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Décisions

CA Rouen, 12 janvier 2011, n° 09/04254

ROUEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Boursicot

Conseillers :

M. Gallais, M. Chalachin

TGI Evreux, du 31 juill. 2009

31 juillet 2009

Par acte authentique du 18 décembre 2007, Mme Denise VILLETTE a vendu à M.Raoul DA SILVA et à Mme Elisabeth BUCH une maison d'habitation située à Saint Marcel, cadastrée section AR 165, AR777 et AR886. M.Thierry VILLETTE prétend que sa mère, Mme Denise VILLETTE, lui avait vendu auparavant une partie des deux parcelles cadastrées 777 et 886.

Par acte du 2 juillet 2008, M.Thierry VILLETTE a fait assigner M.Raoul DA SILVA, Mme Elisabeth BUCH et Mme Denise VILLETTE devant le tribunal de grande instance d'Evreux aux fins de revendiquer la propriété d'une partie des parcelles cadastrées 777 et 886.

Par jugement du 31 juillet 2009, le tribunal de grande instance d'Evreux a :

- débouté M.Thierry VILLETTE et Mme Denise VILLETTE de leurs prétentions,

- condamné M.Thierry VILLETTE à payer à M.Raoul DA SILVA et à Mme Elisabeth BUCH une indemnité de 3 000 € à titre de dommages intérêts et une somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le 16 septembre 2009, M.Thierry VILLETTE a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 21 avril 2010, auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé complet des moyens, M.Thierry VILLETTE fait valoir que :

- l'acte de vente d'un bien immobilier est un contrat consensuel qui, de lui-même, produit ses effets entre le vendeur et l'acquéreur,

- pour le rendre opposable aux tiers, l'acte doit être dressé en la forme authentique et publié au fichier immobilier tenu par la conservation des hypothèques du lieu de situation de l'immeuble,

- cependant, le caractère authentique du contrat de vente d'immeuble n'est pas considéré comme une condition de validité de l'acte,

- la jurisprudence refuse traditionnellement de faire jouer la règle de la priorité de l'inscription en cas de fraude du tiers,

- la connaissance par l'acquéreur d'un immeuble de l'existence d'une première cession lui interdit d'invoquer à son profit les règles de la publicité foncière,

- en l'espèce, M.Raoul DA SILVA et Mme Elisabeth BUCH avaient parfaitement connaissance de la précédente vente intervenue et ils doivent donc être considérés comme acquéreurs de mauvaise foi,

- la vente intervenue entre Mme Denise VILLETTE et son fils Thierry VILLETTE est valide et opposable à M.Raoul DA SILVA et à Mme Elisabeth BUCH,

- M.Thierry VILLETTE doit être indemnisé du préjudice moral et de jouissance qu'il a subi,

- il convient enfin de lui accorder une droit de passage sur la parcelle 886 pour qu'il puisse accéder à la partie de l'immeuble dont il est propriétaire.

M.Thierry VILLETTE demande donc à la Cour de :

- réformer la décision entreprise,

- constater la validité de la vente intervenue entre Mme Denise VILLETTE et M.Thierry VILLETTE concernant la parcelle de terrain délimitée par M. Nicolas LE GUILLOU entraînant division de la propriété sise à SAINT MARCEL (27) et créant un lot A d'une superficie de 140m2,

- lui reconnaître la pleine propriété du bâtiment annexe accolé à son habitation,

- enjoindre à Mme Denise VILLETTE de se présenter chez un notaire afin que la vente soit réitérée par acte authentique et publiée,

- dire que M.DA SILVA et Mme BUCH ne sauraient se prévaloir du principe de l'inopposabilité aux tiers concernant la vente intervenue non publiée,

- accorder à M.Thierry VILLETTE un droit de passage sur la parcelle n°886 pour se rendre au lot A,

- condamner in solidum M.DA SILVA et Mme BUCH à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages intérêts,

- condamner in solidum M.DA SILVA et Mme BUCH au paiement d'une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans leurs conclusions signifiées le 14 octobre 2010, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M.Raoul DA SILVA et Mme Elisabeth BUCH font valoir que :

- pour être opposable aux tiers, l'acte de vente d'un immeuble doit être dressé en la forme authentique et publié à la conservation des hypothèques,

- conscient de cette réalité, M.Thierry VILLETTE prétend qu'ils avaient parfaitement connaissance de l'existence de la précédente cession,

- M.Thierry VILLETTE fait valoir que les différents accès organisés sur le terrain permettaient à un acheteur loyal de se convaincre de l'exclusion de la partie de bâtiment et de terrain revendiquée par lui-même,

- en réalité, M.Thierry VILLETTE n'apporte aucune preuve concrète de nature à démontrer la connaissance par les acquéreurs de la prétendue vente intervenue antérieurement avec Mme Denise VILLETTE,

- c'est donc de façon parfaitement légitime qu'ils ont repris possession de leur bien,

- en outre, M.Thierry VILLETTE n'étant pas propriétaire du lot A qui en réalité n'existe pas, sa demande de concession d'un droit de passage pour y accéder ne peut qu'être rejetée,

- enfin, les circonstances de la cause justifient que M.Thierry VILLETTE leur verse une somme de 20 000 € à titre de dommages intérêts en raison du caractère abusif de la procédure et du trouble de jouissance causé.

M.Raoul DA SILVA et Mme Elisabeth BUCH demandent donc à la Cour de :

- débouter M.Thierry VILLETTE et Mme Denise VILLETTE de toutes leurs demandes,

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, à l'exception de celle ayant condamné M.Thierry VILLETTE à leur payer une indemnité de 3 000 € à titre de dommages intérêts,

- réformer de ce chef et condamner M.Thierry VILLETTE à leur verser une indemnité de 20 000 € à titre de dommages intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

- condamner in solidum M.Thierry VILLETTE et Mme Denise VILLETTE au paiement d'une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 21 octobre 2010, auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé complet des moyens, Mme Denise VILLETTE fait valoir que :

- elle ne conteste nullement qu'une vente soit intervenue au profit de son fils Thierry VILLETTE,

- elle confirme qu'elle a effectivement reçu plusieurs versements de la part de son fils suite à la rédaction de l'acte manuscrit de vente,

- elle invoque la mauvaise foi de M.Raoul DA SILVA et de Mme Elisabeth BUCH qui savaient pertinemment que les biens dont ils revendiquent la propriété avaient déjà été cédés à M.Thierry VILLETTE,

- ils ne pouvaient l'ignorer puisqu'ils sont voisins de M.Thierry VILLETTE et que ce dernier a réalisé d'importants travaux parfaitement visibles,

- ils n'avaient en outre formulé aucune objection sur la servitude de passage accordée à M.VILLETTE telle qu'elle figurait dans le compromis de vente du 24 juillet 2007,

- Mme Denise VILLETTE souhaite donc que soit consacrée la vente intervenue avec son fils,

- enfin, elle ne saurait faire l'objet d'une quelconque condamnation puisqu'elle n'a souhaité léser ni son fils, ni les consorts DA SILVA/BUCH.

Mme Denise VILLETTE demande donc à la Cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à la justice tout en soulignant qu'elle souhaite que soit consacrée la vente intervenue avec M.Thierry VILLETTE concernant la parcelle de terrain délimitée par le géomètre expert M.LE GUILLOU et entraînant division de la propriété de Mme Denise VILLETTE, créant un lot A d'une superficie de 140 m² et attribuant en outre à M.Thierry VILLETTE la pleine propriété du bâtiment annexe accolé à sa maison,

- lui donner acte de ce qu'elle se présentera spontanément chez le notaire du choix de M.Thierry VILLETTE afin que la vente soit réitérée par acte authentique et publiée,

- débouter M.DA SILVA et Mme BUCH de leurs prétentions dirigées à son encontre,

- condamner M.DA SILVA et Mme BUCH ou toute partie succombante aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2010.

SUR CE, LA COUR

Attendu qu'en application de l'article 30-1 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, relatif à la publicité foncière, une vente d'immeuble qui n'aurait pas été publiée est inopposable aux tiers qui sur le même immeuble ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou décisions soumis à la même obligation de publicité et effectivement publiés; que cependant, il est de droit constant que l'acquisition d'un immeuble en connaissance de sa précédente cession à un tiers est constitutive d'une faute qui ne permet pas au second acquéreur d'invoquer les règles de la publicité foncière;

Attendu que M.Thierry VILLETTE soutient donc que M. DA SILVA et Mme BUCH avaient eu connaissance de la vente intervenue en sa faveur lorsqu'ils ont acquis le reste de la propriété de sa mère et que leur mauvaise foi rend inapplicable le principe de l'inopposabilité aux tiers de la vente non publiée;

Attendu que M.Thierry VILLETTE tire argument en premier lieu de la mention figurant en page 2 de la promesse de vente du 24 juillet 2007 entre Mme Denise VILLETTE sa mère et M. DA SILVA et Mme BUCH, d'une servitude de passage commun sur la parcelle AR n°886 au profit de M.Thierry VILLETTE; que selon ce dernier, ce droit de passage ne se justifiait que pour avoir accès au bâtiment contigu à sa maison et non à sa terrasse; que selon Mme Denise VILLETTE la mention de ce droit de passage lui semblait de nature à préserver les droits de son fils;

Attendu que force est de constater que l'acte authentique de vente du 18 décembre 2007 ne comporte pas la mention d'un droit de passage au profit de M.Thierry VILLETTE, lequel en déduit que cette suppression traduisait l'existence d'un problème non résolu; que néanmoins, dans son courrier en réponse adressé au conseil de M.Thierry VILLETTE le 2 juillet 2008, Maître FOUCHER, notaire rédacteur de la promesse de vente du 24 juillet 2007 et de l'acte authentique du 18 décembre 2007, a expliqué que lors du rendez-vous du 24 juillet, Mme VILLETTE a évoqué un éventuel droit de passage au profit de M.Thierry VILLETTE, sans toutefois en être certaine, mais que la levée de l'état hypothécaire n'a pas révélé l'existence de cette servitude; qu'il ne saurait donc être déduit de cette mention figurant à la promesse de vente du 24 juillet 2007 que les acquéreurs étaient ainsi informés d'une vente précédente;

Attendu qu'en second lieu, M.Thierry VILLETTE se prévaut de la situation des lieux et de l'état du bâtiment litigieux qui, selon lui, permettaient à un acheteur loyal de se convaincre de l'exclusion de la vente à M. DA SILVA et Mme BUCH de la partie du bâtiment revendiquée par lui; que les photographies ainsi que les nombreuses attestations versées aux débats par M.Thierry VILLETTE démontrent qu'en effet, il a entrepris la rénovation de ce bâtiment contigu à sa maison, comportant la réfection de la toiture, l'installation d'une fenêtre neuve et la création d'un garage avec accès en pente; que cependant, la réalisation de ces travaux, à supposer que M. DA SILVA et Mme BUCH aient pu en avoir connaissance, alors que le bâtiment litigieux est en partie masqué par une autre construction à partir de la route, et savoir qui les avait entrepris, n'implique nullement qu'ils ont eu connaissance de la vente qui serait intervenue entre Mme Denise VILLETTE et son fils; que d'ailleurs M. DA SILVA et Mme BUCH produisent des photographies qui montrent l'existence d'une haie délimitant les propriétés, mais aussi d'une porte entre la parcelle 776 appartenant à M.Thierry VILLETTE et la parcelle 777 qui leur a été vendue;

Attendu que les nombreuses attestations régulières en la forme produites par M.Thierry VILLETTE font état de la connaissance par leurs auteurs de la vente qui serait intervenue entre ce dernier et sa mère et des travaux qu'il a réalisés; qu'aucun témoin ne déclare toutefois que M. DA SILVA et Mme BUCH auraient été informés de cette vente; que M. Laurent VILLETTE, frère de M.Thierry VILLETTE, a attesté le 29 août 2008 'être sûr que M. DA SILVA a été mis au courant par M.Thierry VILLETTE'; que cette affirmation d'un fait dont il n'a pas été témoin, contredit les termes d'un courrier non daté, adressé à M. DA SILVA et Mme BUCH par M. Bruno VILLETTE, ce dernier déclarant que c'est lui qui aurait prévenu M. DA SILVA de l'aliénation à M.Thierry VILLETTE d'une parcelle de terrain accolée à sa maison; que les affirmations contradictoires de Laurent VILLETTE et Bruno VILLETTE n'apportent pas la preuve de l'information donnée aux acquéreurs; que par conséquent, les témoignages produits ne prouvent pas que M. DA SILVA et Mme BUCH auraient été informés d'une première vente entre leur auteur et son fils;

Attendu que Mme Denise VILLETTE elle-même, qui 'souhaite' que soit consacrée la vente intervenue avec son fils, affirme que M. DA SILVA et Mme BUCH savaient pertinemment que les biens litigieux avaient déjà été cédés à son fils, mais ne déclare pas qu'elle aurait informé ses acquéreurs de cette vente préalable, se contentant d'observer que ceux-ci, voisins de l'immeuble vendu, ne pouvaient ignorer, non pas la vente, mais les travaux réalisés par son fils sur le bâtiment accolé à sa maison;

Attendu que dans son courrier précité en date du 2 juillet 2008, Maître FOUCHER écrit que Mme VILLETTE ne l'a pas informé du projet de division établi par M. LE GUILLOU géomètre, trois ans auparavant; qu'il précise qu'il est de coutume dans son étude, de 'stabiloter' les biens acquis et de demander aux parties s'il s'agit bien de ceux-ci; que tant le vendeur, Mme VILLETTE que les acquéreurs, M. DA SILVA et Mme BUCH, ont visé le plan sur lequel les parcelles 777 et 886 sont entièrement recouvertes de jaune, sans qu'apparaisse la division envisagée dans le projet de M. Le Guillou également versé aux débats; que Mme Denise VILLETTE, qui était accompagnée par un autre de ses fils, a visé ce plan et signé l'acte authentique sans formuler d'observation quant à une partie de ces parcelles qu'elle aurait cédée préalablement à son fils Thierry;

Attendu que par conséquent, ainsi que l'a estimé le premier juge, M.Thierry VILLETTE ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que M. DA SILVA et Mme BUCH savaient, à la date de la vente du 18 décembre 2007, qu'une partie des parcelles 777 et 886 lui avait été vendue auparavant; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que M.Thierry VILLETTE, qui ne démontre pas la mauvaise foi de M. DA SILVA et Mme BUCH, ne peut pas se prévaloir d'un acte de vente publié qui leur soit opposable;

Attendu que par conséquent, M.Thierry VILLETTE sera débouté de ses demandes en constatation et réitération de la vente intervenue entre Mme Denise VILLETTE et lui; qu'il sera également débouté de sa demande d'un droit de passage sur la parcelle n°886, pour accéder à un bâtiment qui ne lui appartenant pas, n'est pas enclavé;

Attendu que M. DA SILVA et Mme BUCH n'ayant fait que revendiquer la propriété de parcelles qu'ils ont acquises, n'ont commis aucune faute; que M.Thierry VILLETTE sera débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts à leur encontre;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de donner acte à Mme Denise VILLETTE qui a vendu les parcelles cadastrées 777 et 886 en totalité à M. DA SILVA et Mme BUCH, de ce qu'elle 'souhaite' que soit réitérée devant notaire la vente intervenue avec M.Thierry VILLETTE de partie de ces parcelles; qu'elle sera déboutée de toutes ses demandes;

Attendu que M.Thierry VILLETTE, qui a méconnu l'étendue de ses droits et qui succombe en ses prétentions, n'a pourtant commis aucune faute pouvant être qualifiée d'abus de procédure; qu'en revanche, M. DA SILVA et Mme BUCH n'ont pas pu occuper paisiblement leur bien en raison de la revendication injustifiée de M.Thierry VILLETTE; que le tribunal a fait une exacte évaluation de leur trouble de jouissance en leur allouant une indemnité de 3000 € à ce titre;

Attendu que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions;

Attendu qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à M. DA SILVA et Mme BUCH une indemnité complémentaire de 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, que seul M.Thierry VILLETTE sera condamné à leur verser; que ce dernier et Mme Denise VILLETTE seront, pour le même motif d'équité, déboutés de leurs demandes à ce titre;

Attendu que M.Thierry VILLETTE sera condamné aux dépens d'appel;

Par ces motifs

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 juillet 2009 par le tribunal de grande instance d'Evreux,

Y ajoutant,

Déboute M.Thierry VILLETTE et Mme Denise VILLETTE de toutes leurs demandes,

Condamne M.Thierry VILLETTE à payer à M. DA SILVA et Mme BUCH une indemnité complémentaire de 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M.Thierry VILLETTE aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.