Cass. 1re civ., 28 juin 2023, n° 22-10.560
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Financo (SA), [L] Ponroy SAS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
Mme Robin-Raschel
Avocat général :
M. Salomon
Avocat :
SCP Melka-Prigent-Drusch
Exposé du litige
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2021), par acte du 11 mars 2013 conclu à la suite d'un démarchage à domicile, M. et Mme [H] (les acquéreurs) ont acquis de la société Rev'Solaire (le vendeur) une installation de panneaux photovoltaïques et un ballon d'eau chaude financés par un crédit affecté souscrit le même jour auprès de la société Financo (la banque).
2. Le vendeur a été placé en liquidation judiciaire et M. [L] a été désigné en qualité de liquidateur.
3. Invoquant le défaut de remboursement des échéances du crédit, la banque a assigné en paiement les acquéreurs, qui ont assigné le vendeur, pris en la personne de son liquidateur, en nullité des contrats et en indemnisation.
Moyens
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, et le troisième moyen
Motivation
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'annulation des contrats de vente et de crédit affecté, alors « que les ventes conclues au cours d'un démarchage à domicile doivent faire l'objet d'un contrat remis au client au moment de la conclusion de la vente, lequel doit mentionner, à peine de nullité, le prix global à payer et les modalités de paiement ; qu'en cas de vente à crédit, le contrat doit en outre préciser, notamment, le montant du crédit et éventuellement de ses fractions périodiquement disponibles, le coût total ventilé du crédit et s'il y a lieu, son taux effectif global ; que la cour d'appel a expressément constaté que les mentions relatives aux modalités de paiement du contrat de vente n° 57201 du 11 mars 2013 signé par les époux [H] étaient « incomplètes », en ce qu'elles ne précisaient que le taux d'intérêt nominal, le taux effectif global et le nombre de mensualités du crédit affecté, sans renseigner sur le montant des mensualités, ni le montant du crédit et coût total ventilé ; qu'en refusant néanmoins de prononcer la nullité de ce contrat, au motif inopérant que M. et Mme [H] avaient signé le même jour l'offre de crédit proposée par la société Financo, laquelle contenait quant à elle toutes les indications requises et notamment le montant emprunté, celui des mensualités et le coût total du crédit, la cour d'appel a violé l'article L. 121-23 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, ensemble l'article R. 311-5 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-136 du 1er février 2011. »
Motivation
Réponse de la Cour
6. Ayant constaté que les acquéreurs avaient accepté, au moment de la conclusion du contrat de vente, une offre de crédit qui, annexée au contrat, comportait toutes les mentions obligatoires prévues par la loi, s'agissant des modalités de paiement de l'installation, notamment le montant du capital emprunté et des mensualités, ainsi que le coût total du crédit, la cour d'appel en a exactement déduit que le vendeur avait satisfait à son obligation légale d'information, de sorte que la nullité du contrat de vente n'avait pas lieu d'être prononcée.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Moyens
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
8. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de dire que la somme de 25 800 euros qu'ils ont été condamnés à payer à la banque devait être augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2016, alors « que la sanction attachée au manquement de l'établissement de crédit à ses obligations précontractuelles doit revêtir un caractère effectif, proportionné et dissuasif ; que lorsqu'il prononce la déchéance du droit aux intérêts contractuels de l'établissement de crédit, le juge doit, même d'office, écarter l'application du taux d'intérêt légal majoré quand son application tend à faire peser sur le débiteur une charge similaire ou supérieure à celle du taux contractuel écarté à titre de sanction ; qu'après avoir dit que la société Financo était déchue de son droit de percevoir les intérêts au taux contractuel, faute de justifier de la remise par les emprunteurs de la fiche d'informations précontractuelle prévue par l'article L. 311-6 du code de la consommation, la cour d'appel a condamné M. et Mme [H] à lui payer la somme de 25 800 euros augmentée des intérêts au taux légal ; qu'en ne s'assurant pas que l'application du taux d'intérêt légal, une fois majoré, ne conduisait pas à faire peser sur les emprunteurs une charge égale ou supérieure au taux contractuel écarté à titre de sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 311-6 et L. 311-48 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 311-6 et L. 311-48 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article L. 313-3 du code monétaire et financier :
9. Selon le premier de ces textes, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur ou l'intermédiaire de crédit donne à l'emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l'emprunteur, compte tenu de ses préférences, d'appréhender clairement l'étendue de son engagement.
10. En application du deuxième, le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer à l'emprunteur les informations précontractuelles dans les conditions fixées par l'article L. 311-6 est déchu du droit aux intérêts.
11. Le troisième prévoit que, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent telle une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit.
12. Le dernier dispose :
« En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé.
Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant. »
13. Les articles L. 311-6 et L. 311-48 du code de la consommation précités transposent, en droit français, les articles 5 et 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs.
14. L'article 23 de cette directive prévoit que les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu'elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
15. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que ce texte devait être interprété en ce sens que l'examen du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions prévues à cette disposition, en cas, notamment, de non-respect de l'obligation d'examiner la solvabilité du consommateur prévue à l'article 8 de cette directive, devait être effectué en tenant compte, conformément à l'article 288, troisième alinéa, TFUE, non seulement de la disposition adoptée spécifiquement, dans le droit national, pour transposer ladite directive, mais également de l'ensemble des dispositions de ce droit, en les interprétant, dans toute la mesure possible, à la lumière du libellé et des objectifs de la même directive, de manière à ce que lesdites sanctions satisfassent aux exigences fixées à l'article 23 de celle-ci (CJUE, 10 juin 2021, C-303/20).
16. Saisie plus particulièrement de la question de savoir si l'exigence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives prévue par l'article 23 de la directive 2008/48/CE, en cas de manquements des prêteurs aux obligations énoncées par celle-ci, s'opposait à l'existence de règles permettant au prêteur, sanctionné de la déchéance de son droit aux intérêts tel que le prévoit la législation française, de bénéficier, après le prononcé de la sanction, d'intérêts exigibles de plein droit à un taux légal, majoré de cinq points deux mois après une décision de justice exécutoire, sur les sommes restant dues par le consommateur, la CJUE a dit pour droit que l'article 23 de la directive 2008/48 devait être interprété en ce sens qu'il s'opposait à l'application d'un régime national de sanctions en vertu duquel, en cas de violation par le prêteur de son obligation précontractuelle d'évaluer la solvabilité de l'emprunteur en consultant une base de données appropriée, le prêteur était déchu de son droit aux intérêts conventionnels, mais bénéficiait de plein droit des intérêts au taux légal, exigibles à compter du prononcé d'une décision de justice condamnant cet emprunteur au versement des sommes restant dues, lesquels étaient en outre majorés de cinq points si, à l'expiration d'un délai de deux mois qui suivait ce prononcé, celui-ci ne s'était pas acquitté de sa dette, lorsque la juridiction de renvoi constatait que, dans un cas tel que celui de l'affaire au principal, impliquant l'exigibilité immédiate du capital du prêt restant dû en raison de la défaillance de l'emprunteur, les montants susceptibles d'être effectivement perçus par le prêteur à la suite de l'application de la sanction de la déchéance des intérêts n'étaient pas significativement inférieurs à ceux dont celui-ci aurait pu bénéficier s'il avait respecté son obligation de vérification de la solvabilité de l'emprunteur (CJUE, 27 mars 2014, C-565/12).
17. La Cour de cassation juge que la déchéance du droit aux intérêts conventionnels ne dispense pas l'emprunteur du paiement des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure (1re Civ., 26 novembre 2002, pourvoi n° 00-17.119, Bull. 2002, I, n° 288 ; 1re Civ., 18 mars 2003, pourvoi n° 00-17.761, Bull. 2003, I, n° 84).
18. Dès lors, afin de garantir l'effectivité des règles de protection des consommateurs prévues par la directive 2008/48/CE, il incombe au juge de réduire d'office, dans une proportion constituant une sanction effective et dissuasive du manquement du prêteur à son obligation légale d'information, le taux résultant de l'application des deux derniers textes précités, lorsque celui-ci est supérieur ou équivalent au taux conventionnel.
19. Après avoir constaté que la banque avait méconnu l'obligation d'information prévue à l'article L. 311-6 du code de la consommation, la cour d'appel a prononcé la déchéance du droit aux intérêts contractuels et condamné les acquéreurs à lui payer le montant du capital emprunté, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.
20. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation du chef de dispositif qui condamne solidairement M. et Mme [H] à payer à la société Financo les intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2016 sur la somme de 25 800 euros n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant M. et Mme [H] aux dépens et rejetant les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. et Mme [H] à payer à la société Financo les intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2016 sur la somme de 25 800 euros, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Financo aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Financo et la condamne à payer à M. et Mme [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.