CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 23 novembre 2011, n° 08/24220
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
A. DISTRIBUTION FRANCE (SASU), CDISCOUNT (SA), SANCTUARY RECORDS GROUP (Sté), A. DISTRIBUTION Ltd (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur PIMOULLE
Conseillers :
Mme CHOKRON, Mme GABER
Vu l'appel interjeté le 23 décembre 2008 par Aston B. dit 'Aston Familyman B.' tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur de la succession de son frère décédé Carlton B., Tyrone D., Donald M. K. dit 'J. M.', David M., Judith Veronica M. dite 'Judy M.', Albert A. dit 'Al A.', Earl W. L. A. dit 'Earl W. L.' ou encore 'Earl W. L.', Glen DA C. dit 'Glen de C.', Alvin P. dit 'S. P.', du jugement réputé contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 12 octobre 2007 dans le litige les opposant à la société CDISCOUNT (SA), la société A. DISTRIBUTION FRANCE (SARL), la société de droit anglais A. DISTRIBUTION Ltd et la société, également de droit anglais, SANCTUARY RECORD GROUP Ltd ;
Vu les uniques conclusions des appelants signifiées le 23 avril 2009 ;
Vu les dernières écritures des sociétés intimées respectivement signifiées le 13 avril 2010 pour la société CDISCOUNT, le 21 septembre 2010 pour la société A. DISTRIBUTION FRANCE (transformée en société par actions simplifiée unipersonnelle), le 12 mai 2011 pour la société SANCTUARY RECORDS GROUP Ltd ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 13 septembre 2011 ;
Vu la note en délibéré déposée avec l'autorisation de la Cour le 29 septembre 2011 par Me T., avoué, aux termes de laquelle les appelants se désistent de toutes les demandes formulées à l'encontre de la société anglaise A. DISTRIBUTION Ltd, aujourd'hui dépourvue d'existence légale compte tenu de sa liquidation ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que les appelants, tous instrumentistes ou choristes au sein du groupe musical 'THE WAILERS'ayant accompagné dans ses concerts à travers le monde le chanteur Bob M. de 1977 à 1981, ont découvert en septembre 2003 l'offre en vente en France, sur les sites internet www.alapage.com , www.fnac.com et dans le magasin FNAC de Paris Saint-Lazare, d'un DVD intitulé 'BOB M. & THE WAILERS - The Legend Live -Santa Barbara County Bowl -25 novembre 1979'reproduisant, sous le label de la société SANCTUARY RECORDS GROUP Ltd, un enregistrement réalisé à leur insu de leur prestation à l'occasion d'un concert donné le 25 novembre 1979 à Santa-Barbara (Californie) ; qu'ils ont dans ces circonstances, au fondement de l'atteinte portée à leurs droits d'artistes-interprètes, engagé la présente instance à l'encontre de la société A. DISTRIBUTION FRANCE pour avoir commercialisé en France les DVD litigieux laquelle a assigné en intervention forcée et en garantie la société A. DISTRIBUTION Ltd, la société CDISCOUNT, fournisseur des sociétés A., et la société SANCTUARY RECORDS GROUP Ltd ; que le tribunal, par le jugement dont appel, a pour l'essentiel, retenu l'application de la loi française mais rejeté l'ensemble des demandes en relevant que les actes d'importation, de distribution et de commercialisation des vidéogrammes, incriminés par les demandeurs, constituaient des actes de mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage et que de tels actes, s'ils requièrent selon l'article L.215-1 du Code de la propriété intellectuelle l'autorisation du producteur de vidéogrammes, ne sauraient être regardés comme réalisant au sens de l'article L.212-3 de ce même Code, la communication au public de la prestation de l'artiste-interprète soumise à l'autorisation de ce dernier et que, par ailleurs, l'atteinte aux droits moraux de l'artiste-interprète n'était pas suffisamment caractérisée par les demandeurs ; que les appelants maintiennent devant la cour leurs prétentions telles que précédemment soumises aux premiers juges sauf à se désister purement et simplement à l'égard de la société, non constituée, A. DISTRIBUTION Ltd tandis que les intimés poursuivent principalement la confirmation du jugement déféré ;
Sur l'intervention volontaire de Alvin P. dit 'S. P.' :
Considérant que Alvin P., qui se prévaut, sans être sur ce point contredit, de sa participation au concert du 25 novembre 1979 à Santa-Barbara, fait grief au tribunal d'avoir écarté comme irrecevable son intervention volontaire à l'instance à titre principal et demande en toute hypothèse à être déclaré recevable à intervenir volontairement devant la Cour ;
Mais considérant que le tribunal ayant exactement relevé qu'aucun acte de constitution d'avocat pour Alvin P. n'avait rejoint la procédure et que les conclusions responsives, d'intervention volontaire et récapitulatives signifiées en date du 11 janvier 2007 par Me André B., avocat, dans l'intérêt des demandeurs à l'instance, énonçaient les mentions 'en présence de : Alvin 'Secco' P. intervenant volontaire' sans les faire suivre de l'identité et des coordonnées du conseil en charge de le représenter, ne pouvait déduire de ces éléments que Me André B., constitué pour les demandeurs à l'instance, l'était aussi pour la partie intervenante, et en a justement retenu que l'intervention volontaire à titre principal de Alvin S. était irrecevable au regard des dispositions de l'article 751 du Code de procédure civile d'où il résulte que la constitution d'avocat est obligatoire devant le tribunal de grande instance ;
Que force est d'observer que Alvin S. est représenté en cause d'appel par avoué et que les intimés ne contestent pas la recevabilité de son intervention à titre principal aux côtés des appelants ; qu'il sera en conséquence déclaré recevable à agir ;
Sur la qualité à agir de Aston B. pour son frère décédé Carlton B. :
Considérant que Aston B. demande à la Cour de le juger habilité à représenter la succession de son frère décédé en sa qualité d'administrateur de sa succession ;
Que force est de relever que le jugement entrepris ne s'est pas prononcé sur ce point ; et que les intimés ne discutent pas en cause d'appel la qualité de Aston B. à agir aux droits de son frère décédé Carlton B. ;
Considérant qu'il ressort en toute hypothèse d'une 'Lettre d'Administration' portant le cachet en date du 26 avril 2001 du greffe civil de la Cour suprême de Jamaïque, dont la valeur probante n'est pas critiquée, que l'administration de la succession de Carlton B., décédé le 17 avril 1987 sans laisser d'héritier, a été conférée par ladite Cour à Aston B. à charge pour ce dernier d'en rendre compte quand il sera requis par la loi de le faire ;
Et qu'il résulte de l''affidavit', toujours non contesté, du 'sollicitor' Laurence G., que la Cour suprême de Jamaïque, aux termes de la 'Lettre d'Administration' précédemment évoquée, a investi Aston B. du pouvoir d'administrer la succession ouverte au décès de Carlton B., et que l'administrateur de la succession est, selon la loi commune aux Etats du Commonwealth, dont fait partie la Jamaïque, seul habilité, à l'exclusion de toute autre personne, à agir en justice pour le compte de la succession ;
Que la recevabilité à agir de Aston B. aux droits de Carlton B. décédé doit être, au regard de l'ensemble de ces éléments, retenue ;
Sur le fond :
Considérant que les appelants soutiennent que l'importation, la distribution et la commercialisation en France, à compter de 2003, de vidéogrammes reproduisant, sans autorisation, l'enregistrement, non plus autorisé, de leur prestation pour le concert ' Bob M. & the WAILERS' donné le 25 novembre 2005 à Santa-Barbara, constituent des atteintes à leurs droits, patrimoniaux et moraux, d'artistes-interprètes tels que définis par la loi du 3 juillet 1985 dont ils revendiquent le bénéfice ;
Qu'ils font à cet égard grief :
- à la société SANCTUARY RECORDS GROUP, d'avoir de 2003 à 2009 exporté les DVD litigieux de la Grande-Bretagne, où elle les a fabriqués en 2002-2003, vers la France où elle a approvisionné non seulement son distributeur, la société CDISCOUNT, mais aussi, directement à partir de 2004, la FNAC et le site marchand amazon.fr,
- à la société CDISCOUNT, liée à la société SANCTUARY RECORDS GROUP par un contrat de distribution du 23 mai 2002, d'avoir de 2003 à 2006 importé en France les DVD litigieux soit pour les distribuer à des sociétés françaises et, en particulier, à la société A. DISTRIBUTION FRANCE et à la société, aujourd'hui liquidée, NIGHT&DAY, soit pour les vendre comme détaillant sur le site internet www.cdiscount.com,
- à la société A. DISTRIBUTION FRANCE, de les avoir commercialisés en 2003 ;
Qu'ils soulignent que les actes incriminés ayant eu lieu sur le territoire français postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 consacrant les droits des artistes-interprètes, cette loi est applicable à l'espèce et impose aux sociétés intimées, professionnelles avisées de l'exploitation de produits culturels auxquels sont attachés des droits de propriété intellectuelle, de s'assurer que l'enregistrement introduit et offert massivement à la vente en France sous forme de DVD a été licitement reproduit ;
Considérant que la société CDISCOUNT confirme que la société SANCTUARY RECORDS GROUP lui a concédé suivant contrat du 23 mai 2002 la distribution exclusive sur le territoire français du DVD litigieux mais précise qu'elle a cessé de le commercialiser dès lors que le contrat a pris fin le 22 mai 2004 et indique encore qu'elle a, suivant contrat du 1er janvier 2003, désigné en qualité de sous-distributeur exclusif la société de droit anglais A. DISTRIBUTION Ltd laquelle a transmis ses droits, suivant contrat du 31 mars 2003 à la société française NIGHT&DAY, en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bobigny du 12 juillet 2006 ;
Que la société SANCTUARY RECORDS GROUP ne conteste pas avoir fabriqué le DVD litigieux en Grande-Bretagne en 2002-2003, ne conteste pas davantage en avoir concédé la distribution exclusive en France à la société CDISCOUNT mais soutient que les captures d'écran internet produites aux débats pour justifier de l'exploitation du DVD en France sont dénuées de valeur probante et ne permettent pas, en toute hypothèse, de distinguer, sur les jaquettes exposées, la mention de la société SANCTUARY RECORDS GROUP dont la responsabilité ne saurait être en conséquence engagée ;
Que la société A. DISTRIBUTION FRANCE rappelle, pour conclure à sa mise hors de cause, qu'elle a été créée en mai 2003 afin de constituer à terme l'entité autonome du groupe 'A.' pour les exploitations vidéographiques sur le territoire français, qu'elle n'avait pas, en conséquence, d'existence juridique quand la société A. DISTRIBUTION Ltd s'est vue confier la sous-distribution du DVD litigieux en France et qu'elle n'a commis en toute hypothèse aucun acte de commercialisation du DVD litigieux ;
Considérant que les sociétés intimées se rejoignent toutefois pour opposer, en droit, que la loi française, dont elles ne contestent pas l'application, confère à l'artiste-interprète, aux termes de l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle, le droit de fixation c'est-à-dire le droit d'autoriser ou d'interdire la première fixation de sa prestation, le droit de reproduction, soit le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction de la première fixation, enfin, le droit de communication au public, à savoir le droit d'autoriser ou d'interdire la communication au public la fixation de sa prestation, comparable au droit de représentation publique prévu en droit d'auteur; que les droits ainsi définis ne sont pas en cause dès lors que les appelants se gardent de les invoquer à leur encontre et se bornent à incriminer l'importation et la commercialisation du DVD litigieux, or, l'artiste-interprète, à l'inverse du producteur de vidéogrammes, n'a aucun droit à autoriser ou interdire la mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage des vidéogrammes ;
En fait,
Considérant que les intimés s'appuient, pour imputer à la société A. DISTRIBUTION FRANCE des actes de commercialisation sur le territoire français du DVD litigieux, sur un bon commande n° 0307-02793 adressé en date du 18 juillet 2003 par la société NIGHT & DAY à la société A. DISTRIBUTION FRANCE en vue de se faire livrer au [...], 10.000 exemplaires du DVD litigieux pour un prix total de 135.000 euros ;
Que la société A. DISTRIBUTION FRANCE explique que ce bon de commande lui a été adressé par erreur et qu'elle l'a transmis purement et simplement à la société A. DISTRIBUTION Ltd, sous-distributeur exclusif des produits, laquelle a procédé à la livraison de la commande et à la facturation ;
Considérant qu'il ressort en effet des pièces de la procédure que la commande n° 0307-02793 passée par la société NIGHT&DAY pour 10.000 exemplaires du DVD 'Bob M.'au prix unitaire de 13,50 euros et total de 135.000 euros a donné lieu le 12 septembre 2003 à une facture n° 58054541 émise par la société A. DISTRIBUTION Ltd pour un règlement à intervenir sur un compte bancaire HCBC en Grande-Bretagne dont les coordonnées sont indiquées sur la facture ;
Considérant que les appelants ne produisant que ces seuls éléments dont il s'infère que les produits ont été facturés à la société française NIGHT&DAY par la société anglaise A. DISTRIBUTION Ltd, force est de constater qu'ils échouent à rapporter la preuve que la société A. DISTRIBUTION FRANCE a importé et offert à la vente en France le DVD litigieux et que leur moyen manque en fait ;
Qu'ils seront, par voie de conséquence, déboutés de leurs prétentions, dénuées de fondement, à l'encontre de la société A. DISTRIBUTION FRANCE ;
Considérant que la facture émise par la société A. DISTRIBUTION Ltd, établit que celle-ci a livré à la société NIGHT & DAY, sur le territoire français, 10.000 exemplaires du DVD ;
Considérant que la société SANCTUARY RECORDS GROUP ne conteste pas avoir fabriqué ce DVD en Grande-Bretagne en 2002-2003 et avoir confié à la société CDISCOUNT la distribution exclusive du DVD en France ainsi que l'établit au demeurant le contrat du 23 mai 2002 versé aux débats (pièce n° 2) ;
Que la société CDISCOUNT et la société A. DISTRIBUTION FRANCE exposent de concert que la sous-distribution exclusive du DVD a été confiée à la A. DISTRIBUTION Ltd puis transmise à la société NIGHT & DAY ;
Considérant qu'il s'infère de ces éléments que l'importation en France des 10.000 DVD commandés par la société NIGHT & DAY le 18 juillet 2003 est imputable à la société SANCTUARY GROUP RECORDS et à la société CDISCOUNT, son distributeur exclusif en France ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de mettre en cause la valeur probante des captures d'écran qui montrent l'offre en vente sur les sites internet www.alapage.com et www.fnac.com le 21 octobre 2003 du DVD 'BOB M. - The Legend Live - Santa Barbara County Bowl -1979' dont la première page de couverture est exposée avec l'indication du prix unitaire, ni de douter de l'authenticité du ticket de caisse émis par la FNAC de Paris Saint-Lazare le 16 octobre 2003 pour l'achat du même DVD au 'prix vert' de 27,90 euros ;
Que ces éléments établissent la preuve que la société CDISCOUNT distributeur exclusif du DVD litigieux en France l'a commercialisé en 2003 ;
Que force est de relever de surcroît que les captures d'écran réalisées les 1er mars et 8 mars 2006 établissent l'offre en vente du DVD sur le site internet www.cdiscount.com au prix de 8,47 euros ; qu'une telle circonstance dément les allégations de la société CDISCOUNT selon lesquelles elle aurait cessé de commercialiser le DVD litigieux à compter de l'expiration de son contrat de distribution le 22 mai 2004 ;
Qu'il suit de ces éléments que les actes d'importation et de commercialisation du DVD litigieux sur le territoire français sont établis en fait à l'égard des sociétés SANCTUARY RECORDS GROUP et CDISCOUNT ;
En droit,
Considérant que selon les appelants l'importation et la commercialisation en France par les sociétés intimées à compter de 2003 de DVD reproduisant sans autorisation leur prestation lors du concert donné avec Bob M. le 25 novembre 1979 porteraient atteinte à leurs droits d'artistes-interprètes ; que les sociétés intimées ne contestent pas que la loi française du 3 juillet 1985 est applicable aux actes incriminés, commis postérieurement à son entrée en vigueur le 1er janvier 1986, mais font valoir, ainsi qu'il a été précédemment exposé, que les dispositions revendiquées de l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle seraient inopérantes en l'espèce ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle, Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public (...) ;
Considérant que les sociétés intimées prétendent qu'il se déduit de ces dispositions, combinées avec celles de l'article L.215-1 du même Code, aux termes desquelles L'autorisation du producteur de vidéogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son vidéogramme que la loi du 3 juillet 1985, à l'inverse de ce qu'elle a prévu pour le producteur de vidéogrammes, n'a pas entendu conférer à l'artiste-interprète, le droit d'autoriser la mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage des vidéogrammes et que, par voie de conséquence, les actes d'importation et de commercialisation dont il leur est fait grief comme ayant été commis en France n'entrent pas dans le champ de la protection revendiquée ;
Or considérant que s'il est en l'espèce constant que les appelants ne reprochent pas à l'une ou l'autre des sociétés intimées d'être l'auteur de la captation faite à leur insu de leur prestation le 25 novembre 1979 en Californie, force est de rappeler qu'ils recherchent ces sociétés pour avoir importé et commercialisé en France des enregistrements réalisés et reproduits au mépris de leurs droits ;
Et considérant que sauf à vider de sa substance la protection instituée au bénéfice de l'artiste-interprète, les dispositions combinées des articles L.212-3 et L.215-1 du Code de la propriété intellectuelle ne sauraient être interprétées comme ouvrant droit à la commercialisation en France, sous forme de vidéogrammes, d'enregistrements fixés et reproduits à l'étranger sans autorisation de l'artiste-interprète ;
Que force est d'observer à cet égard que l'article L.335-4 du même Code sanctionne toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d'une prestation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, réalisée sans l'autorisation, lorsqu'elle est exigée, de l'artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l'entreprise de communication audiovisuelle ;
Et qu'il découle de ces dispositions explicites que la mise à la disposition du public d'un vidéogramme, à titre onéreux ou à titre gratuit, est interdite si elle est réalisée sans l'autorisation de l'artiste-interprète lorsque celle-ci est exigée c'est-à-dire si elle est faite au mépris des droits de fixation, de reproduction et de communication au public conférés à l'artiste-interprète ;
Considérant qu'il s'infère des développements qui précèdent que la preuve incombe aux sociétés intimées de rapporter la preuve que les enregistrements qu'elles ont importés et commercialisés en France ont été fixés et reproduits avec l'autorisation des artistes-interprètes ;
Considérant qu'elles font à cet égard valoir, sans plus de précision, que la loi américaine applicable à raison du lieu et de la date de la première fixation se satisfait du consentement tacite de l'artiste-interprète ;
Or considérant que ce consentement tacite ne saurait se déduire, ainsi que le proposent les sociétés intimées, de la circonstance selon laquelle les caméras présentes sur les lieux de l'enregistrement n'ont pu échapper à l'attention des artistes-interprètes ;
Que force est de relever en effet, en premier lieu, que les sociétés intimées ne montrent aucunement que des caméras auraient occupé la scène en nombre, dans des conditions donnant à croire qu'un enregistrement du concert était en cours de réalisation, en second lieu, qu'elles ne produisent pas davantage d'éléments de nature à établir que les artistes-interprètes auraient nécessairement regardé la captation de leur prestation comme effectuée en vue d'une exploitation commerciale et qu'ils auraient nécessairement, à défaut d'avoir manifesté expressément une opposition à l'enregistrement, donné leur accord pour une telle exploitation ;
Considérant que la société SANCTUARY RECORDS GROUP qui ne dément pas avoir reproduit la fixation de l'enregistrement sur les supports DVD dont elle a assuré la fabrication en Grande-Bretagne en 2002-2003 n'indique en rien dans les écritures versées à la procédure d'où elle tient ses droits et ne communique pas davantage d'information sur ce point dans le contrat de distribution exclusive qu'elle a signé pour la France le 23 mai 2002 ;
Considérant qu'il suit de ces observations que les sociétés SANCTUARY RECORDS GROUP et CDISCOUNT échouent à rapporter la preuve que l'enregistrement qu'elles ont importé et commercialisé en France à compter de 2003 en format DVD sous le titre 'BOB M. & THE WAILERS - The Legend Live -Santa Barbara County Bowl -25 novembre 1979' a été fixé et reproduit avec l'accord des artistes-interprètes ;
Que les appelants sont en conséquence fondés à se prévaloir d'une atteinte à leurs droits patrimoniaux d'artistes-interprètes ;
Que le jugement déféré sera sur ce point, infirmé ;
Considérant que le droit moral de l'artiste-interprète recouvre aux termes des dispositions de l'article L.212-2 du Code de la propriété intellectuellele droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation ;
Considérant que les appelants se bornent à faire valoir que la fixation de leur prestation et la reproduction de cette fixation, faites à leur insu, constituent des atteintes à leur droit moral ;
Mais considérant que les atteintes invoquées ont été précédemment retenues comme caractérisant des atteintes aux droits patrimoniaux des artistes-interprètes ; que force est de relever que les appelants n'avancent aucun fait susceptible de constituer une atteinte au droit au respect de leur nom, de leur qualité et de leur interprétation et ne sauraient à cet égard se contenter d'affirmer, sans le justifier dans le cas de l'espèce, que l'enregistrement d'un spectacle vivant serait nécessairement de mauvaise qualité ;
Que la demande formée au titre du droit moral sera en conséquence rejetée ;
Considérant que les appelants invoquent, sans davantage de précision, une atteinte à leur droit à l'image au fondement de l'article 9 du Code civil ;
Qu'il échet de rappeler en toute hypothèse que la loi du 3 juillet 1985 consacrant les droits propres d'artistes-interprètes s'est substituée au régime antérieur fondé notamment sur le droit à l'image et a seule vocation à être invoquée par les artistes-interprètes ;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant que selon les dispositions de l'article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, la juridiction prend en considération, pour fixer les dommages-intérêts, les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte ;
Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure que 10.000 exemplaires du DVD ont été importés en France en septembre 2003 par les sociétés SANCTUARY RECORDS GROUP et CDISCOUNT ; que les DVD ont été commandés en Grande-Bretagne pour un prix unitaire de 13,50 euros ; qu'ils ont été vendus par la FNAC et sur le site internet www.alapage.com aux prix respectifs de 27,90 euros et 28, 23 euros en octobre 2003; que leur commercialisation a été poursuivie jusqu'en 2006 sur le site www.cdiscount.com au prix de 8,47 euros ;
Considérant que ces éléments d'appréciation sont suffisants pour permettre à la Cour de fixer le préjudice de chacun des artistes-interprètes à la somme de 12.000 euros au paiement de laquelle seront condamnées in solidum les sociétés SANCTUARY RECORDS GROUP et CDISCOUNT ;
Considérant que la mesure de publication sollicitée à titre d'indemnisation complémentaire n'est pas justifiée le préjudice étant intégralement réparé par l'allocation des dommages-intérêts précédemment fixés ;
Considérant qu'une mesure d'interdiction sous astreinte sera ordonnée dans les termes du dispositif ci-après ;
Sur l'appel en garantie :
Considérant que la société CDISCOUNT demande la garantie de la société SANCTUARY RECORDS RECORDS GROUP en se fondant sur les dispositions de l'article 1625 du Code civil ;
Mais considérant que la société CDISCOUNT, professionnelle avertie de la distribution de vidéogrammes du commerce, a commis une faute dont elle doit assumer la responsabilité en s'abstenant de vérifier la licéité des DVD qu'elle importait et commercialisait en France ;
Qu'elle soutient que la société SANCTUARY RECORDS GROUP l'aurait assurée de ses droits sur les DVD visés au contrat de distribution ; que force est de relever cependant qu'elle n'en justifie pas ; qu'elle ne pouvait par ailleurs ignorer que la société SANCTUARY RECORDS GROUP ne lui communiquait aux termes du contrat, muet sur ce point, la moindre information susceptible de la renseigner sur l'origine de ses droits ;
Considérant qu'il importe enfin de rappeler que la société CDISCOUNT a poursuivi la commercialisation des DVD litigieux au delà de l'expiration de son contrat de distribution exclusive ;
Que la demande en garantie ne saurait en conséquence prospérer ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Constate le désistement des appelants à l'égard de la société A. DISTRIBUTION Ltd,
Reçoit Alvin P. en son intervention volontaire à titre principal,
Déclare Aston B. recevable à agir aux droits de Carlton B. décédé,
Déboute des demandes formées à l'encontre de la société A. DISTRIBUTION FRANCE,
Condamne in solidum la société SANCTUARY RECORDS GROUP Ltd et la société CDISCOUNT SA à payer à :
-Aston B. dit 'Aston Familyman B.' en son nom personnel ,
-Aston B. en qualité d'administrateur de la succession de son frère décédé Carlton B.,
-Tyrone D.,
-Donald M. K. dit 'J. M.',
-David M.,
-Judith Veronica M. dite 'Judy M.',
-Albert A. dit 'Al A.',
-Earl W. L. A. dit 'Earl W. L.' ou encore 'Earl W. L.', ---Glen DA C. dit 'Glen de C.',
-Alvin P. dit 'S. P.',
la somme de 12.000 euros à chacun à titre de dommages-intérêts à raison de l'atteinte portée à leurs droits patrimoniaux d'artistes-interprètes des suites de l'importation et de la commercialisation en France du DVD 'BOB M. & THE WAILERS - The Legend Live -Santa Barbara County Bowl -25 novembre 1979' ;
Interdit aux sociétés SANCTUARY RECORDS GROUP Ltd et CDISCOUNT l'importation et la commercialisation de ce DVD sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt,
Déboute la société CDISCOUNT de sa demande en garantie,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne in solidum les sociétés SANCTUARY RECORDS GROUP Ltd et CDISCOUNT aux dépens de la procédure qui seront, s'agissant des dépens d'appel, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser aux appelants ensemble une indemnité de 25.000 euros au titre des frais irrépétibles.