CA Bordeaux, ch. com., 12 octobre 2022, n° 20/00567
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Noergie (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pignon
Conseillers :
Mme Fabry, Mme Goumilloux
Avocats :
Me Wickers, Me Rollin, Me Leconte, Me Raymond
EXPOSE DU LITIGE :
La société Noérgie, a été créée en 2010 par Mme [I], alors associée unique.
Elle a pour activité la recherche, la conception, le développement et la commercialisation de tous produits alimentaires, ainsi que le conseil aux entreprises en matière agro-alimentaire. Elle a développé une gamme de produits de laits infantiles via la marque Premi et ses marques dérivées dont elle est propriétaire.
Suite à la cession de ses parts par Mme [I], M. [N], est devenu actionnaire majoritaire de la société par actions simplifiée Noérgie, et détenait jusqu'au 16 mars 2018, 71,7% du capital (soit 717 actions). Il en était également salarié.
La société [Y] [L], dont l'activité selon son Kbis est 'la prise de participation dans les entreprises de fabrication de produits alimentaires et toutes prestations d'entreposage et de gestion de stocks pour le compte d'autres sociétés', détenait pour sa part 18,2% du capital de la société Noérgie.
Les autres actionnaires, M. [A], Mme [C], Mme [U], M. [U], et Mme [I], détenaient chacun entre 0,1% et 4,5% du capital.
La société Noérgie a conclu un contrat de distribution et de licence exclusive de marque le 27 juillet 2010 avec la société [Y] [L] aux termes duquel celle-ci s'est engagée à assurer la distribution des produits de la gamme PremiBio développés par la société Noérgie. En février 2018, la société Noergie a résilié ce contrat de distribution à effet au 14 février 2019. La société [Y] [L] a immédiatement contesté cette résiliation. Elle a également proposé d'acquérir certaines marques de laits infantiles détenues par la société Noérgie.
Le 16 mars 2018, le Président de la société Noérgie, M. [A], invoquant une nécessité de restructuration en lien avec l'affaire 'Lactalis' concurrent de la marque, a convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception, l'ensemble des associés de la société Noergie, dont la société [Y] [L], à une assemblée générale fixée au 31 mars 2018 à l'effet de délibérer sur l'agrément de l'apport des titres de M. [N] et de M. [A] à la société [X] conseils, sur la renonciation au formalisme de l'article 11.3 des statuts relatif à la procédure d'agrément et sur 'l'identification des titulaires des marques « Premi» et éventuels transferts des marques notamment « Vegan».'
Par courrier du 29 mars 2018, la société [Y] [L] a fait part à la société Noérgie de ses interrogations au sujet de l'ordre du jour de l'assemblée générale et notamment, au sujet de la licité de la 'renonciation au formalisme de l'article 11.3 ' et au transfert des marques « Premi » au profit de la société [X] conseils. Elle a indiqué que cette assemblée générale lui semblait précipitée et ce compte tenu notamment de discussions en cours sur une éventuelle reprise par elle-même de l'activité de la société Noergie.
Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2018 à laquelle la société [Y] [L] ne s'est pas présentée, les associés présents ou représentés ont adopté l'ensemble des résolutions inscrites à l'ordre du jour, à l'exception de celle à un éventuel transfert des marques qui n'a pas été soumise au vote, et notamment :
- l'agrément de l'apport des titres de M. [N] et de M. [A] [T] au profit de la société [X] conseils ;
- la renonciation au formalisme énoncé à l'article 11.3 des statuts de la société Noérgie ;
- l'agrément en qualité de nouvel associé la société [X] conseils.
Par acte d'huissier du 31 mai 2018 , la société [Y] [L] a assigné M. [A], M. [N], la société Noergie et la société [X] conseils devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins qu'il 'dise et juge que le vote des apports des actions de M. [A] et M. [N] au profit de la société [X] conseils et le vote du pouvoir au président pour le transfert des marques de Noergie au profit de la société [X] conseils, ont été réalisés en fraude des dispositions statutaires et constituent un abus de majorité' et prononce la nullité des première, deuxième et troisième résolution de l'assemblée générale du 31 mars 2018, des assemblées générales suivantes auxquelles la société [X] Conseil a participé sans avoir la qualité d'associée et prononce la nullité des apports d'action de M [N] et M. [A] à la société [X] conseil.
Par jugement contradictoire du 6 décembre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la société [Y] [L] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société [Y] [L] à payer à la société Noergie SAS, à la société [X] conseils, à Monsieur [T] [A] et à Monsieur [O] [N] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) à chacun, au motif de l'abus de droit à agir,
- débouté la société Noergie, la société [X] conseils, Monsieur [T] [A] et Monsieur [O] [N] du surplus de leurs demandes,
- condamné la société [Y] [L] à payer à la société Noergie, à la société [X] conseils, à Monsieur [T] [A] et à Monsieur [O] [N] la somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [Y] [L] aux dépens.
Par déclaration du 3 février 2020, la société [Y] [L] a interjeté appel de cette décision énumérant expressément les chefs critiqués et intimant M. [A], M. [N] et les sociétés [X] conseils et Noergie.
***
Parallèlement à cette procédure, la société [Y] [L] a également assigné la société Noergie en référé en septembre 2018 devant le Président du tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'ordonner une expertise de gestion dans les conditions de l'article L225-231 du Code de commerce au motif qu'elle avait constaté une explosion du poste de rémunération de M. [N].
Par ordonnance de référé du 4 décembre 2018, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux modifiant cependant le libellé de la mission de l'expert, le Président du tribunal de commerce de Bordeaux a désigné un expert en la personne de M. [W], avec pour mission d'émettre un rapport sur les opérations de gestion de la société Noergie, contestées par la société [Y] [L].
La société [Y] [L] a également assigné la société Noérgie en réparation du préjudice que lui a causé selon elle la société Noérgie en résiliant abusivement son contrat de distribution. Par décision du 20 avril 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux, a :
- débouté la société [Y] [L] de sa demande de dommages-intérêts à l'encontre de la société Noergie en réparation des pertes subies par elle de 2015 à 2018 du fait des difficultés d'approvisionnement,
- dit que le contrat de distribution liant la société [Y] [L] à la société Noérgie a été abusivement résilié par cette dernière et qu'en conséquence elle devra dédommager la société [Y] [L] du préjudice subi de ce fait,
- débouté la société [Y] [L] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 11'055'556 euros fondée sur la réclamation de la société La Finestra Sul Cielo au titre de la résiliation du contrat,
- désigné un expert afin notamment de donner au tribunal tous les éléments lui permettant d'évaluer le préjudice subi par la société [Y] [L] du fait de la résiliation du contrat avec la société Noergie et l'arrêt de la fabrication par la société ULVV.
Par déclaration du 23 juin 2020, la société [Y] [L] a interjeté appel à l'encontre de cette décision, la procédure et actuellement pendante devant la cour d'appel de Bordeaux.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 8 août 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société [Y] [L] demande à la cour, au visa des articles 227-15 du code de commerce, 1134, 1382, 1844 et 1240 du code civil :
- recevoir la société [Y] [L] en son appel ;
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 6 décembre 2019 en ce qu'il a débouté la société [Y] [L] de l'ensemble de ses demandes,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce en ce qu'il a condamné [Y] [L], pour abus du droit d'agir, à verser à chacun des intimés la somme de 3 000 euros,
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce en ce qu'il a condamné [Y] [L] aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce en ce qu'il a débouté Noergie, [X] conseil et Messieurs [A] et [N] du surplus de leurs demandes,
- statuant à nouveau :
- dire et juger que les apports des titres de la société Noergie à [X] conseils par Messieurs [A] et [N] ont été réalisés en contradiction avec la procédure d'agrément prévue par les statuts de Noergie,
- dire et juger que les tentatives des associés majoritaires pour couvrir à posteriori le vice qui affectait les deux opérations d'apport à ce titre sont de nul effet,
- en conséquence :
- sur le fondement de l'article L.227-15 du Tribunal de commerce :
- déclarer nul l'apport à [X] Conseils par Monsieur [T] [A] des 10 actions de la société Noergie,
- déclarer nul l'apport à [X] Conseils par Monsieur [O] [N] des 117 actions de la société Noergie,
- ordonner la remise en état des parties avant les opérations d'apport en enjoignant, sous astreinte de 1000euros par jour de retard un mois après la signification de la décision à intervenir, aux sociétés Noergie et [X] Conseils, chacune pour ce qui la concerne, d'effectuer toutes formalités nécessaires auprès du registre du commerce et des sociétés afin que la remise en état soit actée et opposable aux tiers,
- en conséquence de la remise en état des parties, dire et juger que les assemblées générales de Noergie des 19 avril 2018, 18 juin 2018 et 27 juin 2018 sont nulles faute pour les associés apporteurs des titres d'avoir pu y participer,
- en outre :
- dire et juger que les votes émis par les associés majoritaires lors des assemblées générales de Noergie du 31 mars 2018 et 18 juin 2018 sont contraires à l'intérêt social et ne sont justifiés que par l'intérêt personnel des associés majoritaires,
- en conséquence,
- sur le fondement de l'abus de majorité :
- prononcer la nullité des résolutions 1, 2 et 3 de l'assemblée générale du 31 mars 2018,
- prononcer de plus fort la nullité de l'assemblée générale du 18 juin 2018,
- prononcer de plus fort la nullité des assemblées générales Noergie des 19 avril 2018, 18 juin 2018 et 27 juin 2018,
- en outre :
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans (i) un journal d'annonce légale du département du siège social de chaque société et (ii) au registre du Commerce et des Sociétés de chaque société, le tout aux frais, conjointement et solidairement, de Messieurs [N] et [A], la société Noergie et la société [X] conseil,
- en tout état de cause :
- condamner conjointement et solidairement Messieurs [N] et [A], la société Noergie et la société [X] conseil à verser à [Y] [L] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner conjointement et solidairement Messieurs [N] et [A], la société Noergie et la société [X] conseil aux entiers dépens.
La société [Y] [L] fait tout d'abord valoir que les apports des titres de la société Noérgie, détenus par Messieurs [T] [A] et [O] [N], au profit de la société [X] conseils, sont nuls par application des dispositions de l'article L.227-15 du Code de commerce car ils ont été réalisés sans que la procédure d'agrément stipulée dans les statuts de ladite société ne soit respectée; qu'il n'était pas possible de déroger à ladite procédure d'agrément de manière ponctuelle pour cette seule assemblée générale à dessein de servir les intérêts des associés majoritaires .
L'appelante soutient ensuite encore que les intimés ont commis un abus de majorité ; que la décision adoptée lors de l'assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2018 d'agrément des apports des titres à la société Mélicerte Conseil, est contraire à l'intérêt social de la société Noérgie et a été adoptée dans l'unique dessein de favoriser les intérêts des associés majoritaires, qui souhaitaient transférer les marques détenues par la société Noérgie au sein de leur nouvelle société Mélicerte, au détriment des intérêts des associés minoritaires.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 22 juillet 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [A], M. [N] et les sociétés [X] conseils et Noergie demandent à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 6 décembre 2019 en ce qu'il :
- déboute la société [Y] [L] de l'ensemble de ses demandes,
- condamne la société [Y] [L] à payer aux sociétés Noergie et [X] conseils, Monsieur [T] [A] et Monsieur [O] [N] une indemnité sur fondement de l'abus de droit d'agir,
- condamne la société à payer aux sociétés Noergie et [X] conseils, Monsieur [T] [A] et Monsieur [O] [N] une indemnité au titre des frais exposés, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamne la société [Y] [L] aux entiers dépens,
- en conséquence,
- débouter la société [Y] [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à savoir :
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de nullité des apports des actions appartenant à Messieurs [N] et [A] dans la société Noergie au profit de la société [X] conseils,
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de remise en état des parties avant les opérations d'apport,
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de nullité des résolutions 1, 2 et 3 de l'assemblée générale en date du 31 mars 2018,
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de nullité de l'assemblée générale en date du 18 juin 2018,
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de nullité des assemblées générales de la société Noergie des 19 avril 2018, 18 juin 2018 et 27 juin 2018,
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de publication de l'arrêt à intervenir dans un journal d'annonce légale du département du siège social de chaque société et au registre du commerce et des sociétés de chaque société, le tout aux frais, conjointement et solidairement, de Messieurs [A] et [N], la société Noergie et la société [X] conseils,
- débouter la société [Y] [L] de sa demande de condamnation de Monsieur [O] [N], Monsieur [T] [A], la société Noergie et la société [X] conseils, conjointement et solidairement, à verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civil ainsi qu'aux entiers dépens,
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 6 décembre 2019 en ce qu'il a :
- limité la condamnation de la société [Y] [L] à payer aux sociétés Noergie et [X] Conseils, Monsieur [T] [A] et Monsieur [O] [N] la somme de 3.000 euros chacun au motif de l'abus de droit d'agir,
- débouté les sociétés Noergie et [X] conseils, Monsieur [T] [A] et Monsieur [O] [N] du surplus de leurs demandes,
- en conséquence,
- condamner la société [Y] [L] au paiement de la somme de 10 000 euros au profit de chacun des défendeurs en réparation du préjudice causé par son abus de droit d'agir,
- à titre infiniment subsidiaire,
- vu les articles 1844-13 du code civil et L235-4 du code de commerce, si par extraordinaire, la cour d'appel estimait qu'une nullité serait encourue au motif du non-respect du formalisme de la procédure d'agrément,
- fixer un délai pour couvrir l'éventuelle nullité,
- en tout état de cause,
- condamner la société [Y] [L] au paiement de la somme de 4 000 euros au profit de chacun des défendeurs en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [Y] [L] aux entiers dépens.
M. [A], M. [N] et les sociétés [X] conseils et Noergie font notamment valoir que les apports de titres à la société [X] conseils sont réguliers ; qu'en effet, d'une part, les clauses statutaires ont été respectées et la renonciation ponctuelle au formalisme prévue par les statuts était licite comme l'a jugé le tribunal de commerce; que, d'autre part, il n'y a pas eu d'abus de majorité car les apports réalisés ne sont pas en contrariété avec l'intérêt social de la société Noérgie; qu' il n'y avait aucune volonté de nuire aux associés minoritaires ; qu'en tout état de cause, il conviendrait de faire application des dispositions de l'article L 235-4 du code de commerce permettant à la société Noérgie de couvrir cette nullité; que la procédure intentée revêt un caractère abusif et que l'appelante a la volonté de nuire à la société Noergie en remettant en cause de manière constante sa gestion.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 août 2022 et le dossier a été fixé à l'audience du 5 septembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS :
La société Noérgie est une société par action simplifiée (SAS). Dans ce type de sociétés, les actions émises peuvent être cédées librement. Toutefois, les statuts d'une SAS peuvent convenir d'une clause restreignant cette liberté en vertu des dispositions de l'article L 227-14 du code de commerce.
En l'espèce, l'article 11.3 des statuts de la société par action simplifiée Noérgie stipule que toute cession d'actions à un tiers de la société est soumise à une procédure préalable d'agrément. Cette procédure d'agrément décrite aux articles 11.3.2 et suivants des statuts impose au cédant de notifier son projet d'apport au président de la société et à chacun des associés en précisant l'identité du cessionnaire proposé, le nombre d'actions dont la cession est envisagée, le prix de cession et les principales conditions de la cession. Le président de la société disposera alors d'un délai de 45 jours pour faire valoir sa position sur la cession envisagée, faute de quoi, l'agrément est réputé acquis au cessionnaire.
La décision d'agrément devra être prise à la majorité qualifiée des 2/3, le cédant ne prenant pas part au vote.
L'article 20.4 des statuts stipulent en outre que les décisions collectives entraînant agrément d'un nouvel associé ainsi que celles portant sur la modification des statuts doivent être prise à la majorité des 2/3 des voix dont disposent les actionnaires présents, votant à distance ou représentés.
Aux termes de l'article L 227-15 du code de commerce, toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle.
Aux termes de l'article L 227-19 alinéa 2 du code de commerce, les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts.
Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2018, les associés présents ou représentés ont décidé de ne pas faire application de la clause 11.3.2 des statuts et d'agréer sans délai les deux cessionnaires. Ils ont voté cette résolution à la majorité des deux tiers.
L'appelante soutient que l'assemblée générale ne pouvait décider d'écarter la clause susvisée d'agrément des cessionnaires sans passer par la procédure de modification des statuts. Les intimés, suivis par les juges de première instance, affirment à l'inverse que les associés ont 'la faculté de déroger ponctuellement aux statuts si la décision est prise à la majorité prévue par lesdits statuts'.
Les statuts font la loi entre les associés et aucun texte ne permet aux associés d'y déroger,même ponctuellement et dans le cadre d'un vote.
Il appartient en effet aux associés, s'il souhaite échapper aux règles sociétaires qu'ils ont eux-même établies, de procéder à la modification préalable de celles-ci, comme les statuts le leur permettent et selon les règles édifiées par ceux-ci, contrairement à ce que les premiers juges ont considéré.
Les résolutions 1,2 et 3 votées lors de l'assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2018 en contravention avec les règles statutaires encourent donc la nullité de ce chef sans que l'appelante ait à établir l'existence d'un grief.
En ce qui concerne l'abus de majorité allégué, il nécessite que soit établi que la décision adoptée a été prise dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des autres associés mais aussi que cette décision est contraire à l'intérêt social de la société concernée, la charge de cette preuve reposant sur celui qui argue d'un abus de majorité.
Or, en l'espèce, la cession des titres en elle-même n'est pas contraire à l'intérêt social. En ce qui concerne le projet de cession des marques à la société [X] conseil, dont la cession des titres ne serait que le préalable, il n'est pas démontré qu'il serait nécessairement contraire aux intérêts de la société Noérgie, la société [Y] [L] ayant elle-même envisagé d'acquérir lesdites marques d'ailleurs.
Aux termes de l'article L 235-4 du code de commerce, le tribunal de commerce, saisi d'une action en nullité, peut, même d'office, fixer un délai pour permettre de couvrir les nullités. Il ne peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l'exploit introductif d'instance.
Si, pour couvrir une nullité, une assemblée doit être convoquée ou une consultation des associés effectuée, et s'il est justifié d'une convocation régulière de cette assemblée ou de l'envoi aux associés du texte des projets de décision accompagné des documents qui doivent leur être communiqués, le tribunal accorde par jugement le délai nécessaire pour que les associés puissent prendre une décision.
Aux termes de l'article L 235-5 du code de commerce, si, à l'expiration du délai prévu à l'article L. 235-4, aucune décision n'a été prise, le tribunal statue à la demande de la partie la plus diligente.
L'intimée demande à titre subsidiaire à la cour de faire application de cette disposition. L'appelante ne fait valoir aucune observation en réponse.
Il est opportun de faire droit à cette demande dans la mesure où il apparaît que la résolution relative à la cession des titres n'aurait pas été différente si les associés avaient voté dans les règles statutaires une modification préalable des statuts et que l'abus de majorité allégué n'est pas établi.
Il convient en conséquence de prononcer un sursis à statuer sur la demande de nullité et les demandes d'indemnité de procédure et d'enjoindre au représentant légal de la société Noérgie de convoquer dans un délai de six mois à compter du prononcé de cette décision une nouvelle assemblée générale extraordinaire afin de régulariser les votes des résolutions 1,2 et 3 soumis à l'assemblée extraordinaire du 31 mars 2018.
A l'issue de ce délai, il appartiendra à la partie intéressée de saisir à nouveau la cour d'appel.
La décision de première instance sera ainsi infirmée en tous les chefs qui lui ont été déférés, y compris en ce que :
- elle a condamné la société [Y] [L] à verser la somme de 3000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive à M. [A], M. [N] et la société [X] conseils et la société Noergie ,
- au paiement de la somme de 25000 euros d'indemnité de procédure,
- à supporter la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Infirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 6 décembre 2019,
et statuant à nouveau
Surseoit à statuer sur les demandes,
Enjoint au représentant légal de la société Noérgie de convoquer dans un délai de six mois à compter du prononcé de cette décision une nouvelle assemblée générale extraordinaire afin de régulariser les votes des résolutions 1,2 et 3 soumis à l'assemblée générale extraordinaire du 31 mars 2018 dans le respect des dispositions statutaires relatives à la cession d'actions à des tiers, et notamment des articles 11.3 et suivants des statuts,
Dit qu'à l'issue de ce délai, il appartiendra à la partie intéressée de saisir à nouveau la cour d'appel,
Ordonne le retrait du rôle du dossier,
Réserve les dépens.