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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 juin 2023, n° 22/15264

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCP LGA (ès qual.), Esnault Eurofruits Méditerranée (SAS)

Défendeur :

Leader Price Exploitation (Sasu), Distribution Leader Price (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

M. Richaud, Mme L'Eleu de la Simone

Avocats :

Me Removille, Me Gracie-Dedieu, Me Olivier, Me Dudon, Me Regnier, Me Pasquesoone

T. com. Bordeaux, du 15 juin 2018, n° 20…

15 juin 2018

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Esnault Eurofruits Méditerranée (ci-après «Esnault»), grossiste en fruits et légumes à [Localité 34] (16), pratiquait l'achat et la vente de fruits, primeurs et légumes et exerçait aussi l'activité d'expéditeur-destinataire et d'importateur-exportateur de ces produits.

La SASU Leader Price Exploitation (ci-après «LPE») est la société holding du groupe Franprix Leader Price. Selon les cas, elle exploite des magasins à l'enseigne Leader Price ou détient des participations dans des sociétés qui exercent une telle exploitation.

La SNC Distribution Leader Price (ci-après «DLP») a pour objet le négoce, l'achat, la vente, l'importation, l'exploitation, la vente en gros, demi-gros et détail, en France et à l'étranger, de tous produits pour l'approvisionnement des ménages, notamment sous la marque Leader Price, pour différents moyens (directement ou indirectement, seule ou avec des tiers par concession ou licence de marque, création de sociétés nouvelles, d'achat de titres, de location gérance...)

Par acte du 13 mai 2016, la société Esnault, faisant état de relations commerciales établies avec 43 magasins à enseigne Leader Price, a assigné la société LPE devant le tribunal de commerce de Bordeaux sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5e du code de commerce.

La société Esnault a été placée en redressement judiciaire 6 mois plus tard, le 5 janvier 2017.

Le 12 octobre 2017, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce d'Angoulême et Maitre [Z] a été nommé en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 15 juin 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- Reçu la société Pimouguet-Leuret-[Z] en son intervention volontaire,

- Débouté la société Esnault de toutes ses demandes,

- Condamné la société Esnault à payer à la société LPE la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Esnault aux dépens.

Sur appel de la societé LGA prise en la personne de Maître [Z] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Esnault et par arrêt du 13 janvier 2021, la Cour d'appel de Paris a :

- Dit irrecevable l'appel en intervention forcée de la SNC DLP,

- Débouté la SNC DLP de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,

- Confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Condamné la SCP Pimouguet-Leuret-[Z] ès qualités aux dépens d'appel,

- Débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

- Rejeté toute autre demande.

A la suite du pourvoi formé par la société LGA, ès qualité, la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation a, par arrêt du 22 juin 2022 au pourvoi N°21-14'.230, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 13 janvier 2021 par la Cour d'appel de Paris, aux motifs que :

«8. Pour rejeter les demandes du liquidateur judiciaire de la société Esnault, l'arrêt retient que les quarante-trois magasins en cause étaient exploités, au moment de la rupture, par trente-six sociétés différentes pourvues de personnalités juridiques autonomes et distinctes de la société LPE et retient en outre que, s'agissant des établissements sous enseigne LPE, les factures produites sont émises à l'adresse des multiples établissements sous enseigne, sans qu'il soit allégué ni établi que certaines auraient été adressées par la société Esnault à la société LPE et que, s'agissant de magasins sous l'enseigne Leader Price, la preuve de l'existence d'un contrat de franchise liant ces magasins sous l'enseigne Leader Price et la société Esnault n'est pas rapportée et que plusieurs sociétés exploitant ces magasins sont des concessionnaires indépendants, par conséquent personnellement responsables de toute rupture brutale de relations commerciales établies commises au préjudice de la société Esnault.

9. En se déterminant ainsi, alors que la circonstance que les établissements en cause aient eu une personnalité juridique distincte de celle de la société LPE n'excluait pas que celle-ci doive répondre d'une rupture des relations commerciales qu'elle leur aurait, de fait, imposée, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces sociétés disposaient, quel que soit leur statut, d'une autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs et, le cas échéant, la poursuite de leur relation commerciale avec ceux-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.»

La Cour de cassation a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Par déclaration reçue au greffe le 17 août 2022, la société LGA a saisi la Cour de renvoi.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 20 février 2023, la société LGA en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Esnault demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5º du code de commerce (version applicable aux faits de l'espèce),

Vu l'article 554 et l'article 555 du code de commerce,

Vu l'arrêt rendu le 22 juin 2022 par la Cour de cassation,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées au débat,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux,

- Juger recevable l'intervention forcée de la société DLP,

- Juger que la société LPE a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Esnault depuis 17 années,

- Condamner la société LPE à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 1.570.307 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 février 2016,

- Condamner la société LPE à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 364.803 euros en paiement du coût des licenciements supporté,

- Condamner la société LPE à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral,

- Juger que la société LPE et la société DLP ont rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Esnault depuis 17 années,

- Condamner solidairement la société DLP et la Société LPE à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 1.570.307 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 février 2016,

- Condamner solidairement la société DLP et la société LPE à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 364.803 euros en paiement du coût des licenciements supporté,

- Condamner solidairement la société DLP et la société LPE à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral,

- Juger que la société DLP a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Esnault depuis 17 années,

- Condamner la société DLP à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 1.570.307 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 février 2016,

- Condamner la société DLP à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 364.803 euros en paiement du coût des licenciements supporté,

- Condamner la société DLP à payer à Maître [Z], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Esnault, la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 27 décembre 2022, la société LPE demande à la Cour de :

Vu les articles L. 442-6, I, 5º et suivants du code de commerce,

Vu les articles 9 et suivants du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence et les pièces versées aux débats,

- Juger qu'Esnault a entretenu des relations commerciales distinctes avec chaque société exploitant des magasins Leader Price ;

- Juger que les pièces versées aux débats révèlent que les sociétés exploitant les magasins Leader Price livrés par Esnault ont toutes entretenues avec cette dernière des relations commerciales de durées différentes dont les comportements ne sont pas du tout alignés ni coordonnés ;

- Juger qu'Esnault ne rapporte pas la preuve que LPE se serait immiscée dans le choix des fournisseurs des sociétés exploitant les magasins Leader Price ;

- Juger que LPE n'est en rien responsable d'une rupture des relations commerciales en 2015 ;

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Débouter Me [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de la société Esnault de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 19 décembre 2022, la société DLP demande à la cour de :

Vu les articles L. 442-6, I, 5º et suivants du code de commerce,

Vu les articles 9 et suivants et l'article 555 du code de procédure civile,

- Juger irrecevable l'appel en la cause de la société DLP ;

- Subsidiairement, dans l'hypothèse où, par extraordinaire, cet appel serait déclaré recevable, débouter le liquidateur judiciaire de la société Esnault de toutes ses demandes à l'encontre de DLP ;

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Condamner le liquidateur judiciaire de la société Esnault à payer à la société DLP la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure initiée à l'encontre de DLP.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 mars 2023.

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

- Sur la recevabilité de l'appel en intervention forcée de la SNC Distribution Leader Price

Exposé du moyen :

Le mandataire liquidateur de la société Esnault soutient que la société Leader Price Exploitation (LPE) a été assignée en sa qualité de société holding du groupe Leader Price, les magasins concernés étant exploités sous l'enseigne Leader Prince et seule LPE pouvant justifier du cadre juridique permettant aux différentes sociétés ayant cette dénomination sociale d'utiliser la marque ou l'enseigne Leader Price dans le cas où elles ne seraient pas franchisées. Cependant, LPE s'est, jusqu'à la veille de la clôture de la procédure d'appel, contenté de répondre n'être ni la centrale d'achat, ni le franchiseur et s'est abstenue d'indiquer de quelle autre holding ces magasins dépendaient, malgré une sommation de communiquer en date du 9 octobre 2018.

Le 6 janvier 2020, la société LPA, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Esnault, a finalement obtenu des exemples des premières pages des contrats de licence de marque, ainsi qu'un extrait du document d'information précontractuelle type des concessions Leader Price desquels il ressort qu'une autre société du groupe, la société Distribution Leader Price (DLP) a concédé un contrat de licence de marque à trois des sociétés figurant dans la liste des 43 magasins. Ceci, selon LPA, caractérisant un élément nouveau non connu du demandeur à l'intervention avant la clôture de la procédure de première instance, et indispensable à la solution du litige, elle a assigné DLP en intervention forcée devant la cour d'appel afin qu'elle soit condamnée solidairement avec la société LPE, étant observé que cet appel en la cause a été effectué dans des conditions telles que DLC a été en mesure de faire utilement valoir sa défense.

La société DLP répond qu'aucune évolution du litige depuis le jugement ne justifie de la mettre en cause, et de la priver de son droit au double degré de juridiction, puisqu'elle n'avait pas été attraite dans la procédure de première instance. Elle ajoute qu'un tel appel en cause doit notamment être jugé irrecevable lorsqu'il est destiné à réparer une omission procédurale ou une mauvaise appréciation de ses droits par le demandeur.

Elle soutient que la communication d'extraits de contrats de licence (lesquels datent de 2010) ne permet pas de justifier l'appel en intervention forcée de la société DLP (laquelle existe par ailleurs depuis 1992). Aucune des circonstances évoquées par Esnault ne lui paraît justifier l'application de l'article 555 du code de procédure civile puisque ces dernières ne sont selon elle ni nouvelles, ni postérieures au jugement.

Réponse de la Cour :

L'article 555 du code de procédure civile dispose que les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance «peuvent être appelées devant la Cour, même aux fins de condamnation, lorsque l'évolution du litige implique leur mise en cause».

L'évolution du litige n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données du litige (Cass. Assemblée plénière, 11 mars 2005, nº03-20.484).

En l'espèce, la société Esnault est un tiers aux relations qu'entretiennent les différentes sociétés du groupe Leader Price tant entre elles qu'avec, dans la diversité des formes juridiques qui sont les leurs, les magasins sous enseigne Leader Price.

La Cour retient que dans ces circonstances, le mandataire liquidateur de la société Esnault ne pouvait savoir, jusqu'à la réponse partielle à la sommation de communiquer délivrée, si les magasins avec lesquels ce grossiste en fruits et légumes était en lien dépendaient d'une autre holding que la société LPE et dans quel cadre juridique ils pouvaient utiliser la marque ou l'enseigne Leader Price.

Il ressort des documents finalement versés le 6 janvier 2020 par la société LPE qu'une autre société du groupe Leader Price, DLP, a concédé des contrats de licence de marques aux sociétés Leader Distribution Amabzac, Leader Distribution Bel Air et Malemortoise de distribution.

Ces trois sociétés exploitant partie des 43 magasins concernés par le litige, la rupture des relations commerciales alléguée pourrait, selon le mandataire liquidateur de la société Esnault, être imputée, s'il est fait droit à la demande qu'il a formulée à titre subsidiaire, tant à l'égard de la société DLP, décisionnaire selon lui des conditions d'approvisionnement de ses licenciés, qu'à l'égard de la société LPE, qui était sa gérante en 2015.

Il résulte de ce qui précède que la mise en cause de DLP se rattache directement à l'objet du litige au sens de l'article 325 du code de procédure civile et qu'elle se justifie par l'évolution du litige.

L'appel en la cause de la société DLP est recevable.

- Sur l'application de l'article L. 442-6, I, 5º du code de commerce

La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6, I, 5e du code de commerce, lequel dispose :

'Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :

(...) 5º de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.'

La Cour constate que la société LPE, selon les extraits de K-Bis soumis aux débats, n'exploitait pas avant 2013, 2016 ou 2017, les 7 magasins (de [Localité 28], [Localité 15], [Localité 7], [Localité 22], [Localité 18], [Localité 35] et [Localité 8]), qui sont devenus, suite à transmission universelle du patrimoine ou apport partiel d'actifs, ses établissements secondaires.

Contestant, dans ses écritures, qu'il y ait lieu d'«analyser la situation de ces établissements secondaires isolément», ce qui conduit à tort selon lui à examiner la question de la prescription de la demande formulée (les relations commerciales de ces derniers avec la société Esnault ayant cessé au plus tard en 2011), le liquidateur de la société Esnault évoque une relation commerciale d'Esnault avec le groupe Leader Price (en l'occurrence sur le plan juridique avec la société LPE, en concours ou non avec DPL), par l'intermédiaire tant des établissements secondaires que des sociétés exploitant les 36 autres magasins litigieux, relation qui a eu selon lui un caractère stable et «n'a pas cessé, avec les sociétés et/ou établissements secondaires du groupe Leader Price, d'être continue jusqu'en 2015».

La Cour, en formation autrement composée, retient en conséquence qu'il lui appartient, afin de déterminer l'entité à l'origine de la décision de rupture, de se prononcer sur l'autonomie de décision des «43 Leader Price», sans qu'il y ait lieu d' analyser au préalable quelle a pu être, et à quelles dates, la société exploitant l'un ou plusieurs de ces magasins.

- Sur l'autonomie de décision des sociétés exploitant des magasins Leader Price dans le choix de leurs fournisseurs fruits et légumes

Exposé du moyen :

Le liquidateur de la société Esnault soutient que pendant 17 ans, soit entre février 1997 et juin 2015, la société Esnault a été l'un des fournisseurs réguliers de nombreux magasins Leader Price, dans le grand sud-ouest de la France, et qu'elle a entretenu avec le groupe Leader Price des relations commerciales établies, pour un montant total de flux financiers de 26.181.413 € (sur la période comprise entre 2000 et 2015), ainsi que le démontrent les multiples factures d'approvisionnement produites (pièces nº3 à 21, lesquelles souligne-t-il correspondent à deux cartons).

Il ajoute que ce fournisseur n'a pu réaliser, avec une telle constance, un flux financier important avec autant de sociétés distinctes, qu'en raison du référencement dont Esnault bénéficiait au sein du groupe Leader Price auquel appartenaient toutes ces sociétés, ainsi que le démontre selon lui l'arrêt concomitant des commandes. Ainsi, la durée de la relation commerciale ne peut se comprendre établissement par établissement ou franchisé par franchisé.

Il fait valoir que le concept des enseignes de hard discount est basé sur des prix bas fondés sur des accords solides et de longue durée avec les fournisseurs, pour réduire les coûts d'achat. Il ajoute justifier de très nombreuses de factures sur la période visée, toutes adressées à des sociétés ou établissements portant le nom de Leader Price, et pouvant être distants les uns les autres de plusieurs centaines de kilomètres. Il soutient qu'eu égard aux flux financiers en cause, les commandes doivent nécessairement être analysées globalement.

Il ajoute que l'indépendance de principe existant entre les franchisés ou filiales vis à vis de leur franchiseur ou société mère est tempérée par certaines circonstances, selon la jurisprudence.

Etant donné la régularité des commandes et le nombre important de magasins avec lesquels elle était en relation commerciale, il soutient enfin, considérant que la théorie de l'apparence trouve en l'espèce à s'appliquer, qu'Esnault a pu légitimement penser que cette relation s'exerçait non pas avec chacun de ces magasins, mais avec une seule et même société et qu'elle était son seul et unique partenaire.

La société LPE répond n'être ni une tête de réseau, ni une centrale de référencement, ni le franchiseur du groupe Franprix Leader Price, et soutient par ailleurs que les fournisseurs de fruits et légumes ne donnent pas lieu à référencement chez Leader Price. Elle observe en outre qu'Esnault n'a jamais été en contact avec elle et que cette dernière ne verse au demeurant aux débats aucun échange, aucun contrat, aucun bon de commande, aucune facture, ni aucune attestation en ce sens.

Elle soutient être une société intégrée au groupe leader Price comme il y en a de nombreuses autres, de même qu'il y a de nombreuses sociétés affiliées. Celui qui invoque l'application de l'article L. 442-6, I, 5e du code de commerce se doit, indique-t-elle, d'identifier son partenaire commercial et ne peut prétendre qu'en cas de groupe de sociétés exploitant des magasins sous enseigne, il suffit d'en désigner une qui serait responsable du comportement de toutes les autres. Il appartient par ailleurs à celui qui se prévaut de relations commerciales nouées au niveau du groupe de rapporter la preuve d'une action concertée.

LPE affirme que les exploitants des magasins agissaient de manière indépendante, les pièces communiquées par Esnault au soutien de ses demandes mettant seulement en évidence qu'il existe une multitude de sociétés exploitant des surfaces de vente Leader Price. Elle observe que l'attestation de commissaire aux comptes produite par LGA ne vise pas la société LPE mais seulement, de façon très imprécise, «la société Leader Price».Elle ajoute que toute l'argumentation d'Esnault repose sur un tableau qu'elle a réalisé et des factures adressées à de nombreuses sociétés, qu'elle communique sans faire un lien avec ledit tableau.

Or, il ressort, selon l'intimée, de ce tableau que :

- Esnault a produit diverses factures mais sans réelle cohérence et ses pièces n'apportent pas la preuve de ce qu'elle affirme depuis 2016 : que la relation serait stable, continue, régulière depuis 1997';

- Les magasins se sont tous approvisionnés auprès d'Esnault à des périodes qui varient et aucun magasin n'a entretenu une relation continue de 17 ans ;

- Esnault ne communique aucune facture pour les magasins d'[Localité 20], [Localité 26] et [Localité 6]. Ces magasins sont dans le tableau parce qu'Esnault les y a inscrits mais aucune pièce versée aux débats ne permet d'établir un quelconque lien entre eux et l'appelante. Au surplus, certaines factures versées aux débats par Esnault ne visent même pas des magasins Leader Price (pièces LGA nº16 et 17 : facture adressée au magasin Cora de [Localité 24] et au magasin Leclerc de [Localité 21] ).

LPE fait enfin observer que les catalogues sont présentés magasins par magasins et que ces derniers sont libres de s'associer ou non à des opérations promotionnelles sur des produits spécifiques. Esnaut ne rapporte selon elle pas le moindre commencement de preuve que LPE se serait immiscée dans le choix des commerçants indépendants affiliés qui exploitent ces magasins de retenir tel ou tel fournisseur de fruits et légumes.

LPE en conclut qu'Esnault entretenu des relations commerciales avec chacune des sociétés exploitant un magasin Leader Price et qu'elle entretient sciemment la confusion en ne parlant que d'établissements ou de magasins Leader Price, étant observé par ailleurs que certaines sociétés exploitaient plusieurs magasins (3 s'agissant de la société Discount Centre, 2 s'agissant de la société Disprice et Leader Dordogne Distribution...).

La société DLP soutient que les factures versées aux débats par Esnault attestent de relations établies avec toute une série de sociétés, telles que Distrial SA, Sojodis SA, SARL Leader Distribution, Leader Price Boisseuil, SARL CAM [Localité 7], etc, dont aucune n'est DLP. Aucun des documents versés aux débats ne permet donc d'établir une quelconque relation entre elle et la société Esnault.

Elle relève que le liquidateur judiciaire d'Esnault fait valoir que LPE est associée à hauteur de 12, 5 % au sein de DLP et qu'elle a eu le statut de gérante, sans expliquer quelles conséquences il en tirerait. Or le fait que des liens capitalistiques existent parce que ces deux sociétés appartiennent au même groupe est sans incidence sur la question litigieuse : savoir si ce sont elles qui elles étaient les partenaires commerciaux d'Esnault ou si c'était les sociétés exploitantes (lesquelles, en raison du choix procédural retenu par Esnault, ne sont pas dans la cause).

DLP se prévaut de jurisprudences desquelles il ressort notamment que la responsabilité d'une société mère impose la démonstration d'une intervention directe et importante de celle-ci, privant toute autonomie ses filiales ou franchisés.

Elle fait valoir que la circonstance qu'Esnault ait convaincu plusieurs magasins Leader Price de sa région, comme vraisemblablement nombre d'autres enseignes, de travailler avec elle, ne prouve pas que des consignes auraient été données.

Elle évoque le fonctionnement du réseau Leader Price, duquel il ressort selon elle que les magasins, qui sont du reste des affiliés et non des franchisés, disposent d'une vraie autonomie, tout particulièrement en matière de fruits et légumes. Elle ajoute que le tableau communiqué par LGA illustre au demeurant la diversité des stratégies d'approvisionnement des magasins.

Réponse de la Cour :

Force est de constater que LPE soutient, sans être utilement contredite, que les magasins Leader Price ont généralement plusieurs fournisseurs fruits et légumes, qu'ils choisissent localement ou régionalement, qu'ils ont la liberté de s'approvisionner auprès du fournisseur de fruits et légumes de leur choix et que ne sont établis en l'espèce ni coordination entre les sociétés d'exploitation de ces magasins, ni référencement fût-il implicite.

La Cour retient, à cet égard et en premier lieu, qu'il est constant que les fruits et légumes étaient en l'espèce livrés par Esnault directement aux différents magasins Leader Price concernés, sans passer par un entrepôt ou une centrale du groupe Franprix Leader Price.

La Cour relève, en deuxième lieu, qu'il n'a été versé au cours des débats aucun document permettant d'affirmer (ainsi que le fait LGA en se référant uniquement aux clauses existant habituellement dans les contrats type liant franchisés et franchiseur), que tout ou partie des sociétés exploitant les magasins Leader Price s'étaient engagées à s'approvisionner exclusivement auprès de centrales d'achat et/ou de producteurs référencés par LPE, d'une part, et pour tous les produits soit y compris des fruits et légumes, d'autre part.

La Cour observe, en troisième lieu, que le liquidateur de la société LGA, ès qualités, s'il a versé aux débats de nombreuses factures, ne fournit aucun aucun élément émanant d'Esnault (e-mails, memos internes, attestation du dirigeant et/ou de salariés...) de nature à permettre à la Cour d'identifier qui étaient les interlocuteurs réels de ce fournisseur coté Leader Price et d'apprécier dans quelles circonstances ils sont entrés en relation avec Esnault.

La Cour ne peut en conséquence pas déterminer dans quelle mesure les sociétés exploitant les magasins Leader Price litigieux se sont comportées de manière non autonome dans le choix de leurs fournisseurs fruits et légumes.

Elle ne peut pas non plus apprécier dans quelle mesure Esnault, comme l'allègue son liquidateur ès qualités, a légitimement pu croire n'avoir qu'un seul et unique partenaire commercial.

Dans ces circonstances, la Cour retient qu'il n'est pas démontré que les sociétés exploitant les magasins Leader Price qui ont acquis des fruits et légumes auprès de la société Esnault étaient privées de leur autonomie de décision quant au choix de leurs fournisseurs de ces produits.

- Sur l'autonomie de décision des sociétés exploitant des magasins Leader Price dans le choix de poursuivre leurs relations commerciales avec la société Esnault

Exposé du moyen :

Le liquidateur de la société Esnault observe que sur la période concernée, les sociétés franchisées/concessionnaires ou les établissements secondaires ont pu débuter ou terminer leur relation à des dates différentes, la relation s'étant développée dans un premier temps, et jusqu'en 2012, pour se stabiliser progressivement puis subir quelques déréférencements, et se terminer brutalement en 2015, l'arrêt des commandes n'ayant été précédé d'aucune réclamation liée par exemple à une hausse des prix ou à une baisse de qualité.

Il soutient que l'absence d'autonomie de décision s'infère nécessairement de la concomitance des ruptures.

La société LPE répond qu'il n'existe aucune concomitance dans l'arrêt des commandes des magasins auprès d'Esnault, puisque cette dernière confirme elle-même qu'elle n'aurait livré que 15 magasins en 2013, 13 en 2014 et 11 en 2015, dont un magasin qui a commandé à Esnault des fruits et légumes pour un montant de 405 euros seulement.

LPE fait valoir que les propres pièces de LGA démontrent que les 43 magasins qu'Esnault a pu livrer sur une période de 17 ans avaient des comportements non-coordonnés et que LPE ne peut être tenue responsable des décisions prises par diverses sociétés, à des moments différents, de ne plus s'approvisionner auprès de ce grossiste de fruits et légumes en particulier. Elle observe que certaines sociétés exploitant des magasins ont passé commande ponctuellement auprès d'Esnault pendant un an, puis n'ont plus eu recours à elle pendant des années, pour ensuite reprendre une relation éphémère et ce sans que le comportement d'un magasin ne soit de assimilable à celui d'un autre.

Elle soutient que la société Esnault a entretenu des relations commerciales distinctes avec une trentaine de sociétés différentes qui étaient totalement libres de s'approvisionner auprès du fournisseur de leur choix, elle-même n'étant qu'une société qui exploite plusieurs magasins parmi d'autres, et qui n'exerce aucune influence sur la politique commerciale des autres.

Réponse de la Cour :

La Cour constate que LPE souligne, sans être contredite, que :

- deux magasins ([Localité 41] et [Localité 6]) n'ont été fournis par Esnault que pendant une année,

- que 17 ne l'ont été que pendant 2 ans ([Localité 18], [Localité 38], [Localité 13], [Localité 14], [Localité 27], [Localité 19], [Localité 23], [Localité 36], Dordogne [Localité 9], [Localité 20], [Localité 10], [Localité 12], [Localité 17], [Localité 39], [Localité 30], [Localité 25] et [Localité 11]),

- que si l'on se réfère aux factures produites par LGA ès qualités, Leader [Localité 16] n'a été en relation commerciale avec Esnault qu'en 2001-2002 puis entre 2009 et 2011, Leader [Localité 32] qu'en 2010 et 2011, Leader [Localité 33] en 2001 et 2002 puis entre 2009 et 2011, Leader [Localité 28] en 2009 seulement, Leader [Localité 7] de 2004 à 2006 puis en 2010 et 2011, Leader [Localité 8] et Leader [Localité 22] en 2010 et 2011, Leader [Localité 37] en 2009 et 2011, Leader [Localité 31] et Leader [Localité 40] en 2009, Leader [Localité 29] de 2011 à 2013, Leader [Localité 42] en 2011 puis en 2013.

La Cour observe que l'analyse des factures produites ne permet par ailleurs d'identifier que 8 magasins Leader Price approvisionnés par Esnault en 2012, 12 en 2013, 6 en 2014 et 9 en 2015.

A raison, LPE en déduit qu'il ne ressort pas des éléments du dossier que les comportements à l'égard de la société Esnault des 43 magasins à enseigne Leader Price concernés ont été similaires les uns avec autres. Ces entreprises, pendant les périodes très diverses durant lesquelles elles ne se sont pas approvisionnées auprès cette société, ont au demeurant nécessairement choisi de faire appel à d'autres fournisseurs de fruits et légumes.

La Cour retient en conséquence que la facturation versée, dès lors qu'elle met en évidence des variations notables, et qu'elle n'est pas appuyée par d'autres éléments émanant d'Esnault (tels que des e-mails, des memos internes, des attestation du dirigeant et/ou de salariés...) permettant à la Cour de cerner la réalité des négociations commerciales sous-jacentes, ne peut caractériser par elle-même le comportement non autonome des sociétés exploitant les magasins Leader Price concernés dans leur choix de poursuivre ou non leurs relations commerciales avec la société Esnault.

Il se déduit de l'ensemble que le liquidateur de la société Esnault, défaillant dans l'administration de le preuve, qui lui incombe, d'une absence d'autonomie de décision de ces sociétés du groupe Leader Price quant au choix de leurs fournisseurs de fruits et légumes puis de la poursuite de la relation commerciale avec eux, doit être débouté de ses demandes tant à l'encontre de LPE que de DPL.

Le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux est confirmé.

- sur les autres demandes

Le liquidateur judiciaire de la société Esnault, ès qualités, s'il s'est mépris sur l'étendue des droits de la société qu'il représente, n'a pas fait dégénérer en abus le droit à exercer la présente action en justice.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des intimées les frais irrépétibles qu'elles ont été contraintes d'exposer. Le liquidateur judiciaire de la société Esnault, ès qualités, sera condamné, en équité, à verser à chacune d'elle la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est débouté de sa demande formée à ce titre.

Partie perdante, il est, ès qualités, condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 12 juin 2018 en l'ensemble des dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant ;

Condamne le liquidateur judiciaire de la société Esnault Eurofruits Méditerranée, ès qualités, à payer à la société Leader Price Exploitation la somme supplémentaire de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le liquidateur judiciaire de la société Esnault Eurofruits Méditerranée, ès qualités, à payer à la société Distribution Leader Price la somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le liquidateur judiciaire de la société Esnault Eurofruits Méditerranée, ès qualités, aux dépens d'appel.