CA Rennes, 2e ch., 17 mai 2019, n° 16/01134
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Faïencerie d’Art Breton (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
Mme Dotte-Charvy, Mme Gelot-Barbier
EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat à durée indéterminée du 1er août 2009, la SAS Faïencerie d'art breton (la société FAB), représentée par M. Pierre-Herbert H., a confié au père de ce dernier, M. Pierre-Jules H. (M. H.), ancien directeur salarié de la société exerçant depuis le 29 mai 2009 une activité de consultant, une mission de conseil en matière de stratégie d'entreprise incluant l'adaptation des activités au marché, la négociations avec les fournisseurs, les exportations, la gestion du personnel, l'assistance technique, la collaboration avec les artistes et les relations publiques, moyennant une rémunération annuelle de 32 000 euros HT.
Par convention de cession d'actions du 29 juillet 2011, les actionnaires de la société FAB en ont cédé le contrôle à la société Ciranoë et, par courrier du 9 septembre 2011, le nouveau dirigeant de la société FAB a notifié à M. H. la rupture de son contrat de mission.
Faisant valoir que, selon ses énonciations, le contrat ne pouvait être dénoncé qu'à l'expiration de chaque période annuelle et moyennant le respect d'un préavis de trois mois, M. H. a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2013, vainement mis la société FAB en demeure de lui payer sa rémunération pour la période du 1er septembre 2011 au 31 juillet 2012 puis l'a, par acte du 2 juillet 2013, fait assigner en paiement devant le tribunal de grande instance de Quimper.
La société FAB s'est portée demanderesse reconventionnelle en annulation du contrat de mission et en restitution des sommes versées en exécution de celui-ci.
Estimant que le contrat de mission du 1er août 2009 devait s'analyser en une convention de direction d'entreprise faisant de M. H. le gérant de fait de la société FAB, et que cette convention, qui portait sur l'accomplissement de prestations identiques à celles qui relevaient du mandat social, était dépourvue de cause, les premiers juges ont, par jugement du 26 janvier 2016 :
déclaré les demandes reconventionnelles de la société FAB recevables,
annulé pour défaut de cause la convention conclue le 1er août 2009 entre M. H. et la société FAB,
débouté M. H. de ses demandes,
condamné M. H. à restituer à la société FAB la somme de 66 100 euros,
rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires,
dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné M. H. aux dépens,
ordonné l'exécution provisoire de la décision.
M. H. a relevé appel de cette décision le 9 février 2016.
Par ordonnance du 10 mai 2016, le premier président a débouté M. H. de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire mais ordonné la mise sous séquestre du montant en principal de la condamnation, soit 66 100 euros.
M. H. demande à la cour de :
condamner la société FAB au paiement des sommes de 29 333,33 euros en principal , avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 mars 2013 et de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
condamner la société FAB au paiement des intérêts au taux légal sur la somme placé sous séquestre de 66 100 euros à compter de la consignation du 3 juin 2016 et jusqu'à restitution effective de cette somme,
déclarer la société FAB irrecevable et mal fondée en ses demandes et l'en débouter,
condamner la société FAB au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société FAB conclut quant à elle à la confirmation du jugement attaqué, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Elle réclame à ce titre la condamnation de M. H. au paiement d'une somme de un euro, outre une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour M. H. le 3 septembre 2018 et pour la société FAB le 4 juillet 2016, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 10 janvier 2019.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la nullité du contrat
Pour s'opposer aux demandes de M. H., la société FAB soutient que le contrat litigieux constituerait une convention de direction confiée au gérant de fait de la société, de sorte que la mission qui lui est contractuellement confiée se confond avec celle de mandataire social et que, partant, le contrat serait nul pour défaut de cause.
Elle prétend aussi que le contrat, conclu avec le gérant de fait de la société, constituerait une convention réglementée irrégulière faute d'avoir été autorisée par l'assemblée générale.
L'appelant soulève de son côté, sur le fondement des articles L. 235-9 ainsi que L. 225-42 et L. 227-12 du code de commerce, la fin de non-recevoir tirée de la prescription triennale des actions en nullité des délibérations d'assemblées générale d'actionnaires et des conventions réglementées conclues entre un dirigeant social et la société.
Il convient cependant de rappeler que la société FAB est une société par actions simplifiée ( SAS ), et non une société anonyme, et que les dispositions de l'article L. 227-12 du code de commerce, invoquées par M. H. au soutien de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription triennale de l'action en nullité des conventions règlements réglementées, ne renvoient qu'aux seules règles de L. 225-43 applicables aux conventions interdites relatives aux emprunts, découverts en compte et cautionnements consentis par des sociétés anonymes à leurs dirigeants, étrangères à la présente affaire.
Les dispositions des articles L. 225-38 et L. 225-42 du code de commerce relatives aux conventions réglementées conclues entre une société anonyme et ses directeurs généraux ou ses administrateurs sont quant à elles sans application dans les SAS .
Les conventions conclues entre une SAS et ses dirigeants relèvent en effet des dispositions particulières de l'article L. 227-10 du même code, lesquelles, sauf dispositions contraires des statuts qui ne sont en l'espèce ni invoqués, ni produits, ne les soumettent pas à une autorisation préalable, mais seulement à une approbation a posteriori par les associés sur le rapport du commissaire aux comptes.
En outre, il résulte de ce texte que les conventions réglementées non approuvées ne sont pas nulles, mais donnent seulement lieu à réparation en cas de conséquences dommageables pour la société.
Il s'en évince que la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité de convention réglementée doit être rejetée, mais que la société FAB doit être déboutée de cette prétention.
Il est en revanche exact que l'article L. 235-9 du code de commerce, aux termes duquel les actions en nullité des délibérations d'associés se prescrit par trois ans, est applicable à toutes les sociétés commerciales.
Toutefois, la société FAB n'agit pas en annulation d'une délibération de l'assemblée générale des actionnaires, mais en annulation du contrat pour défaut de cause, ce dont il résulte que la prescription applicable est celle de l'article 1304 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, aux termes duquel les actions en nullité d'une convention se prescrivent par cinq ans.
Dès lors, la demande d'annulation du contrat de mission du 1er août 2009 pour défaut de cause, formée par conclusions du 15 novembre 2013, est recevable.
Il ressort à cet égard des pièces et des explications des parties que M. H., actionnaire détenant à titre personnel 1,50 % des actions, a été le directeur salarié fondé de pouvoir de la société FAB de 1994 au 31 juillet 2009, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite après avoir connu en 2007 de sérieuses difficultés de santé le plaçant en situation d'invalidité partielle.
Après étude confiée à un cabinet d'avocats, examinant les avantages et les inconvénients en matière fiscale et sociale de sa poursuite partielle d'activité au travers d'un contrat de consultant sous le régime de l'auto-entreprise ou d'un mandat social rémunéré de président de la SAS , l'assemblée générale des actionnaires du 5 juin 2009 a déclaré envisager de confier à M. H. une mission de consultant à définir et, par contrat du 1er août 2009 contresigné par les représentants de chacun des groupes d'actionnaires de référence, la société FAB a confié à M. H. une mission de conseil en matière de stratégie d'entreprise incluant l'adaptation des activités au marché, la négociations avec les fournisseurs, les exportations, la gestion du personnel, l'assistance technique, la collaboration avec les artistes et les relations publiques, sa délégation de fondé de pouvoir étant par ailleurs maintenue.
Corrélativement, par décision du 26 janvier 2009, M. Pierre-Herbert H., fils de M. H., résidant en Suisse et détenant 25 % des actions, a, selon délibération de l'assemblée générale du 26 janvier 2009, été désigné président de la société FAB en application des statuts qui prévoyaient que cette fonction serait assurée alternativement par un représentant de chacun des trois groupes d'associés titulaires d'actions spéciales en faisant des actionnaires de référence.
Il est certain que la convention du 1er août 2009 portait sur des prestations de service incluant tout ou partie d'une mission de direction de société.
Les arguments invoqués par la société FAB pour tenter de caractériser une gérance de fait, notamment l'existence d'une délégation de pouvoir et les interventions de M. H. aux assemblées générales, ne résultent que de l'exécution de son contrat de travail de directeur salarié au premier semestre 2009 puis, ultérieurement, de la convention litigieuse, et l'utilisation d'un moyen de paiement de la société pour accomplir sa mission, à la supposer contraire aux prévisions contractuelles au demeurant muettes sur ce point, n'est en tout état de cause pas de nature à fonder l'annulation du contrat.
En outre, ainsi que la cour l'a précédemment relevé, la société FAB n'était pas une société anonyme, légalement dotée d'un directeur général exerçant un mandat social et à laquelle la jurisprudence invoquée par l'intimée est applicable, mais une SAS dont les statuts pouvaient librement définir les conditions dans lesquelles elle devait être dirigée en application de l'article L. 227-5 du code de commerce.
Or, il n'est pas allégué que les statuts de la société FAB, qui ne sont pas produits, comporteraient des dispositions conférant à la direction générale de l'entreprise la nature d'un mandat social ou interdisant de confier cette direction à un tiers par la voie d'une convention de prestation de services.
Dès lors, rien ne faisait obstacle à la conclusion du contrat litigieux avec M. H., qui n'exerçait alors aucun mandat social de droit et n'en avait auparavant jamais exercé, cette convention trouvant sa cause, pour la société FAB, dans l'exécution de la mission de définition de la stratégie de l'entreprise incluant l'adaptation des activités au marché, la négociations avec les fournisseurs, les exportations, la gestion du personnel, l'assistance technique, la collaboration avec les artistes et les relations publiques confiée au prestataire en contrepartie d'une rémunération de 32 000 euros HT.
Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a annulé le contrat du 1er août 2009.
Sur le manquement à l'obligation de loyauté
La société FAB fait aussi valoir que M. H., tenu en sa qualité de dirigeant de fait, d'agir en conformité avec l'intérêt social, lui aurait fautivement fait conclure un contrat de mission faisant supporter à la société une charge de rémunération de 32 000 euros par an sans contrepartie véritable, dans le seul but de diriger la société tout en jouissant d'un régime fiscal et social avantageux.
Il a cependant été précédemment relevé que les arguments invoqués par la société FAB pour caractériser une gérance de fait ne résultent que de l'exécution de la convention litigieuse et que rien ne faisait obstacle à la conclusion de ce contrat avec M. H., qui n'exerçait alors aucun mandat social de droit.
Il a aussi été précédemment observé que ce contrat a été conclu le 1er août 2009 avec le contreseing des représentants de chacun des groupes d'actionnaires de référence après étude confiée à un cabinet d'avocats, examinant les avantages et les inconvénients en matière fiscale et sociale de sa poursuite partielle d'activité au travers d'un contrat de consultant sous le régime de l'auto-entreprise ou d'un mandat social de président de la SAS .
Enfin, il n'est donné consistance à l'allégation d'absence de contrepartie véritable à la rémunération annuelle de 32 000 euros HT que pour le seul mois d'août 2011 dont le règlement devra être restitué pour les motifs ci-après exposés, la société FAB prétendant au contraire que, de juillet 2009 à juillet 2011, M. H. a accompli une mission de direction d'entreprise s'apparentant à une gérance de fait.
Dès lors, le manquement allégué n'est en rien établi.
Sur la caducité du contrat
Faisant valoir que M. H. avait été nommé président de la SAS FAB par une délibération de l'assemblée générale des actionnaires de référence du 25 juillet 2011, l'intimée en déduit que le contrat de mission serait devenu caduc au 17 juillet précédent, date d'effet de son mandat social.
Il est exact que, selon procès-verbal du 25 juillet 2011, M. H. a été nommé à l'unanimité président de la SAS en remplacement de son fils, Pierre-Herbert H., démissionnaire, avec la précision que ses fonctions de président ne seraient pas rémunérées en dehors de la prise en charge de ses frais de déplacement.
Dès la date de sa nomination, le mandat social confié à M. H. privait le contrat qui lui avait été confié le 1er août 2009 d'éléments essentiels à sa validité, la mission de définition de la stratégie de l'entreprise incluant l'adaptation des activités au marché, la négociations avec les fournisseurs, les exportations, la gestion du personnel, l'assistance technique, la collaboration avec les artistes et les relations publiques se confondant alors avec l'accomplissement de ses fonctions de président de la SAS .
De surcroît, la poursuite de l'exécution de ce contrat était contraire à la décision de l'assemblée générale des actionnaires qui avait confié à M. H. un mandat social non rémunéré.
Il convient donc de prononcer la caducité du contrat à effet au 25 juillet 2011.
Cette caducité prive nécessairement de tout fondement la demande en paiement d'une indemnité compensatrice de rupture formée par M. H. pour la période postérieure de septembre 2011 à juillet 2012.
La demande reconventionnelle de la société FAB en restitution des sommes payées en exécution du contrat de juillet 2009 à août 2011 n'est quant à elle justifiée qu'à hauteur de 2 600 euros HT correspondant à la facture du mois d'août 2011, période postérieure à la date d'effet de la caducité du contrat.
Sur les demandes accessoires
Chacune des parties succombe en l'essentiel de ses prétentions.
Il en résulte que les demandes en paiement de dommages-intérêts pour procédure ou résistance abusive sont dénuées de fondement, rien ne démontrant que le droit d'agir ou de se défendre en justice ait dégénéré en abus de la part de l'une ou de l'autre des parties.
En outre, celles-ci conserveront en conséquence la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elles ont elles-mêmes exposés, et il n'y a pas matière à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque tant en première instance qu'en appel.
M. H. sollicite enfin la condamnation de la société FAB au paiement des intérêts au taux légal sur la somme de 66 100 euros qu'elle a dû consigner en exécution de l'ordonnance du premier président du 10 mai 2016, à compter de la date de la consignation du 3 juin 2016.
Il est cependant de principe que la partie qui doit restituer une somme qu'elle détenait en vertu d'une décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution.
Dans l'hypothèse où les fonds consignés aient produit des fruits au profit de celui auquel il doivent être remis après la levée du séquestre, il appartient à celui-ci d'en faire la réclamation à la personne instituée séquestre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 26 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Quimper en ce qu'il a déclaré recevable la demande d'annulation du contrat du 1er août 2009, débouté M. H. de ses demandes et dit n'y avoir lieu à en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus ;
Déboute la société Faïencerie d'art breton de sa demande d'annulation du contrat du 1er août 2009 ;
Prononce la caducité du contrat du 1er août 2009 à effet au 25 juillet 2011 ;
Condamne M. H. à payer à la société Faïencerie d'art breton la somme de 2 600 euros HT au titre de la restitution du règlement versé en exécution de ce contrat pour le mois d'août 2011 ;
Déboute la société Faïencerie d'art breton du surplus de ses demandes ;
Rejette la demande en paiement des intérêts légaux sur les fonds consignés à compter de la date de la consignation ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.