CA Limoges, 4 novembre 2021, n° 20/00569
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
EXPOSE DU LITIGE
Faits et procédure
Suivant acte notarié dressé le 29 mai 2017 par Maître Sandra Y. Notaire à BOURGANEUF (Creuse), la SCI MOULIN DE LA VALLADE a acquis auprès des époux G. un ensemble immobilier situé à [...]
[...], comprenant notamment une maison, un moulin attenant, une grange et diverses parcelles dont un étang, et ce moyennant le prix de 50.000 ', sachant :
- que les époux G. avaient acheté cet ensemble immobilier auprès des Consorts V. (Henri V. et ses quatre neveux et nièces) propriétaires indivis, selon acte authentique en date du 9 septembre 2015
- que quelques semaines après l'acquisition de cette propriété, la SCI MOULIN DE LA VALLADE a appris qu'un obus datant de la seconde guerre mondiale se trouverait dans son étang, information résultant de propos tenus par une cousine de Monsieur Henri V. .
C'est dans ce contexte :
- que sont successivement intervenues sur le site la Société G. afin de localiser la présence d'un obus qui aurait été jeté dans l'étang, puis l'Entreprise TOP TP afin de réaliser les travaux de terrassement et de remise en état rendus nécessaires par les opérations de fouille, sachant
* que le coût desdites interventions a été réglé par Monsieur Henri V. pour un montant respectif de 6633,60 ' et de 5784 '
* que dans son rapport d'intervention daté du 14 mars 2018, la Société G. concluait ' que les opérations menées sur la zone de l'étang définie par le client Monsieur V., n'ont pas permis de retrouver la munition', et préconisait ' une fouille de l'ensemble de l'étang permettant de certifier l'absence d'objet ferromagnétique grâce à un relevé d'anomalies magnétiques sur la couche d'argile'
- que suite au refus de Monsieur Henri V. d'assumer le coût financier des nouvelles opérations destinées à rechercher la présence d'un obus dans l'étang devenu la propriété de la SCI MOULIN DE LA VALLADE, une procédure de référé a été initiée par cette dernière aux fins d'obtention d'une provision d'un montant de 75.895 ', sachant que par ordonnance du 12 novembre 2019, le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de GUERET a débouté la SCI MOULIN DE LA VALLADE de l'ensemble de ses demandes en considérant que l'existence de l'obligation de Monsieur Henri V. est sérieusement contestable, et condamné celle-ci à verser à ce dernier une indemnité de 1500 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- que suivant assignation à jour fixe en date du 28 février 2020, la SCI MOULIN DE LA VALLADE a fait citer Monsieur Henri V. devant le Tribunal Judiciaire de GUERET, pour au visa de l'article 1240 du Code Civil, l'entendre condamner au paiement de la somme de 75.895 ' correspondant aux frais afférents à la dépollution de l'étang sis à SAINT- MARTIN- SAINTE- CATHERINE (Creuse).
Par jugement du 25 août 2020, le Tribunal Judiciaire de GUERET a :
- débouté la SCI MOULIN DE LA VALLADE de l'ensemble de ses demandes, considérant qu'aucune faute au sens de l'article 1240 du Code Civil n'était constituée
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile
- condamné la demanderesse aux dépens.
Selon déclaration reçue au greffe de cette Cour le 9 octobre 2020, la SCI MOULIN DE LA VALLADE a interjeté appel de ce jugement.
La procédure devant la Cour a été clôturée par ordonnance du 30 juin 2021.
Prétentions des parties
Dans le dernier état de ses conclusions en date du 8 juin 2021, la SCI MOULIN DE LA VALLADE demande à la Cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel
- à titre principal, de condamner Monsieur Henri V. à lui payer la somme de 75. 895', correspondant au coût des travaux nécessaires afin de localiser puis de procéder à la neutralisation de la munition litigieuse, avec tous intérêts de droit à compter de la décision à intervenir, et ce sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du Code Civil
- à titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la Cour viendrait à considérer que sa démarche procédurale s'inscrit à l'encontre de Monsieur Henri V. dans le cadre d'une chaîne de contrats, constitués au cas d'espèce par la vente intervenue entre Monsieur Henri V. et les époux G. le 9 septembre 2015,puis entre ces derniers et elle-même le 29 mai 2017, de constater qu'en s'abstenant d'informer les époux G. puis elle-même de la présence de l'obus litigieux dans le plan d'eau de la propriété vendue, Monsieur Henri V.
* a tout d'abord manqué à son obligation d'information et de renseignement à laquelle il était tenu, et par conséquent de le condamner à lui payer la somme de 75.895 ' correspondant au coût des travaux de recherche et de neutralisation de la munition litigieuse avec tous intérêts de droit à compter de la décision à intervenir, et ce sur le fondement des dispositions des articles 1103, 1104 et 1231-1 du Code Civil
* a également manqué à l'obligation de délivrance conforme à laquelle il était tenu, et en conséquence de le condamner à lui payer la somme de 75.895 ' correspondant au coût des travaux de recherche et de neutralisation de la munition litigieuse avec tous intérêts de droit à compter de la décision à intervenir, et ce sur le fondement des dispositions des articles 1603, 1604 et 1231-1 du Code Civil
- à titre infiniment subsidiaire, de constater que Monsieur Henri V. n'a pas respecté l'engagement pris le 24 octobre 2017 de procéder au financement de l'ensemble des investigations permettant de rechercher et de neutraliser la munition litigieuse, et en conséquence de le condamner à lui payer la somme de 75.895 ' correspondant au coût des travaux de recherche et de neutralisation de la munition litigieuse avec tous intérêts de droit à compter de la décision à intervenir, et ce sur le fondement des dispositions des articles 1100-1 et 1231-1 du Code Civil
- en tout état de cause,
* de débouter Monsieur Henri V. de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions
* de prendre acte de ses réserves de recourir à nouveau en justice et à l'encontre de Monsieur Henri V., du fait du retard de mise en oeuvre des opérations d'investigations susvisées et du préjudice qui en est résulté, voire de l'inefficacité définitive de ces dernières et de la nécessité de devoir dans cette hypothèse demander la résiliation ou l'annulation pure et simple de la vente intervenue
* de condamner Monsieur Henri V. à lui payer la somme de 3000 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
En l'état de ses dernières conclusions déposées le 8 avril 2021, Monsieur Henri V. demande à la Cour :
- de juger la SCI MOULIN DE LA VALLADE mal fondée en son appel
- de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions
- de débouter la SCI MOULIN DE LA VALLADE de l'ensemble de ses prétentions
- de la condamner à lui verser la somme de 4000 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
Le litige soumis à la Cour concerne le bien-fondé de l'action exercée la SCI MOULIN DE LA VALLADE à l'effet de voir retenir la responsabilité civile de Monsieur Henri V..
I) Sur le bien-fondé de l'action en responsabilité exercée par la SCI MOULIN DE LA VALLADE à l'encontre de Monsieur Henri V. :
La SCI MOULIN DE LA VALLADE recherche la responsabilité civile de Monsieur Henri V. à divers titres, à savoir :
- à titre principal, sur un fondement délictuel et au visa de l'article 1240 du Code Civil
- à titre subsidiaire, sur un fondement contractuel et en vertu de la théorie de la chaîne des contrats
- à titre infiniment subsidiaire, pour inexécution de son engagement pris le 24 octobre 2017.
1) Sur la responsabilité délictuelle de Monsieur Henri V. :
La SCI MOULIN DE LA VALLADE recherche la responsabilité délictuelle de Monsieur Henri V. au visa de l'article 1240 du Code Civil énonçant que ' tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer', sachant qu'au soutien de son action, la SCI MOULIN DE LA VALLADE reproche essentiellement à Monsieur Henri V. de ne pas avoir informé les associés de la SCI MOULIN DE LA VALLADE du fait qu'il existait dans l'étang dont il était anciennement propriétaire, un obus à même de compromettre son utilisation normale .
Les prétentions de la SCI MOULIN DE LA VALLADE se heurtent à plusieurs obstacles tenant au fait :
- qu'aucun élément probant ne vient accréditer les dires de la SCI MOULIN DE LA VALLADE affirmant que ses associés auraient personnellement rencontré Monsieur Henri V. avant de procéder à l'acquisition de l'étang litigieux vendu par les époux G.
- que Monsieur Henri V. se trouvait dans l'impossibilité de délivrer une information juste quant à la situation exacte de l'étang litigieux du point de vue d'un risque de pollution, en ce que la présence d'un obus dans l'étang du Moulin de la Vallade paraissait des plus incertaines, et ce
*en l'absence de tout élément permettant d'identifier clairement la personne par l'intermédiaire de qui la SCI MOULIN DE LA VALLADE aurait appris qu'un obus datant de la seconde guerre mondiale se trouvait dans son étang, et d'apprécier la crédibilité de tels propos
* au regard des explications données par Monsieur Henri V. suite à de telles révélations, dans le cadre d'un courrier par lui établit le 29 mars 2018 à l'attention de Maître B. Avocat, en sa qualité de Conseil de la SCI MOULIN DE LA VALLADE, courrier duquel il ressort que l'intéressé se remémorait une scène où étant enfant, ' cet obus ramené par nous les enfants, fut jeté dans la partie gauche de la chaussée par mon oncle', avec la précision que ' il ( l'obus ) est resté un ou deux ans ( 1945-46 ). Par eaux basses, il était visible car à fleur d'eau, j'ignore par qui il a été retiré et sa destination '
* au résultat des premières fouilles réalisées par la Société G., laquelle dans son rapport d'intervention, reconnaît avoir été mandatée ' afin de localiser la présence d'un obus de 75 mm qui aurait été jeté dans le lac ', indique avoir mené ses investigations ' sur la zone de l'étang définie par le client Monsieur V. ', avant de conclure que lesdites opérations n'ont pas permis ' de retrouver la munition' , d'où ses préconisations de procéder à une fouille de l'ensemble de l'étang .
De ces observations, il s'évince que Monsieur Henri V. ne peut se voir reprocher un défaut d'information de nature à engager sa responsabilité délictuelle envers la SCI MOULIN DE LA VALLADE, au titre de l'acquisition par cette dernière d'un étang possiblement impacté par la probable présence en son sein d'un obus.
La SCI MOULIN DE LA VALLADE sera donc déboutée de son action en responsabilité délictuelle telle qu'exercée à l'encontre de Monsieur Henri V. .
2) Sur la responsabilité contractuelle de Monsieur Henri V. :
La SCI MOULIN DE LA VALLADE recherche la responsabilité contractuelle de Monsieur Henri V. au titre des ventes successives dont a été l'objet l'étang du Moulin de la Vallade, étang vendu aux époux G. suivant acte du 9 septembre 2015 (vente consentie par les Consorts V. en situation d'indivision ), avant d'être cédé à son profit à elle suivant acte du 29 mai 2017 ( vente consentie par les époux G. ), sachant qu'au soutien de son action, elle invoque :
- d'une part, un défaut d'information
- d'autre part, un manquement de celui-ci à son obligation de délivrance
a) sur le défaut d'information reproché à Monsieur Henri V. :
A cet égard, il convient :
- à titre liminaire, de rappeler qu'en cas de ventes successives d'un même bien, le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur, de sorte qu'il dispose contre le vendeur initial d'une action contractuelle directe lorsque le dommage qu'il invoque trouve sa cause dans la chose transmise à son profit
- de juger la SCI MOULIN DE LA VALLADE mal venue en sa qualité de sous-acquéreur, à rechercher la responsabilité contractuelle de Monsieur Henri V., vendeur initial de l'étang litigieux, pour un prétendu manquement à l'obligation d'information et de renseignement que celui-ci devait remplir envers ses propres cocontractants, les époux G. en leur qualité d'acquéreurs dudit bien.
b) sur le manquement à l'obligation de délivrance de la chose vendue :
Il est de jurisprudence constante que le sous-acquéreur dispose contre le vendeur initial de toutes les actions contractuelles fondées sur un défaut, un vice ou une non-conformité de la chose vendue, de sorte qu'en sa qualité de sous-acquéreur de l'étang litigieux, elle est parfaitement légitime à se plaindre d'un manquement du vendeur initial à son obligation de délivrance conforme, à charge pour elle de prouver le défaut de conformité invoqué.
A l'examen du dossier, il y a lieu de constater qu'au soutien de ses prétentions, la SCI MOULIN DE LA VALLADE rappelle que ' le vendeur se doit de fournir un immeuble dépollué ', ce qui tend à établir qu'elle tient pour acquis le fait qu'un obus serait immergé de longue date dans l'étang devenu sa propriété, et ce
* en l'absence de tout élément probant qui soit de nature à conforter ses dires
* alors que les faits de l'espèce tendent à conférer un caractère totalement incertain à la présence d'une telle munition dans l'étang du Moulin de la Vallade, ce qui rend dénué de pertinence le défaut de conformité allégué par la SCI MOULIN DE LA VALLADE.
Au vu de ces observations, il convient de juger la SCI MOULIN DE LA VALLADE mal fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de Monsieur Henri V. en sa qualité de vendeur initial de l'étang dont s’agit.
3) Sur la responsabilité de Monsieur Henri V. pour inexécution de son engagement pris le 24 octobre 2017 :
La SCI MOULIN DE LA VALLADE excipe de l'inexécution par Monsieur Henri V. de l'engagement par lui pris le 24 octobre 2017, pour le voir condamner à financer l'ensemble des investigations permettant de rechercher et de neutraliser la munition litigieuse.
Le bien-fondé des prétentions formulées par la SCI MOULIN DE LA VALLADE sera examiné notamment au regard de la portée de l'engagement pris Monsieur Henri V., sachant :
- que l'engagement que ce dernier se voit reprocher de ne pas avoir respecté est contenu dans un courrier du 24 octobre 2017 par lui adressé à Monsieur V. en tant que représentant de la SCI MOULIN DE LA VALLADE
- que figurent aux pièces du dossier deux versions différentes de ce même courrier, à savoir
* une version produite par la SCI MOULIN DE LA VALLADE aux termes de laquelle Monsieur V. s'est expressément engagée ' à prendre à ma charge les frais découlant de la recherche et du retrait de cet obus '
* une version produite par Monsieur Henri V. avec un engagement libellé en ces termes ' je m'engage pour ma part ainsi qu'aux noms de mes neveux et nièces, parties de l'indivision, à prendre en charge les frais inhérents à la recherche et au retrait de cet obus potentiel '
- que la coexistence de ces deux courriers datés du même jour (24 octobre 2017 ) sans possibilité de déterminer celui établi en dernier lieu et/ ou celui ayant valeur certaine, rend totalement équivoque la portée des engagements qu'ils contiennent, de sorte
* que la SCI MOULIN DE LA VALLADE paraît mal venue à se prévaloir du non-respect par Monsieur Henri V. de son engagement pris le 24 octobre 2017, pour exiger de lui qu'il procède au financement de l'ensemble des investigations permettant de rechercher et de neutraliser la munition litigieuse
* que sera rejeté le moyen tiré d'un prétendu non-respect par Monsieur Henri V. de son engagement unilatéral pris le 24 octobre 2017.
La SCI MOULIN DE LA VALLADE sera donc jugée mal fondée à rechercher la responsabilité de Monsieur Henri V. de ce chef.
Après rejet des divers fondements juridiques invoqués par la SCI MOULIN DE LA VALLADE, il convient :
- de débouter la SCI MOULIN DE LA VALLADE de l'ensemble de ses prétentions
- de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté celle-ci de toutes ses demandes, et de le compléter en se référant au rejet des prétentions telles que formulées par la SCI MOULIN DE LA VALLADE en cause d’appel.
II) Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :
L'équité commande de ne pas laisser à la charge de Monsieur Henri V. la totalité des frais irrépétibles qu'il a dû exposer en première instance comme en cause d'appel, pour résister aux prétentions injustifiées de la SCI MOULIN DE LA VALLADE, laquelle sera condamnée à lui verser la somme de 2500 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Pour avoir succombé dans l'ensemble de ses prétentions en première instance comme en cause d'appel, la SCI MOULIN DE LA VALLADE sera condamnée à supporter les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Déclare recevable l'appel interjeté par la SCI MOULIN DE LA VALLADE ;
Confirme le jugement rendu le 25 août 2020 par le Tribunal Judiciaire de GUERET en ce qu'il a débouté la SCI MOULIN DE LA VALLADE de toutes ses demandes ;
Y ajoutant,
Déboute la SCI MOULIN DE LA VALLADE de son action en responsabilité délictuelle telle qu'exercée à l'encontre de Monsieur Henri V. ;
Juge la SCI MOULIN DE LA VALLADE mal fondée :
- à rechercher la responsabilité contractuelle de Monsieur Henri V. en sa qualité de vendeur initial de l'étang du Moulin de la Vallade
- à rechercher la responsabilité de Monsieur Henri V. pour inexécution de son engagement pris le 24 octobre 2017 ;
Déboute la SCI MOULIN DE LA VALLADE de l'ensemble de ses prétentions ;
Condamne la SCI MOULIN DE LA VALLADE à verser à Monsieur Henri V. la somme de 2500 ' sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
La condamne à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.