CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 5 janvier 2022, n° 21/07061
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Reverse Capital (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mme Chegaray, Mme Bongrand
Messieurs Claude et Julien M. et la société M. Assurances présidée par M.Jean M. ont constitué la SAS Reverse Capital le 2 février 2018.
Au moment de sa création, le capital social de la société Reverse Capital composé de 2000 euros était réparti entre la société M. Assurances à hauteur de 1000 actions, M.Claude M. à hauteur de 800 actions et M.Julien M. à hauteur de 200 actions.
M Jean M. a été nommé président et M.Baptiste M. nommé en qualité de directeur général. Le mandat de M.Jean M. prenant fin, le 14 décembre 2019, M. Baptiste M. a pris les fonctions de président, et M.Julien M. a été désigné directeur général.
Au 26 décembre 2019, le capital social était réparti entre M.Jean M. pour une action, M.Baptiste M. pour 999 actions, M.Claude M. pour 20 actions et M.Julien M. pour 980 actions.
Le 20 juillet 2020, M. Baptiste M. a démissionné de ses fonctions et a cédé l'intégralité de ses parts à M.Jean M., son père.
Depuis cette cession, le capital social de la société Reverse Capital est réparti entre M.Jean M. à hauteur de 50% du capital, M.Julien M. à hauteur de 49% du capital et M.Claude M. à hauteur de 1% du capital.
Par acte du 8 décembre 2020, M.Jean M. a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin de voir constater la vacance de la présidence de la société Reverse Capital, de constater le blocage des assemblées des actionnaires, le fonctionnement anormal de la société, l'existence d'un péril imminent et obtenir la désignation d'un administrateur provisoire.
Par ordonnance contradictoire du 1er avril 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
vu les articles 872 du code de procédure civile, L 227-5 à 9 du code de commerce
-débouté M.Jean M. de ses demandes,
-condamné M.Jean M. à payer à la société Reverse Capital la somme de 3.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M.Jean M. à payer à M.M. Julien la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M.Jean M. à payer à M.M. Claude la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M.Jean M. aux entiers dépens,
-dit que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 514 du code de procédure civile.
Par déclaration du 13 avril 2021, M. Jean M. a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
'débouté M.Jean M. de ses demandes,
-condamné M.Jean M. à payer à la société Reverse Capital la somme de 3.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M.Jean M. à payer à M.M. Julien la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M.Jean M. à payer à M.M. Claude la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M.Jean M. aux entiers dépens'.
Par conclusions du 3 novembre 2021, M.Jean M. demande à la cour de :
-infirmer l'ordonnance de référé du 1er avril 021 en ce qu'elle a statué par les chefs suivants:
* déboutons M.Jean M. de ses demandes,
-condamnons M.Jean M. à payer à la société Reverse Capital la somme de 3.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamnons M.Jean M. à payer à M.M. Julien la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamnons M.Jean M. à payer à M.M. Claude la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamnons M.Jean M. aux entiers dépens,
-dit que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 514 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau
-désigner un administrateur provisoire nécessaire à la préservation de l'intérêt social de la société Reverse Capital avec pour mission :
*de gérer et administrer avec les pouvoirs les plus étendus la société Reverse Capital,
*de faire rapport au président dans le mois de sa désignation sur la situation financière et sur les perspectives d'exploitation de la société Reverse Capital,
*de convoquer une assemblée générale afin de désigner un président,
*de convoquer une assemblée générale afin de décider la dissolution anticipée de la société et de désigner un liquidateur amiable à défaut de désignation d'un président,
-confirmer l'ordonnance de référé du 1er avril 021 en ce qu'elle a débouté la société Reverse Capital et Messieurs Julien et Claude M. de leur demande tendant voir déclarer M.Jean M. irrecevable en son action et en ses demandes,
-débouter la société Reverse Capital et Messieurs Julien et Claude M. de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
-condamner M.Julien M. à payer à M.Jean M. la somme de 9.000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Il soutient que la société Reverse Capital est dans une situation de blocage qui fait peser un péril imminent sur son intérêt social puisqu'elle est dépourvue de président depuis la démission de M.Baptiste M. de ses fonctions de président le 20 juillet 2020 et que toute tentative de désignation d'un président a échoué.
Il déclare que cette nomination est impérative car la société doit être représentée, gérée et administrée par un président ainsi qu'il ressort de l'article 13 des statuts, que si le directeur général dispose des mêmes pouvoirs que le président, il ne peut toutefois pas le substituer car le président est le seul organe obligatoire dans les SAS , le directeur général n'étant qu'un organe facultatif. Il affirme que la vacance de la présidence de la société Reverse Capital est contraire aux statuts et à la législation en vigueur et porte préjudice à la société.
Il fait valoir que le fonctionnement anormal des organes sociaux de la société Reverse Capital est caractérisé par l'absence de décisions, la rupture de la communication entre les actionnaires. Il considère qu'il y a dysfonctionnement même si les comptes annuels pour l'exercice 2019 ont été approuvés et que la distribution des dividendes de l'exercice 2019 a été votée sans difficulté, puisque le dépôt des comptes est intervenu avec plus d'un an de retard, M.Julien M. ne justifie pas avoir respecté la limitation statutaire concernant les frais remboursables ni l'engagement de la somme de 20.000 euros pour des honoraires, son rapport de gestion est insuffisant, sa gestion est totalement orientée sur la gestion du conflit entre actionnaires, et il a communiqué à l'administration fiscale de fausses informations.
Il avance que le fonctionnement anormal de la société Reverse Capital par l'absence de décisions de l'assemblée est aggravé par la déloyauté de M.Julien M. à l'égard de la société car celui-ci n'a pas hésité notamment à créer une société concurrente dénommée Rnbis qui a exactement la même activité que la société Reverse Capital en septembre 2020, même si celle-ci a été radiée le 14 janvier 2021.
Il considère que c'est à tort que le premier juge n'a pas caractérisé la situation de péril imminent dans laquelle se trouve la société Reverse Capital alors même qu'elle n'a plus qu'un seul client, qu'elle est dans l'impossibilité de conclure de nouveaux contrats en raison des mauvaises relations entretenues par le directeur général avec les clients.
Il rappelle que la nomination d'un administrateur provisoire est justifiée lorsqu'un désaccord persistant existe entre deux groups d'associés composés d'un nombre égal d'associés et disposant du même nombre de voix, un tel désaccord ayant pour conséquence de placer la société dans une situation de blocage.
Il conclut à la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle n'a pas fait droit à la fin de non recevoir soulevée à titre liminaire par la société Reverse Capital et MM M. dès lors qu'en cas d'urgence, les clauses statutaires de médiation et de conciliation sont neutralisées et qu'au surplus à la date de la délivrance de l'assignation, la clause de médiation avait été mise en oeuvre par lui.
Par conclusions du 22 octobre 2021, M.Claude M. et M.Julien M. demandent à la cour de :
vu les articles 32, 122 et 124 du code de procédure civile,
vu l'article L 227-6 du code de commerce
-infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté Messieurs Julien et Claude M. de leur demande tendant à juger M.Jean M. irrecevable en son action et en ses demandes y afférentes à leur encontre, notamment pour défaut de droit d'agir, faute d'avoir mené à son terme préalablement à l'introduction de l'instance, la procédure de conciliation obligatoire prévue par les statuts de Reverse Capital,
-dire et juger que M.Jean M. est irrecevable en son action et ses demandes y afférentes à l'encontre de Messieurs Claude et Julien M., pour défaut de droit d'agir, faute d'avoir mené à son terme, préalablement à l'introduction de la présente instance, la procédure de conciliation obligatoire prévue par les statuts de Reverse Capital,
-confirmer l'ordonnance entreprise dans les condamnations prononcées à l'encontre de M.M. au titre du paiement de l'article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire
-confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
-dire et juger que les conditions de désignation d'un administrateur provisoire ne sont pas réunies, que les demandes y afférentes de M.Jean M. sont infondées en fait et en droit,
en conséquence, statuant partiellement à nouveau,
-débouter M.Jean M. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Messieurs Claude et Julien M.,
-condamner M.Jean M. à régler à M.Claude M. la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M.Jean M. à régler à M.Julien M. la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M.Jean M. aux entiers dépens d'appel y incluant les frais d'huissier, dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ils soutiennent que M.Jean M. est dépourvu du droit d'agir faute pour lui d'avoir mené à son terme, avant la délivrance de l'assignation, la procédure de médiation statutaire qu'il a lui-même initiée et acceptée par eux et soutiennent que l'absence d'accord dans le délai de 6 mois prévu à l'article 21 des statuts ne permet pas à M.Jean M. de régulariser la procédure a posteriori.
Ils font valoir que les conditions de désignation d'un administrateur provisoire ne sont pas réunies car la société Reverse Capital fonctionne normalement, malgré l'absence de président, puisq'elle a d'un directeur général en qualité de mandataire social, disposant des mêmes pouvoirs pour représenter et engager la société vis à vis des tiers, aucune disposition légale ou statutaire ne rendant impérative la désignation d'un président, celle-ci au cas d'espèce étant valablement représentée par un directeur général.
Ils affirment que la société Reverse Capital n'est menacée d'aucun péril imminent car sa situation financière est excellente, que le refus d'approbation des comptes annuels n'est pas une situation exceptionnelle et n'entraîne aucun dommage pour la société, que les comptes sont déposés.
Ils déclarent par ailleurs que les missions de gestion, d'audit financier et de convocation d'une assemblée générale pour la désignation d'un président ou à défaut la dissolution de la société, de l'administrateur envisagées par M.M. n'ont aucun intérêt pratique puisque la société est gérée par son directeur général, que les comptes sociaux sont tenus et que la nomination d'un nouveau président ou à défaut la dissolution de la société ont été plusieurs reprises soumises à l'assemblée générale sans être approuvées.
Par conclusions du 21 octobre 2021, la société Reverse Capital demande à la cour de :
vu les articles 32, 122 et 124 du code de procédure civile,
vu les articles L 227-5 à L 227-9 du code de commerce
à titre principal
-infirmer partiellement l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande d'irrecevabilité de l'action formulée par la société Reverse Capital,
-statuer à nouveau et juger irrecevable l'action diligentée par M.Jean M.
-confirmer le surplus
à titre subsidiaire
-confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
en tout état de cause
-débouter M.Jean M. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
-condamner M.Jean M. à payer à la société Reverse Capital la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M.Jean M. aux entiers dépens de la présente instance dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient que M.M. est irrecevable en son action puisque ses statuts prévoient le recours à une médiation obligatoire avant toute saisine du tribunal, ce que n'ignore pas
M.M. lequel a pris l'initiative de saisir le centre de médiation et d'arbitrage de Paris. Elle se prévaut de la désignation d'un médiateur le 19 octobre 2020,pour considérer que M.M. ne pouvait saisir le tribunal qu'à l'expiration du délai statutaire de 6 mois, ce qu'il n'a pas fait et affirme qu'aucune exception au délai de 6 mois à respecter entre la désignation du médiateur et la faculté de saisir le tribunal n'étant prévue aux statuts, M.M. ne peut se prévaloir de l'objet de sa saisine contentieuse pour justifier la violation des dispositions statutaires.
Elle fait valoir que les conditions de désignation d'un administrateur provisoire ne sont pas réunies dès lors qu'il n'y a aucune mise en péril de la société et qu'il n'y a pas carence des dirigeants dans la gestion de la société.
Elle considère que si l'article L 227-6 du code de commerce prévoit que la SAS est représentée vis à vis des tiers par un président, aucune conséquence légale n'est prévue en cas d'absence de président, qu'elle est valablement représentée par le directeur général dont la désignation est prévue par les statuts, qu'il n'est pas démontré que l'absence de président constitue une cause de fonctionnement anormal de la société.
Elle affirme que seule l'obstruction de M.M. explique qu'elle n'est pas en mesure de conclure de nouveaux contrats mais que ceci ne fait cependant pas obstacle à l'exploitation de ceux conclus antérieurement qui lui procurent des revenus substantiels lui permettant de fonctionner normalement. Elle déclare par ailleurs que les comptes sont déposés et qu'aucun péril imminent ne menace l'intérêt social.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande de M.M.
La disposition instituant une procédure de médiation préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si une partie l'invoque.
Toutefois, la disposition prescrivant le recours à une médiation préalable ne prive pas le juge des référés du pouvoir de prendre, dans les conditions de l'article 873 du code de procédure civile, toute mesure propre à faire cesser un trouble manifestement illicite ou à prévenir un dommage imminent, si l'urgence justifie de passer outre le processus de règlement amiable du conflit, ce qui est nécessairement le cas en l'espèce, l'imminence du dommage allégué par le demandeur à la mesure suffisant à caractériser l'urgence à intervenir.
L'ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a dit recevable l'action de M.M..
Sur la demande de désignation d'un administrateur provisoire
La désignation d'un administrateur provisoire qui constitue une dérogation aux règles de gestion normale suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent, des dissensions, même graves entre actionnaires ne caractérisant pas une absence de fonctionnement normal de la société dès lors que la loi de la majorité s'exerce normalement à l'occasion de chaque assemblée et que le fonctionnement des organes sociaux ni celui de la société n'est empêché.
M.M. ne démontre pas que l'absence actuelle de président entrave le fonctionnement de la société Reverse Capital laquelle est régulièrement représentée à l'égard des tiers par un directeur général désigné et investi des mêmes pouvoirs que le président conformément à l'article 13 des statuts de la société.
Le fonctionnement anormal de la société Reverse Capital ne ressort pas du non-renouvellement du contrat Ginjer AM auquel M.M. fait référence au soutien de sa demande dès lors que ce contrat est arrivé à son terme plusieurs mois avant la fin de la présidence de la société par M.Baptiste M. et qu'il est établi que M.Julien M. en sa qualité de directeur général de la société a délivré une assignation à cette société afin d'obtenir le paiement des commissions qui lui étaient dues par elle.
La même observation doit être faite pour le contrat d'apport Lumrisk invoqué par M.M. à l'appui de sa demande, ce contrat ayant été résilié alors même que la société Reverse Capital était dotée d'un président en la personne de M.Baptiste M., et le paiement des commissions dues par elle à la société Reverse Capital ayant repris après les diligences effectuées par M.Julien M..
M.M. ne peut prétendre établir un fonctionnement anormal de la société Reverse Capital au motif de l'absence de signature de nouveau contrat alors même que consulté sur la signature d'un nouveau contrat avec Tylia Invest, il n'a pas approuvé ce projet. M.M. ne procède que par simple allégation quant à la qualité des relations entretenues par M.Julien M. et les partenaires de la société Reverse Capital .
La bonne santé financière de la société Reverse Capital justifiée par les pièces versées aux débats n'est pas contestée par M.M. dont le défaut d'approbation des comptes 2020 n'est pas le révélateur d'un dysfonctionnement de la société mais d'une dissension entre actionnaires, le dépôt des comptes et les formalités afférentes au changement des actionnaires ayant par ailleurs été régularisés.
Le défaut d'approbation par les associés d'une dépense d'honoraires supérieure à 3000 euros ne ressort d'un dysfonctionnement de la société, cette dépense ne constituant pas un investissement mais une charge et aucun défaut de convocation d'assemblée générale n'est allégué.
Aucun dysfonctionnement de la société Reverse Capital ni péril imminent n'étant démontré, l'ordonnance critiquée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de désignation d'un administrateur provisoire formulée par M.M..
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge.
Sur les demandes accessoires
M.M. qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel ainsi que celle d'une indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 euros pour chacun des intimés.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance du 1er avril 2021,
Y ajoutant,
Condamne M. Jean M. aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande,
Condamne M. Jean M. à payer la somme de 3.000 euros à M.Julien M., à M.Claude M. et à la société Reverse Capital, à chacun, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.