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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 18 avril 2017, n° 14/07441

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Seiitra (SAS), Seiitra Développement (SAS), Seiitra Réseau (SAS), Foncia Groupe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

M. Leplat, M. Ardisson

Avocats :

Me Montiel, Me Duflos, Me Dumeau, Me Dinety

T. com. Nanterre, 2e ch., du 25 sept. 20…

25 septembre 2014

EXPOSÉ DU LITIGE

Yves T. était, depuis le 1er novembre 2006, président de la société par actions simplifiée Seii, ultérieurement dénommée Seiitra Développement, depuis le 8 novembre 2006, président de la société par actions simplifiée Citra, ultérieurement dénommée Seiitra Réseau et, depuis le 1er janvier 2008, président de la société par actions simplifiée Seiitra.

Ces sociétés ont pour associé unique la société anonyme Foncia Groupe.

Par courriel du 17 juin 2013, Olivier F., directeur général de la société Foncia Groupe, a convié Yves T. à un entretien devant avoir lieu le 24 juin 2013. Au cours de l'entretien, qui a finalement eu lieu le 25 juin 2013, le représentant de Foncia Groupe a fait part à Yves T. de difficultés provoquées par sa gestion et, à son issue, il a été révoqué de tous ses mandats de président par décision de l'associé unique.

C'est dans ces circonstances que, par actes d'huissier du 30 août 2013, Yves T. a fait assigner la société Foncia Groupe, la société Seiitra, la société Seiitra Développement et la société Seiitra Réseau devant le tribunal de commerce de Nanterre, lui demandant de :

- Dire M. Yves T. recevable et bien fondé en ses demandes,

- Condamner en conséquence, in solidum, les sociétés Foncia Groupe, Seiitra, Seiitra Réseau et Seiitra Développement à verser à M. T. :

- la somme de 720.000 euros, nette de toutes charges sociales, de CSG et de CRDS, à titre de dommages intérêts en réparation de ses préjudices professionnels et moraux suite à sa révocation brutale et vexatoire et à la violation du principe du contradictoire,

Et, à titre principal :

- la somme de 1.419.240 euros à titre de dommages intérêts en réparation de ses préjudices financiers, dont :

- perte de salaire 315.000 euros

- perte de retraite 581.820 euros

- perte de réversion 184.608 euros

- préjudices familiaux 213.392 euros

- perte d'avantages 124.439 euros

ou, à titre subsidiaire :

- une rémunération de 15.000 euros bruts mensuels à compter du 25 juin 2013, jour de sa révocation, jusqu'au jour où il bénéficiera d'une retraite à taux plein, soit jusqu'au 31 décembre 2017, cette rémunération devant être augmentée chaque année au 1er janvier du même taux que le taux moyen d'augmentation des salaires au sein du groupe FONCIA,

Et, en tout état de cause :

- la somme de 15.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, toutes les condamnations pécuniaires étant assorties des intérêts de droit à compter du 25 juin 2013 avec anatocisme,

et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Par jugement entrepris du 25 septembre 2014 le tribunal de commerce de Nanterre a :

Mis hors de cause la société Foncia Groupe,

Dit que la révocation de Monsieur Yves T. n'était pas intervenue dans des conditions brutales ou vexatoires et sans respect du contradictoire,

Débouté Monsieur Yves T. de ses demandes de dommages et intérêts,

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

Condamné Monsieur Yves T. aux dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 14 octobre 2014 par Yves T. ;

Vu les dernières écritures signifiées le 15 juin 2016 par lesquelles Yves T. demande à la cour de :

INFIRMER la décision entreprise ;

DIRE Monsieur T. recevable et bien fondé en toutes ses demandes

CONDAMNER en conséquence, in solidum, les sociétés Foncia Groupe, Seiitra, Seiitra Réseau et Seiitra Développement à verser à Monsieur T.:

- La somme de 720.000 euros, nette de toutes charges sociales, de CSG et de CRDS, à titre dommages intérêts pour abus du droit de révocation par violation du principe de la contradiction, non-respect des droits de la défense et révocation brutale et vexatoire.

- A titre dommages intérêts compensatoires en réparation de ses préjudices subis, à titre principal, la somme de 1.419.240 euros et à titre subsidiaire, la somme de 1.215.954 euros.

- La somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive au titre de ce remboursement des actions gratuites.

- La somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédés dilatoires et de mauvaise foi des intimées dans le cadre de la procédure d'appel.

- La somme de 20.000 euros au visa de l'article 700 du Code de procédure civile.

Toutes les condamnations pécuniaires étant assorties des intérêts de droit à compter du 25 juin 2013 avec anatocisme.

Vu les dernières écritures signifiées le 7 décembre 2016 au terme desquelles la société Groupe Foncia, la société Seiitra, la société Seiitra Développement et la société Seiitra Réseau demandent à la cour de :

Vu l'article L.227-5 du Code de Commerce,

Vu l'article 1382 du Code Civil,

Vu les articles 32-1 et 566 du Code de Procédure Civile,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 25 septembre 2014 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

Mettre hors de cause la société Foncia Groupe et Débouter Monsieur Yves T. de toutes demandes formées à l'encontre de celles-ci ;

Constater que Monsieur Yves T., en sa qualité de Président des sociétés Seiitra Développement SAS, Seiitra Réseau SAS et Seiitra SAS était révocable «ad nutum» ;

Dire et Juger que les conditions entourant la révocation de Monsieur Yves T. ne sont pas abusives ;

En conséquence,

Débouter Monsieur Yves T. de l'ensemble de ses demandes.

En tout état de cause :

Dire et Juger irrecevables pour être présentées pour la première fois en cause d'appel les demandes de Monsieur Yves T. tendant à voir condamner in solidum les sociétés Foncia Groupe, Seiitra, Seiitra Réseau et Seiitra Développement à lui verser :

o 27.575 euros à titre de remboursement des actions gratuites, outre intérêts de droit à compter du 30 avril 2014 ;

o 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au titre de ce remboursement des actions gratuites.

Débouter Monsieur Yves T. de sa demande tendant à voir condamner in solidum les sociétés Foncia Groupe, Seiitra, Seiitra Réseau et Seiitra Développement, à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts pour de prétendus procédés dilatoires dans le cadre de la présente procédure d'appel ;

Dire et Juger que Monsieur Yves T. a agi de façon particulièrement abusive et dilatoire ;

Condamner Monsieur Yves T. à payer à chacune des sociétés concluantes la somme de 1 euro symbolique au titre pour demandes abusives et dilatoires ;

Condamner Monsieur Yves T. à payer à chacune des sociétés concluantes la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner Monsieur Yves T. aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la révocation d'Yves T. de ses mandats :

Yves T. estime abusive sa révocation de ses mandats de président des sociétés Seiitra Développement, Seiitra Réseau et Seiitra, qu'il estime être intervenue en violation du principe de la contradiction et des droits de la défense et avoir revêtu un caractère brutal et vexatoire.

Tout en reconnaissant un droit de ces sociétés à le révoquer ad nutum, il entend cependant demander l'indemnisation des préjudices qui résultent, selon lui, d'un abus de ce droit.

S'agissant du respect du principe de la contradiction, Yves T. fait grief aux sociétés intimées de ne pas l'avoir préalablement informé de ce projet de révocation et des motifs qui y présidaient afin de lui permettre de pouvoir présenter ses observations, dans un contexte qui ne permettait pas d'envisager une telle décision.

En ce qui concerne le non-respect des droits de la défense, il soutient ne pas avoir pu exprimer son point de vue, puisqu'en tout état de cause, la décision avait été prise avant l'entretien qu'il a eu avec le directeur général de la société Foncia Groupe, laquelle, en sa qualité d'associé unique, engage sa responsabilité à son égard.

Enfin, Yves T. estime que ces révocations ont revêtu un caractère brutal et vexatoire, puisqu’elles lui ont été signifiées immédiatement et qu'il a disposé d'à peine vingt-quatre heures pour restituer le véhicule et les matériels mis à sa disposition, ainsi que les documents appartenant aux entreprises, son successeur, déjà nommé, prenant ses fonctions dès le lendemain.

Il ajoute que cette brutalité et le caractère déshonorant de ces révocations ressort également des nombreuses attestations qu'il met aux débats.

La société Foncia Groupe et ses filiales demandent, en tout premier lieu, la mise hors de cause de la société Foncia Groupe, certes associée unique des ces trois filiales, mais dans laquelle Yves T. n'exerçait aucun mandat.

Sur le respect du principe de la contradiction, ces sociétés font valoir que le courriel qui a été adressé à Yves T. le 17 juin 2013 était parfaitement explicite, que les difficultés qu'il évoque n'étaient pas nouvelles et qu'il a, en outre, été suivi d'une conversation téléphonique le 24 juin 2013, l'intéressé n'ayant pris connaissance que tardivement de ce message.

Les intimées affirment encore que Yves T. a pu être entendu, avant et pendant l'entretien du 25 juin 2013 et qu'ainsi son droit de se défendre a été respecté.

Elles estiment, enfin, que le caractère brutal de ces révocations ne saurait résulter du témoignage d'interlocuteurs internes ou externes, ni du propre ressenti d'Yves T. et qu'aucun acte vexatoire ne les a accompagnées, le courriel d'information du personnel, qui a été adressé le 28 juin 2013 étant empreint de délicatesse à l'égard d'Yves T., présentant son bilan de façon favorable.

Les statuts des sociétés Seiitra Développement, Seiitra Réseau et Seiitra stipulent tous, en leur article 8 3° que : (...) Le président peut être révoqué à tout moment, sans indemnité, par décision de l'associé unique. La révocation n'a pas à être motivée.

Sur le respect du principe de la contradiction et le respect des droits de la défense, il ressort des pièces versées aux débats, que par courriel du 17 juin 2013, qui porte en objet : RV le 24 juin, Olivier F., directeur général de la société anonyme Foncia Groupe, a convié Yves T. à un entretien en ces termes : Yves, Je souhaiterais m'entretenir avec vous de la gestion des Sociétés SEIITRA, SEIITRA DÉVELOPPEMENT et SEIITRA RÉSEAU et des difficultés, maintes fois évoquées, que nous rencontrons. Aussi je vous prie de bien vouloir venir me voir le lundi 24 juin prochain à 9 heures au siège à Antony (92160) 13, avenue Lebrun. Je vous remercie de bien vouloir me confirmer votre présence par retour de mail. (...) ;

Que dans un précédent courriel du 15 mars 2013, faisant suite à un courriel du 11 mars 2013 annonçant un ordre du jour de réunion portant sur la gouvernance de la société Seiitra, Olivier F. écrit à Yves T. et Philippe T. : Yves, Philippe, Je fais suite à notre réunion d'hier matin et tiens à vous remercier pour la franchise de vos échanges, virils parfois, mais qui marquent le changement de mode de relation entre SEIITRA et FONCIA dans le sens d'une réelle collaboration constructive. Je tiens à ce que cette collaboration soit transparente et exempte de non-dits. Je vous confirme les principaux termes de notre entretien : (...), ce qui, selon les intimées, traduit en termes diplomatiques les difficultés rencontrées par l'associé unique avec le dirigeant des filiales à propos de leur gestion ;

Que, le courriel du 17 juin 2013 étant resté sans réponse de la part d'Yves T., il a fait l'objet d'une relance par courriel du 20 juin 2013, dans lequel Olivier F. lui disait : Je m'étonne de ne pas avoir eu confirmation de votre présence lundi prochain. Merci de votre retour (...).

Il s'en déduit qu'alors qu'Olivier F. demandait, dans son courriel du lundi 17 juin 2013, une réponse par retour de mail à Yves T., celui-ci a, sans raison invoquée, attendu le lundi 24 juin 2013, jour théorique du rendez-vous, pour avoir un entretien téléphonique avec son interlocuteur auquel il a eu tout loisir de demander des précisions quant au contenu de l'entretien, dont il était informé qu'il était relatif aux difficultés rencontrées dans la gestion des sociétés Seiitra Développement, Seiitra Réseau et Seiitra qu'il présidait et, qu'en tout état de cause, il a pu, le lendemain, 25 juin 2013, lors de la tenue de cet entretien reporté, formuler toutes observations nécessaires, de sorte que le principe de la contradiction n'apparaît pas avoir été violé en l'espèce, pas plus que ne l'ont été les droits de la défense.

Sur les circonstances de la révocation, la décision a certes été immédiate, comme les statuts des sociétés qu'il présidait en prévoient la possibilité, mais Yves T. a néanmoins été avisé de difficultés dans leur gestion, nécessitant un entretien rapide et il a cependant attendu une semaine pour réagir à cette demande ; en outre, la communication qui a été faite aux personnels, par courriel du 28 juin 2013, n'évoque pas la révocation d'Yves T., mais son départ, et son rédacteur, nouveau président de la société Seiitra, Didier Roy, le remercie pour l'impulsion qu'il a su donner à Seiitra, ajoutant que son travail a permis de bâtir un socle solide sur lequel l'entreprise pourra s'appuyer pour poursuivre et accélérer son développement et ses offres, éloge qui n'a ne peut sérieusement être qualifié de vexatoire.

La cour confirmera donc le jugement qui a écarté l'abus de droit lors de la révocation de Yves T. de ses fonctions de président des sociétés Seiitra Développement, Seiitra Réseau et Seiitra et l'a débouté subséquemment des demandes de dommages et intérêts qu'il a formé au titre des préjudices qu'il aurait ainsi subis.

Sur la mise hors de cause de la société anonyme Foncia Groupe :

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a estimé que nulle faute n'était démontrée à l'encontre de la société anonyme Foncia Groupe, qui était associé unique des trois filiales dont Yves T. était le président, mais au sein de laquelle, celui-ci n'exerçait aucun mandat et a mis cette société hors de cause.

Sur les dommages et intérêts sollicités pour résistance abusive :

En cause d'appel, Yves T. forme une demande de condamnation in solidum des intimées à lui payer 5.000 euros de dommages et intérêts pour une résistance abusive au titre du remboursement d'actions gratuites, demande à laquelle celles-ci lui opposent justement un caractère nouveau, au sens des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.

Cette demande sera jugée irrecevable devant la cour.

Sur les dommages et intérêts pour procédés dilatoires :

Yves T. estime que le conseil des intimées a retardé le cours de la procédure d'appel en sollicitant communication de la jurisprudence citée.

Le principe d'égalité des armes ne permet cependant pas de qualifier de fautive la demande faite à son adversaire de lui communiquer la référence de publication des jurisprudences qu'il cite, afin de lui permettre d'en prendre connaissance et de les critiquer.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur le caractère abusif de la procédure :

La société Foncia Groupe et ses filiales forment une demande indemnitaire à hauteur d'un euro chacune à l'encontre de Yves T. pour procédure abusive.

L'article 32-1 du code de procédure civile édicte que : Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3.000 euros, sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés.

Le droit d'ester en justice ne trouve sa limite que dans l'abus fait de celui ci, avec malice, mauvaise foi ou bien lorsqu'il résulte d'une erreur équipollente au dol.

En l'espèce, la société Foncia Groupe et ses filiales ne caractérisent pas de la part d'Yves T., qui a pu se méprendre sur l'étendue de ses droits à être indemnisé d'une révocation qu'il a estimé être brutale et vexatoire et être intervenue en violation de principes procéduraux essentiels, des agissements constitutifs d'un abus de droit.

Cette demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il est équitable d'allouer à la société Seiitra Développement la société Seiitra Réseau et la société Seiitra, chacune, une indemnité de procédure de 1.000 euros. Yves T., qui succombe, sera, en revanche, débouté de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris du tribunal de commerce de Nanterre du 25 septembre 2014 en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable comme étant nouvelle la demande formée par Yves T. à l'encontre de la société par actions simplifiée Seiitra Développement, de la société par actions simplifiée Seiitra Réseau, de la société par actions simplifiée Seiitra et de la société Foncia Groupe de condamnation in solidum à lui payer 5.000 euros de dommages et intérêts pour une résistance abusive au titre du remboursement d'actions gratuites,

REJETTE toutes autres demandes,

CONDAMNE Yves T. à payer à la société par actions simplifiée Seiitra Développement, la société par actions simplifiée Seiitra Réseau et la société par actions simplifiée Seiitra, chacune, la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Yves T. aux dépens d'appel.