CA Lyon, 1re ch. civ. A, 7 mars 2013, n° 11/08244
LYON
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Faac France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
M. Martin, M. Semeriva
Avocats :
SCP Tudela et Associés, SCP Pierre Arnaud, Bruno Charles Rey, Me Barriquand, Selafa Lange et de Galzain
Vu le jugement du 24 octobre 2011 du tribunal de commerce de Lyon qui condamne la Sas Faac France à payer à Joël C. la somme de 70 000 euros au titre de son préjudice financier et moral aux motifs que la Sas Faac France a manqué à son devoir moral de communication à l'égard de Joël C. ainsi que 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et qui déboute Joël C. de ses demandes complémentaires.
Vu la déclaration d'appel formée par la Sas Faac France le 07 décembre 2011.
Vu les conclusions de la Sas Faac France en date du 07 juin 2012 qui conclut à la réformation du jugement dans toutes ses dispositions, aux motifs que Joël C. n'a fait l'objet d'aucune révocation, que la cessation de son mandat de président est la conséquence de la dissolution de la Sas Voltec et qu'aucune faute de quelque nature n'est démontrée à l'encontre de la Sas Faac France ; et qui demande la condamnation de Joël C. au versement de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions de Joël C. en date du 24 avril 2012 qui conclut à la confirmation du jugement du 24 octobre 2012 en ce qu'il dit que la Sas Faac France a commis une faute en manquant à son devoir de communication à son égard; et; demande de condamner la Sas Faac France à payer la somme de 1 465 674 euros en réparation du préjudice financier de Joël C. et la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et demande en outre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 11 septembre 2012.
Les conseils des parties ont présenté leurs observations orales à l'audience du 09 janvier 2013 après le rapport de Monsieur le Président Michel Gaget.
DECISION
Joël C., unique actionnaire de la Sas Voltec à cédé 67 % de sa participation à la société Faac Spa, société de droit italien, le 22 mars 2002.
Suite au litige est né entre les parties quant à la valorisation des actions restant à céder, un protocole d'accord a été établi en date du 15 septembre 2005. Cet accord prévoyait notamment la poursuite du mandat de Joël C. en qualité de président de la Sas Voltec pendant un minimum de deux années.
Par lettre du 19 février 2010, Joël C. a été informé du projet de dissolution de la Sas Voltec. Une assemblée générale extraordinaire du 08 mars 2010 a voté la dissolution anticipée de la Sas Voltec et la transmission à titre universel de ses actions à la Sas Faac France.
En conséquence, le mandat de Joël C. a pris fin le 30 avril 2010, date d'effet de la transmission universelle de patrimoine.
Joël C. demande, en appel, la somme de 1 465 674 euros correspondant à dix années de rémunération nette comme dommages intérêts pour absence de justes motifs à sa révocation, et celle de 50000 euros de dommages intérêts pour préjudice moral né des circonstances brutales de cette rupture.
Sur la révocation sans justes motifs
Vu les statuts de la Sas Voltec
Vu les articles L.227-1, L.227-5 et L.236-3 du code de commerce.
Joël C. soutient que son mandat de président de la Sas Voltec a été révoqué sans justes motifs, en violation des statuts de la société qui disposent que le président peut être révoqué par décision collective des associés et qu'une révocation décidée sans justes motifs peut donner lieu à des dommages et intérêts. Il fait valoir que la dissolution de la Sas Voltec ne constitue pas un juste motif car elle n'a pas été décidée dans l'intérêt de la société mais dans le seul but de mettre fin au mandat de Joël C.. Il soutient à ce propos que les motifs allégués par la Sas Faac France sont artificiels notamment sur un plan économique et que la dissolution n'a pas été anticipée mais est intervenue avec l'unique objectif de tenir en échec les règles statutaires de la Sas quant à la révocation des mandataires sociaux. Il conclut que les statuts, qui sont la loi des parties conformément aux articles L.227 et L.227-5 du code de commerce, doivent s'analyser à la lumière de l'article L.236-3 du même code relatif à la fusion des sociétés.
La Sas Faac France soutient en revanche que la cessation des fonctions de Joël C. découle nécessairement de la dissolution de la Sas Voltec décidée lors de l'assemblée générale extraordinaire du 08 mars 2010. Elle fait valoir que la dissolution de la Sas Voltec s'est inscrit dans le cadre d'une réorganisation interne globale des activités du groupe Faac Spa en France et qu'elle a procédé à différentes fusions et transmissions universelles de patrimoine en France et en Europe. Elle soutient que l'accusation de dissolution frauduleuse est sans fondement, et que son but n'était pas d'évincer Joël C..
Mais la cour relève à titre liminaire que l'article L.236-3 invoqué par Joël C. est sans portée puisqu'au moment de la dissolution, Joël C. n'avait plus la qualité d'associé de la société.
Mais la cour relève également que le caractère frauduleux de la dissolution ne peut être réduit de l'absence de concurrents sérieux ou de processus productifs communs et qu'il ressort des pièces produites par la Sas Faac France qu'une autre société du groupe Faac a été dissoute le 02 janvier 2009 et qu'un audit social a été mis en place au mois de janvier 2010. Il s'ensuit que la dissolution de la Sas Voltec a été décidée dans le cadre d'une restructuration globale qui relève de la gestion interne du groupe Faac Spa.
En conséquence, la cour constate que le caractère frauduleux de la dissolution de la Sas Voltec n'est pas démontré et que la fin des fonctions de Joël C. au sein de la Sas Voltec ne présente pas de caractère anormal mais découle nécessairement de cette dissolution.
La demande de Joël C. portant sur la révocation sans justes motifs est mal fondée.
Sur le caractère brutal et vexatoire du départ de Joël C.
Vu l'article 1382 du code civil
Joël C. soutient que les conditions de son départ sont brutales et vexatoires notamment en ce que la dissolution est intervenue à très brève échéance, en l'absence de toute autre communication de la part des actionnaires sur ce sujet et dans le but de l'évincer de son mandat de président.
Il met également en avant la non respect par la Sas Faac France de son engagement de l'associer aux projets nationaux et internationaux de la société dans le secteur des moteurs tubulaires en vertu du protocole d'accord du 15 septembre 2005.
La Sas Faac France fait valoir que les actions de Joël C. ont été rachetées de façon progressive, qu'il a conservé son mandat et sa rémunération jusqu'en 2010, qu'il a par ailleurs été tenu régulièrement informé de l'évolution des structures, qu'il a pu s'exprimer librement et faire valoir ses observations, et qu'en conséquence son mandat n'a pas pris fin dans des conditions vexatoires ou brutales ouvrant droit à réparation d'un préjudice de quelque nature que ce soit.
La cour constate que, selon les termes du protocole d'accord le 15 septembre 2005, Joël C. s'engageait à occuper son poste de président pendant un minimum de deux ans et que ce point n'est pas contesté par les parties.
Elle relève également que la cessation des activités de Joël C. est intervenue en raison de la dissolution de la Sas Voltec ainsi qu'il avait été annoncé à Joël C. par courriel du 23 février 2010, et qu'il n'est pas établi que Joël C. envisageait d'occuper des fonctions au sein de la Sas Voltec jusqu'à l'âge de la retraite.
Mais la cour relève encore que la cessation du mandat de Joël C., qui est intervenue dans un contexte litigieux entre les parties, n'a fait l'objet d'une notification formelle de la part de la Sas Faac France qu'en date du 21 avril 2010 et ce malgré les sollicitations de Joël C. du 26 février et du 14 avril 2010.
Elle relève, en outre, que la Sas Faac France a manqué de loyauté en ne communiquant pas clairement sur le devenir de Joël C. au sein de l'entreprise alors qu'il avait lui même créé et fait prospérer pendant vingt quatre ans, la Sas Voltec.
La rupture des relations est donc intervenue, de manière déloyale et brutale, ce qui justifie l'existence d'un préjudice moral que la cour fixe, selon les éléments de la cause à la somme de 50 000 euros qui répare justement Joël C. dans ce qu'ill était en droit d'attendre moralement comme ancien dirigeant de l'entreprise qu'il avait fondée et cédée.
La cour condamne en conséquence la Sas Faac France à payer à Joël C. la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral.
- La demande de dommages intérêts de la Sas Faac France faite pour procédure abusive n'est fondée ni en fait ni en droit à l'encontre de Joël C. qui a agi sans abus à son encontre.
- L'équité commande de ne pas appliquer l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Sas Faac France qui perd principalement en son appel.
- L'équité commande, en revanche, d'allouer à Joël C. la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, comme partie des frais engagés dans sa défense.
Les dépens sont à la charge de la société Faac France qui perd principalement en son appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
- réforme partiellement le jugement attaqué ;
- statuant à nouveau sur l'ensemble du litige ;
- déclare recevable mais mal fondée la demande de Joël C. pour révocation frauduleuse et sans justes motifs tendant à obtenir la réparation d'un préjudice financier ;
- déclare recevable et fondée sa demande fondée sur l'article 1382 du code civil pour rupture brutale et déloyale, causant un préjudice moral de 50000 euros ;
- condamne, en conséquence, la Sas Faac France à payer à Joël C. la somme de 50 000 euros ;
- condamne, en conséquence, la Sas Faac France à payer à Joël C. la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, et celle de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamne la Sas Faac France aux dépens de première instance et d'appel ;
- autorise les mandataires des parties qui en ont fait la demande à les recouvrer aux formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.