'appel de Bordeaux a débouté la société Couach, la SCP Silvestri -Baujet et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol ès qualités de leur demande d'arrêt de l' exécution provisoire de l'ordonnance sus-visée.
Par ordonnance sur requête rendue le 11 avril 2013, à la demande de Mme Georges Marci, le président du tribunal de commerce de Bordeaux, a autorisé celle-ci à procéder à la saisie-revendication du navire dénommé Shanghai Belle IV, amarré dans le Var, dans un chantier naval dénommé SAS Port Pin Rolland.
Par ordonnance sur requête rendue le 2 mai 2013, à la demande de la société Couach, de la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol en qualité de commissaire à l' exécution du plan de la société Couach, et de la SCP Silvestri-Baujet mandataire judiciaire de ladite société, celles-ci ont été autorisées à assigner Madame Georges Marci en mainlevée de la saisie, selon procédure de référé d'heure à heure en vue de l'audience du 7 mai 2013.
Par acte d'huissier en date du 3 mai 2013, la société Couach, la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet ont assigné Madame Marci devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir la mainlevée de la saisie.
Par ordonnance en date du 21 mai 2013, le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux a :
- Rejeté l'exception de nullité de l'assignation délivrée par la société Couach et l'a dite recevable,
- Rétracté l'ordonnance du 11 avril 2013 et ordonné la mainlevée de la saisie revendication pratiquée sur le navire dénommé Shanghai Belle IV,
- Condamné Madame George Marci à payer à la société Couach la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la société Couach, la SCP Valliot - Le Guerve- Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet de leurs autres demandes,
- Condamné Madame Georges Marci aux dépens.
Par déclaration en date du 7 juin 2013 Madame Marci a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 25 juin 2013, le Premier Président de la Cour d'appel de Bordeaux a autorisé Mme Marci à assigner la société Couach, la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet pour l'audience du 23 octobre 2013 de la cinquième chambre de la Cour d'appel de Bordeaux.
Par acte en date du 12 juillet 2013, déposé au greffe le 16 juillet 2013 Madame Marci a délivré son assignation à la société Couach, à la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et à la SCP Silvestri-Baujet devant la Cour de céans.
Dans ses dernières conclusions déposées le 22 octobre 2013 Mme Georges Marci demande à la cour de :
- Valider la saisie-revendication ordonnée par ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 12 avril 2013
- Débouter la société Couach de toutes ses demandes et conclusions
- Réformer l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 21 mai 2013
- Condamner la société Couach, les SCP Silvestri-Baujet et Valliot-Le Guerve-Abitbol à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 23 octobre 2013, la société Couach, la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet demandent à la cour de :
- Déclarer irrégulière et nulle la procédure de saisie revendication du navire Shanghaï Belle IV introduite par Mme Marci, en contravention avec le droit positif français de la saisie des navires qui ne prévoit pas la faculté de pratiquer une saisie revendication de navire tant en droit interne qu'en droit international :
* constater en conséquence que la saisie revendication d'un navire constitue un droit à une action qui n'existe pas selon le droit français,
* constater qu'en vertu des articles L.5114-20 et suivants du Code des transports, un navire n'est susceptible que de faire l'objet d'une saisie conservatoire ou d'une saisie exécution , mais pas d'une procédure de saisie revendication
- Confirmer par substitution de motifs l'ordonnance rendue le 21 mai 2013 par le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux,
- Débouter Mme Marci de toutes ses demandes fins et conclusions,
Y ajoutant,
- Condamner Mme Marci à payer à la société Chantier Naval Couach-CNC la somme de 50.000 € à titre de provision sur dommages intérêts pour procédure abusive,
- Condamner Madame Marci à payer à la société Chantier Naval Couach- CNC la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamner Madame Marci aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de la Société Lexavoue, sur ses offres de droit.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient d'ordonner la jonction des deux procédures enrôlées respectivement sous les numéros 13/3555 et 13/5060.
L'appel de Mme Marci et les défenses des intimées portent sur la question de la régularité et de la validité de la saisie-revendication pratiquée à la requête de Mme Marci et autorisée par ordonnance sur requête du 12 avril 2013 et ce au regard de moyens sur la nature de la mesure sollicitée et accordée, à savoir la possibilité de pratiquer une saisie revendication de navire compte tenu de la législation spéciale applicable aux mesures de saisies concernant les navires.
Il sera observé que dans leurs dernières écritures d'appel les intimées ont abandonné toute l'argumentation développée précédemment sur le non respect par Mme Marci des règles applicables en matière de procédure collective relativement à une voie d' exécution .
Mme Marci soutient que contrairement à ce qu'affirme la société Couach, la présente procédure s'inscrit dans un cadre juridique de droit commun puisqu'il s'agit d'un contrat de vente classique comprenant une obligation de faire. Selon elle la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ne saurait trouver application en l'espèce pas davantage que les articles L.5114-20 et suivants du Code des Transports. En outre, à ce jour l'absence de pavillon ne permet pas d'affirmer que le statut du navire le placerait sous un régime spécifique. Elle agit dans le cadre de l'inexécution d'une obligation de livraison par l'intimée qui relève du régime juridique du droit des contrats.
La société Couach, la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet font valoir que saisie-revendication est illicite au visa des dispositions des articles L 222-2 et R 222-17 à R 222-25 du Code des procédures civiles d' exécution , en raison de la spécificité du régime juridique du navire Shanghaï Belle IV, qui n'étant pas encore la propriété de Mme Marci, se trouve soumis aux dispositions de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 sur la saisie conservatoire des navires de mer et aux dispositions des articles L.5114-20 et suivants du Code des Transports.
Il ressort de pièces produites que par bon de commande non daté mais non contesté par les parties, Mme Marci a convenu avec la société Couach de l'acquisition d'un navire Yacht Couach 2300 Fly au prix de 2.700.000 € HT avec reprise de son navire d'occasion, le Shanghai Belle III au prix de 1.000.000 €, la livraison du navire neuf étant prévue en juillet 2012.
Des échanges réguliers ont eu lieu dans le courant du 1er semestre 2012, entre le constructeur de ce bateau sur mesure et la cliente, notamment le courrier du 1er juin 2012 émanant du président de la société, relativement aux choix du bois habillant l'intérieur du navire ainsi que la décoration de celui-ci, étant précisé que les parties entretenaient des relations commerciales anciennes Mme Marci faisant dans le cadre de ce contrat construire son 4ème navire Shanhgaï Belle par la société Couach.
Il est constant que ledit contrat conclu entre les parties constitue un accord sur la chose et sur le prix. Il est établi que Mme Marci a payé le prix convenu et a offert de livrer le Shanghaï Belle III en complément du prix conformément aux termes du contrat.
La société Couach ne conteste pas avoir reçu et encaissé le prix en numéraire, un différend persistant entre les parties contractantes sur les états respectifs des deux navires la livraison réciproque et concomittante des deux navires n'ayant pas eu lieu.
Contrairement à ce que soutiennent les intimées Mme Marci agit dans le cadre de la mesure de saisie-revendication en qualité de propriétaire du bateau bien meuble corporel et non en vertu d'une créance maritime, dès lors la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 sur la saisie conservatoire des navires de mer et les dispositions des articles L.5114-20 et suivants du Code des Transports ne sont pas applicables à l'espèce.
En effet l'action de Mme Marci est régie par les dispositions du droit commun des contrats et par celles des procédures civiles d' exécution , en conséquence les restrictions aux mesures conservatoires édictées par les dispositions spéciales précitées ne sont pas applicables, elle agit dans le cadre de l'obligation de délivrance incombant à son adversaire.
Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 11 avril 2013, ayant autorisé Mme Marci à procéder à la saisie-revendication du navire dénommé Shanghai Belle IV, amarré au chantier naval SAS Port Pin Rolland dans le Var.
En conséquence la saisie-revendication ayant été pratiquée en vertu de cette autorisation sera validée.
La société Couach, et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet ès qualité seront déboutées de toutes leurs demandes.
La décision entreprise sera donc infirmée dans toutes ses dispositions.
Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme Marci.
La société Couach, et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet ès qualité seront condamnées à supporter les entiers dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
la cour
- Ordonne la jonction des deux procédures enrôlées respectivement sous le 13/3555 et 13/5060
- Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions
Statuant à nouveau
- Déboute la société Couach, et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet ès qualités de toutes leurs demandes
- Dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 11 avril 2013
- Valide la saisie-revendication pratiquée en vertu de cette ordonnance
- Condamne la société Couach, et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet ès qualités à payer à Mme Marci la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne la société Couach, et la SCP Valliot-Le Guerve-Abitbol et la SCP Silvestri-Baujet ès qualité à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.