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Décisions

Cass. crim., 23 mai 1995, n° 94-83.630

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Milleville

Rapporteur :

M. Pibouleau

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan

ch. d'acc. Versailles, du 6 juill. 1994

6 juillet 1994

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Bernard, - Y... Pierre, - TOUZET René, - A... Dominique, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 6 juillet 1994, qui les a renvoyés devant le tribunal correctionnel sous la prévention de malversations et complicité ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Vu l'arrêt de la chambre criminelle du 8 janvier 1992 portant désignation de juridiction ;

Vu l'article 574 du Code de procédure pénale ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Bernard X... et pris de la violation des articles 207 de la loi du 25 janvier 1985 modifiée par la loi du 30 décembre 1985, 88 de la loi n 94-475 du 10 juin 1994, 112-1 du nouveau Code pénal, article 8 de la déclaration des droits de l'homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé X... du chef du délit de malversation devant le tribunal correctionnel de Nanterre ;

"alors que les faits de malversation commis par les personnes ayant participé à la procédure collective incriminés par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 modifiée par la loi du 30 décembre 1985 ont été dépourvus de sanctions pénales entre le 1er mars 1994, date d'abrogation de l'ancien article 408 du Code pénal et le 1er octobre 1994, date d'entrée en vigueur de l'article 88 de la loi du 10 juin 1994 qui prévoit que le délit susvisé sera puni des peines prévues par l'article 314-2 du nouveau Code pénal ;

qu'aucune disposition de la loi d'adaptation du 16 décembre 1992 ne vise le remplacement de l'article 408 précité auquel se référait l'article 207 susvisé pour sanctionner le délit de malversation ;

que la référence faite à l'article 314-2 du nouveau Code pénal par l'article 88 de la loi du 10 juin 1994 démontre, qu'avant l'entrée en vigueur de cette disposition, aucune pénalité n'était encourue pour le délit précité suite à l'abrogation de l'article 408 de l'ancien Code pénal ;

que, dès lors, la loi du 10 juin 1994 prise en son article 88 est une disposition pénale plus sévère rétablissant une pénalité qui, en tant que telle, ne peut rétroagir et s'appliquera uniquement aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur ;

qu'il s'ensuit que le 1er mars 1994, les faits de malversation reprochés au prévenu n'étaient plus susceptibles de poursuites pénales faute de sanction et ne pouvaient plus ensuite être appréhendés par les nouvelles dispositions plus sévères de l'article 88 précité ;

qu'ainsi, le renvoi du prévenu devant la juridiction de jugement est illégal" ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez pour Pierre Y... et pris de la violation des articles 207 de la loi du 25 janvier 1985, 266 de la loi du 16 décembre 1992, 6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de Pierre Y... devant le tribunal correctionnel du chef de complicité de malversation ;

"aux motifs que l'abrogation de l'article 408 du Code pénal et l'omission de l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 dans l'article 266 de la loi n 92-1336 du 16 décembre 1992 ne sauraient avoir entraîné l'abrogation de la référence faite par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 à la peine de l'abus de confiance commis par une personne faisant appel au public ;

que cette infraction étant toujours incriminée par l'article 314-2-1er du Code pénal, qui définit la circonstance aggravante d'appel au public de la même manière que le faisait l'article 408 du Code pénal, tout en prévoyant des peines plus douces que celles de l'ancien article 408, aujourd'hui abrogé, il s'ensuit que cette peine doit s'appliquer aux faits de malversation qui auraient été commis avant l'entrée en vigueur du Code pénal ;

"alors que le législateur ayant pris le soin par la loi d'adaptation n 92-1336 du 16 décembre 1992 de préciser, notamment dans son article 266, les textes sanctionnant dorénavant les différentes infractions prévues par la loi du 25 janvier 1985 compte tenu tant de la réforme du Code pénal que de la modification de cette loi du 25 janvier 1985 par la loi précitée du 16 décembre 1992, la chambre d'accusation ne pouvait, sans commettre d'excès de pouvoir, considérer qu'en l'état de l'abrogation de l'article 408 du Code pénal, dont les pénalités étaient applicables au délit de malversation prévu par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, et bien que l'article 266 de la loi du 16 décembre 1992 ne mentionne pas le cas de l'article 207 et ne précise aucunement que les pénalités applicables à cette infraction étaient dorénavant celles de l'article 314-2-1er du Code pénal, considérer que néanmoins, ce texte s'appliquait au principe selon lequel il ne saurait y avoir de sanctions sans texte et que par ailleurs la détermination des peines applicables au délit relèvent exclusivement de la compétence du législateur" ;

Sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez pour Pierre Y... et pris de la violation des articles 207 de la loi du 25 janvier 1985, 121-7 du Code pénal, 5941 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé le renvoi de Pierre Y... devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour complicité de malversation ;

"aux motifs qu'il a reconnu avoir personnellement prêté attention à cette procédure avant le dépôt de bilan et avoir désigné, en raison de l'importance de cette affaire, la chambre présidée par René Touzet ;

qu'il n'aurait ainsi pu ignorer que Bernard X... avait siégé dans la formation du tribunal qui avait rendu le jugement d'ouverture le 7 mai 1991 ;

qu'il aurait également été en son pouvoir de président du tribunal de commerce de Bobigny et de son devoir de s'opposer à cette cession des actifs à Bernard X..., à laquelle René Touzet, président de chambre, n'aurait pu donner son accord s'il ne l'avait pas lui-même autorisée ;

qu'une telle autorisation étant supposée établie, il aurait ainsi, avec connaissance, aidé, assisté Bernard X... pour cette acquisition des actifs de la société Zell ;

"alors que si la chambre d'accusation n'a pas à se prononcer sur des preuves, toute décision de renvoi devant la juridiction correctionnelle doit néanmoins être fondée sur des présomptions de charges graves, précises et concordantes, ce qui ne saurait être le cas de simples suppositions par nature même hypothétiques, comme c'est précisément le cas en l'espèce où la décision de renvoi de Pierre Y... devant la juridiction correctionnelle se trouve entièrement fondée sur l'hypothèse qu'il n'aurait pu ignorer que Bernard X... avait siégé dans la formation ayant statué sur l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société Zell, et ce nonobstant les pièces du dossier de la procédure faisant apparaître qu'entendu le 26 mars 1994 par le juge d'instruction, Bernard X... a expressément reconnu avoir déclaré au président Bourdon n'avoir jamais siégé dans la procédure, de sorte que l'arrêt attaqué est entaché d'insuffisance" ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par Me Z... pour René Touzet et pris de la violation de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 111-3, 111-4, 112-1 et 314-2 du Code pénal, 408 de l'ancien Code pénal, 207 de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 1994, 264, 265, 266, 372 et 373 de la loi du 16 décembre 1992, 1er de la loi du 19 juillet 1993, 88 et 99 de la loi du 10 juin 1994, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de René Touzet devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour y répondre de la complicité du délit de malversation que Bernard X... aurait commis ;

"aux motifs qu'"à l'époque où les faits de malversation auraient été commis, l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, qui faisait référence à la peine prévue au deuxième alinéa de l'article 408 du Code pénal, punissait ces faits de dix ans d'emprisonnement et de 5 000 000 francs d'amende, peines encourues pour le délit d'abus de confiance par une personne faisant appel à l'épargne" (cf. arrêt attaqué, p. 14, 1er considérant) ; "que la loi du 16 décembre 1992 a énuméré, dans son article 372, les textes législatifs qu'elle abrogeait" (cf. arrêt attaqué, p. 14, 2ème considérant) ;

"que l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, qui ne figure pas dans cette énumération, n'a pas été abrogé" (cf. arrêt attaqué, p. 14, 3ème considérant) ;

que "l'abrogation de l'article 408 du Code pénal et l'omission de l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 dans l'article 266 de la loi 92-1336 du 16 décembre 1992 ne sauraient avoir entraîné l'abrogation de la référence faite par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 à la peine de l'abus de confiance commis par une personne faisant appel au public" (cf. arrêt attaqué, p. 14, 4ème considérant) ;

"que, cette infraction étant toujours incriminée par l'article 314-2, 1er, du Code pénal, qui définit la circonstance aggravante d'appel au public de la même manière que le faisait l'article 408 du Code pénal, texte abrogé en vigueur au moment des faits, et qui fait encourir une peine de sept ans d'emprisonnement et de 5 000 000 francs d'amende, plus douce que celle qui était édictée par l'article 408, cette peine doit s'appliquer aux faits de malversation qui auraient été commis avant l'entrée en vigueur du Code pénal" (cf. arrêt attaqué, p. 14, 5ème considérant) ;

"alors qu'une disposition pénale nouvelle qui abroge le texte réprimant une infraction, s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés ;

que les juges répressifs ne peuvent prononcer une condamnation contre un prévenu, que si le fait poursuivi constitue une infraction punissable ;

que, les lois des 16 décembre 1992 et 19 juillet 1993 ayant abrogé l'ancien Code pénal à compter du 1er mars 1994, le fait prévu par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 n'a plus constitué un fait punissable entre le 1er mars 1994 et la date d'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994 ;

qu'en renvoyant René Touzet devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour y répondre de la complicité d'un fait qui a cessé d'être punissable entre le 1er mars 1994 et la date d'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés" ;

Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan pour Dominique A... et pris de la violation des articles 4 (ancien), 111-3, 111-4, 112-1, 314-2 (nouveaux) du Code pénal, 372 et 266 de la loi du 16 décembre 1992, 88 de la loi n 94-475 du 10 juin 1994, 207 de la loi du 25 janvier 1985, 6, 213 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel de Nanterre de Dominique A... pour s'être, courant 1991, rendu complice du délit de malversation reproché à Bernard X... ;

"aux motifs que l'abrogation de l'article 408 du Code pénal et l'omission de l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 dans l'article 266 de la loi n 92-1336 du 16 décembre 1992 ne sauraient avoir entraîné l'abrogation de la référence faite par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 à la peine de l'abus de confiance commis par une personne faisant appel au public ;

que cette infraction étant toujours incriminée par l'article 314-2, 1er, du Code pénal qui définit la circonstance aggravante d'appel au public de la même manière que le faisait l'article 408 du Code pénal, texte abrogé, en vigueur au moment des faits et qui fait encourir une peine de sept ans d'emprisonnement et de 5 millions de francs d'amende, plus douce qui était édictée par l'article 408, cette peine doit s'appliquer aux faits de malversation qui avaient été commis avant l'entrée en vigueur du Code pénal ;

"alors que, d'une part, aucune peine ne saurait être prononcée lorsque les faits poursuivis, bien qu'entrant dans les prévisions de deux textes répressifs successifs, applicables respectivement à la date de leur commission et à celle de leur jugement, ont échappé à toute incrimination entre l'abrogation du premier de ces textes et l'entrée en vigueur du second ;

que le délit de malversation, défini par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, pour complicité duquel A... a été renvoyé, a cessé d'être réprimé entre le 1er mars 1994, date d'entrée en vigueur de la loi du 16 décembre 1992 abrogeant l'article 408 du Code pénal auquel l'article 207 précité faisait référence pour les peines applicables, et le 1er octobre 1994, date d'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994, qui, en son article 88, a complété la loi du 25 janvier 1985 et rétabli la répression des faits constitutifs d'une malversation ;

que, dès lors, le tribunal correctionnel est manifestement incompétent pour connaître des faits qui ne sont pas pénalement répréhensibles et contre lesquels l'action publique est éteinte du fait de l'abrogation de la loi pénale ;

"alors que, d'autre part, seule la loi détermine les crimes et les délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs ;

que l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 16 décembre 1992, ne faisait référence qu'aux peines prévues par l'alinéa 2 de l'article 408 (ancien) du Code pénal à l'exclusion de toute autre mention ;

que la loi du 16 décembre 1992 qui a abrogé cet article, n'a pas substitué une autre référence, que dès lors, l'arrêt attaqué ne pouvait, sans violer le principe de la légalité des peines et l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, déclarer que les peines de l'article 314-2 (nouveau) du Code pénal devaient se substituer à celles prévues par l'article 408, alinéa 2, (ancien) du même Code ;

"alors qu'enfin les articles 314-1 et 314-2 (nouveaux) du Code pénal ne répriment pas les mêmes faits que ceux qui étaient définis par l'article 408 ancien et ne prévoient pas les mêmes peines ;

que, dès lors, en l'absence de toute intervention du législateur, la chambre d'accusation ne pouvait juger que devaient se substituer aux peines prévues par l'article 408 (ancien), auxquelles l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 faisait référence, celles prévues par l'article 314-2 nouveau du Code pénal" ;

Attendu que les moyens se bornent à critiquer les énonciations de l'arrêt relatives au caractère punissable des faits poursuivis ainsi qu'aux charges que la chambre d'accusation a retenues contre les prévenus ; que, ces énonciations ne concernant pas la compétence et ne présentant aucune disposition définitive que le tribunal n'aurait pas le pouvoir de modifier, les moyens sont irrecevables en application de l'article 574 du Code de procédure pénale ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.