Cass. crim., 3 novembre 2011, n° 10-88.104
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Ract-Madoux
Avocat :
SCP Laugier et Caston
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 654-2 2° du code de commerce et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de banqueroute et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans dont deux ans avec sursis et a prononcé à son encontre une faillite personnelle pendant dix ans ;
"aux motifs que les éléments de l'enquête ont établi que la flotte automobile de la société LTF a été vendue aux sociétés SARL TED (20), SARL Thermo Trans logistique et Transport du froid (TTLTF) et SARL Bisso (un) ainsi qu'à M. Y... (3) qui recédera le matériel à une EURL Cofrat dont la gérante était Mme Samira Z... concubine du prévenue ; qu'en outre, six véhicules étaient en instance de déclaration d'achats, le ou les acquéreurs n'étant pas identifiés ; que restaient dans la société uniquement onze véhicules ; que M. X... reconnaissait s'agissant de la vente des trois véhicules à M. Y..., que ce dernier ne les avait pas achetés, mais qu'il lui avait demandé de les mettre à son nom, et qu'il ignorait où ils avaient été repartis peut-être chez Thermo Trans ou Cofrat, qu'en fait c'était lui qui avait repris les véhicules ; que M. Y... expliquait qu'il n'avait jamais acheté les véhicules mais que M. X... lui avait proposé de les mettre à son propre nom car il avait des problèmes d'assurance ; que deux contrats de cession étaient passés avec TTLTF, en date des 5 octobre 2004, pour neuf véhicules au prix 59 300 euros HT et 31 octobre 2004 pour six véhicules au prix de 52 000 euros HT et un contrat avec TED le 4 janvier 2005 pour dix véhicules au prix de 60 158 euros HT, lequel n'était d'ailleurs pas signé par le cessionnaire ; que l'enquête a démontré que seul un véhicule était immatriculé au nom de TED six jours après la passation du contrat, dix autres véhicules étant immatriculés antérieurement à cette date ; qu'il en était de même s'agissant de la société TTLTF, les véhicules étant immatriculés antérieurement à la date de passation du contrat ; qu'il apparaît dès lors que la rédaction desdits contrats était un simple « habillage » juridique ; que ces contrats stipulaient pour TTLTF : « versé à ce jour un acompte de 23 299 euros », pour le premier contrat et « versé à ce jour un acompte de 44 864 euros » pour le second, et pour TED « versé à ce jour un acompte de 6 000 euros » ; que l'étude des comptes bancaires des deux sociétés cessionnaires a démontré qu'au 30 mars 2005, la société TED n'avait versé à LTF que 1 750 euros et la société TTLTF zéro euro, quelques paiements étant intervenus courant 2005, postérieurement à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, sur réclamation du mandataire judiciaire ; qu'ils prévoyaient également que « le restant des sommes sera payé sur un délai de 12 mois qui commencera à courir le 1 er janvier 2005, le paiement intervenant sous forme de mensualités sans intérêt » ; que les pièces versées par la défense établissent que Me A..., mandataire liquidateur de la Société LTF, a dû assigner la société TTLTF, le 6 janvier 2006, à l'issue de la période des douze mois prévue au contrat, en paiement des sommes restant dues à savoir la somme de 40 092,56 euros ; que ces pièces démontrent également que TED ne s'est pas acquittée de sa dette dans le courant de l'année 2007 ; que la procédure a également démontré que les salariés de la société LTF avaient subi le même transfert que les véhicules, que sur les dix-huit employés, sept étaient embauchés par la société TED, sept par la société TTLTF après la date de cessation des paiements ; qu'il apparaît dès lors que M. X..., à la suite des contrôles fiscaux et de l'URSSAF a vidé la société de ses actifs, en détournant les véhicules de la société LTF, la privant ainsi de toute activité, au profit des sociétés TED et TTLTF qu'il dirigeait également en fait, et ce sans contrepartie financière, peu important que postérieurement et grâce à l'intervention du mandataire judiciaire, le prix de cession ait été finalement versé en tout au partie ;
"1°) alors que le délit de banqueroute par détournement d'actif suppose l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément du patrimoine d'un débiteur en état de cessation des paiements par une personne qui accomplit personnellement un acte de dissipation ; qu'en affirmant à la fois, pour déclarer M. X... coupable de banqueroute par détournement d'actifs, d'une part, qu'il aurait détourné les véhicules de la société LTF au profit des sociétés TED et TTLTF qu'il dirigeait en fait, sans contrepartie financière et, d'autre part, que le prix de cession avait été finalement versé en tout ou partie, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires en violation des textes susvisés ;
"et, aux motifs que, l'analyse du compte bancaire de la société LTF, ouvert dans les livres du CIC, démontre que, pendant la période suspecte, des personnes physiques et des personnes morales ont encaissé des fonds en provenance de ladite société sans contrepartie réelle, à savoir : M. B... ayant touché 36 800 euros pour lequel le prévenu expliquait qu'il s'agissait d'un ami de son comptable, M. C..., qui vivait à Oran et venait de temps en temps à Paris qu'il n'était pas employé de LTF ; que M. D... ayant perçu 46 949 euros déclarait recevoir des chèques en échange du paiement des heures supplémentaires que LTF devait lui payer ; que, dans ce cadre, M. X... établissait une liste des personnels effectuant des heures supplémentaires et lui demandait d'établir des chèques de son propre compte, afin de payer ses personnels des trois sociétés (LTF, TED et TTLTF) et ainsi d'éviter les charges y afférentes ; qu'il encaissait préalablement les chèques des sociétés correspondant aux salaires sur son propre compte et qu'il en tirait un bénéfice de 2 000 euros par mois ; qu'il précisait, par ailleurs, que le chèque de 20 877 euros tiré sur son compte bancaire et dont M. X... avait bénéficié aurait dû être remis aux employés, mais il établissait les chèques sans ordre, se contentant d'inscrire la somme en chiffres et en lettres ; que Mme Sabrina X..., bien qu'ayant démissionné de ses fonctions de gérante de la société le 2 janvier 2004 au titre de la société LTF, a perçu à compter du 4 février 2004 huit versements de 8 850 euros, ainsi que plusieurs chèques également après sa démission ; que cette dernière expliquait qu'elle pensait que les virements permanents n'avaient pas cessé après son départ, alors qu'elle était partie en Angleterre après avoir cédé ses parts de LTF et qu'ainsi elle ne suivait plus ses relevés de comptes qui arrivaient en France ; que, s'agissant des chèques, elle indiquait «je ne sais pas à quoi cela correspond » ; qu'il convient de relever qu'au titre de ces sommes, elle a été déclarée coupable de recel de détournements d'actif, à titre définitif, n'ayant pas relevé appel de la décision ; que l'analyse des comptes bancaires de M. X... a révélé qu'il avait perçu pendant la période suspecte 235 325 euros de la société LTF ; qu'il convient en outre de relever que ce dernier a continué à percevoir un salaire de 10 000 euros mensuels jusqu'à la liquidation de la société, alors que celle-ci était dans une situation financière difficile ; qu'également il sera relevé que le prévenu disposait d'un patrimoine immobilier important et était propriétaire de deux véhicules Jaguar un de 1988, l'autre modèle XJ de 2006, neuve acquise pour 65 000 euros et d'un véhicule Mercedes CLS acquis en 2005 pour 6 000 euros ; qu'il résulte de l'ensemble de ces développements que M. X... qui dirigeait de fait la société LTF a détourné partie de ses actifs, alors qu'elle était en état de cessation des paiements, soit à son profit ou à celui de sociétés dans lesquelles il avait des intérêts, soit au profit de tiers ;
"2°) alors qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer M. X... coupable de banqueroute par détournement d'actifs, qu'il avait continué à percevoir pendant la période suspecte une somme de 235 325 euros de la société LTF, sans répondre aux conclusions de ce dernier qui soutenait que cette somme correspondait à des salaires et à une indemnité de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"3°) alors que le délit de banqueroute par détournement d'actif suppose, pour être constitué, l'existence d'une dissipation volontaire d'un élément du patrimoine d'un débiteur en état de cessation des paiements par une personne qui doit accomplir personnellement un acte de dissipation ; qu'en se bornant à affirmer que M. X... disposait d'un patrimoine immobilier important et de véhicules de grande marque, la cour d'appel n'a ainsi pas caractérisé les éléments constitutifs du délit de banqueroute, en violation des textes susvisés" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 654-2 du code de commerce, 132-19 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de banqueroute et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans dont deux ans avec sursis et a prononcé à son encontre une faillite personnelle pendant dix ans ;
"aux motifs que, compte tenu de la gravité des faits notamment de l'importance des détournements, la cour estime que les premiers juges ont fait une exacte appréciation de la sanction pénale ;
"alors que, en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ; qu'en se bornant à affirmer que la peine de trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis prononcée à l'encontre de M. X... était justifiée au regard de la gravité des faits et de l'importance des détournements, sans motiver spécialement le choix de cette peine, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 132-24 du code pénal ;
Attendu qu'il résulte de ce texte, qu'en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l'article 132-19-1 dudit code, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que, dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 de ce code ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X... coupable de banqueroute par détournement d'actif, l'arrêt, pour le condamner à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis, se borne à retenir la gravité des faits et l'importance des détournements ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée aux peines prononcées, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux peines, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 27 octobre 2010, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.