CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 24 septembre 2008, n° 07/02087
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DE LAUTAR
Défendeur :
SANCHEZ
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
BELIERES
Conseillers :
SALMERON, COLENO
Avoués :
SCP RIVES-PODESTA, SCP DESSART-SOREL-DESSART
Avocats :
SCP CABINET CAMILLE ET ASSOCIÉS, Me MOURA
Suivant acte sous seing privé du 30 avril 2002 Mme Marcelle DE LAUTAR usufruitière et Mme Marie-Françoise DE LAUTAR, nue propriétaire d'un immeuble situé [...] ont donné à bail à M. Robert SANCHEZ un local à usage commercial exclusif de 'vente de rideaux, voilages, stores, tringlerie, tissus au mètre, confection, voilages et tenture tapis articles de décoration et d'ameublement' pour une durée de 9 ans à compter du 1er mai 2000.
Par acte d'huissier du 27 janvier 2005 le locataire a sollicité la déspécialisation plénière pour y exercer une activité 'tous commerces y compris alimentaires, restauration rapide à emporter, point chaud, vente de pain, pâtisserie, viennoiseries, sandwiches'.
Par acte du 18 mars 2005 les propriétaires se sont opposées à la demande.
Par acte du 28 juin 2005 M. Robert SANCHEZ a fait assigner Mme Marcelle DE LAUTAR et Mme Marie-Françoise DE LAUTAR devant le tribunal de grande instance de Toulouse en autorisation de déspécialisation plénière.
Par jugement du 6 mars 21 février 2007 cette juridiction a
- autorisé Mme Marcelle DE LAUTAR à transformer son activité commerciale aux conditions suivantes : en aucun cas il ne pourra s'agir d'une activité tous commerces, la déspécialisation ne pourra concerner que la vente de produits alimentaires, restauration rapide à emporter, point chaud, vente de pain, pâtisserie viennoiseries, sandwiches, de jour exclusivement, sans nuisance olfactive ce qui suppose que la hotte extractive par conduit allant jusqu'au toit existe déjà, sans nuisance sonore, sans possibilité de consommation sur place
- rejeté les autres demandes
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
- condamné chaque partie aux dépens pour la part qui lui revient.
Par acte du 6 avril 2007 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées Mme Marcelle DE LAUTAR et Mme Marie-Françoise DE LAUTAR ont interjeté appel général de cette décision.
MOYENS DES PARTIES
Mme Marcelle DE LAUTAR et Mme Marie-Françoise DE LAUTAR dans leurs dernières écritures du 9 juin 2008 concluent à l'infirmation du jugement déféré et demandent de
- dire que les conditions légales de l'article L 145-48 du code de commerce ne sont pas remplies en l'absence de conjoncture économique particulière et de nécessité d'organisation matérielle de la distribution
- dire que l'activité projetée de substitution reste totalement incompatible avec le caractère bourgeois de l'immeuble au regard des nuisances inhérentes à ce type de destination
- leur allouer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- mettre les entiers dépens à la charge de M. SANCHEZ.
Elles font remarquer que le jugement déféré est inapplicable en fait dès lors que le local n'a jamais été équipé d'une quelconque hotte extractive pas plus que de tuyaux d'évacuation, puisqu' était auparavant exploité dans les lieux un fonds d'antiquités puis de vente et réparation de matériel informatique et en droit dès lors que le preneur s'est vu interdire par une clause du bail la possibilité de faire dans les lieux aucun changement de distribution, aucune démolition, construction, aucun percement de murs.
Elles précisent que leur refus n'est pas guidé par la volonté de battre monnaie mais d'assurer à Mme Marcelle DE LAUTAR âgée de 87 ans qui habite au premier étage dont le balcon est situé à 0,60 cm de la partie haute de la voûte du magasin la tranquillité légitime que lui confèrent les dispositions contractuelles.
Elles soutiennent que les deux conditions cumulatives posées par l'article L 145-48 du code de commerce ne sont pas réunies.
Elles affirment l'absence tant de modification de conjoncture économique que des nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution.
Elles indiquent que la médiocrité du chiffre d'affaires n'est pas à rechercher dans le caractère désuet de l'activité du fait de l'évolution commerciale mais dans le manque d'initiative du preneur pour rendre sa vitrine attrayante et dans une ouverture à la clientèle épisodique et non conforme aux usages, les constats d'huissier dressés du 17/12/2007 au 4/02/ 2008 attestant de la fermeture de la boutique à son passage dans l'après-midi.
Elles ajoutent que la demande ne tend pas à voir substituer aux lieu et place d'un commerce inadapté, sans débouchés et qui périclite une activité nouvelle qui correspond aux besoins de la clientèle compte tenu de la densité d'implantation de la branche revendiquée dans le secteur considéré puisque le fonds est déjà entouré dans un rayon de 100/150 m d'une foultitude de commerces alimentaires traditionnels ou sous forme de sandwicheries ou snack brasserie.
Elles prétendent que l'usage envisagé est incompatible avec la nature de l'immeuble occupé à titre bourgeois, d'autant que la création d'un point de restauration induit rapidement l'installation de façon sauvage de tables et chaises le transformant en véritable restauration .
M. Robert SANCHEZ conclut à la confirmation du jugement déféré avec octroi de la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que l'ensemble des conditions posées par l'article L 145-48 du code de commerce à la déspécialisation plénière sont réunies.
Il estime que son activité a perdu, en raison de l'évolution commerciale, tout impact sur la clientèle et ne peut plus permettre une exploitation rentable des locaux puisqu'il vend des rideaux confectionnés sur mesure, produits haut de gamme largement concurrencés de nos jours par les rideaux prêts à poser vendus en grande surface, que le secteur de la vente des voilages et tissus d'ameublement connaît une crise importante , que de nombreuses enseignes ont fermé au centre ville de Toulouse en l'espace de trois ans, que celles qui conservent une activité de confection sur mesure de rideaux (hors franchisés et enseignes générales) et qui sont pour la plupart situées en centre ville exercent également une activité de décoration d'intérieur ou de tapissier ou de vente de linge de maison.
Il précise que l'intérêt présenté par son emplacement était de permettre à la clientèle de se garer devant la boutique, mais que les places de stationnement ont été supprimées avec le changement de configuration de la place avec l'arrivée du métro
Il souligne que son chiffre d'affaires est en baisse constante depuis 2002, qu'âgé de 51 ans il ne peut prendre la retraite.
Il indique souhaiter ouvrir une sandwicherie, viennoiserie, pâtisserie à emporter avec dépôt de pain qui ne comportera aucune consommation sur place ni travail de nuit, que ce type de restauration en plein développement correspond à un mode d'alimentation rapide et bon marché et vise une clientèle piétonnière apportée par la station de métro dont la sortie se trouve en face de la boutique, dans un quartier en pleine expansion avec de nombreuses résidences en construction.
Il affirme qu'il n'existe pas sur la place de commerce comparable et que le local loué est parfaitement adapté eu égard à sa superficie de 50 m², aux faibles coûts d'investissement et besoins en fonds de roulement.
Il fait remarquer que la vitrine actuelle est parfaitement décorée avec goût et que les constats d'huissier ont était faits pendant les jours ou heures de fermeture.
Il prétend que la nouvelle activité est compatible avec la destination, le caractère et la situation de l'immeuble puisque la fabrication des produits ne se fera pas sur le site, le commerce n'étant qu'un simple point de vente, qu'il n'y aura pas davantage de consommation sur place, que l'installation de chaises et tables sur la place est interdite, que la quasi totalitédes rez-de- chaussée des immeubles de la place est occupée par des commerces, que le conduit d'extraction existe déjà, ce qui permettra l'installation et l'usage d'une hotte de sorte que l'augmentation des nuisances ne peut être valablement invoquée.
Il souligne que si la façade est ancienne, l'immeuble est vétuste, et divisé en nombreux appartements loués à des étudiants.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la déspécialisation
Vu l'article L 145-48 du code de commerce .
L'activité exercée par M. Robert SANCHEZ en vertu du bail est devenue insuffisamment rentable car elle ne correspond plus aux besoins de la clientèle et aux modes d'exploitation en cours.
L'examen des éléments de comptabilité versés aux débats (liasses fiscales) atteste d'une baisse constante du chiffre d'affaires qui a diminué de près de moitié sur 5 ans de 2002 à 2005 sans pouvoir être imputée au comportement du preneur.
Aucun élément de la cause ne permet, en effet, de dire que M. Robert SANCHEZ n'exploite pas normalement les lieux.
Sa vitrine est correctement présentée au vu des photos produites et, notamment, de celles figurant au constat d'huissier dressé de décembre 2007 à février 2008 à la requête des bailleurs.
Cet acte destiné à établir la fermeture fréquente du magasin est dépourvu de toute valeur probante relativement à un prétendu 'mode d'exploitation inhabituel au regard des usages', dès lors que cet officier ministériel est passé soit le lundi (17/12/2007, 24 /12/2007, 7/01/ 2008 , 14/01/ 2008 , 21/01/ 2008 , 28/01/ 2008 , 4/02/ 2008 ) qui est le jour de fermeture hebdomadaire pour les déplacements à domicile avec prises de mesure chez le client, livraison et pose, soit aux environs de 14 heures (jeudi 3/01/ 2008 , vendredi 4/01/ 2008 , mardi 8/01/ 2008 , vendredi 18/01/ 2008 , vendredi 1/02/ 2008 ) alors que les horaires d'ouverture sont de 10 H à 13 H et de 15 H à 19 H.
Au surplus, ce constat est très récent alors que la demande de déspécialisation remonte à janvier 2005 et qu'aucun élément objectif ne vient contredire les précisions données par le preneur dans ses conclusions sur l'ouverture du magasin à la clientèle.
Ce manque de rentabilité est lié à la crise de ce secteur de la vente de voilages et tissus d'ameublement, notamment sur mesure
De nombreux grossistes et grands éditeurs ont disparu.
Une dizaine d'enseignes de vente ont fermé sur la ville depuis trois ans dont certaines étaient des maisons implantées depuis longtemps au plan local voire national.
Toutes ces références de magasins sont précisément énumérées aux pages 4 et 5 des conclusions du preneur et non démenties.
L'activité autorisée par le bail ne correspond plus aux besoins de la clientèle et aux modes d'exploitation en cours, tournés vers le prêt à poser vendu en grande surface.
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En cause d'appel, la nouvelle activité envisagée est uniquement 'la vente de produits alimentaires, restauration rapide à emporter, point chaud, vente de pain, pâtisseries, viennoiseries, sandwiches de jour exclusivement, sans possibilité de consommation sur place'.
La demande initiale d'un bail 'tous commerces' est aujourd'hui abandonnée puisque le preneur conclut à la confirmation du jugement qui a écarté une telle extension.
Ce choix apparaît pertinent au regard des nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution.
La place LAFOURCADE où se situe le commerce est en pleine mutation depuis l'ouverture en juin 2007 de la ligne B du métro, après plusieurs années de travaux.
Elle est désormais aménagée de part et d'autre de la double voie de circulation centrale, en une vaste esplanade réservée à la circulation piétonnière.
La nouvelle activité est de nature à capter particulièrement l'afflux de passants à la sortie du métro, dont l'escalier et l'ascenseur sont situés juste en face le magasin, voire attirer une clientèle moins occasionnelle dans ce quartier animé à proximité de plusieurs administrations et clinique.
Ce type de restauration rapide et bon marché, en plein essor, est encore peu installé dans ce secteur géographique qui accueille essentiellement des bars/brasseries, restaurants traditionnels ou spécialisés avec consommation sur place.
Et la faible superficie du local (55 m² environ) est une réelle contrainte qui limite les facultés de changement.
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Cette nécessité de transformer l'activité exercée apparaît, également, compatible avec la destination de l'immeuble, ses caractères et sa situation.
Tous les rez-de-chaussée des immeubles situés de ce côté de la place sont occupés par des commerces variés.
L'immeuble appartenant aux consorts DE LAUTAR ne révèle aucune particularité architecturale ou autre par rapport aux constructions voisines ; la configuration des lieux ne permet pas de considérer que les conditions de vie des occupants seraient nécessairement perturbées par la nouvelle activité.
L'accès au magasin se fait uniquement à partir de la place, sans passage de clientèle par les parties communes (couloir, cour intérieure....).
Aucune nuisance sonore n'est véritablement à craindre s'agissant d'un commerce exercé exclusivement de jour, sans consommation sur place, toutes conditions proposées et acceptées par M. Robert SANCHEZ lui-même.
L'exercice de cette activité n'est pas davantage de nature à créer des nuisances olfactives disproportionnées, le local n'étant qu'un point de vente sans fabrication sur place et comportant déjà un conduit d'extraction suivant photographie versée aux débats.
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Le jugement déféré qui a accordé la déspécialisation plénière en précisant les limites de l'activité ainsi autorisée sera donc confirmé.
Sur les demandes annexes
Les consorts DE LAUTAR qui succombent supporteront donc la charge des dépens de première instance et d'appel ; ils ne peuvent, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande de rejeter la demande présentée à ce même titre en cause d'appel par M. Robert SANCHEZ qui bénéficie de l'aide juridictionnelle totale devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Confirme le jugement déféré.
hormis sur les dépens
Statuant à nouveau sur ce seul point et y ajoutant,
- Condamne solidairement Mme Marcelle DE LAUTAR et Mme Marie-Françoise DE LAUTAR aux entiers dépens de première instance et d'appel.
- Dit qu'ils seront recouvrés, pour ceux d'appel, comme en matière d'aide juridictionnelle.
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties en cause d'appel.