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Décisions

CA Dijon, 1re ch. civ., 7 avril 2011, n° 10/00868

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Suntec Industries France (SAS)

Défendeur :

M. Govaerts

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Munier

Conseillers :

Mme Vieillard, M. Lecuyer

Avoués :

SCP Andre et Gillis, Me Gerbay

Avocats :

Me Delumeau, Me Beatrix

T. com. Dijon, du 8 mars 2010, n° 2009-3…

8 mars 2010

EXPOSE DES FAITS

Le 26 septembre 1983, la société SUNDSTRAND FRANCE a embauché Monsieur Lucien GOVAERTS en qualité de salarié, occupant les fonctions de Directeur Général de la Division Hydraulique Europe.

Le 31 août 1984, la société SUNDSTRAND FRANCE a cédé son fonds de commerce à la société anonyme SUNTEC INDUSTRIES FRANCE (SUNTEC), filiale de la société de droit américain SUNTEC INDUSTRIES INCORPORATED.

Par lettre du 28 août 1984 signée du Président Directeur Général de la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE, Monsieur Lucien GOVAERTS a été informé du transfert de son contrat de travail auprès de cette société conformément à l'article L 122-12 du code du travail à compter du 1er septembre 1984 mais par lettre du 31 août 1984 adressée à Monsieur GOVAERTS et signée par lui il lui a été rappelé que la société SUNDSTRAND FRANCE avait cessé de l'employer et qu'il acceptait le poste de Président Directeur Général de la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE.

Le 4 juillet 2002 la SA SUNTEC INDUSTRIES FRANCE a été transformée en SAS et Monsieur GOVAERTS en a été le directeur jusqu'au 9 novembre 2007, date de la révocation de son mandat social.

La société SUNDSTRAND FRANCE avait institué au profit de certains membres de son personnel un régime de retraite complémentaire, dénommé 'international Key Employee Program', que la société SUNTEC avait déclaré reprendre.

A compter du 1er juin 2007, Monsieur Lucien GOVAERTS a bénéficié de ce régime et la société SUNTEC FRANCE lui a versé la somme mensuelle de 5 000 euros à titre de provision, en attente du calcul du montant définitif de cette pension.

Par lettre du 30 juillet 2008 la société SUNTEC a avisé Monsieur GOVAERTS que l'avantage qui lui avait été consenti, qui n'avait pas été soumis à l'autorisation préalable du conseil d'administration conformément à l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L 225-38 du code de commerce, était nul en application de l'article L 225-42 alinéa 1 du même code et que par ailleurs ce régime de retraite n'avait pas été davantage autorisé par l'assemblée générale des actionnaires, suite à la transformation de la société en SAS , conformément à l'article 15 § 4 des statuts de la SAS SUNTEC.

Monsieur Lucien GOVAERTS a d'abord assigné la SAS SUNTEC devant le juge des référés du tribunal de commerce de Dijon afin que lui soit accordée une provision au titre des arriérés et que soit ordonnée la reprise des versements interrompus depuis juillet 2008 mais ce magistrat s'est déclaré incompétent par ordonnance du 11 février 2009.

Par acte d'huissier de justice en date du 11 mars 2009 il a fait assigner la SAS SUNTEC devant le tribunal de commerce au fond.

La SAS SUNTEC a soulevé l'incompétence de la juridiction commerciale au profit du conseil de prud'hommes et a conclu au débouté.

Par jugement du 8 mars 2010 le tribunal de commerce de Dijon :

- s'est déclaré compétent pour connaître du litige

- a ordonné à la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE la reprise des versements de la pension de retraite complémentaire à Monsieur Lucien GOVAERTS, soit la somme mensuelle de 5 506,88 euros et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement

- a condamné la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE à payer à Monsieur Lucien GOVAERTS la somme de 100 246,40 euros au titre des arriérés

- a dit que cette somme serait réactualisée au jour du jugement

- a débouté Monsieur GOVAERTS de sa demande de dommages et intérêts

- a condamné la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE à payer à Monsieur Lucien GOVAERTS la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- a ordonné l'exécution provisoire du jugement

- a condamné la SAS SUNTEC INDUSTRIES FRANCE aux dépens.

La SAS SUNTEC INDUSTRIES FRANCE a interjeté appel par déclaration enregistrée au greffe le 31 mars 2010.

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 17 février 2011, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du code de procédure civile, elle demande à la cour de :

- à titre principal, infirmer le jugement entrepris en ce que le Tribunal s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige

- à titre subsidiaire, infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE la reprise des versements de la pension de retraite complémentaire à Monsieur GOVAERTS, soit la somme mensuelle de 5 506,88 euros

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Monsieur GOVAERTS la somme de 100 246,40 euros au titre des arriérés de pension de retraite, cette somme devant être réactualisée au jour du jugement

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Monsieur GOVAERTS la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle visant à la condamnation de Monsieur GOVAERTS à lui rembourser les rentes servies par erreur

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur GOVAERTS de sa demande de dommages et intérêts formée à son encontre

- condamner Monsieur GOVAERTS à lui payer la somme de 220 457,96 euros à actualiser au jour du prononcé de l'arrêt en remboursement des sommes qui lui ont été versées au titre de la retraite complémentaire

- considérer comme irrecevable en tant que prétention nouvelle la demande formée à titre reconventionnel et subsidiaire par Monsieur GOVAERTS visant à solliciter des dommages et intérêts à hauteur de

1 189 486 euros pour manquement à son obligation de contracter de bonne foi et, à tout le moins, constater que les conditions du dol ne sont pas réunies

- constater le manquement de Monsieur GOVAERTS à son obligation de loyauté à son égard

- condamner Monsieur GOVAERTS à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- le condamner aux dépens.

Elle conclut à titre principal à l'incompétence du tribunal de commerce, sur le fondement des articles L 721-3 du code de commerce et L 1411-1 du code du travail au motif que Monsieur GOVAERTS fonde sa demande sur l'attribution de l'avantage en sa qualité de salarié et plus précisément sur le fait qu'il était salarié au moment où l'avantage lui a été attribué. Elle soutient qu'ou bien Monsieur GOVAERTS agit au titre du contrat de travail et alors le conseil de prud'hommes était seul compétent pour connaître du litige, ou bien il agit au titre du mandat social et dans ce cas le tribunal de commerce était compétent mais que la cour ne pourra qu'infirmer le jugement, la délibération autorisant l'avantage de retraire étant affectée d'une irrégularité manifeste.

A titre subsidiaire elle fait valoir que Monsieur GOVAERTS ne peut se prévaloir à son encontre d'un quelconque engagement de retraite, que ce soit au titre d'un contrat de travail ou d'un mandat social :

- au titre du contrat de travail : contrairement à ce que soutient l'intimé, son contrat de travail n'a pas été transféré à la concluante, ainsi qu'il résulte de la lettre du 31 août 1984; le licenciement ne constitue pas le seul mode de rupture du contrat de travail; la règle selon laquelle le contrat de travail n'est que suspendu pendant l'exercice des fonctions de mandataire social ne s'applique pas en cas de convention contraire des parties et une telle convention a été matérialisée en l'espèce par la lettre du 31 août 1984 au terme de laquelle Monsieur GOVAERTS a expressément et en toute connaissance de cause consenti à la cessation de son contrat de travail ; en toute hypothèse la cour ne pourrait dans ce cas que constater que le montant de l'avantage de retraite en cause ne peut être déterminé puisque la pension de retraite est calculée en fonction des salaires des cinq meilleures années de carrière et que l'intimé n'a pas perçu de salaire de sa part au titre de son contrat de travail et qu'il n'a jamais été son salarié

- au titre du mandat social : la société SUNTEC soutient que l'avantage est nul : l'article L 225-53 alinéa 3 du code de commerce prévoit que le conseil d'administration détermine la rémunération du directeur général; selon l'article L 225-51-1 alinéa 3 du même code, cette disposition s'applique au président du conseil d'administration qui exerce également les fonctions de directeur général, ce qui était le cas de Monsieur GOVAERTS; en outre l'article L 227-5 du code de commerce, relatif aux sociétés par actions, dispose que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée; la cour de cassation applique strictement les principes précités à l'attribution d'avantages de retraite à des dirigeants mandataires de sociétés anonymes considérés comme étant une forme de rémunération différée; l'autorisation du conseil d'administration doit être circonstanciée, nominative et porter sur les modalités de calcul et le montant de l'avantage concerné (arrêts de la cour d'appel de Paris du 7 octobre 2008 et de la cour de cassation du 10 novembre 2009 qui ont estimé que la rémunération accordée sous forme de complément de retraite n'avait pu être connue qu'après la liquidation de son assiette constituée par le salaire brut fiscal perçu au cours des douze mois précédant la cessation d'activité) ; il en ressort que lorsque le montant de l'avantage de retraite est fixé par référence à une rémunération qui n'est pas connue au jour de la délibération du conseil d'administration validant l'attribution de cet avantage, une nouvelle autorisation doit intervenir au jour où cette rémunération est parfaitement déterminée, soit au jour où le mandataire quittera ses fonctions; en l'espèce la délibération du 20 novembre 1987 est totalement irrégulière, la convention de '1986" sur laquelle elle repose n'étant pas même fournie et le montant exact et les modalités de calcul dudit avantage n'étant pas visés ; en outre aucune délibération nouvelle n'a été prise par une décision collective des actionnaires de la SAS contrairement à ses statuts; l'argument de Monsieur GOVAERTS selon lequel aucune autorisation ne serait nécessaire, l'avantage ayant été consenti à un moment où il n'était pas mandataire social n'est pas recevable, les engagements sur le terme du mandat ayant été pris par la société SUNTEC INDUSTRIES INCORPORATED et ne visant pas le régime 'international key employee program'.

La société SUNTEC ajoute que le défaut d'autorisation ou l'autorisation irrégulière d'un avantage de rémunération constitue une exception de nullité qui peut être opposée au mandataire fautif qui se prévaut d'un avantage non validé, y compris dans le cas où un commencement d'exécution a été constaté.

Elle affirme que le versement de l'avantage résultant du 'Key Employee Program' lui cause bien un préjudice, même si des provisions ont été constituées, compte tenu des sommes en cause qui sont soumises à charges sociales et à impôts.

Elle prétend être bien fondée à réclamer le remboursement des rentes versées par suite d'une erreur ou en exécution du jugement déféré.

Enfin elle fait valoir que la demande fondée sur la violation de l'obligation de contracter de bonne foi, qui constitue une prétention nouvelle en cause d'appel est irrecevable et qu'elle est en tout état de cause mal fondée, aucune réticence dolosive n'étant prouvée.

Par conclusions déposées le 21 février 2011, auxquelles il est pareillement fait référence, Monsieur Lucien GOVAERTS sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la reprise des versements par la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE de la pension de retraite complémentaire qui lui est due en application des dispositions du 'International Key Employee Program', soit une rente mensuelle de

5 506,88 euros, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement, condamné la société SUNTEC à lui payer la somme de 100 206,40 euros au titre des arriérés et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure et ordonné l'exécution provisoire, son infirmation en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la résistance abusive de la société SUNTEC, la condamnation de l'appelante à lui verser cette somme, reconventionnellement et subsidiairement, sa condamnation à lui payer la somme de 1 189 486 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et manquement à l'obligation de contracter de bonne foi, en tout état de cause l'allocation d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la société appelante aux dépens.

Il relate les circonstances dans lesquelles, après avoir été employé de la société SUNDSTRAND FRANCE, il a exercé à la demande de Monsieur Milt Brown qui avait racheté le fonds de commerce de cette société par la biais de la SA SUNTEC FRANCE, les fonctions de Président Directeur Général de cette société puis celles de Président suite à sa transformation en SAS , pendant une durée de 23 ans au cours desquelles il s'est énormément investi dans le développement des activités du groupe SUNTEC. Il explique qu'en 2001, au départ de Monsieur Brown, il a décidé de racheter la société avec une participation majoritaire d'un fonds d'investissement qui a malheureusement modifié son mode de gestion et ses objectifs et l'a progressivement évincé, le mettant à la retraite le 1er juin 2007 et révoquant son mandat social le 9 novembre de la même année.

Quant à l'exception d'incompétence soulevée par la société intimée, il fait observer qu'il n'agit pas au titre de son contrat de travail mais en exécution d'un engagement contractuel de la société SUNTEC FRANCE, au sein de laquelle il a exercé un mandat social, de sorte que le litige, qui oppose une société commerciale à son ancien président, relève de la compétence du tribunal de commerce ; il souligne le fait que l' 'International Key Employee Program' pouvait bénéficier aussi bien à des salariés liés à la société par un contrat de travail, ce qui était son cas lorsque cet avantage lui a été initialement accordé, qu'à des mandataires sociaux, comme il l'était lorsque l'avantage lui a été maintenu par suite de la suspension de son contrat de travail et de sa nomination en qualité de président de la société, l'interprétation restrictive faite par l'appelante du terme 'personnel'étant totalement erronée.

Il allègue qu'il dispose d'un droit incontestable au paiement de sa pension de retraite complémentaire, le dispositif de l' 'International Key Employee program' ayant été repris lors de la cession du fonds de commerce de la société SUNDSTRAND à la société SUNTEC dans son intégralité et cet avantage lui ayant été consenti alors qu'il était salarié de la première société et lui ayant été maintenu pendant toute la durée de son mandat social comme le confirment les nombreuses lettres adressées par l'appelante qui en a également régulièrement provisionné les coûts.

Il soutient que les contestations de la société SUNTEC ne sont pas fondées :

* son contrat de travail auprès de la société SUNDSTRAND a bien été transféré à la société SUNTEC, cette société se livrant à une traduction totalement erronée de la lettre du 31 août 1984, et s'est trouvé suspendu pendant la durée du mandat social dès lors qu'il n'y a pas renoncé lors de sa désignation en qualité de mandataire social

* il existe bien un engagement de complément de retraite à son égard comme le prouvent les 14 lettres qui lui ont été adressées entre mai 1985 et décembre 1998

* sur la nullité :

- l'avantage en litige n'est pas constitutif d'une convention réglementée nécessitant une autorisation préalable dès lors qu'il lui a été consenti à une époque où il n'était pas mandataire social ; dans ce cas la jurisprudence confirme que la procédure dite des conventions réglementées n'est pas applicable; rien n'interdit aux parties d'aménager les conditions de la suspension du contrat de travail et de maintenir un avantage consenti dans le cadre du contrat de travail (oui mais pas de maintien justement) ; la société SUNTEC a elle-même acquiescé à la validité du dispositif puisqu'elle a procédé spontanément aux versements des pensions depuis sa retraite

- en tout état de cause, la convention litigieuse a fait l'objet d'une autorisation du conseil d'administration de la société SUNTEC lors d'une réunion du 20 novembre 1987 ; c'est par erreur qu'a été visée la date de 1986 et non celle de 1984 ; contrairement à ce que soutient la société SUNTEC le conseil d'administration a délibéré sur la base d'un programme clairement défini quant à ses montants et modalités tels que précisés dans les lettres qui lui ont été adressées les 8 mai 1985, 4 juillet 1986 et 1er juin 1987 ; dans son rapport spécial du 10 novembre 1988 le commissaire aux comptes a précisément défini la convention qui a été approuvée lors de l'assemblée générale des actionnaires du 28 novembre 1988 ; ces délibérations n'ont fait l'objet d'aucune contestation pendant vingt ans; le bénéfice du 'International Key Employee Program' ne lui a pas été accordé en rétribution de ses services de président en particulier dans la mesure où cet avantage est antérieur à son mandat social; la société chargée du calcul n'a éprouvé aucune difficulté pour le faire et la société appelante a provisionné tous les ans les coûts actualisés liés à l'avantage en cause.

Monsieur GOVAERTS fait valoir en outre que la société SUNTEC agit avec mauvaise foi en invoquant la nullité de l'avantage qu'elle lui a consenti dès lors que cette nullité n'a jamais été demandée, qu'elle est soumise à une prescription triennale et qu'elle ne peut plus être invoquée lorsque la convention a été exécutée ou a reçu un début d'exécution, ce qui est le cas en l'espèce; qu'enfin aucun dommage n'est prouvé pour la société qui a provisionné les sommes dues, ces provisions n'ayant été annulées que pour l'exercice clos au 31 mai 2008, ce qui a d'ailleurs été critiqué par les auditeurs américains ayant revu les comptes consolidés du groupe SUNTEC. Il ajoute que l'attitude de la société appelante est particulièrement déloyale et que sa condamnation à lui payer une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts est justifiée.

Enfin il sollicite 'reconventionnellement et subsidiairement', pour le cas où la cour infirmerait la décision entreprise, la condamnation de la société appelante pour manquement à son obligation de contracter de bonne foi dans la mesure où elle l'a conforté dans la croyance que l'avantage qu'elle lui avait accordé ne serait à aucun moment remis en cause.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2011.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence du tribunal de commerce

Attendu qu'il est constant qu'aux termes de l'article L 1411-1 du code du travail, 'le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti' ;

Que toutefois Monsieur GOVAERTS précise expressément en page 8 de ses écritures qu'il n'agit pas au titre de son contrat de travail, mais en exécution d'un engagement contractuel de la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE, au sein de laquelle il a occupé un mandat social ;

Qu'ainsi le tribunal de commerce a estimé à bon droit que le litige relevait de sa compétence dans la mesure où il opposait un mandataire social à une société commerciale ;

Sur le fond

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que Monsieur GOVAERTS ne saurait prétendre bénéficier de l'avantage constitué par le complément de retraite en sa qualité de salarié; qu'il est donc vain de discuter sur le point de savoir si son contrat de travail a été maintenu et seulement suspendu pendant la durée d'exercice de son mandat social ; qu'en tout état de cause la société appelante observe justement que dans ce cas le montant de l'avantage ne pourrait être déterminé puisqu'il est calculé en fonction des salaires des cinq meilleures années et qu'en tant que mandataire social, Monsieur GOVAERTS n'a perçu aucun salaire de la part de la société SUNTEC au titre du contrat de travail qui aurait été maintenu ;

Que la demande est donc nécessairement présentée au titre du mandat social ; que Monsieur GOVAERTS indique d'ailleurs dans ses écritures que l'avantage lui a été maintenu par la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE pendant toute la durée de celui-ci, ce que ne conteste pas la société appelante, et qui est confirmé par les multiples correspondances versées aux débats adressées par la société SUNTEC à l'intimé entre mai 1985 et Décembre 1998 (pièce n°14 du dossier GOVAERTS) ainsi que par le versement d'une provision de 5 000 euros à compter du 1er juin 2007 jusqu'au mois de juillet 2008 ;

Que toutefois la société SUNTEC soulève la nullité de l'avantage ainsi consenti en relevant qu'il n'a pas été régulièrement autorisé par le conseil d'administration, son montant n'étant pas déterminable au jour de la délibération validant son attribution ;

Que Monsieur GOVAERTS ne saurait à ce titre soutenir qu'une telle autorisation n'était pas nécessaire, dès lors que l'avantage lui a été consenti à une date où il n'était pas mandataire social puisqu'il convient que cet avantage lui a été maintenu pendant la durée d'exercice de son mandat social et qu'il indique lui-même ne pas agir au titre du contrat de travail; qu'est bien en cause en l'espèce une décision de la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE, à l'égard de son président directeur général, ayant d'ailleurs donné lieu à une autorisation du conseil d'administration lors de sa réunion du 20 novembre 1987 ainsi formulée : 'En revanche, s'agissant de la convention conclue en septembre 1986 entre Monsieur le Président et la société en vue de faire bénéficier Monsieur le Président d'une couverture retraite et décès (convention dont le Conseil a été informé en son temps), le Conseil estime préférable d'autoriser officiellement cette convention et de la soumettre à l'approbation de la prochaine assemblée générale ordinaire annuelle. A l'issue d'un vote auquel l'intéressé ne prend pas part, ladite convention est approuvée à l'unanimité' ;

Que Monsieur GOVAERTS ne peut davantage opposer la prescription de l'action en nullité de la convention puisque celle-ci est soulevée par voie d'exception qui est perpétuelle et que par ailleurs il ne démontre pas que l'exécution de la convention en cause, qu'il invoque pour conclure à l'irrecevabilité de la demande en nullité, a été faite avec l'intervention de l'organe social seul capable de confirmer cet acte ;

Qu'il est incontestable que l'autorisation sus-visée, donnée par le conseil d'administration selon procès-verbal de réunion du 20 novembre 1987, ne répond pas aux exigences de l'article L 225-53 alinéa 3 du code de commerce qui dispose que cet organe détermine la rémunération du directeur général ;

Qu'en effet la délibération doit porter sur le montant et les modalités de l'avantage consenti, qui ne sont pas précisés dans le procès-verbal susvisé, et qu'en tout état de cause cet avantage n'était pas déterminable à la date de l'autorisation puisqu'il est calculé, conformément à la convention du 1er avril 1984, expressément reprise par la société SUNTEC FRANCE selon l'article 3.12 du contrat de cession et l'annexe 3.12 de ce contrat, sur le 'salaire final' qui correspond à la moyenne du salaire des cinq meilleures années consécutives ;

Qu'ainsi le montant du complément de retraite ne pouvait être connu qu'après la liquidation de son assiette, soit au jour du départ à la retraite de l'intéressé ;

Que dans ces conditions l'engagement dont l'exécution est demandée par l'intimé relève de la procédure de contrôle des conventions réglementées, prévue par les articles L 225-38 et L 225- 40 à L 225- 42 du code de commerce, comme l'a d'ailleurs estimé la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE dans la lettre qu'elle a adressée le 30 juillet 2008 à Monsieur GOVAERTS ;

Qu'à cet égard il y a lieu de constater que cette procédure a été respectée puisqu'outre le procès-verbal du conseil d'administration en date du 20 novembre 1987, Monsieur GOVAERTS produit aux débats le 'rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions prévues à l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966" pour l'exercice clos le 31 mai 1988, en date du 10 novembre 1988, qui mentionne à la rubrique 'couverture de retraite et décès' : 'Convention entre la société et le président du Conseil d'Administration en vue de le faire bénéficier d'une assurance décès et d'indemnités de départ en retraite. Selon cette convention, une indemnité en cas de décès serait versée aux bénéficiaires désignés, égale à cinq fois le dernier salaire annuel. L'indemnité de départ est calculée de façon à permettre à l'intéressé de recevoir environ deux tiers de sa dernière rémunération, tous régimes de retraite confondus. La personne intéressée par cette convention est Monsieur GOVAERTS' ;

Qu'il verse également l'extrait du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 28 novembre 1988 dont la première résolution est ainsi libellée : 'L'assemblée générale, après avoir entendu le rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions visées à l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966, déclare approuver ces conventions' ;

Que certes cette autorisation est susceptible d'encourir les mêmes griefs d'imprécision et d'indétermination que celle du conseil d'administration susvisé ;

Mais que l'article L 225- 42 du code de commerce dispose que 'Sans préjudice de la responsabilité de l'intéressé, les conventions visées par l'article L 225-38 et conclues sans autorisation préalable du conseil d'administration peuvent être annulées si elles ont eu des conséquences dommageables pour la société' ;

Qu'or il résulte des pièces produites et qu'il n'est pas démenti que l'avantage accordé à Monsieur GOVAERTS a été provisionné tous les ans dans les comptes de la société, la provision ayant été supprimée en mai 2008 ;

Qu'il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société SUNTEC INDUSTRIES INCORPORATED en date du 15 avril 2009 que le commissaire aux comptes de la société a désapprouvé cette décision; qu'il indique notamment dans la note 12 des Comptes Consolidés : 'Plan de complément de retraite: depuis le 31 mai 2008, la direction de la société considère finalement qu'aucun complément de retraite étranger ne sera versé à certains anciens membres de sa direction pour lesquels des obligations de paiement ont été historiquement provisionnées. La société a en conséquence annulé la portion correspondante des pensions provisionnées pour un montant d'environ $ 1 272. La reprise a été alors enregistrée en autres produits exceptionnels sur les comptes consolidés 2008. Ces pensions sont l'objet d'un litige en cours. Leur annulation n'est pas conforme aux règles de reprise de dettes prévues par le SFAS N° 140' ;

Qu'ainsi si la mise en oeuvre du plan de retraite cause un préjudice à la société, la faute en revient aux dirigeants qui ont décidé de supprimer la provision constituée depuis la reprise de la société ;

Que Monsieur GOVAERTS rappelle en outre, sans être contredit par la partie adverse, qu'il a parfaitement répondu aux ambitions de Monsieur Milt Brown, actionnaire fondateur du groupe SUNTEC et qu'il a investi des fonds personnels à hauteur de 3 600 000 $ pour entrer dans le capital du groupe ; qu'ainsi l'avantage accordé n'apparaît pas manifestement disproportionné aux services rendus pendant l'exercice de ses fonctions, de sorte que l'existence de conséquences dommageables pour la société, même si l'avantage représente une charge conséquente pour celle-ci, n'est pas démontrée ;

Que la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE allègue encore que l'avantage n'a pas été approuvé lors de la transformation de la société anonyme en SAS ; mais que les mêmes observations s'agissant d'une éventuelle nullité doivent être effectuées, s'agissant de l'absence de préjudice; qu'en outre il n'est pas établi que la transformation de la société ait eu pour effet de rendre les conditions de la convention plus onéreuses ;

Que la société appelante ne conteste pas les modalités de calcul des sommes réclamées par Monsieur GOVAERTS ; que la décision déférée sera donc entièrement confirmée en ce qu'elle a ordonné à la société SUNTEC INDUSTRIES FRANCE de reprendre les versements de la pension complémentaire de Monsieur Lucien GOVAERTS, soit la somme mensuelle de 5 506,88 euros et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement et en ce qu'elle l'a condamnée à payer à Monsieur Lucien GOVAERTS la somme de 100 246,46 euros au titre des arriérés et la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Qu'elle sera également confirmée en ce qu'elle a débouté Monsieur Lucien GOVAERTS de sa demande de dommages et intérêts, la preuve d'un préjudice n'étant, comme l'a estimé le tribunal, effectivement pas rapportée ;

Attendu enfin qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande 'reconventionnelle' à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de contracter de bonne foi, qui n'est formulée qu'à titre subsidiaire ;

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS SUNTEC INDUSTRIES FRANCE à payer à Monsieur Lucien GOVAERTS la somme complémentaire de 3 000 euros à ce titre ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la SA SUNTEC INDUSTRIES FRANCE aux dépens de la procédure d'appel.