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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 15 juin 2023, n° 22/01092

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Karl Dungs (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vitse

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me Mereau, Me Weil, Me Penillard, Me Spriet

T. com. Lille-Métropole, du 2 févr. 2022

2 février 2022

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat à durée indéterminée conclu le 30 novembre 2012, M. [C] a été engagé par la société par actions simplifiées Karl Dungs en qualité de directeur général salarié non mandataire social.

Par avenant au contrat du 28 juin 2013, M. [C] a été nommé directeur général mandataire social pour une durée indéterminée à compter du 1er juillet 2013, l'intéressé exerçant de telles fonctions parallèlement à celles de directeur général salarié.

Le 4 mars 2020, le mandat social de M. [C] a été révoqué et une lettre de licenciement lui a postérieurement été signifiée par acte du 27 mars 2020.

Le 14 janvier 2021, M. [C] a assigné la société Karl Dungs devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins de voir condamner celle-ci à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis au titre de la révocation abusive de son mandat social.

Par jugement du 2 février 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :

« - Déboute la société Karl Dungs de tous ses moyens, fins et conclusions ;

- Condamne la société Karl Dungs à payer à M. [C] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices subis ;

- Condamne la société Karl Dungs à payer à M. [C] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution;

- Condamne la société Karl Dungs aux entiers dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 69,59 euros (en ce qui concerne les frais de greffe) ».

' Par déclaration du 3 mars 2022, la société Karl Dungs a relevé appel de l'ensemble des chefs du jugement.

' Saisi d'un incident élevé sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 12 janvier 2023, constaté que la société Karl Dungs SAS avait exécuté la décision frappée d'appel et dit en conséquence n'y avoir lieu à radiation.

 

' Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2023, la société Karl Dungs demande à la cour de :

« DECLARER recevable et bien fondé l'appel interjeté par KARL DUNGS SAS et, y faisant droit :

INFIRMER le jugement du 2 février 2022 du Tribunal de commerce de Lille métropole en ce qu'il a :

- DEBOUTE la société KARL DUNGS de tous ses moyens, fins et conclusions ;

- CONDAMNE la Société KARL DUNGS SAS à payer à Monsieur [Z] [C] la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices subis ;

- CONDAMNE la société KARL DUNGS à payer à Monsieur [Z] [C] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution ;

- CONDAMNE la société KARL DUNGS aux entiers dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 69.59 € (en ce qui concerne les frais de Greffe).

STATUANT A NOUVEAU,

A TITRE PRINCIPAL

JUGER que la révocation du mandat de Monsieur [C] n'est pas abusive mais conforme aux dispositions législatives, statutaires et jurisprudentielles ;

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

JUGER que le montant de 50.000 euros de dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice résultant de la révocation du mandat de Monsieur [C] est excessif et disproportionné ;

En conséquence,

JUGER que le montant des dommages-intérêts alloués à Monsieur [C] en réparation du préjudice résultant de sa révocation devra être réduit à plus juste proportion et ne devra pas excéder 8.000 euros ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

CONDAMNER Monsieur [C] à verser à KARL DUNGS SAS le montant total de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER Monsieur [C] aux entiers dépens. »

' Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2023, Monsieur [C] demande à la cour de :

« Confirmer la décision rendue par le Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE le 2 février 2022 en ce qu'elle a :

o Condamné la Société KARL DUNGS SAS à la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts au titre des préjudices subis par Monsieur [Z] [C] à raison de sa révocation irrégulière ;

o Condamné la Société KARL DUNGS SAS à la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de première instance ;

o Débouté la société KARL DUNGS SAS de tous ses moyens, fins et conclusions ;

o Ordonné l'exécution provisoire du Jugement ;

o Condamné la société KARL DUNGS SAS aux entiers dépens de l'instance ;

Statuant de nouveau, et dans tous les cas :

o Débouter la société KARL DUNGS SAS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

o Condamner la société KARL DUNGS SAS à verser à Monsieur [C] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel ;

o La condamner aux entiers frais et dépens d'appel. »

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l'exposé de leurs moyens.

' L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2023.

 

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'appel

L'appel de la société Karl Dungs SAS sera déclaré recevable, l'intimé ne s'opposant pas à la demande formée en ce sens et aucun élément produit ne justifiant d'écarter une telle prétention.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la révocation du mandat social

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Selon l'article L227-5 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions simplifiées, les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée.

Aussi peut-il être statutairement prévu que la révocation d'un mandataire social intervienne ad nutum, c'est-à-dire au bon vouloir de la personne dont il tient sa mission.

De jurisprudence constante, est toutefois abusive la révocation d'un mandataire social prononcée de manière vexatoire et/ou brutale.

Est vexatoire, la révocation qui s'accompagne de circonstances portant atteinte à la réputation du mandataire ou qui revêtent un caractère offensant. Il en est notamment ainsi lorsque la révocation est assortie d'une publicité malveillante, d'actes de dénigrement ou de propos humiliants.

Est brutale, la révocation qui intervient sans que son auteur ait respecté l'obligation de loyauté qui lui incombe. Une telle obligation suppose que le mandataire ait été mis en mesure de présenter ses observations aux organes sociaux devant statuer sur sa révocation, peu important que les statuts de la société prévoient une révocation ad nutum.

L'éventuelle faute du mandataire ne permet pas de refuser l'allocation de dommages et intérêts si les conditions d'une révocation abusive sont réunies.

En l'espèce, la révocation du mandat de directeur général de M. [C] est intervenue le 4 mars 2020 à 9 heures, avec effet le même jour à minuit. Elle procède d'une décision de l'associé unique de la société par actions simplifiées Karl Dungs, dont les statuts prévoient, en leur article 13, que Le Directeur Général est révocable à tout moment par l'associé unique ou par la majorité des deux tiers des associés, sans autre précision.

Si la révocation de M. [C] n'apparaît pas vexatoire, n'étant pas démontré qu'elle aurait eu lieu dans des circonstances de nature à lui faire offense ou à porter atteinte à sa réputation, elle s'avère en revanche brutale, dès lors que l'intéressé n'a pu présenter ses observations sur les motifs de la révocation envisagée, celle-ci étant intervenue sans avoir été précédée de la moindre contradiction, observation faite que la convocation de l'intimé à un entretien préalable à la rupture parallèle de son contrat de travail n'a pu y suppléer, s'agissant d'une procédure distincte, qui plus est postérieure à la révocation.

A supposer même la pertinence des motifs retenus par la société Karl Dungs SAS pour mettre fin au mandat social de M. [C], ceux-ci ne sauraient justifier la violation de l'impératif de loyauté dans l'exercice du droit de révocation, peu important le silence des statuts sur les modalités de sa mise en oeuvre.

La brutalité de la révocation prononcée apparaît d'autant plus flagrante que M. [C] exerçait ses fonctions de mandataire social depuis près de sept ans et qu'il ne résulte d'aucun élément produit qu'il aurait précédemment démérité dans l'exercice de ses fonctions ou qu'un désaccord l'aurait opposé à l'associé unique de la société Karl Dungs SAS.

Le caractère brutal de la révocation litigieuse est donc clairement établi.

Une telle brutalité a nécessairement causé à l'intéressé un préjudice moral appelant réparation, laquelle ne saurait toutefois atteindre le quantum retenu par les premiers juges.

Au regard des éléments d'appréciation qui lui sont soumis, la cour estime que le préjudice moral subi par M. [C] sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement entrepris étant donc infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'issue du litige justifie de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Karl Dungs SAS aux dépens de première instance et au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le sens de la présente décision justifie de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Karl Dungs SAS à payer à M. [C] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable l'appel formé par la société Karl Dungs SAS ;

Condamne la société Karl Dungs SAS à payer à M. [C] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel.