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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 3 mars 2011, n° 10/01471

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Le Pécheur

Défendeur :

SCP Guerin Et Diesbecq, Monsieur Le Procureur Général

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mme Vinot, Mme Bertoux

Avoués :

Me Couppey, SCP Duval Bart

Avocats :

Me Heckenroth, Me Gruau

T. com. d'Évreux, du 18 mars 2010

18 mars 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement en date du 20 juillet 2006, le Tribunal de commerce d'EVREUX a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL AXIOME COMMUNICATION et désigné la SCP GUERIN DIESBECQ en qualité de mandataire liquidateur.

Saisi par Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR d'une demande en paiement de salaires et indemnités, notamment de licenciement, le Conseil de prud'hommes d'Evreux, par jugement en date du 28 octobre 2008, a jugé qu'il n'avait pas la qualité de salarié de l'entreprise et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.

Par arrêt rendu le 15 septembre 2009, la Chambre sociale de la Cour d'Appel de Rouen a confirmé cette décision.

Suivant jugement en date du 18 mars 2010, le tribunal de commerce d'Evreux a, notamment :

- dit que Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR gérant de fait de la SARL AXIOME COMMUNICATION doit supporter personnellement les dettes sociales de cette société à concurrence de la somme de 100.000 €,

- en conséquence, prononcé sa condamnation au paiement de ladite somme entre les mains de la SCP GUERIN DIESBECQ, es qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SARL AXIOME COMMUNICATION.

Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR a interjeté appel de cette décision.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 23 juillet 2010 pour l'appelant, le 12 octobre 2010 pour l'intimée.

Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR conclut à l'irrecevabilité de la demande de la SCP GUERIN DIESBECQ es qualité de mandataire liquidateur de la SARL AXIOME COMMUNICATION, en tout cas à son mal fondé et à son débouté, ainsi qu'à sa condamnation au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

La SCP GUERIN DIESBECQ conclut à la confirmation de la décision et à la condamnation de Jean-Pierre LE PECHEUR au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées au greffe le 10 janvier 2011, le Ministère Public conclut à la confirmation de la décision.

SUR CE

- Sur la recevabilité de la demande de la SCP GUERIN DIESBECQ

Jean-Pierre LE PECHEUR soulève l'irrecevabilité de la demande de la SCP GUERIN DIESBECQ qui a dirigé son action en comblement de passif exclusivement à son encontre, le considérant comme dirigeant de fait de la SARL AXIOME COMMUNICATION, sans avoir actionné simultanément Godefroy LE PECHEUR en sa qualité de dirigeant de droit.

Il est constant que le 21 octobre 2003 Jean-Pierre LE PECHEUR, Daniel LE PECHEUR et Godefroy LE PECHEUR ont constitué la SARL AXIOME COMMUNICATION, détenteurs pour Jean-Pierre LE PECHEUR de 240 parts sociales et pour Daniel LE PECHEUR et Godefroy LE PECHEUR de 280 parts sociales chacun, dont l'objet social était le conseil en publicité, édition et régie publicitaire ; que le gérant de droit de cette société était Godefroy LE PECHEUR, fils de Jean-Pierre LE PECHEUR.

Il n'est pas contesté que Jean-Pierre LE PECHEUR a été embauché en qualité de directeur de fabrication le 1er février 2005.

Au soutien de sa fin de non recevoir, Jean-Pierre LE PECHEUR fait valoir que pour la période antérieure à son embauche, soit du 23 octobre 2003 au 1er février 2005, la SARL AXIOME COMMUNICATION n'a pu être dirigée que par Godefroy LE PECHEUR ; que pour la période postérieure, et pour autant que son immixtion dans la gestion de la société soit établie, faisant de lui un dirigeant de fait, cette circonstance ne serait pas de nature à exclure la responsabilité du dirigeant de droit dans l'insuffisance d'actif constaté.

Cependant l'article L.651-2 du Code de commerce dispose que, lorsque la résolution d'un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux ayant contribué à la faute de gestion.

En application de ces dispositions légales, le demandeur à l'action en comblement de passif, en l'occurrence le mandataire liquidateur, a la liberté d'attraire devant le tribunal, le ou les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale qu'il tient pour responsable des fautes de gestion génératrices de l'insuffisance d'actif de la procédure collective, la charge de la preuve lui incombant.

Le tribunal saisi, soit fait droit à la demande, s'il estime suffisants pour emporter sa conviction les éléments de preuve produits, soit la rejette, dans le cas contraire, soit ordonne avant dire droit toute mesure d'instruction qu'il juge nécessaire s'il s'estime insuffisamment éclairé, et notamment le recueil des déclarations de tiers de nature à l'éclairer sur les faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance par voie d'enquête.

Il n'est, dès lors, ni incompréhensible ni judiciairement inadmissible qu'en l'espèce la SCP GUERIN DIESBECQ, es qualité de mandataire liquidateur, ait fait le choix d'assigner en comblement de passif Jean-Pierre LE PECHEUR, qu'elle considérait comme dirigeant de fait responsable de l'insuffisance d'actif, exclusivement, sans qu'il soit nécessaire d'attraire le dirigeant de droit.

Il est tout aussi normal que le tribunal de commerce d'Evreux n'ait pas cru devoir entendre Godefroy LE PECHEUR, dirigeant de droit, s'il estimait suffisamment rapporté la preuve par le demandeur de la qualité de dirigeant de fait de Jean-Pierre LE PECHEUR, et de ses fautes de gestion ayant entraîné pour partie l'insuffisance d'actif, et ce sans qu'il soit besoin d'entendre le dirigeant de droit.

Jean-Pierre LE PECHEUR invoque par ailleurs un manquement de la part tant du mandataire liquidateur que du tribunal de commerce aux articles 6 et 14 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, et 1er du protocole n°12 de ladite Convention garantissant au défendeur le droit à un procès équitable et l'absence de toutes discriminations.

Défendeur en première instance, Jean-Pierre LE PECHEUR, assisté d'un avocat, a pu faire valoir ses droits et ses moyens de défense devant le tribunal de commerce, dont l'indépendance et l'impartialité ne sont pas remises en cause. Il a disposé des mêmes moyens de preuve que le demandeur, pour combattre les prétentions de son adversaire, comme de la faculté d'appeler en la cause Godefroy LE PECHEUR es qualité de dirigeant de droit, s'il l'estimait utile et nécessaire, mesure dont il n'a pas usé.

Placé sur le même pied d'égalité que le demandeur, et disposant des mêmes armes devant le tribunal, Jean-Pierre LE PECHEUR a, dans ces conditions, eu droit à un procès équitable et n'a subi aucun traitement discriminatoire de la part du mandataire liquidateur comme du tribunal.

La demande de la SCP GUERIN DIESBECQ, fondée sur l'article 651-2 du code de commerce est par conséquent recevable.

- Sur la qualité de dirigeant de fait de Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR

Le dirigeant de fait est celui qui a eu, au sein d'une société, une activité positive de direction ou de gestion, exercée souverainement et en toute indépendance.

La SCP GUERIN DIESBECQ soutient que Jean-Pierre LE PECHEUR, loin de se cantonner aux tâches qui lui étaient imparties par son contrat de travail, a exercé une véritable activité de direction et avait la qualité de dirigeant de fait de la Société AXIOME COMMUNICATION ;

Qu'elle en justifie par les multiples actes de gestion qu'il a accomplis sur des périodes très diverses, en toute indépendance.

Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR réplique que la SCP GUERIN DIESBECQ ne rapporte pas la preuve qu'il ait été dirigeant de fait de la société AXIOME COMMUNICATION ;

Que les actes de gestion qu'il a pu accomplir et signer l'ont été de manière occasionnelle, en l'absence et sur les instructions de Godefroy LE PECHEUR, gérant de droit.

Il est établi qu'aux termes de son contrat de travail, Jean-Pierre LE PECHEUR, associé à 30 % puis à 24 % de la Société AXIOME COMMUNICATION, avait pour mission, en qualité de directeur de fabrication, d'optimiser la fabrication des ouvrages ;

Qu'à ce titre, il était responsable du personnel de fabrication sans pour autant pouvoir procéder à des embauches.

A l'appui de ses prétentions, la SCP GUERIN DIESBECQ verse aux débats divers documents signés par Jean-Pierre LE PECHEUR, à savoir : 5 contrats de travail relatifs au recrutement de VRP (contrats de Mesdames PREVOST, COMPAGNON, BARRAUD, BRILLANT, et Mademoiselle ROY), un avenant au contrat de travail de Mademoiselle ROY, cinq attestations à remplir par l'employeur destinées à l'ASSEDIC et à la CPAM, un contrat initiative-emploi conclu avec l'ANPE, une attestation d'emploi à l'attention du CREDIT AGRICOLE, quatre avertissements (3 concernant Monsieur KORRICHI et un concernant Monsieur MICQUIAUX), des certificats de travail et reçus pour solde de tout compte (concernant Madame GRANGERE, Monsieur KORRICHI), un avis de rupture du contrat de travail adressé par courrier à Madame BARRAUD durant sa période d'essai,- un contrat de prestation de service passé avec la Sté Infoshow,un contrat de location conclu avec la Société LOCAM.

Il résulte de l'examen de ces pièces que les divers documents ont été passés entre le mois de juillet 2005 et le mois d'avril 2006, par Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR, en son nom propre, sa signature n'étant précédée d'aucune mention 'pour ordre' ou 'pour le gérant'.

Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR reconnaît d'ailleurs avoir signé partie de ces documents mais précise avoir agi sur instructions du gérant de droit et en l'absence de ce dernier.

Il ne verse cependant aux débats aucune pièce probante de l'existence d'instructions qu'il aurait reçues de la part du gérant de droit.

Les diverses attestations des employés de l'entreprise qu'il produit, aux termes desquelles il était salarié, comme eux, de la société qui était dirigée par Godefroy LE PECHEUR, n'établissent pas l'existence d'un lien de subordination vis à vis de celui-ci, alors que le conseil de prud'hommes puis la cour d'appel lui ont dénié le statut de salarié de l'entreprise. Elles ne font pas davantage état de fait précis et circonstancié dont leurs auteurs auraient été les témoins qui démontrerait l'existence d'instructions données par le gérant.

Il est par ailleurs établi par l'attestation de Monsieur DE BEAUCHAMP, Directeur commercial de la SARL AXIOME COMMUNICATION, dont l'une des fonctions était le recrutement de commerciaux 'en accord avec la direction 'Mr. LE PECHEUR Godefroy' que Godefroy LE PECHEUR, qui travaillait pour une Société PIXEL, était peu présent dans l'entreprise.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que Jean-Pierre LE PECHEUR a accompli plusieurs actes d'administration et de direction, consistant dans l'embauche de commerciaux, l'exercice d'un pouvoir hiérarchique, voire disciplinaire sur ce personnel, l'entretien des relations avec les organismes sociaux et agence pour l'emploi et certains prestataires, la rupture d'un contrat de travail pendant la période d'essai, qui ont engagé la société AXIOME COMMUNICATION ; qu'ils ont été signés par Jean-Pierre LE PECHEUR, seul, alors que le gérant de droit se trouvait rarement au siège social de l'entreprise, et en dehors de tout lien de subordination, et ce sur une période d'une dizaine de mois avant la déclaration de cessation des paiements faite le 17 juillet 2006 ; que Jean-Pierre LE PECHEUR s'est ainsi immiscé dans la gestion de la société et doit par conséquent être considéré comme son dirigeant de fait.

Les divers actes de direction et de gestion accomplis par le gérant de droit invoqués par Jean-Pierre LE PECHEUR, dont notamment la commande d'un audit de l'entreprise courant en mai 2006 coûteux, et l'ordre de transfert de siège social de la société, s'ils démontrent l'intérêt de Godefroy LE PECHEUR pour la gestion effective de la société, n'excluent pas pour autant la participation également effective de Jean-Pierre LE PECHEUR à la direction de la société comme cela vient d'être démontrée.

- Sur les fautes de gestion

Il n'est pas contesté que l'état des créances fait apparaître un passif de 589.441,90 €.

Selon la SCP GUERIN DIESBECQ, la constitution d'un passif de cette importance en deux ans et demi d'activité environ ne peut qu'être imputable à une mauvaise gestion de la part de Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR qui a embauché un personnel pléthorique et réalisé des investissements trop lourds par rapport au chiffre d'affaires et à l'importance de la société.

Au vu de l'état des créances, la dette à l'égard du C.G.E.A. s'élève à la somme de 234.474 € et celle à l'égard de l'URSSAF DE L'EURE à 27.436,23 €.

Il est admis qu'à la date de la déclaration de cessation des paiements, l'entreprise comptait 19 salariés, dont 8 à 15 commerciaux, selon les déclarations de Monsieur DE BEAUCHAMP recueillies dans le cadre de la procédure prud'homale.

Il est établi que Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR, par le recrutement de cinq commerciaux a participé à la constitution d'un personnel pléthorique qui a contribué à l'accroissement du passif, les créances de nature salariale en constituant près de la moitié.

Les sociétés INFOSHOW et LOCAM avec lesquelles Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR a personnellement traité ont également déclaré leur créance pour un total de 42.061,38 €.

Jean-Pierre LE PECHEUR a ainsi commis des fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif constaté et qui justifient sa condamnation au comblement du passif, par application de l'article L.651-2 du Code de commerce dans les proportions justement appréciées par le tribunal de commerce.

La décision entreprise sera par conséquent confirmée en toutes ses dispositions, en ce comprise celle relative aux dépens employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR, qui succombe en appel, sera condamné aux dépens de la présente instance, sans que l'équité commande toutefois d'indemniser la SCP GUERIN DIESBECQ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Déclare recevable la demande de la SCP GUERIN DIESBECQ,

Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise,

Condamne Monsieur Jean-Pierre LE PECHEUR aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle,

Déboute la SCP GUERIN DIESBECQ de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.