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Décisions

Cass. crim., 8 novembre 2006, n° 05-85.271

COUR DE CASSATION

Arrêt

Autre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Degorce

Avocat général :

M. Charpenel

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Me Foussard, SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky

Grenoble, du 9 mars 2005

9 mars 2005

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que la cour d'appel a rejeté la demande de renvoi présentée par Yves X... afin de permettre une confrontation avec Roger Z..., coprévenu, et l'a condamné des chefs d'escroquerie et de banqueroute ;

"aux motifs que chacun a droit à un procès équitable notamment par une confrontation avec ses coprévenus ; que, si l'on peut regretter que le juge d'instruction puis le président de la chambre de l'instruction n'aient pas jugé utile d'organiser cette confrontation, demandée depuis longtemps par Yves X..., indiquant que cette confrontation serait faite lors de la comparution des prévenus devant leur juge, il y a lieu de souligner que l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne met pas à la charge de la cour une obligation de résultat ; que, dès lors, la cour ne peut que constater l'impossibilité de faire comparaître devant elle ou devant tout autre magistrat désigné par elle, Roger Z... ; qu'elle est, au vu des pièces de la procédure, bien fondée à penser que ce dernier, qui, selon son conseil, se considère être victime des agissements de Yves X..., ne souhaite pas être confronté à Yves X... ; que, de plus, au regard de son état de santé, aucune mesure coercitive ne peut être envisagée ;

"et aux motifs, d'autre part, que Roger Z... a, de son côté, déclaré qu'il ne pouvait exercer pleinement ses fonctions de Président-Directeur général n'ayant, selon lui, ni accès à la comptabilité, ni accès aux embauches, domaine réservé de Yves X... ; qu'il indiquait que pendant son année de fonctionnement aucun conseil d'administration n'avait été réuni, ce qui était ultérieurement vérifié lors de son unique audition par le juge d'instruction ; Roger Z... déclarait "j'ai été un homme de paille, Yves X... s'est servi de moi pour mener un train de vie très conséquent, j'était PDG mais j'ai signé un contrat de travail chez Valid j'étais aux ordres d'Yves X..., je signais les documents présentés par Yves X..., Carmela Y... était très efficace et sous l'influence d'Yves X... si je quittais la société, je perdais tout" ; que les déclarations de Roger Z... qui sont contestées par Yves X... et Carmela Y... sont confortées par les constatations faites par l'expert-comptable désigné par le magistrat instructeur ;

"alors, d'une part, que, ayant regretté que la confrontation n'ait pas été ordonnée au cours de l'instruction, la cour d'appel, en se bornant à relever l'impossibilité de faire comparaître Roger Z..., dirigeant de droit des sociétés GVI et au Plaisir du Pain Chaud, sans rechercher si cette confrontation, essentielle pour apprécier l'existence de la direction de fait de ces sociétés reprochée à Yves X..., n'était pas indispensable pour l'équité de la procédure, a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et les droits de la défense ;

"alors, d'autre part, et en tout état de cause, qu'en l'absence de confrontation avec Roger Z..., rendue impossible du seul fait de ce dernier qui, comme le constate l'arrêt attaqué, a déménagé pour se soustraire au supplément d'instruction ordonné à cette fin, la cour d'appel ne pouvait retenir les déclarations de ce dernier pour fonder la déclaration de culpabilité d'Yves X... ;

qu'elle a ainsi violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'Yves X... tendant à être confronté avec Roger Z..., coprévenu, l'arrêt attaqué énonce notamment que, par une précédente décision, la cour a ordonné un supplément d'information afin de procéder à une confrontation dans la ville où ce dernier, malade, était domicilié ; que les juges ajoutent qu'ayant eu connaissance de cette décision, Roger Z... a quitté son domicile pour s'installer dans un département voisin et qu'il a adressé un certificat médical attestant qu'il ne pouvait se déplacer ; qu'ils en déduisent être dans l'impossibilité de faire comparaître ce coprévenu et que, compte tenu de son état de santé, aucune mesure coercitive ne peut être envisagée ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1 et 121-3 du code pénal, L.626-2 du code de commerce, 1743 du code général des impôts et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Yves X... coupable du chef de banqueroute par tenue irrégulière ou incomplète de comptabilité, et l'a condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis ;

"aux motifs que, Yves X... était dirigeant de fait des sociétés au Plaisir du Pain Chaud et GVI ; qu'il résulte des auditions des mandataires à la liquidation des sociétés au Plaisir du Pain Chaud et GVI que celles-ci n'ont pas été en mesure de leur présenter des comptes arrêtés à la date du dépôt de bilan, la comptabilité n'étant plus tenue depuis le 30 septembre 1996 ; que l'expertise comptable a confirmé cette absence totale de comptabilité pendant les derniers mois d'activité et a corroboré la constatation du commissaire aux comptes d'une confusion totale du patrimoine et de l'activité des deux sociétés ; que le caractère systématiquement irrégulier de la comptabilité tout au long de la brève activité des sociétés puis la disparition de tout élément comptable dans les mois précédant la tenue des comptes procèdent d'une volonté délibérée de créer un simple écran juridique et de s'affranchir de toute transparence comptable ; que, contrairement aux allégations de Yves X..., qui affirme n'avoir eu aucune responsabilité dans cette absence de comptabilité, le délit de banqueroute par tenue d'une comptabilité incomplète et irrégulière est caractérisé ;

"alors, d'une part, que le délit de banqueroute par tenue irrégulière ou incomplète de comptabilité suppose l'intention de nuire aux créanciers de la société ; qu'en se bornant à retenir l'intention de créer un écran juridique et de s'affranchir de toute transparence comptable, sans constater l'intention des prévenus de porter ainsi atteinte aux intérêts des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 121-3 du code pénal et L.626-2 du code de commerce ;

"alors, d'autre part, qu'en se bornant à relever que l'infraction est caractérisée, sans constater en quoi, en présence d'un dirigeant de droit pour chacune des sociétés concernées et d'un personnel spécialement affecté à la tenue de la comptabilité, cette infraction pouvait être imputée à Yves X..., la cour d'appel a violé l'article 121-1 du code pénal" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles" 121-3 et 313-3 du code pénal, de l'article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a condamné Yves X... du chef d'escroquerie à une peine de trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis ;

"aux motifs qu'aux termes de l'expertise judiciaire la transformation de l'entreprise Valid en deux sociétés anonymes présentées fallacieusement, dans les documents commerciaux et publicitaires, comme formant un groupe de sociétés auquel a même été intégrée une société "GVI Services du Groupe Valid Investissement", société purement fictive n'ayant jamais été constituée, procédait de l'intention délibérée de leurs promoteurs de donner l'illusion aux clients et fournisseurs de l'existence d'un groupe solide et important et de rendre le plus opaques possible les transferts et l'analyse des mouvements financiers entre ces sociétés ; qu'en outre la fragilité des sociétés traduisait une fragilité originelle, caractérisée par un déficit, incompatible avec les objectifs commerciaux poursuivis ; que faute pour les sociétés de disposer de fonds de roulement les deux magasins pilotes, réalisations voulues exemplaires pour mieux convaincre les acheteurs potentiels, dont le coût définitif a été très supérieur aux études prévisionnelles de telle sorte qu'ils n'ont pu être autofinancés sur leurs apports et les seuls fonds versés par l'organisme crédit-bailleur, ont été financés par les acomptes des autres clients ;

que Yves X... a reconnu la réalité de cet état de fait en admettant que le budget prévu pour les deux points de vente témoins avait été largement dépassé et que la différence avait été comblée, à l'insu des clients, par les acomptes reçus par les acheteurs ; que les investigations ont également établi que les contrats proposés laissaient apparaître, par les stipulations qu'ils comportaient, que l'opération proposée s'apparentait à une adhésion à un réseau de franchise ; que le montage juridique et financier, élaboré par les dirigeants de fait et de droit des sociétés, visant, d'une part, à accréditer, via des publicités alléchantes comportant des allégations mensongères, l'existence d'un groupe solidairement implanté, commercialisant un concept présenté, à travers les deux points de vente pilote, comme faussement performant et éprouvé de longue date, et, d'autre part, à assurer aux souscripteurs que les acomptes qu'ils versaient étaient affectés au financement des frais d'étude et d'implantation de leur point de vente, ont déterminé ceux-ci à remettre des fonds dont la destination a été détournée de leur objet pour alimenter la trésorerie des sociétés ainsi que le train de vie des dirigeants et de certains collaborateurs ;

"alors qu'en se bornant à relever que Yves X... avait reconnu que les deux projets témoins avaient dû être financés par les acomptes versés par les clients, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions p. 11), si le prévenu avait eu la volonté, lors de la présentation des prestations et des clauses assurant le remboursement des acomptes, ainsi que de la création d'un groupe de sociétés prétendument fictif, de tromper les clients sur la performance économique des projets proposés, la cour d'appel a violé les articles 121-3 et 313-1 du code pénal" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits de banqueroute, escroqueries et complicité dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer les préjudices en découlant ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Mais sur le moyen relevé d'office, pris de l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 ;

Vu les articles L. 653-11, alinéa 1er, du code de commerce et 191-7 , de ladite loi ;

Attendu que, selon le premier de ces textes entré en vigueur le 1er janvier 2006, la durée de la faillite personnelle ne peut être supérieure à 15 ans ;

Attendu qu'après avoir déclaré Yves X... coupable de banqueroute, l'arrêt attaqué l'a condamné à 20 ans de faillite personnelle ;

Mais attendu que cette décision, n'ayant pas acquis force de chose jugée avant le 1er janvier 2006, doit être annulée ;

Que cette annulation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

I - Sur le pourvoi de Carmela Y... :

Le REJETTE ;

II - Sur le pourvoi de Yves X... :

ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 9 mars 2005, en ses seules dispositions ayant condamné Yves X... à 20 ans de faillite personnelle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que la durée de la faillite personnelle que devra subir Yves X... est de 15 ans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DECLARE IRRECEVABLE la demande faite par Martine A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.