CA Angers, ch. com., 11 janvier 2011, n° 10/00511
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Habitat Plus Maisons Individuelles (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vallée
Conseillers :
Mme Rauline, Mme Schutz
Avoués :
SCP Gontier-Langlois, SCP Chatteleyn Et George
Avocats :
Me Poirier, Me Criquet
La société Habitat Plus Maisons Individuelles est une société par actions simplifiée créée le 24 mai 1989 qui a pour objet l'activité de vente et construction directe ou indirecte de tous immeubles destinés ou non à l'habitation.
Cette société est détenue à 99, 80 % par la société GSA Développement constituée le 16 mai 2007, et comme celle-ci, fait partie du groupe Habitat Plus que contrôlent Monsieur et Madame G..
Le 3 janvier 2006, la société Holding du groupe Alian Groupe a engagé Monsieur Christian S. en qualité de directeur développement.
Monsieur S. a été intégré au capital de la société GSA Développement, société Holding intermédiaire spécialement créée pour reprendre les titres de la société fille Habitat Plus Maisons Individuelles au moyen d'une opération LBO (leverage buy out) (financement d'acquisition par emprunt ou rachat d'une société en ayant recours à de l'endettement bancaire aussi appelé effet de levier).
Le capital initial de la société GSA Développement de 48 000 euros a été souscrit à hauteur de 7 200 euros par Monsieur S. (15%), le solde (85%) étant souscrit par la société Alian Groupe.
Parallèlement, la société Alian Groupe a cédé à Monsieur S. 1000 des 18 960 actions qu'elle détenait dans le capital de la société Habitat Plus Maisons Individuelles, moyennant le prix de 300 000 euros, payable à hauteur de 45 000 euros au plus tard le 22 mai 2007 et 255 000 euros au plus tard le 15 juillet 2007.
Dans le cadre du LBO, il a été procédé à une augmentation de capital par apport de titres détenus par Monsieur S. et la société Alian Groupe dans le capital de la société Habitat Plus, 126 actions pour Monsieur S. et 714 actions pour la société Alian Groupe.
Le reste des actions détenues par la société Alian Groupe et Monsieur S. a été cédé le 15 juin 2007 à la société GSA Développement, 18 246 actions au prix de 5 473 800 euros pour Alian Groupe et 874 actions au prix de 262 200 euros pour Monsieur S..
Ainsi, Monsieur S. est devenu propriétaire de 15% du capital de la société GSA développement qui détient 99, 80% du capital de la société Habitat Plus Maisons Individuelles.
Par acte du 3 juillet 2008, Monsieur et Madame G. et la société Alian Groupe ont cédé l'intégralité de leur participation dans la société Cotrafim à la société GSA Développement qui est devenue l'associée unique de la société Cotrafim.
Monsieur S. a été nommé directeur général de la société Habitat Plus Maisons Individuelles par décision de l'assemblée générale du 8 juin 2006 et gérant de la société Cotrafim par assemblée générale du 4 juillet 2008.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 novembre 2008, le président de la société Habitat Plus Maisons Individuelles a convoqué Monsieur S. en sa qualité de directeur général, mandataire social de ladite société afin de statuer sur une ordre du jour comprenant notamment la révocation du directeur général.
Au cours de l'assemblée qui s'est tenue le 21 novembre 2008, il a été exposé ainsi à Monsieur S. les raisons pour lesquelles la révocation de son mandat était envisagée :
'Le président expose qu'il existe un désaccord majeur sur la politique commerciale de l'entreprise entre lui même et le directeur général de la société. Le président souhaite, pour sa part, dans le contexte économique actuel du secteur de l'immobilier, maintenir voire développer le réseau commercial existant pour augmenter le nombre de ventes de contrats de construction de maisons individuelles et ainsi pérenniser la société. Pour le président, le redressement voire le développement d'Habitat Plus passe par un réseau commercial de proximité très présent sur le terrain. Monsieur S., directeur général, souhaite au contraire réduire le nombre d'agences locales, ne maintenir qu'une agence par département et réduire les effectifs pour diminuer les coûts de structure. Compte tenu de ces divergences fondamentales de vues entre d'un côté, le président (également président du groupe) et l'associé majoritaire et de l'autre le directeur général sur les mesures à prendre pour redresser la situation de la société, il est envisagé de révoquer Monsieur Christian S. de ses fonctions de directeur général'
L'assemblée générale après avoir entendu les observations de Monsieur S. a décidé de révoquer ce dernier.
Par acte du 17 février 2009, Monsieur S. a assigné la société Habitat Plus devant le tribunal de commerce d'Angers aux fins de voir condamner celle-ci à lui payer une somme de 50 000 euros à titre de dommages- intérêts, outre une indemnité de procédure, pour absence de juste motif de la révocation et le caractère brutal de celle-ci, moyens qui ont été contestés par la société défenderesse qui a opposé que la procédure avait été contradictoire et ni brutale ni vexatoire.
Par jugement du 10 février 2010, le tribunal de commerce a débouté Monsieur S. de ses prétentions et condamné ce dernier à une indemnité de procédure et aux dépens.
LA COUR
Vu l'appel formé contre ce jugement par Monsieur S. ;
Vu les dernières conclusions du 7 octobre 2010 aux termes desquelles Monsieur S. demande à la cour, avec une indemnité de procédure, au visa des articles L 227-5 du code de commerce et 1382 du code civil, d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Cotrafim à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Vu les dernières conclusions du 20 octobre 2010 aux termes desquelles la société Habitat Plus demande à la cour, avec une indemnité de procédure, de confirmer le jugement entrepris et débouter Monsieur S. de ses demandes ;
MOTIFS DE LA DECISION
Monsieur S. fait valoir que la clause statutaire relative à la révocation du directeur général du fait de son ambiguïté doit être interprétée comme instituant la révocation pour juste motif et non pas ad nutum comme le soutient la société Habitat Plus.
La société Habitat Plus soutient au contraire que, selon les dispositions statutaires, le directeur général peut être révoqué 'ad nutum'.
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L'article 227-5 du code de commerce prévoit que les statuts des sociétés par action simplifiées fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. Dans les sociétés par actions simplifiées dites SAS la révocation ad nutum est possible et les statuts organisant ces formes sociales peuvent exclure totalement une indemnisation du dirigeant révoqué sauf le cas d'abus dans les circonstances de la révocation. Le juste motif n'est donc pas nécessaire.
L'article 17 des statuts de la société Habitat Plus Maisons Individuelles précise : Le directeur est révocable à tout moment par décision de la collectivité des associés délibérant dans les conditions de quorum et de majorité prévues pour les décisions ordinaires. La décision de révocation du directeur général peut ne pas être motivée'
Ces dispositions, conformes au principe ci-dessus rappelé, sont, contrairement à ce que soutient l'appelant, totalement dépourvues d'équivoque en ce qu'elles autorisent, par l'adjonction, à la possibilité de révoquer 'à tout moment' de celle de la faculté de ne pas motiver la décision, une révocation 'ad nutum' et donc sans motif. Il ne peut être tiré argument, comme tente de le préconiser en vain Monsieur S., du fait que cette révocation non motivée soit une simple faculté, pour en déduire l'existence pour la seule société de cette option : une révocation avec justes motifs n'ouvrant pas droit à indemnisation et une révocation sans motif ou pour motifs erronés mais donnant droit au dirigeant évincé à la perception d'indemnités.
En effet, l'article 17 précité des statuts ne prévoit nullement une telle option qui n'est par ailleurs imposée par aucun texte. Le fait que la décision de révocation puisse ne pas être motivée a pour effet de faire entrer celle-ci dans le champ des révocations 'ad nutum' qui précisément, sauf dispositions contraires inexistantes en l'espèce, prévoient comme il a été dit ci-dessus une absence de droit à indemnisation.
Enfin, la possibilité de la révocation ad nutum n'exclut pas d'invoquer des motifs dans le but de respecter la contradiction et d'échapper au reproche de révocation brutale mais sans toutefois autoriser la remise en cause des griefs en justice et, par voie de conséquence, leur examen par la juridiction saisie qui ne peut apprécier que les seules circonstances dans lesquelles est intervenue la révocation afin de déterminer si elles ont pu revêtir un caractère injurieux ou vexatoire.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que èMonsieur S. n'était pas fondé à contester les raisons de sa révocation et estimé que celle-ci était intervenue dans le respect d'une procédure contradictoire lui ayant permis de faire connaître ses observations.
Les parties sont ensuite contraires sur le caractère brutal, abusif et vexatoire de la révocation. Monsieur S. prétend en effet que les circonstances entourant sa révocation constituent un abus de droit en ce que celle-ci a été annoncée brutalement et de manière vexatoire à tous les collaborateurs de la société après qu'il a été sommé de démissionner, son nom ayant été retiré immédiatement de l'organigramme et lui même ayant été mis dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions avant que la procédure de révocation soit mise en oeuvre.
La société intimée conteste le caractère brutal et vexatoire de la révocation et estime au contraire avoir utilisé une procédure exempte de reproches.
L'examen des pièces produites aux débats montre qu'une discussion s'est tenue le 4 novembre 2008 entre Monsieur G., en sa qualité de représentant de la société Holding Alian Groupe, associé majoritaire et président de la société Habitat Plus, et Monsieur S. au sujet de la gestion de la société. Le 10 novembre suivant, il est constant que Monsieur G. a annoncé aux cadres de l'entreprise que suite à un entretien qu'il avait eu avec Monsieur S. faisant apparaître des divergences sur la stratégie commerciale à adopter, une assemblée générale allait être convoquée pour statuer sur la révocation de Monsieur S..
Si la convocation du 12 novembre 2008 pour une assemblée générale du 21 novembre 2008 comportant notamment à son ordre du jour la révocation de Monsieur S. satisfait pleinement au principe du contradictoire sans qu'il ait été besoin de décliner dans la convocation les motifs qui seront portés à la connaissance de l'intéressé lors de l'assemblée générale, certains éléments confèrent cependant aux circonstances dans lesquelles est intervenue cette révocation un caractère vexatoire.
Il en va ainsi de la suppression de l'organigramme de Monsieur S. dès le 10 novembre 2008 qui est attestée par Monsieur E. responsable informatique qui indique que Monsieur G. lui a demandé cette modification dès le 10 novembre 2008, témoignage conforté par celui de Monsieur B. qui précise que Monsieur S. n'apparaissait pas sur le compte rendu d'une réunion hebdomadaire s'étant tenu le 10 novembre 2008 et qu'il ne figurait pas davantage sur l'organigramme de l'intranet de la société sans que la divergence entre les attestations concernant le remplacement de Monsieur S. par 'la direction générale' selon Monsieur E. et 'Monsieur G.' selon Monsieur B. ne suffisent à faire douter de la sincérité de leurs témoignages.
Même s'il est exact que les organigrammes produits aux débats ne comportent pas de dates certaines, celles portées sur ces deux documents étant manuscrites et donc sans force probante alors que la société intimée produit un exemplaire qui fait apparaître une date d'édition en regard de l'adresse URL, il n'en demeure pas moins que cette mise à l'écart est confortée par d'autres témoignages comme celui de Madame B., assistante de Monsieur S., dont la démission postérieure n'ôte pas de crédibilité à ses dires. Celle-ci atteste que dès le 10 novembre 2008 une réunion de direction tenue hors la présence de Monsieur S. a permis à Monsieur G. d'annoncer la révocation de Monsieur S. qui ne souhaitait pas démissionner, de demander à ses collaborateurs de ne plus rien transmettre à ce dernier avant de faire le tour des bâtiments pour informer le personnel qu'il reprenait Habitat Plus. Madame B. a d'ailleurs adressé un mail à Monsieur S. dès le 20 novembre 2008 pour informer ce dernier que le 10 novembre 2008, Monsieur G. avait convoqué celle-ci pour un entretien individuel au cours duquel il lui
avait annoncé la révocation de Monsieur S. et que dans ces conditions son poste n'avait plus de raison d'être et qu'elle ne devait plus rien transmettre au directeur révoqué.
Les mails adressés par Monsieur S. à ses collaborateurs au cours de cette période confortent la soudaineté de cette révocation. La société Habitat Plus produit certes des témoignages d'autres collaborateurs qui viennent exprimer notamment qu'aucun propos injurieux n'a été tenu à l'encontre de Monsieur S..
L'ensemble de ces éléments imposent de retenir une faute de la part de la société intimée en procédant de la sorte à la révocation de Monsieur S. qui ouvre droit au profit de ce dernier à des dommages-intérêts du seul fait du caractère brutal et vexatoire de cette révocation conforme par ailleurs aux statuts de la société. Il en est résulté un seul préjudice moral qui doit être indemnisé. Il sera, eu égard aux circonstances sus décrites et à leur impact sur l'intéressé, justement réparé par l'octroi d'une somme de 10 000 euros.
L'équité impose de condamner la société Habitat Plus à payer à Monsieur S. une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
La partie qui succombe doit les dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ce qu'il a dit bien fondée la révocation de Monsieur Christian S.,
Le réformant pour le surplus,
Dit que la révocation a été prononcée de manière brutale et vexatoire,
Condamne la société Habitat Plus Maisons Individuelles à payer à Monsieur Christian S. une somme de 10 000 euros à titre de dommages- intérêts,
Condamne la société Habitat Plus Maisons Individuelles à payer à Monsieur Christian S. un somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Habitat Plus Maisons Individuelles aux dépens de première instance et aux dépens d'appel recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.