CA Paris, 1re ch., 22 février 1990, n° 89/008692
PARIS
Arrêt
La Cour statue sur l'appel formé par la société JACOMINO à l'encontre d'un jugement rendu le 31 janvier 1989 par la 18ème chambre du tribunal de grande instance de PARIS.
Le litige oppose la société JACOMINO et Mesdames PERREAU en leurs qualités respectives de locataire et de propriétaires d'un local à usage commercial, sis à 75006 PARIS, 51 rue du Four.
Le différend concerne la despécialisation plénière du local et la substitution au commerce de “teinturerie - pressing“ contractuellement prévu, de celui de “prêt à porter - chaussures“
Le Tribunal dans sa décision déférée a estimé que la nouvelle activité proposée ne correspondait pas à un besoin économique et qu'au contraire le quartier encore très habité bourgeoisement ne pouvait que bénéficier de la présence d'un commerce de “teinturerie-pressing“.
Il a en conséquence rejeté la demande de la S.A.R.L. preneuse en estimant justifié le refus apposé par les bailleresses à la demande de despécialisation.
Appelante la société JACOMINO prie la Cour de réformer cette décision, d'autoriser la transformation sollicitée et de condamner les intimées à lui payer 20.000 francs à titre de dommages et intérêts et 10.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle soutient que l'évolution de la conjoncture économique a entraîné la spécialisation de la rue du Four, dans les commerces du prêt à porter et de la chaussure, que le nombre de “pressing - laverie“ a diminué considérablement dans le quartier depuis la signature du bail (1953) et que le périmètre autour de chaque établissement de cette nature peut s'étendre sans qu'il en résulte une gêne pour les usagers.
Elle prétend que de toute manière la gêne que pourrait entraîner la fermeture du pressing est sans commune mesure avec l'amélioration qui en résulterait pour les locaux eux-mêmes et la plus value considérable qu'en tirerait l'ensemble de l'immeuble.
Mesdames PERREAU, intimées, concluent à la confirmation de la décision déférée, au rejet de toutes les demandes de la société JACOMINO et à la condamnation de celle-ci à leur payer au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elles sollicitent essentiellement que la société appelante ne remplit aucune des deux conditions cumulatives exigées par la loi, pour justifier la despécialisation plénière qu'elle sollicite.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR:
CONSIDÉRANT que la société JACOMINO ne fait que reprendre devant la Cour sans justifications complémentaires utiles les moyens qu'elle avait déjà soumis aux premiers juges et auxquels ceux-ci exactement répondu par des motifs que la Cour adopte;
Qu'en effet l'exercice d'activités nouvelles et différentes doit être apprécié en fonction de la conjoncture économique et des nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution;
Que la société JACOMINO ne démontre pas, ainsi qu'elle en a la charge, que compte tenu de ces deux critères, l'activité de “teinturerie-pressing“ qu'elle exerce actuellement est inadaptée et que l'activité nouvelle de “prêt à porter-chaussures“ qu'elle souhaite exercer s'impose;
qu'il est au contraire certain que l'activité prévue par le bail est parfaitement rentable et que son maintien présente un intérêt pour la clientèle locale, ce qui est démontré par l'importance du prix de cession du fonds de commerce (un million cent mille francs) et par l'augmentation très sensible du chiffre d'affaires au cours des trois derniers exercices;
CONSIDÉRANT qu'il est encore établi que la transformation envisagée n'apporterait pas une amélioration de la distribution dans un quartier où la grande abondance des magasins de prêt à porter et de chaussures satisfait déjà aux besoins des consommateurs;
Qu'il doit être rappelé que la despécialisation ne peut permettre de changer la nature d'un commerce normalement rentable pour un commerce dont les bénéfices escomptés seront plus substantiels afin de réaliser une opération spéculative;
Qu'encore comme le font justement observer les intimées, l'appréciation des critères légaux ne repose pas sur l'intérêt que présenterait la modification des activités autorisées, au regard de l'immeuble lui-même;
Qu'ainsi c'est à tort que la société appelante invoque la plus-value que la transformation envisagée pourrait conférer, tant au fonds de commerce qu'à l'immeuble lui-même;
Qu'aucune des deux conditions cumulatives exigées par la loi n'étant réunies en l'espèce, c'est à bon droit que les premiers juges, dont la décision sera confirmée, ont rejeté la demande de despécialisation plénière formée par la société JACOMINO;
CONSIDÉRANT que cette société qui succombe et sera condamnée aux dépens ne peut prétendre ni à des dommages-intérêts ni au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
CONSIDÉRANT enfin que l'équité commande de faire application de cet article au profit des intimées et de condamner la société JACOMINO à leur payer de ce chef une somme de 4.000 francs qui s'ajoutera à celle déjà allouée de ce chef par les premiers juges;
Par ces motifs:
Confirme dans toutes ses dispositions la décision déférée;
Y ajoutant;
Condamne la société JACOMINO à payer à Mesdames PERREAU une somme de 4.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Rejette les demandes contraires à la motivation ci-dessus retenue;
Condamne la société JACOMINO aux dépens de l'appel et admet Me VALDELIEVRE, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.