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Décisions

CA Reims, 1re ch., 21 février 2023, n° 21/02100

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Société de Diffusion de Véhicules Industriels (SAS)

Défendeur :

Auto-Distribution Poids-Lourds (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mehl-Jungbluth

Conseillers :

Mme Mathieu, Mme Pilon

Avocats :

Me Castello, Me Lagrange, Me Thieffry, Me Rondot

TJ Reims, du 12 oct. 2021

12 octobre 2021

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 février 2023 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le 9 novembre 2015, la SAS Société de Diffusion de Véhicules Indutriels (la SDVI) a reçu commande au nom de " Champagne [T] Potel " d'un véhicule d'occasion de marque Renault immatriculé [Immatriculation 8], au prix de 34 000 euros HT.

Ce véhicule a été acquis par la SDVI auprès de la société Sogelease France, qui l'avait précédemment donné en location à la société Innovia. Celle-ci avait, en son temps, confié des travaux de réparation sur le camion à la SAS Autodistribution Poids Lourds.

Le véhicule a été livré le 23 décembre 2015. Il est tombé en panne le 20 octobre 2016.

Le juge des référés a alors été saisi par M [B] [T], agissant en son nom personnel et en qualité de liquidateur de l'EURL CP Champagnisation et par M [K] [T] d'une demande d'expertise, déclarée irrecevable par ordonnance du 1er décembre 2017. La cour d'appel a infirmé cette décision et désigné un expert pour examiner le véhicule.

Par actes des 28 novembre et 3 décembre 2019, MM [T] ont fait assigner la SAS SDVI et la SAS Autodistribution Poids Lourds devant le tribunal judiciaire de Reims afin d'obtenir la résolution de la vente conclue avec la première, sur le fondement de l'article 1641 du code civil, ainsi que l'indemnisation de leurs préjudices par application des articles 1240 et suivants, par la seconde.

Par jugement du 12 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Reims a :

- Rejeté les fins de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de MM [T] en leurs noms personnels,

- Déclaré irrecevables les demandes formées par M [B] [T] pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL CP Champagnisation,

- Prononcé la résolution de la vente formalisée le 9 novembre 2015 entre la SAS SDVI et M [K] [T] sur le fondement de la garantie des vices cachés,

En conséquence,

- Condamné la SAS SDVI à restituer la somme de 40 800 euros TTC à M [K] [T], à charge pour elle de récupérer à ses frais le véhicule au sein des établissements Gueudet à [Localité 10],

- Condamné la SAS SDVI à payer à M [K] [T] la somme de 3 647,49 euros,

- Condamné la SAS SDVI à payer à M [B] [T] la somme de 6 000 euros,

- Condamné la SAS SDVI à payer à MM [T] la somme de 1 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral,

- Rejeté l'appel en garantie formé par la SAS SDVI,

- Condamné la SAS Autodistribution Poids Lourds à payer à MM [T] une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- Condamné la SAS Autodistribution Poids Lourds à payer à la SAS SDVI une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- Rejeté la demande d'indemnité formée par la SAS AUtodistribution Poids Lourds au titre des frais irrépétbles,

- Condamné la SAS Autodistribution Poids Lourds aux dépens de l'instance au fond et de l'instance en référé, y compris les honoraires de l'expert judiciaire et autorisé la SELARL CTB Avocats et associés à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Débouté MM [T] du surplus de leurs demandes,

- Ordonnée l'exécution provisoire.

Le tribunal a considéré que MM [T] étaient recevables à agir en leurs noms personnels, dès lors d'une part, qu'il est établi que M [K] [T] est le propriétaire du véhicule litigieux, de sorte qu'il peut agir contre son vendeur au titre de la garantie des vices cachés et, d'autre part, que l'indemnisation de leurs préjudices complémentaires sur le fondement de la responsabilité délictuelle de la société Autodistribution Poids Lourds ne requièrt pas qu'ils aient la qualité de propriétaire, mais uniquement la preuve d'une faute et d'un préjudice en lien avec cette faute. Il a, en revanche, estimé que M [B] [T] était irrecevable à agir en qualité de liquidateur amiable de la SARL CP Champagnisation, aux motifs qu'il avait engagé l'instance en son nom personnel et qu'il s'était prévalu de la qualité de liquidateur en cours d'instance, sans autre formalité, et que la SARL a été radiée du RCS du fait de la clôture des opérations de liquidation, si bien que lesdites fonctions ont cessé à cette date.

S'agissant de la garantie des vices cachés, il a relevé que l'expert judiciaire conclut à un défaut du camion, qui existait en germe et n'était pas décelable par l'acquéreur au moment de la vente. Le véhicule étant immobilisé depuis la panne, il a conclu que le vice en cause le rend impropre à l'usage auquel on le destine et qu'il manifeste une gravité suffisante. Il a rappelé que le coût des réparations représente le tiers du prix et que l'acheteur qui agit en garantie contre son vendeur en raison d'un vice caché dispose à son choix de deux actions, rédhibitoire et estimatoire, sans avoir à le justifier.

S'agissant de la responsabilité délictuelle de la société Autodistribution Poids Lourds, il rappelle les termes de l'expertise judiciaire pour retenir l'existence d'une non-façon de celle-ci à l'origine de la panne du camion et que MM [T], tiers au contrat d'entreprise conclue entre la société Autodistribution Poids Lourds et la société Innovia, peuvent se prévaloir d'un manquement de la première à ce contrat, dès lors qu'il leur cause un préjudice.

Il a considéré que la SDVI ne pouvait plus agir en garantie contre la société Autodistribution Poids Lourds sur le fondement de la responsabilité contractuelle, dès lors qu'elle a transféré la propriété du véhicule à M [K] [T] et donc les droits qui y étaient attachés. Il a décidé que la SDVI pouvait, en revanche, agir au titre de la responsabilité délictuelle de la société Autodistribution Poids Lourds, en invoquant un manquement de cette dernière au contrat d'entreprise conclu avec la société Innovia, dès lors qu'il lui cause un préjudice, mais a rejeté son appel en garantie, même sur un tel fondement, au motif que la restitution du prix à laquelle le vendeur est condamné suite à la résolution de la vente ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie.

La SAS SDVI a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 25 novembre 2021, visant expressément les chefs de décision rejetant les fins de non-recevoir, la condamnant à paiement, rejetant son appel en garantie et ordonnant l'exécution provisoire.

Par conclusions transmises le 28 juillet 2022, elle demande l'infirmation du jugement des chefs susvisés et que la cour d'appel, statuant à nouveau :

A titre liminaire,

- Déclare MM [T] irrecevables en toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre elle,

- A défaut, à titre principal, déboute MM [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à son encontre, en ce compris la demande de résolution de la vente et de restitution du prix,

- A titre subsidiaire, condamne la société Autodistribution Poids Lourds à lui payer la somme de 42 250,17 euros HT, soit 50 700, 20 euros TTC à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle,

- A titre infiniment subsidiaire, condamne cette société à lui payer la même somme sur le fondement de la responsabilité délictuelle,

En tout état de cause,

- Déboute MM [T] et la société Autodistribution Poids Lourds de toutes leurs demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- Condamne solidairement ou à défaut in solidum la société Autodistribution Poids Lourds et MM [T] à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

Elle soutient qu'elle n'a pas contracté avec MM [T] pour la vente du véhicule litigieux et conteste donc leur qualité à agir en résolution de la vente au titre de la garantie des vices cachés.

Elle s'oppose à la fin de non-recevoir que MM [T] lui opposent au motif qu'elle ne s'est pas opposée en première instance à la résolution de la vente, de sorte que sa demande d'infirmation du jugement prononçant cette résolution serait nouvelle à hauteur d'appel, en soutenant qu'il s'agit d'un moyen de défense au fond, lequel peut être invoqué en tout état de cause, en application des articles 563 et 72 du code de procédure civile. Elle entend, en tout état de cause, invoquer l'article 565 du même code et soutient que si sa critique du chef de jugement prononçant la résolution de la vente devait être regardée comme une demande nouvelle, il devrait être considéré que celle-ci présente un lien suffisant avec les prétentions d'origine, qu'elle tend aux mêmes fins que les prétentions d'origine et qu'elle est donc recevable.

Elle affirme que les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies dès lors que le véhicule est facilement réparable et qu'il n'est donc pas impropre à l'usage auquel il est destiné.

Elle soutient, pour le cas où l'existence d'un vice caché serait retenue, que le caractère parfaitement réparable du désordre allégué fait obstacle à l'action rédhibitoire de l'acquéreur.

S'agissant de ses demandes présentées contre la société Autodistribution Poids Lourds, elle explique qu'elle ne sollicite plus la condamnation de la société Autodistribution Poids Lourds au titre de la restitution du prix du véhicule à l'acquéreur qu'elle devrait supporter, mais au paiement de dommages intérêts et soutient qu'elles sont bien recevables, contrairement à ce que celle-ci soutient, parce qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, soit l'indemnisation de son préjudice en cas de prononciation de la résolution de la vente, même si leur fondement est différent.

Elle invoque la responsabilité contractuelle de la société Autodistribution en soutenant qu'elle bénéficie des actions de la société Innovia à l'encontre de celle-ci dès lors qu'une chaîne de contrats hétérogènes translatifs de propriété est en cause et rappelle que la garagiste était tenu d'une obligation de résultat et que son intervention est, aux termes de l'expertise judiciaire, à l'origine du vice. A défaut, elle entend voir consacrer la responsabilité délictuelle de cette société, en faisant valoir qu'elle peut, même en qualité de tiers au contrat d'entreprise passé entre celle-ci et la société Innovia, invoqué un manquement du garagiste à ses obligations contractuelles et rappelle que l'expert judiciaire a estimé qu'elle n'avait pas respecté les règles de l'art.

Par conclusions notifiées le 19 mai 2022, MM [T] sollicitent la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par M [B] [T] pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL CP Champagnisation et en ce qu'il a condamné la SAS SDVI à leur payer diverses sommes à titre de dommages intérêts. Ils demandent à la cour, infirmant le jugement de ces chefs et statuant à nouveau, de :

- Condamner la société Autodistribution Poids Lourds à payer à M [K] [T] et M [B] [T] en son nom et es qualités de liquidateur amiable de la SARL CP Champagnisation une somme de 3 647.40 euros au titre des factures de location de véhicule de remplacement,

- La condamner à payer à MM [T] une somme de 26 547 euros au titre du préjudice d'immobilisation, arrêté au 30 juin 2019 outre 27.20 euros par jour jusqu'au jour de l'arrêt à intervenir,

- La condamner à leur payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour le préjudice moral subi,

- Condamner les sociétés SDVI et Autodistribution Poids Lourds à payer à M [K] [T] et M [B] [T] en son nom et es qualités de liquidateur amiable de la SARL CP Champagnisation une somme de 3 000 euros chacun par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les défendeurs en tous les dépens dont distraction requise au profit de la SELARL CTB Avocats et associés.

En réponse à la fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir que la SDVI leur oppose, ils affirment qu'il n'existe pas de société Champagne [T] Potel, que M [K] [T], qui exerce une activité d'exploitant agricole sous le nom " Champagne [T] Potel " , est bien propriétaire du véhicule litigieux pour l'avoir acquis de la SDVI, qu'il a ensuite mis à disposition de son fils, M [B] [T] pour son usage professionnel, lequel a loué son fonds artisanal de champagnisation à titre de location gérance à l'EURL CP Champagnisation, qui utilisait le camion au moment de la panne.

Ils invoquent l'existence d'un vice caché du camion, trouvant sa cause dans l'intervention de la SAS Autodistribution Poids Lourds, dont l'expert judiciaire indique qu'elle n'a pas respecté les règles de l'art.

Ils soutiennent que la demande d'infirmation de la résolution de la vente présentée par la SDVI constitue une demande nouvelle à hauteur d'appel et qu'elle est donc irrecevable, que l'acquéreur qui agit en garantie contre son vendeur en raison de vices cachés de la chose dispose à son choix de deux actions, rédhibitoire et estimatoire et que ce choix s'exerce sans que cet acheteur ait à le justifier. Ils ajoutent que si le coût des travaux a été évalué à 18 000 euros, la valeur résiduelle du camion est de 10 000 euros, de sorte qu'il est irréparable.

Ils rappellent qu'ils avaient présenté leurs demandes indemnitaires contre la société Autodistribution Poids Lourds et considèrent que c'est à la suite d'une erreur de plume que le dispositif du jugement condamne la SDVI, dont ils rappellent que l'expert judiciaire a établi qu'elle ignorait le vice caché, de sorte que celle-ci est vendeuse de bonne foi et ne peut donc qu'être condamnée à la restitution du prix, les préjudices complémentaires devant être pris en charge par le garage ayant mal réparé le véhicule.

Par conclusions notifiées le 12 juillet 2022, la SAS Autodistribution Poids Lourds demande à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par M [B] [T] pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SARL CP Champagnisation,

- L'infirmer en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir de MM [T] en leurs noms personnels,

Statuant à nouveau,

- Accueillir les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir de MM [T] en leurs noms personnels,

- Déclarer ceux-ci irrecevables en leur action et en leurs demandes,

- Les débouter de leurs demandes,

- Déclarer irrecevables comme étant nouvelles les demandes formées par la société SDVI contre elle à hauteur de cour,

- Débouter la société SDVI de ses demandes formées contre la société Autodistribution Poids Lourds,

- Infirmer le jugement en ce qu'il prononce la résolution de la vente, condamne la SAS SDVI à restituer la somme de 40 800 euros TTC à M [K] [T], condamne la SAS SDVI à payer la somme de 3 647.49 euros à M [K] [T], celle de 6 000 euros à M [B] [T] et celle de 1 000 euros à chacun de ceux-ci en réparation de leur préjudice moral,

- Débouter MM [T] de leurs demandes,

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie formé par la SAS SDVI,

- Débouter la SAS SDVI et MM [T] de leurs demandes formées contre elle,

- A titre infiniment subsidiaire, rejeter les demandes indemnitaires formées par MM [T] et la société SDVI contre elle,

- Infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à paiement au titre des frais irrépétibles de MM [T] et de la SAS SDVI, rejeté sa propre demande présentée de ce chef et l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau,

- Débouter MM [T] et la SDVI de leurs demandes formées contre elle au titre des frais irrépétibles et des dépens exposés en première instance,

- Condamner MM [T] à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance, lesquels seront recouvrés par la SELARL Raffin Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Condamner la société SDVI à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés par la SELARL Raffin Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- En tout état de cause, rejeter toute demande plus ample ou contraire formée par la société SDVI ou MM [T].

Elle soutient qu'il est impossible, en l'état des pièces produites, de connaître l'identité réelle du propriétaire du camion litigieux, que la demande de la SDVI tendant à obtenir à hauteur d'appel sa condamnation, non plus à la garantir de toutes condamnation prononcées contre elle, notamment à restituer le prix, comme en première instance, mais à l'indemniser du coût des réparations à effectuer sur le véhicule et à sa perte de valeur, est irrecevable pour être nouvelle.

Sur le fond, elle soutient qu'un véhicule qui peut être réparé et remis en état de marche, ne saurait être considéré comme impropre à l'usage auquel on le destine et s'oppose donc à l'action en garantie des vices cachés de MM [T].

Elle s'oppose à l'appel en garantie de la SDVI en rappelant la motivation du jugement sur ce point.

S'agissant des demandes indemnitaires de MM [T], elle rappelle qu'il est impossible de déterminer qui est propriétaire du véhicule et qui l'utilisait et rappelle que la société au nom de laquelle M [B] [T] sollicite paiement a été dissoute amiablement à compter du 31 décembre 2016.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de MM [T] à titre personnel

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'article 32 dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

Ont intérêt à présenter les demandes en garantie des vices cachés et en réparation des préjudices causés par ces vices telles que formulées par MM [T], l'acquéreur et l'utilisateur du véhicule.

Le bon de commande et la facture du véhicule sont établis au nom de " [Adresse 3], dans la Marne.

Cette adresse est celle de M [K] [T], qui justifie en outre qu'il exerçait, à l'époque de la vente du véhicule litigieux, une activité d'exploitant agricole dans le domaine de la culture de la vigne à [Localité 9], commune dont relève la localité nommée [Localité 11]. Et la SDVI et la société Autodistribution Poids Lourds ne justifient pas de l'existence d'une personne morale ayant pour dénomination " Champagne [T] Potel ".

M [K] [T] justifie en outre de la souscription d'un prêt d'un montant équivalent au prix hors taxe du camion, dont le capital a été versé par la banque le 18 décembre 2015, soit le lendemain de la facture du véhicule.

La SDVI produit une déclaration de cession mentionnant comme cessionnaire, " [T] ", demeurant [Adresse 7] (Marne), qui est l'adresse de M [B] [T], dont le nom figure également sur le certificat d'immatriculation et sur le bon de livraison.

Cependant, MM [T] ont communiqué à l'expert judiciaire une déclaration de cession, se rapportant au même véhicule et établi à la même date, au nom du même cédant, la SDVI, sur laquelle le cessionnaire apparaît comme " [T] Potel ", ayant pour adresse [Adresse 3], ce qui correspond aux éléments figurant sur le bon de commande et la facture du camion.

Les termes de la déclaration de cession produite par la SDVI, que contredisent ceux de la déclaration versée aux débats par MM [T], ne suffisent donc pas à remettre en cause le faisceau d'indices résultant du bon de commande et de la facture du véhicule, ainsi que de la souscription d'un prêt par M [K] [T], qui tendent à démontrer que celui-ci est bien le propriétaire du camion litigieux.

L'établissement du certificat d'immatriculation au nom de M [B] [T], comme la signature par ce dernier du bon de livraison, viennent corroborer les déclarations de MM [T] selon lesquelles il était l'utilisateur du véhicule et n'empêchent nullement la reconnaissance de la qualité de propriétaire de M [K] [T].

MM [T] doivent donc être déclarés recevables en leurs demandes et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la recevabilité des demandes de M [B] [T] en qualité de liquidateur de la SARL CP Champagnisation

S'il est tenu pour établi que M [B] [T] était l'utilisateur du camion, celui-ci ne démontre pas qu'il avait, comme il l'affirme, loué son fonds artisanal de champagnisation à titre de location gérance à l'EURL CP Champagnisation, qui aurait également utilisé le véhicule.

En conséquence, ses demandes formulées es qualités de liquidateur de l'EURL CP Champagnisation, doivent être déclarées irrecevables et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la garantie des vices cachés

Il résulte de l'article 564 du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions.

En demandant l'infirmation du jugement en ce qu'il prononce la résolution de la vente, la SDVI entend s'opposer à l'action rédhibitoire de MM [T]. Ce faisant, elle ne formule pas une demande, mais un moyen de défense au fond, qui ne saurait donc être déclaré irrecevable en raison de sa nouveauté à hauteur d'appel.

- Les conditions de la garantie

L'article 1641 du code civil prévoit que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Selon l'article 1643, le vendeur est tenu des vices cachés, quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

Le rapport d'expertise judiciaire fait apparaître que la camion acquis par M [K] [T] a présenté une grave avarie mécanique le 26 octobre 2016, consistant dans le blocage du moteur. Le technicien indique que ce blocage a été causé par le grippage de la ligne d'arbre au niveau du palier n°2 alors que le véhicule avait parcouru 7 564 kilomètres depuis la vente, et 10 350 kilomètres depuis l'intervention facturée par la société Autodistribution Poids Lourds. Il précise que lors de cette intervention, cette société n'a pas respecté les règles de l'art notamment en ce qui concerne le remontage du vilebrequin, opération incontournable après le remplacement de l'arbre à cames, en ne remplaçant pas les vis de chapeaux de palier de vilebrequin, alors qu'il s'agit de vis à usage unique, dont le changement est impératif après démontage, la réutilisation des vis anciennes ne lui ayant pas permis de réaliser un serrage correct des chapeaux de palier, lequel est déterminant pour un fonctionnement hydrodynamique durable du palier.

Il estime que le défaut à l'origine de cette avarie existait en germe et n'était pas décelable par l'acquéreur au moment de la vente litigieuse.

Les parties ne contestent pas ces éléments du rapport d'expertise et ne justifient d'aucun élément technique de nature à les remettre en cause.

Il apparaît ainsi que le remontage défectueux du vilebrequin du fait de la réutilisation de vis anciennes constitue un défaut du véhicule. Ce défaut préexistait à la vente à M [T], puisque l'opération de remontage a été réalisée avant ladite vente. Résultant de l'emploi de vis anciennes, l'acquéreur ne pouvait en avoir connaissance.

Ce défaut a causé le blocage du moteur, pièce essentielle du véhicule, et a rendu le camion impropre à l'usage auquel on le destine, puisqu'il ne peut plus circuler. Il revêt donc le caractère de gravité requis pour la mise en œuvre de la garantie des vices cachés par le vendeur, sans que celui-ci ne puisse exciper de ce qu'il serait facilement réparable.

- Les conséquences de la garantie

Il résulte de l'article 1644 que dans les cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

Le rapport d'expertise mentionne que le camion est techniquement réparable, sa remise en état nécessitant le remplacement du moteur en échange standard. Le coût de cette intervention est évalué par l'expert à la somme de 18 250.17 euros HT.

Les sociétés SDVI et Autodistribution Poids Lourds ne sauraient pour autant s'opposer pour ce motif à la résolution de la vente demandée par l'acquéreur compte tenu de l'importance du vice dont le camion est atteint et du coût desdites réparations, supérieur à la valeur résiduelle du véhicule, que l'expert judiciaire estime, sans être contredit par les parties, à 10 000 euros.

En conséquence, la résolution de la vente doit être ordonnée, ainsi que MM [T] le demandent et la SDVI sera condamnée à restituer le prix, soit 40 800 euros TTC, à M [K] [T]. Le jugement sera confirmé de ces chefs.

Sur les demandes en paiement de dommages intérêts

- Les demandes de la SDVI contre la société Autodistribution Poids Lourds

Il résulte de l'article 564 du code de procédure civile que les prétentions nouvelles sont irrecevables en appel.

L'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

En première instance, la SDVI sollicitait la condamnation de la société Autodistribution Poids Lourds à lui payer la somme de 40 800 euros TTC au cas où elle serait elle-même condamnée à restituer le prix de la vente à M [T].

A hauteur d'appel, elle demande la condamnation de cette société à l'indemniser de la dépréciation du camion qui doit lui être restitué, et du coût de sa remise en état.

Ces demandes tendent aux même fins, dès lors qu'il s'agit pour la SDVI d'obtenir de la société Autodistribution Poids Lourds, la réparation des préjudices résultant pour elle de la restitution qui doit lui être faite du véhicule en conséquence de la résolution de la vente. Elles sont donc recevables.

Il est constant que le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur (Ass. Plén., 7 février 1986, n°83-14.631). Cette transmission des droits et actions attachés à la chose implique un transfert du droit de propriété sur cette chose.

La SDVI invoque l'existence d'une chaîne hétérogène de contrats translatifs de propriété.

Toutefois, la société Innovia était liée à la société Sogelease France, auteur de la SDVI, par un contrat de crédit-bail, lequel n'a pas emporté transfert de propriété, puisque le bailleur est demeuré propriétaire du véhicule, qui lui a été restitué à la fin du bail.

En conséquence, il n'existe pas de chaîne de contrats translative de propriété entre la société Innovia, créancière de l'obligation de résultat que la SDVI invoque contre la société Autodistribution Poids Lourds au titre du contrat d'entreprise et la SDVI. Celle-ci ne peut donc fonder ses demandes indemnitaires sur la responsabilité contractuelle de la société Autodistribution Poids Lourds.

En revanche, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. Plén, 6 octobre 2006, n°05-13.255). Ainsi, la SDVI peut invoquer un manquement de la société Autodistribution Poids Lourds à ses obligations contractuelles résultant du contrat d'entreprise passé avec la société Innovia pour la réparation du camion, si elle justifie en subir un préjudice.

La non-façon imputée par l'expert judiciaire à la société Autodistribution Poids Lourds en raison de la réutilisation de vis anciennes lors du remontage du vilebrequin, qualifiée de manquement aux règles de l'art, caractérise une faute de cette société. Elle a eu pour conséquence de bloquer le moteur, qui doit à présent être remplacé.

La SDVI est donc fondée à solliciter la condamnation de la société Autodistribution Poids Lourds à l'indemniser du coût des réparations nécessaires à la remise en état du camion, soit 18 250.17 euros HT ( 21 900.20 euros TTC), selon l'estimation non contestée de l'expert judiciaire.

Elle invoque en outre une dépréciation du véhicule du fait des agissements fautifs de la société Autodistribution Poids Lourds, en rappelant que l'expert a fixé sa valeur résiduelle à 10 000 euros. Il convient toutefois de rappeler que cette valeur correspond à l'état du véhicule après la manifestation du vice caché (blocage du moteur) et avant les réparations. Or, la somme nécessaire auxdites réparation a été allouée à la SDVI. Aucune dépréciation résultant de l'avarie du moteur et qui serait évaluée en fonction de la valeur résiduelle du camion ne peut donc être retenue.

La dépréciation résultant de l'écoulement du temps et de la circulation du véhicule pendant 10 mois après sa vente à M [T] ne trouve pas sa cause dans la faute de la société Autodistribution Poids Lourds, qui n'est donc pas tenue à réparation de ce chef. La SDVI sera donc déboutée de sa demande en réparation au titre de la dépréciation du véhicule.

En conséquence, la société Autodistribution Poids Lourds sera condamnée à payer à la SDVI la somme de 21 900.20 euros TTC en réparation de son préjudice matériel.

- Les demandes de MM [T] contre la société Autodistribution Poids Lourds

Comme cela a été précédemment établi à l'égard de la SDVI, MM [T] peuvent invoquer le manquement de la société Autodistribution Poids Lourds à ses obligations contractuelles résultant du contrat d'entreprise passé avec la société Innovia pour la réparation du camion, s'ils justifient en subir un préjudice.

Le camion est immobilisé depuis le 26 octobre 2016 en raison de l'intervention défectueuse de la société Autodistribution Poids Lourds sur le moteur.

MM [T] produisent 4 factures de location d'un fourgon pour 14 jours en novembre 2016, 8 jours en décembre 2016, 4 jours en juillet 2017 et 10 jours en septembre 2017. Elles sont libellées au nom de M [K] [T], qui est donc fondé, et lui seul en l'absence d'autres éléments, à réclamer à la société Autodistribution Poids Lourds la somme correspondant au montant total de ces factures, soit 3 647.40 euros, M [B] [T] étant débouté de ce chef. Le jugement sera donc confirmé à cet égard, sauf à rectifier le montant de la condamnation, figurant pour 3 647.49 euros dans le jugement et à préciser que la condamnation est prononcée contre la société Autodistribution et non contre la SDVI, dont le nom a été porté au dispositif à la suite d'une erreur purement matérielle, puisque les motifs du jugement font apparaître que cette condamnation est fondée sur un manquement de la société Autodistribution Poids lourds dans l'exécution de ses obligations contractuelles.

Pour sa part, M [B] [T] ne justifie pas avoir supporté une quelconque dépense afin de suppléer au véhicule immobilisé, dont il n'est en outre pas justifié des conditions dans lesquelles il était mis à sa disposition, notamment si cette mise à disposition était permanente ou épisodique, ni si elle était encore effective lors de la panne du véhicule. M [B] [T] sera donc débouté de sa demande au titre d'un préjudice de jouissance et le jugement sera infirmé de ce chef.

MM [T] invoquent un préjudice moral résultant des tracasseries administratives et judiciaires causées par le défaut du camion et le fait que M [B] [T] aurait été contraint de cesser son activité de champagnisation et celle de sa société CP Champagnisation, du fait de l'absence de moyens de transport lui permettant de se déplacer chez ses clients.

Si le lien de causalité n'est pas établi entre l'immobilisation du camion et la cessation des activités professionnelles de M [B] [T], il est indéniable que cette immobilisation et les démarches qu'elle a impliquées ont causé soucis et tracas à MM [T]. Le préjudice moral qu'ils ont ainsi subi sera entièrement réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euros chacun et le jugement sera confirmé de ce chef, sauf à le rectifier en ce que la condamnation est prononcée à l'encontre de la SDVI et non de la société Autodistribution Poids Lourds, par suite d'une erreur purement matérielle ainsi qu'il a été précédemment établi.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les sociétés SDVI et Autodistribution Poids Lourds, parties condamnées, sont tenues aux dépens de première instance et d'appel. Elles seront donc déboutées de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et le jugement sera infirmé de ces chefs.

Il sera confirmé en ce qu'il alloue à MM [T] la somme de 5 000 euros pour leurs frais irrépétibles, sauf à mettre cette somme à la charge de la société Autodistribution Poids Lourds et de la SDVI.

Il est équitable d'allouer à MM [T] la somme globale de 1 500 euros pour leurs frais irrépétibles d'appel.

La SELARL CTB Avocats et associés sera autorisée à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Déclare recevables les demandes présentées par la SAS SDVI contre la SAS Autodistribution Poids Lourds,

Infirme le jugement rendu le 12 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Reims en ce qu'il :

- Condamne la SAS SDVI à payer à M [B] [T] la somme de 6 000 euros,

- Rejette l'appel en garantie formé par la SAS SDVI,

- Condamne la SAS Autoristribution Poids Lourds à payer à la SAS SDVI une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- Condamne la SAS Autodistribution Poids Lourds aux dépens de l'instance au fond et en référé, y compris les honoraires de l'expert judiciaire,

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs de jugement,

Déboute M [B] [T] de sa demande au titre d'un préjudice d'immobilisation,

Condamne la SAS Autodistribution Poids Lourds à payer à la SAS SDVI la somme de 21 900.20 euros TTC en réparation de son préjudice matériel,

Déboute la SAS SDVI de sa demande en paiement pour ses frais irrépétibles de première instance,

Condamne la SAS SDVI et la SAS Autoristribution Poids Lourds aux dépens de l'instance au fond et en référé, y compris les honoraires de l'expert judiciaire,

Confirme le jugement pour le surplus, sauf à préciser que :

- La SAS Autoristribution Poids Lourds, et non la SAS SDVI, est condamnée à payer à M [K] [T] la somme de 3 647,40 euros et non celle de 3 647.49 euros,

- La SAS SDVI est condamnée avec la SAS Autodistribution Poids Lourds à payer à MM [B] et [K] [T] une indemnité de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.