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Décisions

CA Bordeaux, 1 septembre 2020, n° 19/03639

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Aquitaine Travaux Matériels (SARL)

Défendeur :

Entreprise Construction Bâtiment Rénovation (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Brisset

T. com. Bordeaux, du 11 sept. 2017

11 septembre 2017

EXPOSE DU LITIGE :

La société Entreprise Construction Bâtiment Rénovation SARL (la société ECBR), entreprise de maçonnerie générale et de gros oeuvre du bâtiment, a loué une grue à la société Aquitaine Travaux Matériels (la société ETM) suivant offre de prix du 20 octobre 2015 acceptée le 03 novembre.

Un litige étant intervenu sur le montant de la facturation, la société ATM, après avoir vainement tenté de reprendre la grue, en a facturé le montant à la société ECBR.

Par exploit d'huissier en date du 20 juillet 2016, la société ATM a assigné la société ECBR devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de la voir condamner au paiement d'une somme principale de 273 800,10 euros.

Par jugement contradictoire en date du 11 septembre 2017 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Bordeaux a condamné la société ECBR à payer à la société ATM la somme de 273 800,10 euros.

La société ECBR a relevé appel du jugement par déclaration en date du 21 septembre 2017 et saisi le premier président de la cour d'appel d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire à laquelle il a été fait droit le 19 octobre 2017, avant d'être placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 24 janvier 2018, la SELARLVincent M. étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP S.B. en qualité de mandataire judiciaire, puis en liquidation judiciaire par jugement du 24 avril 2019. La société ATM a déclaré sa créance le 23 février 2018 pour un montant de 282 804,48 euros.

Sur saisine de la société ECBR, le juge de l'exécution a ordonné la mainlevée des saisies-attributions par ordonnance du 20 février 2018 dont la société ATM a relevé appel avant de saisir le premier président de la cour d'appel d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 15 mars 2018.

Par arrêt du 02 mai 2019, la cour d'appel a réformé la décision rendue le 20 février 2018 par le juge de l'exécution et ordonné la consignation des sommes saisies entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Bordeaux.

La société ATM a saisi le juge commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux d'une demande de revendication de la grue litigieuse sur le fondement des dispositions des articles L.624-9, L.624-10-1 et R.624-13 du code de commerce.

Par ordonnance en date du 24 octobre 2018, le juge commissaire a sursis à statuer sur la demande jusqu'à l'arrêt à intervenir sur l'appel de la société ECBR à l'encontre du jugement rendu le 11 septembre 2017.

La société ATM a formé un recours contre l'ordonnance.

Par jugement contradictoire en date du 06 mai 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

-dit recevable le recours exercé

-débouté la société ATM de sa demande de réformation

-confirmé l'ordonnance du 24 octobre 2018,

-condamné la société ATM à payer à la société ECBR et à la SCP -S.B. ès qualités chacune la somme de 250 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

La société ATM a relevé appel du jugement par déclarations en date du 28 juin 2019 énonçant les chefs de jugement expressément critiqués intimant la société ECBR et la SCP S.B. en sa qualité de liquidateur de la société ECBR (dossier RG n° 19/03639 ) et du 1er juillet 2019 intimant la société ECBR, la SELARL M. et la SCP S.B. en sa qualité de liquidateur de la société ECBR (dossier RG n° 19/03666). Les dossiers ont été joints le 05 juillet 2019 par mention au dossier sous le n° 19/03639 .

Par conclusions déposées en dernier lieu le 13 septembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, la société ATM demande à la cour de :

-la déclarer recevable et bien fondée en son appel

y faisant droit,

-confirmer le jugement en ce qu'il a jugé recevable le recours exercé par elle à l'encontre de l'ordonnance

-réformer le jugement en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 24 octobre 2018 et l'a déboutée de sa demande de réformation, et l'a condamnée à payer à la société ECBR et à la SCP S.B. ès qualités chacune la somme de 250 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens

et statuant à nouveau,

-la dire et juger recevable en la forme et au fond dans sa demande de revendication et y faisant droit,

-ordonner la restitution à son profit de la grue détenue par la société ECBR

en tout état de cause,

-débouter la SCP S.B., en qualité de mandataire judiciaire de la société ECBR, de toutes ses demandes, fins et conclusions,

-condamner la SCP S.B., en qualité de mandataire

judiciaire liquidateur de la société ECBR, à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société ATM fait valoir notamment que le tribunal n'a pas statué sur sa demande de revendication ; que l'arrêt à venir ne conditionne pas le bien fondé de sa demande ; que les premiers juges ne pouvaient pas examiner sa demande subsidiaire avant sa demande principale tendant à voir dire sa demande bien fondée et à y faire droit, demande sur laquelle le tribunal a omis de statuer ; qu'en outre le sursis à statuer n'a pas lieu d'être puisque la décision de la cour est sans incidence sur l'action en revendication ; que son droit est incontestable que la cour confirme ou invalide le jugement ; que sa demande est bien fondée notamment au visa de l'article L.624-16 du code de commerce dont les conditions sont réunies en vertu de la clause de réserve de propriété qui, conformément à l'article 2367 du code civil, suspend l'effet translatif du contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en résulte en contrepartie ; que son action en revendication s'impose pour rendre sa créance déclarée opposable à la procédure collective ; qu'elle emporte de plein droit demande en restitution R.624-13 alinéa 4 du code de commerce.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 12 décembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, la SCP S.B., en qualité de mandataire liquidateur de la société ECBR, demande à la cour de :

-confirmer le jugement en toutes ses dispositions

-débouter la société ATM de ses demandes, fins et conclusions

-condamner la société ATM à lui verser en qualité de mandataire liquidateur de la société ECBR, la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

-condamner la société ATM aux entiers dépens d'instance.

La SCP S.B. ès qualités fait valoir d'une part que la demande de revendication est mal fondée en l'état de la cession intervenue le 15 mars 2016 à l'initiative de la société ATM, alors même qu'un doute persiste sur la qualité de propriétaire de la société ATM le 15 mars 2016 au vu de la facture de cession par la société Jaso datée du 22 mars 2016 ; d'autre part que la contestation du sursis à statuer, demandé à titre subsidiaire par la société ATM au juge commissaire, l'est aussi puisqu'il ne peut être statué sur le bien fondé de la demande de restitution tant que la cour saisie de l'appel sur le jugement du 11 septembre 2017 n'a pas statué sur la propriété de la grue.

La société ECBR ayant été placée en liquidation judiciaire le 24 avril 2019, la société ECBR et la SELARL M. n'ont pas constitué avocat, l'avocat constitué en défense ayant déclaré ne se constituer que pour la SCP S.B. désormais seule présente à l'instance.

Le dossier, fixé à l'audience du 05 mai 2020, a été renvoyé à celle du 29 juin 2020.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 22 juin 2020.

MOTIFS DE LA DECISION:

sur la demande principale :

La société ATM reproche au tribunal d'avoir sursis à statuer sur sa demande de revendication sans se prononcer sur cette demande pourtant formée à titre principal.

Le débat sur le bien fondé du sursis à statuer, prononcé dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur l'appel de la société ECBR à l'encontre du jugement rendu le 11 septembre 2017 (RG n° 17/05344) est désormais sans objet devant la cour, celle-ci rendant ce jour un arrêt confirmant ledit jugement qui, en validant la résiliation du contrat de location de la grue, en a conféré la propriété à la société ECBR.

C'est donc sur la question du bien fondé de la demande de revendication que la cour doit se prononcer.

Aux termes des dispositions de l'article L.624-16 al.2 du code de commerce, « peuvent être revendiqués, à condition qu'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison . »

La recevabilité de l'action en revendication fondée sur l'article L624-16 est donc soumise, outre les conditions générales de recevabilité que sont l'existence du bien en nature, son identification, sa cession avant le jugement d'ouverture de la procédure collective et le fait que le prix de revente ne doit pas avoir été payé au débiteur avant ce jugement d'ouverture, à une condition d'opposabilité de la clause de réserve de propriété, ce qui suppose l'existence d'une clause convenue dans un écrit établi au plus tard au moment de la livraison.

En l'espèce, la cession de la grue, intervenue en sanction d'un refus de restitution par la société ECBR, a été régularisée par un courrier recommandé adressé le 15 mars 2016 par la société ATM à la société ECBR, courrier qui comporte au verso la reproduction intégrale des conditions générales du contrat de location parmi lesquelles figure une clause intitulé « réserve de propriété » ainsi rédigée : "conformément à nos conditions générales de vente, la loi du 12 mai 1980 relative à la clause de réserve de propriété est applicable aux marchandises décrites sur le présent document, celles-ci restant, en effet, notre propriété jusqu'à paiement complet. » (pièces 1 et 2 de l'appelante, 15 de l'intimée).

Dès lors qu'il est par ailleurs établi, et non contesté par l'intimée, que le bien, livré fin décembre 2015 dans le cadre du contrat de location, cédé en mars 2016, soit antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective, se trouve en nature dans le patrimoine de la société Jaso qui le détient pour la société ECBR depuis novembre 2016, et que la société ATM n'en a pas reçu le prix puisque la somme de 46 115,77 euros appréhendée dans le cadre de saisie attribution a été consignée entre les mains du bâtonnier en exécution de l'arrêt du 02 mai 2019 qui a validé les saisies, l'appelante est fondée à soutenir que les conditions de l'action en revendication prévue par l'article L.624-16 du code de commerce sont réunies, de sorte que son action doit être déclarée recevable et bien fondée.

En application de R.624-13 alinéa 4 du code de commerce, l'action en revendication, qui s'impose pour rendre la créance déclarée opposable à la procédure collective, emporte de plein droit demande en restitution.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement et d'ordonner la restitution au profit de la société ATM de la grue détenue par la société ECBR.

sur les demandes accessoires :

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société ATM les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de l'appel. La SCP S.B., en qualité de mandataire liquidateur de la société ECBR, sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu entre les parties le 06 mai 2019 par le tribunal de commerce de Bordeaux

Statuant à nouveau,

Déclare la société Aquitaine Travaux Matériels recevable et bien fondée en son action

Ordonne la restitution au profit de la société Aquitaine Travaux Matériels de la grue détenue par la société ECBR

Condamne la SCP S.B., en qualité de mandataire liquidateur de la société ECBR, à payer à la société Aquitaine Travaux Matériels la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

Condamne la SCP S.B., en qualité de mandataire liquidateur de la société ECBR, aux dépens d'appel.