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Décisions

CA Chambéry, ch. soc., 27 septembre 2018, n° 17/02338

CHAMBÉRY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Association AGS CGEA d’Annecy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fourcade

Conseillers :

Mme De Rego, Mme Simond

Cons. Prud’h. d’Aix les Bains, du 12 sep…

12 septembre 2017

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme Sandra B. a été engagée par la société Comprod en qualité de directrice commerciale, statut cadre à compter du 1er février 2014.

Son temps de travail était de 12 heures hebdomadaire moyennant une rémunération de 20 euros par heure et un forfait de frais de 1 000 euros. Il passait à 35 heures hebdomadaires à compter d'octobre 2015.

Mme Sandra B. était associée majoritaire de la société Comprod, exerçant sous forme de SAS (société par actions simplifiées) et qui avait pour objet : agence de publicité, de communications, production artistique et audiovisuelle, organisation d'événements, achat/vente. Depuis la création de cette société en mars 2013, Mme Sandra B. détenait 50 % des actions de la société Comprod, puis 55 % suite à une augmentation de capital en février 2014, actions qu'elle cédera à titre gracieux le 19 mars 2016 à M. Jean-Marc M..

Le 19 juillet 2016, la société Comprod était placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire le 12 septembre 2016. La date de cessation des paiements a été fixée au 15 janvier 2015.

Le 26 septembre 2016, la Selarl Etude B. & G. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Comprod a licencié Mme Sandra B. pour motif économique.

L'AGS CGEA d'Annecy lui a contesté son statut de salariée et Mme Sandra B. a saisi le conseil de prud'hommes d'Aix-les-Bains par requête en date du 22 décembre 2016 pour que lui soit reconnu ce statut, pour obtenir règlement de ses salaires d'août et septembre 2016, ses frais professionnels, l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité légale de licenciement.

Par jugement en date du 12 septembre 2017, le conseil de prud'hommes d'Aix-les-Bains a :

- dit que Mme Sandra B. bénéficiait bien de la qualité de salariée de la société Comprod

- constaté la créance de Mme Sandra B. au passif de la liquidation judiciaire de la société Comprod et fixé son montant à concurrence des sommes de :

. 2 263,90 euros réduit de 500 euros, soit 1 763,90 euros et 226,39 euros au titre des congés y afférents au titre du salaire du mois d'août 2016,

. 1 955,30 euros et 195,53 euros au titre des congés payés y afférent au titre du salaire de septembre 2016,

. 4 527,80 euros et 452,78 euros au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents,

.1 169,68 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

. 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la Selarl Etude B. & G. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Comprod de remettre à Mme Sandra B. un certificat de travail, une attestation Pôle emploi comportant les mentions actualisées au regard de la solution apportée au présent litige,

- débouté Mme Sandra B. du surplus de ses demandes,

- débouté la Selarl Etude B. & G., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Comprod de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- déclaré le jugement opposable au CGEA d'Annecy, gestionnaire de l'AGS, dans les limites édictées par les textes légaux,

- dit que la garantie du CGEA d'Annecy est exclue pour la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que l'obligation de cet organisme de faire l'avance des sommes allouées au salarié ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement,

- condamné la société Comprod, représentée par la Selarl Etude B. & G. ès qualités de mandataire liquidateur aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 22 octobre 2017, l'AGS CGEA d'Annecy a interjeté appel de la décision, appel de l'ensemble du dispositif du jugement

Dans ses conclusions n°2 notifiées le 12 mars 2018 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, l'AGS CGEA d'Annecy demande à la cour d'appel de :

A titre principal :

- réformer le jugement

- dire et juger que Mme Sandra B. nommée au mandat de directrice commerciale dès le 18 mars 2013 a exercé une prestation dans cet unique cadre,

- dire et juger que le contrat de travail de Mme Sandra B. signé le 31 janvier 2014, en cette qualité est fictif,

- en conséquence,

- dire et juger que les créances revendiquées par Mme Sandra B. ne peuvent être qualifiées de salariales,

- écarter toutes ses demandes et la renvoyer à mieux se pouvoir,

- la mettre hors de cause,

A titre subsidiaire, si le jugement est confirmé sur le fond quant à la reconnaissance de la qualité de salariée de Mme Sandra B.,

- débouter Mme Sandra B. de ses demandes de remboursement de frais professionnels prétendument exposés pendant la période d'observation de la société Comprod,

- dire que sa garantie est limitée à un montant égal à un mois et demi de salaire pour les créances nées de l'exécution du contrat de travail pendant la période d'observation de la société Comprod, par application de l'article L. 3253-8 5° du contrat de travail,

- dire et juger qu'elle ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6 et suivants du code du travail, que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 à L. 3253-17 du code du travail,

- dire et juger que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Comprod a arrêté de plein droit le cours des intérêts et ce, au visa de l'article L. 628-28 du code de commerce,

- dire et juger que l'indemnité qui serait accordée à Mme Sandra B. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'astreinte qui serait prononcée ainsi que les dépens sont exclus de sa garantie, les conditions spécifiques de celle-ci n'étant pas réunies notamment au visa de l'article L. 3253-6 du code du travail,

- dire et juger que sa garantie est encadrée par les articles L. 3253-17 et D.3253-5 du code du travail, qui prévoient, pour toutes causes de créances confondues, le principe du plafond de garantie de l'AGS applicable aux créances qui seraient fixées au bénéfice de Mme Sandra B. au titre de son contrat de travail,

- dire et juger que son obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entres ses mains pour procéder à leur paiement,

- condamner Mme Sandra B. aux dépens.

Dans ses conclusion notifiées le 7 novembre 2017 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, la Selarl Etude B. & G. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Comprod demande à la cour d'appel de :

- réformer le jugement,

- dire et juger qu'en dépit des apparences sciemment créés, Mme Sandra B. n'avait pas la qualité de salariée de la société Comprod,

- dire et juger que le contrat de travail écrit de Mme Sandra B. est fictif faute de réunir les conditions requises en droit positif,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à fixation de créances de nature salariale et à établissement de nouveaux documents de fin de contrat,

- débouter Mme Sandra B. de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire,

- relevant que l'instance engagée par Mme Sandra B. à l'encontre de la société Comprod n'a pour objet que la vérification des créances qu'elle revendique,

- réformant le jugement,

Vu l'article L. 632-1 du code de commerce,

- dire et juger que l'avenant au contrat de travail de Mme Sandra B. est nul pour être intervenu pendant la période suspecte,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à fixation de créances de nature salariales,

- débouter Mme Sandra B. de toutes ses demandes,

En tout état de cause,

- dire et juger irrecevables toutes demandes de condamnation formées par Mme Sandra B. à son encontre ès qualités,

- condamner Mme Sandra B. à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 22 mars 2018 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, Mme Sandra B. demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu sa qualité de salariée et en ce qu'il a ordonné l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la société Comprod des sommes suivantes :

.2 263,90 euros au titre du salaire du mois d'août 2016 outre les congés payés afférents de 226,39 euros,

.1 955,30 euros au titre du salaire du mois de septembre 2016 outre les congés payés afférents de 195,53 euros,

.1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- reformer le jugement pour le surplus,

- statuer à nouveau,

- ordonner l'inscription au passif de la liquidation judiciaire de la société Comprod aux sommes suivantes :

. 1 000 euros pour août 2016, 1 000 euros pour septembre 2016 au titre des frais professionnels,

. 2 090 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

. 6 971,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents pour un montant de 679,17 euros,

. 1 987,23 euros net au titre de l'indemnité de licenciement,

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement sur les sommes allouées au titre des indemnités de rupture,

En tout état de cause,

- condamner Maître B. ès qualités de liquidateur de la société Comprod à lui transmettre une attestation Pôle emploi tenant compte de la décision à intervenir et de la qualité de salariée reconnue ainsi qu'un certificat de travail,

- inscrire au passif de liquidation de la société Comprod une somme de 2 520 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Comprod aux entiers dépens de l'instance et de l'exécution,

- dire et juger que la décision à intervenir sera commune et opposable à l'AGS CGEA d'Annecy

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mai 2018.

SUR QUOI

En droit, trois critères cumulatifs caractérisent un contrat de travail : une prestation de travail, une rémunération, un lien de subordination juridique, ce dernier étant décisif.

Le lien de subordination est caractérisé par 'l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné'.

Mme Sandra B. est titulaire d'un contrat de travail écrit en date du 31 janvier 2014 signé avec la société Comprod, représentée par son président M. David B..

Elle a été embauchée en qualité de directrice commerciale.

Il appartient à l'AGS CGEA d'Annecy de rapporter la preuve du caractère fictif de ce contrat de travail.

Or Mme Sandra B. est à l'origine de la création de la société Comprod, société par actions simplifiées régie par les articles L.227-1 et suivants du code de commerce.

Les statuts de cette société du 2 janvier 2013 font apparaître quatre associés qui se répartissent le capital social de 150 euros divisé en 150 actions de un euro chacune de la manière suivante :

.20 actions : Mme Sylviane M.,

.75 actions : Mme Sandra B.

.15 actions : M. David B.

.40 actions : M. Jean-Marc M..

Les statuts prévoyaient que la société était administrée par un président, associé ou non, l'article L. 227-5 du code de commerce indiquant que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée.

Au départ Mme Sandra B. était présidente de la société Comprod. Elle a donné sa démission lors de l'assemblée générale extraordinaire du 17 octobre 2013 et M. David B. a été désigné président.

Selon procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 18 mars 2013, Mme Sandra B. était nommée directrice commerciale de la société Comprod, et M. Jean-Marc M., directeur administratif. Tous deux avaient les signatures indépendantes sur les comptes bancaires, l'un ou l'autre pouvant effectuer des opérations bancaires.

Or quelques mois plus tard, Mme Sandra B. va avoir des fonctions salariées de directrice commerciale qui sont identiques à celles de son mandat social, démontrant le caractère fictif du contrat de travail.

Elle est restée associée majoritaire notamment lors de l'augmentation de capital décidée lors de l'assemblée générale extraordinaire du 22 février 2014, ayant 55 % des parts sociales, M. Jean-Marc M. ayant 40 % des parts suite à la cession des parts de Mme Sylviane M., et M. David B. 5 %.

S'il est produit aux débats un acte de cession des parts sociales de Mme Sandra B. à M. Jean-Marc M., à titre gratuit, en date du 19 avril 2016, il n'est nullement justifié de la signification de l'acte de cession des actions à la société par lettre recommandée avec avis de réception, l'inscription sur le registre des mouvements de cette société et de la déclaration de celle-ci au service des impôts.

Si M. Jean-Marc M. apparaît comme gérant de fait de la société, et conduisait la politique administrative de la société Comprod, conformément d'ailleurs à son mandat social de directeur administratif, il n'est nullement justifié que Mme Sandra B. était sous lien de subordination de M. Jean-Marc M.. Dès le départ, il avait tous deux des fonctions de directeur et la libre disposition des comptes bancaires de la société. Chacun exerçait de manière autonome ses fonctions dans ses domaines de compétence, et au surplus, sur les décisions à prendre, Mme Sandra B. était associée majoritaire.

Lorsque l'AGS CGEA d'Annecy a demandé à Mme Sandra B. dans le questionnaire qui lui a été remis de qui elle recevait des directives, elle a indiqué du conseil d'administration qui contrôlait son activité par assemblée générale et mail, étant précisé qu'il n'existe pas de conseil d'administration au sein d'une société d'actions simplifiées et que Mme Sandra B. n'était nullement sous lien de subordination.

M. Jean-Marc M. qui était également titulaire d'un contrat de travail du 31 janvier 2014 comme directeur administratif et commercial a fait la même réponse, preuve qu'il n'avait pas le pouvoir de donner des ordres et directives à Mme Sandra B., ni d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements.

Le contrat de travail de Mme Sandra B. est un contrat fictif et Mme Sandra B. ne peut revendiquer le statut de salariée.

Le jugement sera en conséquence infirmé, Mme Sandra B. sera déboutée de l'intégralité de ses demandes et l'AGS CGEA d'Annecy sera mise hors de cause.

Succombant, Mme Sandra B. sera condamnée aux dépens. Sa situation économique commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Selarl Etude B. & G. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Comprod.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau ;

Dit que le contrat de travail de Mme Sandra B. est un contrat de travail fictif ;

Déboute Mme Sandra B. de l'intégralité de ses demandes ;

Déboute la Selarl Etude B. & G. ès qualités de mandataire liquidateur de la société Comprod de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme Sandra B. aux dépens.