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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 27 septembre 2016, n° 14/05817

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe France Epargne (SAS), Appart Service Gestion Syndic (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarede

Conseillers :

Mme André, Mme Jeannesson

Avocats :

Me Boezec, Me Constant

T. com. Nantes, du 7 juill. 2014

7 juillet 2014

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS à associé unique Groupe France Epargne (la société GFE) dont le capital est détenu par son président, la SAS à associé unique Groupe Menguy Investissement (la société GMI), exerce l'activité de gestion immobilière et de transactions d'immeubles et de fonds de commerce. Par décision de l'associée unique datée du 3 décembre 2007, Mme L. en a été nommée directrice générale avec effet immédiat moyennant une rémunération brute de 2 500 euros.

La SAS à associée unique Appart Service Gestion Syndic (la société ASGS) dont le capital est détenu par son président, la SAS à associé unique Groupe Menguy Investissement, exerce une activité de syndic. Par décision de l'associée unique datée du 3 décembre 2007, Mme L. en a été nommée directrice générale avec effet immédiat et ce, sans contrepartie financière.

Mme L. était par ailleurs salariée de la société Groupe Menguy Investissement, y exerçant les fonctions de directrice juridique.

A la suite d'un changement de contrôle de la société Groupe Menguy Investissement, un désaccord s'est élevé entre les nouveaux dirigeants et Mme L.. Le 19 juillet 2012, les sociétés GFE et ASGS ont mis fin aux fonctions de directrice générale de Mme L. et la société GMI a engagé une procédure de licenciement à son encontre, la convoquant à un entretien préalable le 20 juillet

2012.

Le 20 septembre 2013, parallèlement à la saisine par elle du conseil des prud'hommes, Mme L. a fait assigner les sociétés GFE et ASGS devant le tribunal de commerce de Nantes aux fins d'obtenir réparation du préjudice résultant de sa révocation de ses mandats.

Le 7 juillet 2014, le tribunal de commerce de Nantes a avec exécution provisoire :

- constaté que la révocation ad nutum de Mme L. de ses mandats de directeur général, tant de la société GFE que de la société ASGS, est régulière, mais avec un caractère brutal et vexatoire ;

- condamné la société Groupe France Epargne à lui verser à titre indemnitaire la somme de 35.000 euros ;

- condamné la société Appart Services Gestion Syndic à lui verser à titre indemnitaire la somme de 35.000 euros ;

- débouté Mme Nadège L. de sa demande d'indemnités pour usage de sa carte professionnelle ;

- condamné solidairement les sociétés Groupe France Epargne et Appart Services Gestion Syndic à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés GFE et ASGS ont relevé appel de ce jugement, demandant à la cour, au visa de l'article 225-55 du code de commerce et de l'article 3 de leurs statuts respectifs, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la régularité de la révocation ad nutum de Mme L. et l'a déboutée de sa demande de dommages intérêts pour usage de carte professionnelle après sa révocation ;

- l'infirmer en ce qu'il a dit la révocation brutale et vexatoire et débouter Mme Nadège L. de toutes ses demandes ;

- à défaut si la cour reconnaissait le caractère brutal et vexatoire de la révocation de Mme L., dire que son préjudice sera indemnisé pour un euro symbolique ;

- condamner Mme L. au paiement de la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

En réponse, Mme L. demande à la cour, au visa de l'article 227-5 du code de commerce et 1382 du code civil :

- d'infirmer le jugement critiqué et de condamner les sociétés appelantes au paiement chacune de la somme de 10 000 euros pour irrespect des droits de la défense et du caractère contradictoire ;

- de confirmer la condamnation au paiement chacune de la somme de 35 000 euros au titre des actes brutaux, vexatoires et attentatoires à sa réputation lors de la mise en oeuvre de leur décision de révocation ;

- d'infirmer le jugement en condamnant la société GFE à lui verser la somme de 5 835,49 euros à titre d'indemnité couvrant l'utilisation abusive de sa carte immobilière à compter de la révocation de son mandat jusqu'au 28 septembre 2012 ;

- confirmer la condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et y ajouter une somme supplémentaire de 4 000 euros.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les sociétés appelantes le 14 octobre 2014 et pour Mme L. le 13 décembre 2014.

EXPOSÉ DES MOTIFS 3

Sur l'existence d'un préjudice

L'article L. 227-5 applicable aux sociétés par actions simplifiées énonce que les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. Or l'article 10-2 des statuts de chacune des sociétés appelantes prévoit que les associés peuvent nommer un ou plusieurs directeurs généraux qui seront nécessairement une ou des personnes physiques, lesquelles pourront être révoquées à tout moment dans les mêmes conditions.

Il s'en infère que tout comme sa nomination, la révocation du directeur général pouvait s'effectuer à tout moment, sans formalisme particulier, sans préavis et sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un motif de sorte que c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la révocation intervenue le 19 juillet 2012 était régulière.

Cependant si la révocation d'un mandataire social peut intervenir à tout moment sans qu'il soit nécessaire d'alléguer et de démontrer un juste motif, elle n'en revêt pas moins un caractère abusif si elle a été accompagnée de circonstances portant atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement sans respecter le principe de la contradiction, lequel suppose que le mandataire révoqué ait été mis en mesure de présenter, préalablement à la décision de révocation, ses observations devant l'organe compétent pour décider de celle ci.

Mme L. a été convoquée le 20 juillet 2012 pour le 27 juillet 2012 aux fins d'entretien préalable à son licenciement de son emploi salarié au profit de la société GMI, notifié le 3 août suivant sans dispense de préavis. Elle n'a en revanche pas été avisée de l'intention de l'associée unique des sociétés GFE et ASGS de procéder immédiatement à sa révocation et en conséquence privée de la possibilité de lui adresser ses observations préalables. Elle a été avisée tardivement de cette révocation qui a pris effet dès le 19 juillet et a été publiée le 9 août au BODACC avant qu'elle n'en prenne connaissance puisque la notification ne lui en a été faite que par lettres des 27 et 28 août 2012 dont elle a accusé réception le 31 août et le 3 septembre 2012.

Les observations et inquiétudes exprimées par Mme L. sur le fonctionnement de la société GFE ne s'analysent pas en une critique des décisions prises par l'actionnaire et un refus de les appliquer mais constituaient seulement une demande légitime, eu égard aux responsabilités qui lui étaient confiées, de clarification des conditions d'exploitation sociale. Elles ne justifiaient pas dès lors une décision de révocation immédiate sans recueil préalable de ses observations.

C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont retenu le caractère brutal et vexatoire de la révocation intervenue à l'insu de l'intéressée qui a continué à assumer ses responsabilités pendant environ un mois sans être avisée du fait qu'elle en avait été démise.

Sur le montant de la réparation

A juste titre, les sociétés appelantes font valoir que Mme L. ne pouvait s'opposer à sa révocation laquelle n'avait pas pour elle de caractère imprévisible eu égard à la réorganisation sociale parallèle mise en oeuvre. Le préjudice qu'elle a subi découle uniquement de la désinvolture avec laquelle sa révocation a été décidée, à son insu, avec effet immédiat, sans même que l'actionnaire l'avise de son intention d'y procéder et ne lui notifie immédiatement sa décision alors même qu'elle continuait à exercer des fonctions de responsabilités et qu'à défaut de lui présenter un successeur, elle pouvait légitimement toujours se croire investie des dits mandats sociaux.

En revanche, il n'est pas démontré que cette décision ait fait l'objet d'une publicité auprès du personnel dans des conditions de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa réputation.

Le préjudice moral subi du fait des conditions de sa révocation des deux mandats sera dès lors intégralement réparé par l'octroi d'une indemnité globale de 6 000 euros qui sera supporté solidairement par les deux sociétés concernées, les conditions identiques de révocation des mandats ayant eu des conséquences similaires et indissociables.

Sur la demande d'indemnisation de l'usage de la carte professionnelle

En application de l'article 3 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, les sociétés sont tenues de posséder une carte professionnelle délivrée par le préfet, les autorisant à exercer leurs activités. Cette carte est délivrée aux personnes morales si leurs représentants légaux et statutaires satisfont aux conditions exigées des personnes physiques. Une nouvelle demande doit être faite en cas de changement dans l'identité du ou des représentants légaux et statutaires.

Les sociétés GFE et ASGS sont titulaires d'une carte professionnelle délivrée pour dix ans le 30 janvier 2008, Mme L. étant désignée comme leur représentant légal.

La déclaration de changement de représentant légal a été effectuée le 27 juillet 2012 pour la société ASGS et les 27 juillet et 28 septembre 2013 pour la société GFE. Les diligences exigées par les dispositions réglementaires ont donc été accomplies en temps utile et Mme L. ne démontre pas avoir subi un préjudice indemnisable du fait du délai de traitement administratif de ces demandes, en toute hypothèse non imputable aux sociétés appelantes, ce retard étant d'ailleurs sans effet sur les droits et obligations des parties.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme le jugement rendu le 16 juillet 2014 par le tribunal de commerce de Nantes en ce qu'il a :

- constaté que la révocation ad nutum de Mme L. de ses mandats de directeur général de la société Groupe France Epargne et de la société Appart Services Gestion Syndic était régulière mais présentait un caractère brutal et vexatoire ;

- débouté Mme L. de sa demande d'indemnité pour usage de sa carte professionnelle immobilière ;

Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau

Condamne solidairement les sociétés Groupe France Epargne et Appart Services Gestion Syndic à verser à Mme Nadège L. :

- une somme de 6 000 euros à titre de dommages intérêts ;

- une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ;

Condamne solidairement les sociétés Groupe France Epargne et Appart Services Gestion Syndic aux entiers dépens de première instance et d'appel, ceux d'appel étant recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.