Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-10.975
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Favre
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, SCP Lesourd
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2002) que, par contrat du 9 juillet 1987, le Crédit lyonnais (la banque) a loué à Mme X... un coffre-fort ; que, le 5 mai 1996, un incendie a dévasté les locaux de la banque et que, le 13 mai suivant, le préfet de police de Paris a pris un arrêté de péril ; que par courrier du 17 juin 1996, la banque a informé sa cliente que la salle des coffres n'avait pas été directement atteinte par l'incendie, mais que son accès ne serait possible qu'après d'importants travaux de consolidation qui allaient durer plusieurs mois ;
que Mme X... qui n'a pu avoir accès à son coffre que le 8 avril 1997, se plaignant de n'avoir pu reprendre possession des titres contenus dans son coffre pendant près d'un an et d'avoir ainsi été privée des intérêts, a assigné la banque en responsabilité ;
Sur le premier moyen, et sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à Mme X... la somme de 79 976,89 euros, alors, selon le moyen :
1 ) que, le contrat par lequel une banque concède à son client l'usage d'un coffre-fort moyennant un loyer est un contrat de location soumis aux règles de l'article 1722 du Code civil et ce, même si le client n'a pas la libre jouissance de son coffre auquel il ne peut accéder qu'avec le concours du banquier ; qu'il en résulte que si, pendant la durée du bail, le coffre est détruit par cas fortuit en totalité ou en partie ou si, en raison du fait de la puissance publique, le client se trouve dans l'impossibilité de jouir de son coffre-fort ou d'en faire un usage conforme à sa destination, le banquier échappe à toute responsabilité sauf s'il a commis quelque faute ou quelque imprudence qui a entraîné ou facilité le trouble ou l'éviction imposée par l'Administration ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que le 13 mai 1996, le préfet de police de Paris a pris un arrêté de péril, rendant inaccessible le coffre loué à Mme X... jusqu'au 8 avril 1997 ; qu'en retenant néanmoins sa responsabilité pour ce trouble de jouissance sans avoir constaté aucun manquement à la charge de la banque, la cour d'appel a méconnu les conséquences de ses propres constatations quant à l'acte de l'Administration et violé l'article 1722 du Code civil par refus d'application ;
2 ) que, lorsqu'une cour d'appel décide d'infirmer la décision des premiers juges, il lui appartient d'en réfuter les motifs déterminants ;
qu'en infirmant le jugement entrepris sans en réfuter le motif déterminant pris de ce que "les dispositions de l'article 1722 du Code civil n'étant nullement limitées au cas de perte totale, concernent bien l'hypothèse où le locataire se trouve, comme en l'espèce, dans l'impossibilité de jouir de la chose ou d'en faire un usage conforme à sa destination par suite de l'arrêté de péril du préfet (...) sans qu'il soit démontré le fait du bailleur (...), aucune faute ou négligence n'étant caractérisée ni même alléguée à l'encontre de la banque relativement aux conditions dans lesquelles est survenu le sinistre", la cour d'appel a violé l'article 954 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que, méconnaissant les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel s'est abstenue de répondre au moyen péremptoire soulevé par elle dans ses conclusions d'appel pris précisément de ce que "c'est en vain que Mme X... exclut l'application de l'article 1722 du Code civil aux faits de l'espèce", ce que, "en conséquence de l'arrêté de péril susvisé, Mme X... n'a pu jouir ni accéder à la chose louée" et de ce que "l'interdiction administrative relève du fait du prince, ce qui exclut toute indemnisation" ;
4 ) qu'il résulte de la clause du contrat de location de coffre-fort intitulée "Responsabilité du Crédit lyonnais", alinéa 4, "qu'en cas de sinistre prouvé, par effraction, incendie, dégât des eaux ou toute autre cause, entraînant la disparition ou la détérioration des objets contenus dans le compartiment de coffre, le titulaire de la location devrait, outre la preuve que le Crédit lyonnais n'a pas apporté la diligence normale convenue, faire celle de la consistance et du montant de son préjudice par tous moyens en son pouvoir (...) pour pouvoir prétendre à indemnisation" ; qu'en écartant l'application de cette clause au motif qu'elle "n'envisage que le sinistre entraînant la disparition ou la détérioration des objets contenus dans le coffre", sans réfuter le motif déterminant de la décision des premiers juges pris de ce qu'"il ne se déduit pas (de cette clause) une dérogation à l'application de l'article 1722 du Code civil, dès lors que ce même alinéa subordonne cette indemnisation à la preuve de ce que le Crédit lyonnais n'a pas apporté la diligence normale convenue, preuve qui n'est pas rapportée en l'espèce", la cour d'appel a violé à nouveau l'article 954 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'article 1722 du Code civil n'est pas applicable au contrat par lequel la banque loue à un client un compartiment ou un coffre dont elle assume la surveillance et auquel le client ne peut accéder qu'avec le concours du banquier ; que dès lors le moyen est inopérant ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la banque fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'alinéa 2 de la clause du contrat de location de coffre fort intitulée "Responsabilité du Crédit lyonnais" que la responsabilité de la banque "ne pourrait être mise en cause en cas de force majeure" ; qu'en décidant qu'elle ne peut opposer la force majeure pour s'exonérer de sa responsabilité contractuelle, au motif que "l'incendie, qui est à l'origine de l'arrêté de péril, ne constitue pas un événement imprévisible et irrésistible", sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par la banque dans ses conclusions d'appel, si l'arrêté de péril lui-même ne constituait pas le cas de force majeure exonérant la banque de sa responsabilité, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que l'alinéa 2 du paragraphe intitulé "Responsabilité du Crédit lyonnais" prévoit que la responsabilité de la banque ne pourrait être mise en cause en cas de force majeure, notamment d'événements tels que guerre, émeute, insurrection, l'arrêt relève que l'incendie, qui est à l'origine de l'arrêté de péril, ne constitue pas un événement imprévisible et irrésistible ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la banque fait toujours le même reproche à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 ) qu'une faute n'engage la responsabilité de son auteur que si elle est en relation directe et certaine avec le dommage ; qu'en la condamnant par suite à verser à Mme X... la somme représentative des intérêts de bons au porteur qui ne lui ont pas été payés entre le 8 juillet 1996 et le 14 avril 1997 après s'être bornée à se référer à l'attestation d'une banque sur le défaut de présentation des bons à leur échéance et sur le calcul des intérêts et sans caractériser aucunement le lien de cause à effet entre ce défaut de paiement et une éventuelle négligence de sa part, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 ) que, méconnaissant à nouveau à cet égard les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel s'est abstenue de répondre au moyen déterminant soulevé par elle dans ses conclusions d'appel pris de ce que "à aucun moment, dans son courrier du 28 mai 1996, Mme X... ne mentionne l'existence des bons au porteur et la date avant laquelle elle doit les récupérer, si tant est qu'ils se trouvaient dans le coffre", de ce "qu'elle ne peut en conséquence raisonnablement reprocher au Crédit lyonnais d'être à l'origine de la perte des intérêts alors qu'elle ne l'en avait jamais averti", de ce que "son conseil, dans son courrier du 21 juin 1996, n'a pas davantage mentionné l'existence des bons au porteur et n'a absolument pas fait état de l'urgence, que, bien plus, la demande en référé introduite par Mme X... visait à obtenir une expertise et non l'accès au coffre sous astreinte, qu'au cours de cette instance, les bons au porteur n'ont toujours pas été évoqués, pas plus que l'échéance du 8 juillet 1996" et de ce que "dans ces conditions, Mme X... ne démontre pas la preuve de ce qu'une éventuelle faute du Crédit lyonnais ait pu être à l'origine du préjudice dont elle réclame réparation, dont l'existence n'est en outre pas démontrée" ;
Mais attendu que l'arrêt relève que Mme X... devait présenter physiquement à leur échéance du 8 juillet 1996 les bons au porteur et que, n'ayant pu le faire, en raison de l'impossibilité pour la banque de lui assurer l'accès à la salle des coffres, elle n'a pu percevoir les intérêts entre le 8 juillet 1996 et le 14 avril 1997 date à laquelle elle a pu présenter les originaux des titres ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions dont fait état la seconde branche du moyen, a mis en évidence l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué, et a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.