CA Aix-en-Provence, ch. 2 et 3, 3 décembre 2020, n° 19/10837
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis-Schaal
Conseillers :
Mme Fournier, Mme Vassail
Faits et procédure :
Par jugement du 17 février 2015, le tribunal de commerce de Toulon a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la sarl Epso Technic, entreprise de plomberie et d'électricité créée le 18 juin 2009. La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 13 février 2015.
Par jugement du 6 juin 2019, rendu sur assignation de Maître Simon L., liquidateur, le tribunal a condamné Guillaume A., gérant de la société, à une interdiction de gérer toute entreprise ou société commerciale durant sept ans.
Les premiers juges ont considéré que l'ancien gérant de la sarl Epso Technic avait commis des fautes de gestion en détournant des actifs et en remboursant par anticipation juste avant le dépôt de bilan deux crédits d'un montant de 7.511,19 euros et de 2.217,88 euros.
Guillaume A. a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 4 juillet 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et signifiées par Rpva le 15 octobre 2019, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter Maître Simon L. de toutes ses demandes.
Il conteste être l'auteur des agissements fautifs relevés par le liquidateur qu'il impute à Jérôme P., son associé, contre lequel il a déposé une plainte pénale car, gérant de fait de la société, il a établi des faux documents en imitant sa signature (modification des statuts, procuration bancaire).
Par conclusions déposées et signifiées par Rpva le 25 octobre 2019, le liquidateur a sollicité la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le liquidateur fait observer à la cour que Guillaume A. et Thomas P. étaient co-gérants de la société jusqu'au 9 octobre 2010, date à laquelle Thomas P. a cessé ses fonctions. En sa qualité de gérant, l'appelant aurait dû s'impliquer davantage dans la gestion de l'entreprise, étant tenu à un devoir de contrôle et de surveillance, et ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant sa passivité et son ignorance des agissements du gérant de fait. La dissimulation d'une partie des actifs, l'usage abusif des biens de la société et la gestion erratique de l'entreprise sont donc de l'avis du liquidateur des fautes de gestion qui lui sont personnellement imputables.
Le ministère public par avis signifié à toutes les parties par Rpva le 16 mars 2020 a conclu à la confirmation du jugement.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2020.
L'affaire a été fixée à l'audience du 25 mars 2020, laquelle a été déplacée au 28 octobre 2020 en raison des mesures gouvernementales prises dans le cadre de la crise sanitaire.
Le 27 octobre 2020, l'appelant a déposé et signifié des conclusions récapitulatives par Rpva aux termes desquelles il a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture, l'infirmation du jugement et le débouté de toutes les demandes du liquidateur. Il a communiqué par RPVA le même jour à titre de nouvelle pièce l'état du passif de la société.
Par conclusions déposées et notifiées le 27 octobre 2020, Maître Simon L. s'est opposée à la révocation de l'ordonnance de clôture en l'absence de cause grave la justifiant et a demandé à la cour d'écarter les conclusions et la pièce communiquée postérieurement à la clôture.
Motifs :
Sur le rabat de l'ordonnance de clôture :
Aucune cause grave survenue après la clôture ne justifie de révoquer l'ordonnance de clôture : en effet, l'état du passif communiqué le 27 octobre 2020 par l'appelant en pièce numéro 15 a été établi le 7 mars 2019. Quant au contenu des conclusions déposées le 27 octobre 2020, il est similaire à celui des précédentes conclusions hormis deux lignes d'explication en relation avec la nouvelle pièce communiquée.
La demande sera donc rejetée et les écritures de l'appelant signifiées le 27 octobre 2020 ainsi que la pièce numéro 15 seront écartées des débats.
Au fond:
L'état des dotations aux amortissements arrêté le 31 décembre 2014 précise que la société détient le matériel de transport suivant: un camion Trafic acheté le 8 juillet 2010 d'une valeur résiduelle après amortissement de 4.068,59 euros, une moto Ducati Diavel Jms Moto achetée le 8 octobre 2012 et d'une valeur résiduelle de 8.363 euros, un véhicule Golf achetée le 19 janvier 2013 et 7.137, 69 euros ainsi qu'une galerie de marque Opel.
L'inventaire établi le 16 mars 2015 par le commissaire-priseur ne fait mention d'aucun des quatre éléments d'actif précités. Il n'a inventorié que du matériel et du mobilier de bureau, du matériel d'exploitation et un stock d'une valeur de réalisation de 3.000 euros.
Il est donc établi par la comparaison de l'état des dotations et de l'inventaire du commissaire-priseur qu'entre le 31 décembre 2014 et le 16 mars 2015 ont disparu de l'actif de la société deux véhicules, une moto et une galerie de marque Opel, éléments d'une valeur totale résiduelle après amortissement de 19.877,39 euros.
Maître Simon L. a versé par ailleurs aux débats un relevé bancaire du compte de la Sarl Epso Technic ouvert dans les livres de la Banque Postale et sur lequel apparaît en date du 28 janvier 2015 un virement de 4.000 euros au bénéfice de Guillaume A..
En outre, deux prêts d'un montant de 7.511,19 euros et de 2.217,88 euros ont été remboursés par anticipation le 27 novembre 2014, soit peu avant l'ouverture de la procédure collective. Ces remboursements anticipés interviennent à un moment où la société n'arrivait plus à payer son passif exigible avec son actif disponible ont distrait une somme totale de 9.729 ,07 euros au détriment de l'ensemble des créanciers. Toutefois les raisons qui ont incité au remboursement anticipé de ces deux prêts restent ignorées. Or, pour être caractérisée, l'usage abusif des biens de la société, faute spécifiquement prévue par l'article L 654-4 du code de commerce et passible d'une interdiction de gérer en application de l'article L 654-8 du code de commerce , doit avoir été commis dans l'intérêt personnel du gérant ou d'une personne morale dans laquelle il est directement ou indirectement intéressé. La cour ne retiendra donc pas à l'encontre de Guillaume A. l'usage abusif des biens de la société, faute pour le liquidateur de démontrer que ces remboursements anticipés ont été effectués dans l'intérêt personnel du gérant.
Guillaume A., seul gérant de droit de la société depuis le 9 octobre 2010, explique qu'il ne s'occupait que de la partie technique des chantiers, son associé Jérôme P. assurant quant à lui la gestion administrative et financière de la société. Il soutient qu'il n'a pas commis personnellement les faits de détournements d'actifs qui lui sont reprochés. En effet, son associé imitait sa signature et faisait supporter ses personnelles par la société : il a déposé plainte contre lui le 23 mars 2016.
L'ancien gérant affirme sans l'établir que les trois véhicules et la galerie de marque Opel ont été vendus à son insu par Jérôme P., qui s'était porté caution du règlement du prix et qui aurait imité sa signature.
Il ne s'est pas expliqué sur le virement de 4.000 euros à son profit en janvier 2015 et n'a pas justifié des motifs de ce virement de fonds sociaux effectué à son profit personnel.
Dans sa plainte pénale, dont il dit qu'elle est toujours en cours, Guillaume A. a expliqué que son associé était le véritable gérant de la société et faisait supporter à la société de nombreuses dépenses personnelles. La cour observe toutefois que sa découverte des agissements frauduleux de Jérôme P., laquelle l'a incité à déposer plainte, date de mars 2016 soit un an après l'ouverture de la liquidation judiciaire . Le gérant de droit s'est donc totalement désintéressé durant plusieurs années de la gestion de la société qu'il reconnaît avoir abandonné à son associé.
Alors qu'il a accepté dès la création de la société d'en devenir le co-gérant puis ensuite d'en rester le seul gérant, il ne peut, pour se soustraire à la sanction de l'interdiction de gérer, prétendre avoir abandonné l'exercice effectif de ses fonctions à un dirigeant de fait. Même s'il n'a pas lui-même détourné les véhicules appartenant à la société, le gérant de droit, en laissant sciemment toute latitude au gérant de fait et en se désintéressant des conséquences de sa gestion, lui a permis de se les approprier.
Le détournement de trois véhicules, d'une galerie de marque Opel et de la somme de 4.000 euros caractérisent à l'encontre de l'appelant la faute prévue par l'article L 653-3- 3°.
Le désintérêt volontaire manifesté durablement par Guillaume A. pour la gestion de la société dont il était le gérant de droit justifie de le condamner à une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de quatre ans.
L'équité justifie de le condamner à payer à Maître Simon L. ès qualités la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, après débats publics et par arrêt contradictoire;
Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et écarte des débats les conclusions signifiées le 27 octobre 2020 et la pièce n°15 communiquée par Guillaume A.,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a retenu la faute d'usage abusif des biens de la société à des fins personnelles et qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée de sept ans,
L'infirme sur ces points et statuant à nouveau,
Dit que Guillaume A. n'a pas commis les faits d'usage abusif des biens de la société à des fins personnelles,
Prononce à son encontre une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de quatre ans,
Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 e suivants du code de commerce , cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données,
Condamne Guillaume A. à payer à Maître Simon L. ès qualités la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le condamne aux dépens.