CA Aix-en-Provence, 8e ch. a, 14 janvier 2016, n° 13/15784
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Centre de Diffusion Textile (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roussel
Conseillers :
Mme Chalbos, Mme Dubois
EXPOSE DES FAITS :
La SARL Centre de diffusion textile (Ceditex), gérée par Mme R., a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 18/05/2005 puis a bénéficié d'un plan de continuation homologué par jugement du 9/01/2006.
Suivant compromis du 15/06/2011, les époux R. ont cédé, sous conditions suspensives, leur participation dans le capital de la Ceditex à M. et Mme F. pour le prix de 90.000 €.
Un jugement du 11/07/2011 a autorisé la substitution des époux F. en qualité d'associés de la société et la désignation de M. F. en qualité de gérant en remplacement de Mme R..
La cession a ainsi été réitérée par acte sous seing privé du 13/07/2011.
Celui-ci contient notamment les deux clauses suivantes':
«'remboursement conditionnel du compte courant dont le cédant est titulaire en qualité d'associé de la SARL Ceditex'»':
«'comme condition résolutoire de l'engagement du cédant, le cessionnaire s'oblige sous la condition du règlement par la SCI Méditerranée de l'indemnité prévue par la convention (annexée aux présentes) fixant une indemnité d'éviction au profit de la société Ceditex, à prendre toutes les dispositions de façon, à ce que la société Ceditex assure le remboursement du compte courant dont est titulaire le cédant au sein de la société Ceditex dans la limite de 53.390 € par référence aux comptes arrêtés à la date du 31/12/2010. Le versement intégral de l'indemnité de résiliation du bail rendra immédiatement exigible le remboursement de la somme de 53.390 € au cédant qui sera inscrite dans la comptabilité comme engagement de la SARL Ceditex envers le cédant ».
«'garantie '»':
«'outre la condition résolutoire prévue au paragraphe qui précède, le cessionnaire s'oblige à ce que la SARL Ceditex consente au cédant un nantissement en premier rang sur le fond de commerce en garantie du remboursement conditionnel de la somme de 53.390 € au titre du compte courant d'associé du cédant'».
Faisant valoir qu'en dépit du versement de l'indemnité d'éviction, leurs cocontractants n'ont pas réglé la somme de 53.390 € malgré mises en demeure des 28/05/2012 et 30/07/2012, les époux R. ont assigné M. et Mme F. devant le tribunal de commerce de Marseille pour les voir condamner à les indemniser des préjudices subis.
Par jugement du 16/05/2013, le tribunal de commerce de Marseille a':
dit que la créance des époux R. est éteinte dans la limite de la somme de 53 390€,
condamné les époux F. à payer à Mr et Mme R. la somme de 4136 €,
déclaré recevables l'intervention principale et l'intervention accessoire de la société Ceditex,
débouté celle-ci de ses demandes formées à l'encontre de Mme R.,
condamné les époux F. et la société Ceditex à payer aux époux R. la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné les mêmes aux dépens,
ordonné l'exécution provisoire,
rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.
Par déclaration du 29/07/2013, M. et Mme R. ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 12/11/2105 et tenues pour intégralement reprises, ils demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1142, 1146, 1147, 1244-1 et suivants et 1351 du Code Civil, 329, 330, 358, 564, 699 et 700 du Code de Procédure Civile, de':
infirmer le jugement en ce qu'il a dit que leur créance est éteinte dans la limite de 53.390 €,
condamner les époux F. à leur payer 53.390,00 € de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 2012, date de la mise en demeure de s'exécuter en réparation du préjudice financier subi,
infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables l'intervention principale et l'intervention accessoire de la société Ceditex et rejeté toutes autres demandes, 'ns et conclusions contraires aux dispositions du jugement,
confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les intimés à leur payer la somme de 4.136 € outre celle de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Ceditex de ses demandes,
déclarer irrecevable en appel à titre principal les époux F. de leur demande de radiation du nantissement judiciaire obtenu sur parts sociales,
à défaut, juger à titre subsidiaire qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la radiation du nantissement judiciaire obtenu sur parts sociales,
débouter les époux F. de leur demande de radiation du nantissement judiciaire obtenu sur parts sociales,
les débouter ainsi que la société Ceditex de toutes autres demandes, 'ns et prétentions,
en tout état de cause, condamner les intimés à leur payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Ceditex à leur payer la somme de 3.000 € au titre de l'artic1e 700,
leur octroyer les plus larges délais de paiement en applications des articles 1244-1 et suivants du code civil,
condamner solidairement les époux F. et la société Ceditex aux entiers dépens d'appel, ces derniers distraits au pro't de la SELARL B.-C.-I., Avocats.
Dans leurs dernières écritures déposées et notifiées le 10/11/2015 et tenues pour intégralement reprises, les intimés qui ont formé appel incident, demandent à la cour, au visa des articles L. 621-43 et L. 621-46, L. 223-21 et L. 241-3, L. 622-7 I et L. 654-8 du Code de commerce , 1147, 1244-1 et suivant du Code civil et R. 533-6 du Code des procédures civiles d'exécution, de':
à titre principal,
dire et juger que les clauses du contrat de cession relatives au remboursement du compte courant et à l'inscription d'un nantissement sur le fonds de commerce de la société Ceditex sont nulles,
dire et juger qu'ils justifient d'une cause étrangère qui ne leur est pas imputable, empêchant l'exécution de la convention de cession de parts du 13 juillet 2011,
confirmer par conséquent, le jugement en ce qu'il a dit et jugé la créance en compte courant des époux R. éteinte pour un montant de 53 390 €,
l'infirmer en ce qu'il a condamné les époux F. au paiement de la somme de 4.136 €,
ordonner la restitution par les appelants de la somme de 4 136 € ,
débouter M. et Mme R. de toutes leurs demandes, 'ns et prétentions,
prononcer la radiation du nantissement judiciaire provisoire qu'ils ont pris sur les parts sociales de la société Ceditex détenues par les époux F.,
à titre subsidiaire,
dire que le montant du compte courant d'associé s'élève à la somme de 45 935,19 €,
en conséquence, limiter le montant des dommages et intérêts à la somme de 45 935,19 €,
leur octroyer les plus larges délais de paiement en application des articles 1244-1 et suivants du code civil,
en tout état de cause,
infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnés aux dépens et au paiement des frais irrépétibles,
et en conséquence, condamner solidairement les époux R. à leur payer 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
les condamner aux entiers dépens distrait dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile , au profit de Maître Julien L., avocat associé de la SCP B.L..
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12/11/2015.
De l'accord des parties et afin de permettre des échanges contradictoires à la suite des pièces et conclusions produites le jour de l'ordonnance de clôture du 12/11/2015, celle-ci a été révoquée par le conseiller de la mise en état et la clôture est intervenue le 9/12/2015.
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SUR CE':
sur l'intervention volontaire de la Ceditex
Les époux R. concluent à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la société Ceditex aux motifs qu'elle ne se rattache pas à un lien suffisant avec l'instance et que la société n'a pas d'intérêt à intervenir à titre accessoire.
C'est toutefois à bon droit que le premier juge a retenu que la SARL Ceditex ayant été mise en demeure par les appelants de rembourser le compte courant litigieux , le lien suffisant entre les prétentions des parties imposé par l'article 325 du code de procédure civile est établi.
sur le paiement de la créance de compte courant':
Il est constant que les époux R. qui détenaient sur la société Ceditex une créance de compte courant de 53.390 €, ont omis de la déclarer à la procédure de redressement judiciaire de cette dernière.
Lorsqu'en juin 2011, désireux de prendre leur retraite, ils ont cédé leurs parts dans la société Ceditex aux époux F., ils ont inclus dans l'acte de cession une clause par laquelle les acquéreurs, sous condition suspensive du règlement d'une indemnité d'éviction de 180.000 € à la société Ceditex par son bailleur, «'(') s'obligent à prendre toutes dispositions de façon à ce que la SARL Ceditex assure le remboursement comptant du compte courant dont est titulaire le cédant au sein de la SARL Ceditex (...)'».
Faisant valoir qu'en dépit du paiement de l'indemnité en 2012, les époux F. n'ont pas respecté leur engagement, ils ont saisi le tribunal sur le fondement de l'article 1147 du Code Civil pour obtenir paiement à titre de dommages-intérêts du montant de leur compte courant.
Ils soutiennent essentiellement que la clause était déterminante de leur engagement et comme telle assortie d'une condition résolutoire à leur profit et garantie au niveau de son exécution par la prise d'un nantissement et que non-exécution par les intimés de leur obligation de résultat entraîne de plein droit leur responsabilité contractuelle.
Ils contestent le moyen de cause étrangère tirée de l'ignorance de l'extinction de la dette non déclarée en soulignant que les cessionnaires, acquéreurs avertis, qui ont été entourés de professionnels du droit, ont reconnu dans l'acte de cession avoir été pleinement et parfaitement informés, ont participé activement à la cession et se sont donc engagés en pleine connaissance de cause.
Ils ajoutent que l'acte de cession a été homologué par le tribunal de commerce de Marseille qui a nécessairement vérifié que l'ensemble de l'opération répondait à l'intérêt social de la société.
Les intimés répondent que la créance de compte courant étant éteinte, les clauses de l'acte de cession relative au remboursement du compte courant des époux R. sont nulles'; qu'elles sont de surcroît contraires à l'intérêt de la société en l'absence de contrepartie et à l'ordre public en ce qu'elle rompt le principe de l'égalité des créanciers.
Selon l'article 1108 du Code Civil, pour être valide une convention doit notamment avoir un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans l'obligation.
Sous l'empire de l'ancien article L621-46 applicable au redressement judiciaire ouvert le 18/05/2005, les créances qui n'ont pas été déclarées dans les délais fixés par décret en Conseil d'Etat et n'ont pas été relevées de forclusion, sont éteintes.
En application des articles L. 622-7 I et L. 654-8 du code de commerce , d'ordre public, le jugement ouvrant la procédure collective emporte de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture et toute personne exerçant notamment une activité commerciale qui passe un acte ou effectue un paiement en violation des dispositions de l'article L. 622-7 ou effectue un paiement en violation des modalités de règlement du passif prévues au plan de sauvegarde ou au plan de redressement, est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30.000 €.
Il en résulte que l'obligation des époux F. de prendre toutes dispositions pour que la société Ceditex, qui bénéficie d'un plan de redressement, rembourse la créance de compte courant des appelants qui est à la fois antérieure au jugement d'ouverture et éteinte de par la loi pour ne pas avoir été déclarée dans les délais, repose sur un objet inexistant et une cause illicite.
Les cédants ne peuvent se retrancher derrière l'homologation judiciaire du 11/07/2011 dès lors que le tribunal de commerce n'a pas été saisi de la validité de la créance des époux R. mais d'une modification du plan de continuation de la société Ceditex par substitution des associés au regard de l'accord de cession sous condition suspensive de l'ensemble des parts sociales à M. et Mme F. et de l'accord d'indemnité d'éviction de la société au titre d'une résiliation amiable du bail commercial.
Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que la clause querellée n'est donc pas valide de sorte qu'il ne peut être reproché aux intimés de ne pas l'avoir exécutée.
Le jugement querellé sera donc confirmé de ce chef.
sur le remboursement de la somme de 4.136 €
Les époux R. font valoir que la SARL Ceditex prenait en charge les cotisations RSI de la gérante et que la somme de 4.136 € correspond à des avances de RSI faites en compte courant après la cession, à la demande des consorts F., pour soulager la société dans l'attente du règlement de l'indemnité d'éviction.
Toutefois, l'acte de cession se réfère bien aux comptes arrêtés à la date du 31/12/2010.
En outre, non seulement l'attestation de l'expert-comptable de la société Ceditex du 25/03/2014 mais aussi les extraits du grand livre Ceditex confirment la thèse des intimés aux termes de laquelle les parties ont décidé qu'une fois la cession opérée la SARL ne supporterait plus les charges de la gérante ayant quitté ses fonctions et que les époux R. rembourseraient donc le montant des prélèvements opérés par le RSI.
C'est ainsi qu'aux prélèvements RSI de 155 € le 5/08/2011, 155 € le 5/09/2011, 144 € le 5/10/2011, 1828 € le 7/11/2011 et 1828 € le 5/12/2011 correspondent les remboursements RSI par déduction du compte courant de deux fois 155 € et 144 € le 31/12/2011et de 1828 € le 24/11/2011 et 1825 € le 13/12/2011.
Ces versements ne peuvent donc s'analyser en des avances mais bien en des remboursements comme en témoigne également le courrier du 10/11/2011 envoyé à la société Ceditex par M. R. qui écrit «'(') veuillez trouver ci-joint un chèque sur la BPA de 1828 €. je pense qu'ils feront la même opération pour le 8 décembre, prévenez moi afin de faire une régularisation par chèque (...)'».
Le jugement attaqué sera par conséquent réformé sur ce point et les appelants condamnés à restituer la somme de 4.136 € aux époux F..
sur la radiation du nantissement':
Selon l'article R. 533-6 al 2 du code des procédures civiles d'exécution, en cas d'extinction de l'instance introduite par le créancier ou si sa demande est rejetée, la radiation est demandée au juge saisi du fond'; à défaut elle est ordonnée par le juge de l'exécution. La radiation est effectuée sur présentation de la décision passée en force de chose jugée. Les frais sont supportés par le créancier.
Les époux R. s'opposent à la demande de radiation du nantissement qu'ils ont pris sur les parts sociales de la SARL Ceditex sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile disposant qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est notamment de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Cependant, en l'espèce, les appelants ont pris un nantissement judiciaire provisoire le 7/08/2013 postérieurement à la reddition du jugement du tribunal de commerce de Marseille du 16/05/2013.
La demande des époux F. tendant au prononcé de la radiation de ce nantissement est par conséquent recevable et il y sera fait droit.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens':
Les époux R. qui succombent, supporteront les dépens et partie des frais irrépétibles des intimés à hauteur de 2.000 € du chef de l'article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS
la cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition,
CONFIRME le jugement dont appel sauf en ce qu'il a condamné les époux F. au paiement de la somme de 4.136 €, aux dépens et aux frais irrépétibles,
ORDONNE la restitution par les époux R. de la somme de 4.136 € aux époux F.,
y ajoutant,
PRONONCE la radiation du nantissement judiciaire provisoire pris le 7/08/2013 par les époux R. sur les parts sociales de la SARL Ceditex détenues par M. et Mme F.,
CONDAMNE in solidum M. et Mme R. à payer aux époux F. la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
LES CONDAMNE in solidum aux dépens distraits au profit de Me L., avocat associé de la SCP B.L..