CA Versailles, 8 mars 2022, n° 20/04040
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Manes
Conseillers :
Mme Lauer, Mme Du Crest
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu le 11 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Pontoise qui a :
- ordonné la mainlevée de l'hypothèque du 28 février 2013 volume 2013 V numéro 586 sur le bien immobilier sis à Garges-lès-Gonesse (95) cadastré section BB numéro 89, le tout aux frais de la SA Crédit Industriel et Commercial,
- dit que Maître Dominique D. n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité,
- rejeté les demandes formées à l'encontre de Maître Dominique D. et de son assureur, MMA MINA IARD Assurances Mutuelles,
- condamné la SA Crédit Industriel et Commercial à payer à M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. à payer à Maître Dominique D. et la société MMA MINA IARD Assurances Mutuelles la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné la SA Crédit Industriel et Commercial aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire ;
Vu l'appel de ce jugement interjeté le 17 août 2020 par la société anonyme (SA) Crédit Industriel et Commercial ;
Vu l'ordonnance d'incident rendue en date du 22 avril 2021 par le conseiller de la mise en état de la 1ère chambre 1ère section qui a :
- déclaré irrecevable comme tardif l'appel formé par le crédit industriel et commercial dirigé à l'encontre de Maître D. et de la société MMA IARD Assurances Mutuelles,
- constaté que l'instance se poursuit entre le crédit industriel et commercial et M. et Mme G.,
- condamné le crédit industriel et commercial à payer à Maître D. et à la société MMA IARD Assurances Mutuelles la somme de 750 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le crédit industriel et commercial aux dépens d'appel en ce compris le coût du timbre fiscal acquitté par Maître D. et la société MMA IARD Assurances Mutuelles et aux dépens de l'incident ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 12 novembre 202 par lesquelles la société anonyme (SA) Crédit Industriel et Commercial demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 2427 et 2461 du code civil,
Vu les dispositions des articles 28, 30 et 31 du décret 55-22 du 4 janvier 1955,
Vu les pièces versées aux débats,
- dire et juger le Crédit Industriel et Commercial recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer le jugement rendu le 11 juin 2019 par le tribunal judiciaire de Pontoise en ce qu'il a ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire du 28 février 2013 volume 2013 numéro 586 et condamné le Crédit Industriel et Commercial à payer à M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- dire que l'inscription d'hypothèque judiciaire du 28 février 2013 volume 2013 numéro 586 est antérieure à la publication de l'acte de vente du même jour, et qu'en conséquence le Crédit Industriel et Commercial dispose d'un droit de suite sur le bien sis à Garges-lès-Gonesse (95) cadastré section BB n° 89 et est bien fondé à poursuivre la procédure de saisie immobilière engagée devant le tribunal judiciaire de Pontoise,
En conséquence,
- ordonner la restitution par M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. au Crédit Industriel et Commercial, de la somme de 3 000 euros versée au titre de la condamnation prononcée par le jugement du 11 juin 2019, sans délai et sur présentation de l'arrêt à intervenir,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. à payer au Crédit Industriel et Commercial la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. en tous les dépens, dont recouvrement au profit de Maître Paul B., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 15 janvier 2020 par lesquelles M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. demandent à la cour de :
Vu les dispositions de l'article R. 322-15 du code des procédures civiles d'exécution,
- confirmer le jugement déféré,
- débouter l'appelant de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner le CIC à verser la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- le condamner aux dépens de l'instance, conformément aux dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 18 novembre 2021 ;
FAITS ET PROCÉDURE
La SA Crédit Industriel et Commercial (ci-après le CIC) détient à l'encontre de M. Hassan K., en vertu d'un jugement rendu le 20 décembre 2012 par le tribunal de commerce de Pontoise et devenu définitif, une créance s'élevant à la somme de :
- en principal : 34 656,50 euros,
- intérêts au taux légal du 23 juillet 2011 jusqu'au 27 février 2013 : 342,94 euros,
- intérêts au taux légal du 27 février 2013 au 23 avril 2013,
- intérêts au taux légal majoré (+5 points) du 23 avril 2013 au parfait paiement,
- condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros,
- dépens pour mémoire.
Par acte notarié dressé par Maître Dominique D., notaire, en date du 12 février 2013 M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G. ont acquis, moyennant la somme de 300 000 euros, un immeuble sis à [...], composé d'une maison d'habitation comprenant un rez-de-chaussée et un étage, et d'un garage dans le jardin, cadastré section BB n° 89 pour 4 ares 61 centiares, appartenant à M. Hasan K. et Mme K..
L'acte notarié précise que le bien a été déclaré vendu libre de toutes inscriptions et privilèges.
Le 28 février 2013, l'acte de vente a été publié au bureau des hypothèques d'Ermont. Le même jour, mais antérieurement, le CIC a publié une hypothèque judiciaire sur ce bien contre M. Hasan K..
Le 17 juillet 2015, le CIC a fait délivrer un commandement de payer valant à M. Hassan K.. Ce commandement de payer est demeuré vain.
Le 2 septembre 2016, le CIC a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière à tiers détenteur à M. Erol G. et Mme Melahat E. épouse G..
Par acte d'huissier de justice, M. et Mme G. ont alors fait assigner le notaire, Maître Dominique D., son assureur la société MMA MINA IARD Assurances Mutuelles, et la SA Crédit Industriel et Commercial devant le tribunal de grande instance de Pontoise.
C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement entrepris. Pour statuer ainsi, il retient au visa de l'article 2412 du code civil, que la vente était parfaite à compter du 12 février 2013, le transfert de propriété étant intervenu à cette date alors que, selon cet article du code civil, seul le bien situé dans le patrimoine du débiteur peut faire l'objet d'une hypothèque. Il a précisé également que la question de l'opposabilité ne saurait remettre en cause la validité de l'acte de vente et donc les effets qui y sont attachés, dont notamment le transfert de propriété.
SUR CE, LA COUR,
Les limites de l'appel
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d'appel se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.
La mainlevée de l'hypothèque judiciaire prise par le CIC
Le CIC poursuit l'infirmation du jugement de ce chef. Il fait valoir que son inscription d'hypothèque judiciaire sur l'immeuble vendu par M. K. à M. et Mme G. est valable, dès lors qu'elle a été effectuée antérieurement à la publication de ladite vente. Il reproche au premier juge d'avoir ordonné la mainlevée de l'hypothèque judiciaire au motif que celle-ci avait été publiée le 28 février 2013, jour de la publication de la vente, laquelle était intervenue le 12 février 2013.
L'appelant rappelle que le créancier privilégié peut prendre inscription sur le bien de son débiteur jusqu'à la publication de la mutation opérée au profit d'un tiers. Il en déduit que la vente intervenue entre M. K. et M. et Mme G. lui était inopposable avant la date de sa publication, le 28 février 2013. Il ajoute encore qu'en cas de conflit entre la publication d'une inscription d'hypothèque et la publication d'une mutation portant sur un même bien, priorité est donnée à celle dont le titre est le plus ancien. Il souligne que si l'acte de vente est daté du 12 février 2013, son inscription d'hypothèque judiciaire résulte d'un jugement rendu le 20 décembre 2012 par le tribunal de commerce de Pontoise.
Il estime donc que, si les deux actes ont été publiés le même jour et que la vente était parfaite dès le 12 février 2013, l'inscription d'hypothèque judiciaire est intervenue antérieurement et doit être privilégiée. Il constate en outre, au regard des numéros de publication délivrés par le service de la publicité foncière, que ce dernier a enregistré l'inscription d'hypothèque avant la vente. L'appelant en conclut que son inscription d'hypothèque judiciaire est valide et qu'il dispose d'un droit de suite sur le bien, dont il rappelle qu'il s'agit d'un droit réel attaché au bien et non au propriétaire du bien, et opposable à tous, et notamment à tout acquéreur du bien, indépendamment de sa bonne ou mauvaise foi.
M. et Mme G. concluent à la confirmation du jugement sur ce point. Ils répliquent que si les publications de l'inscription hypothécaire et de la vente sont intervenues le même jour, la vente était néanmoins parfaite dès la signature de l'acte de vente, le 12 février 2013. Ils en déduisent qu'à la date d'inscription de l'hypothèque judiciaire, le bien était entré dans leur patrimoine et que M. K., le vendeur, en était dessaisi.
M. et Mme G. considèrent que, s'agissant de l'antériorité du titre, le CIC opère une confusion entre l'obtention de son titre et l'inscription de l'hypothèque judiciaire. Ils indiquent en effet que pour inscrire une hypothèque judiciaire, le CIC devait rendre son titre définitif. Ils affirment que le jugement rendu le 20 décembre 2012 par le tribunal de commerce de Pontoise n'est constitutif ni d'un titre, ni d'une autorisation d'inscrire une hypothèque définitive, dès lors que ledit jugement n'était pas assorti de l'exécution provisoire. Ils estiment donc que le titre détenu par le CIC résulte de son bordereau hypothécaire. Or, ils soulignent que ledit bordereau mentionne que le jugement a été signifié le 23 janvier 2013. Ils en déduisent que l'appelant ne pouvait inscrire d'hypothèque judiciaire avant le 22 février 2013 et qu'à cette date, le bien était entré dans leur patrimoine.
En outre, les intimés exposent que les numéros d'inscription au service de la publicité foncière ne font pas état d'une quelconque antériorité de la publication de l'inscription d'hypothèque judiciaire. Ils prétendent que le CIC cite des numéros d'enregistrement tronqués et que le numéro d'inscription débute par la lettre P en cas de publication et par la lettre V en cas d'inscription.
Appréciation de la cour
C'est aux termes d'exacts motifs adoptés par la cour que le jugement déféré a statué ainsi.
Il convient d'ajouter que si l'article 2427 du code civil dispose a contrario que les créanciers privilégiés ou hypothécaires peuvent prendre inscription jusqu'à la publication de la mutation opérée au profit d'un tiers, la difficulté tient en l'espèce au fait que la cession du 12 février 2013 et l'inscription hypothécaire du CIC en vertu d'un jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 20 décembre 2012 ont été publiées le même jour, soit le 28 février 2013.
Le CIC fait valoir que son titre est antérieur à la cession du 12 février 2013.
Toutefois, l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 dispose que les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l'article 28 sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés.
Il n'est pas contesté que le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 20 décembre 2012 n'était pas revêtu de l'exécution provisoire et n'a fait l'objet d'aucune inscription d'hypothèque judiciaire provisoire. Il n'est donc devenu opposable aux tiers qu'à la date du 28 février 2013 à laquelle le CIC a inscrit son hypothèque judiciaire définitive fondée sur le jugement du 20 décembre 2012. Or, à la date du 28 février 2013, le bien n'était plus dans le patrimoine de M. et Mme K. comme l'a justement retenu le tribunal.
L'arrêt de la Cour de cassation du 1er mars 2006 (Cass Civ.3 n°04-20.253) cité par le CIC n'est pas transposable à la présente espèce dès lors que dans celle soumise à la Cour de cassation, la publication de l'hypothèque judiciaire du créancier était antérieure à celle de la cession du bien alors que dans le présent litige, les deux publications sont intervenues le même jour. Il ne peut être tiré aucune conséquence du n° d'ordre au fichier immobilier dès lors que les inscriptions des privilèges et hypothèque d'une part et les publications des mutations immobilières sont prises sous des volumes distincts comme l'observe justement M. et Mme G..
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
Les demandes accessoires
Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
En tant que partie perdante tenue aux dépens, le CIC sera débouté de sa propre demande sur ce fondement. En revanche, il versera à M. et Mme G. une indemnité complémentaire de 3 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Pontoise,
Et, y ajoutant,
DÉBOUTE le CRÉDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (CIC) de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le CONDAMNE à payer à ce titre à M. et Mme G. une indemnité complémentaire de 3 000 euros,
CONDAMNE le CRÉDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (CIC) aux dépens d'appel.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.