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Décisions

CA Versailles, 16e ch., 8 avril 2021, n° 20/04201

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCI Le Montfort

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Nerot

Conseillers :

Mme Pages, Mme Deryckere

JEX Nanterre, du 7 août 2020, n° 19/0591…

7 août 2020

EXPOSE DU LITIGE

La société B. Pharmaceuticals Limited (BPL) est créancière de M Antoine M. en vertu d'un jugement du 28 février 2012 de la Haute cour de Justice d'Angleterre et du pays de Galles.

Pour parvenir au recouvrement de sa créance, elle a introduit le 29 septembre 2017 une procédure destinée à étendre le gage du créancier à des biens apparemment détenus par des tiers. C'est ainsi que plusieurs ordonnances de gel mondial d'avoirs détenus notamment par Mme Martine O., épouse de M M. ont été prises par la même juridiction de Londres. A l'occasion de la mise en état de cette procédure selon les règles de procédure civile et commerciale applicables devant cette juridiction, Mme Martinie M. a été condamnée à titre personnel, seule ou solidairement avec d'autres défendeurs, à prendre en charge des frais de justice avancés par la société BPL, notamment, par deux décisions du 11 janvier 2018 (30 000 GBP et 15 000 GBP), et une décision du 1er mars 2018 (110 000 GBP).

Pour recouvrer ces sommes, la société BPL a alors entrepris de diligenter plusieurs mesures d'exécution forcée sur les biens de Mme M. et notamment une procédure de saisie-vente de biens meubles situés dans une propriété située [...], suivant procès-verbal du 31 mai 2018. Saisi de la contestation de cette mesure par Mme M., le juge de l'exécution de Nanterre par jugement du 17 juillet 2019, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 3 décembre 2020, a débouté Mme M. de l'ensemble de ses demandes et contestations.

Avant la vente des biens saisis, la SCI Le Montfort, propriétaire de l'immeuble dans lequel a été pratiquée la saisie qui en outre correspond à l'adresse de son siège social, a assigné la société BPL par acte du 12 avril 2019, en distraction d'un certain nombre des meubles listés par l'huissier instrumentaire à son procès-verbal du 31 mai 2018.

Par jugement contradictoire du 7 août 2020, le juge de l'exécution de Nanterre a :

•            Débouté la SCI Le Montfort de toutes ses demandes,

•            Condamné la SCI Le Montfort à verser à la société B. Pharmaceuticals Limited la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

•            Rappelé que les décisions du juge de l'exécution sont exécutoires de plein droit,

•            Condamné la SCI Le Montfort aux dépens de l'instance.

La SCI Le Montfort a formé appel du jugement par déclaration du 27 août 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions n°3 transmises au greffe le 25 janvier 2021 auxquelles il est expressément renvoyé, l'appelante demande à la cour, au visa des articles R 522- 49, R 221-51 et R 221-52 du Code des Procédures Civiles d'Exécution, 2276, 1536, 1538, et 1321 du code civil, de :

•            Déclarer la SCI Le Montfort recevable et bien fondée en son appel,

•            Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

•            Juger que la SCI Le Montfort justifie de la propriété des biens mobiliers objet du procès-verbal de saisie-vente dressé par Me S. en date du 31/05/2018,

•            Ordonner la distraction des biens mobiliers objet de ce procès-verbal et ordonner la restitution des biens mobiliers suivants à la SCI Le Montfort, propriétaire desdits biens :

6 fauteuils en cuir noir

-un petit meuble en bois verni 3 tiroirs

-un meuble bibliothèque

-un canapé cuir noir et 2 fauteuils

-un bureau en bois

-un caisson à tiroirs

-2 fauteuils de bureau

-un meuble bibliothèque

-un meuble de bureau

-2 tables de chevet

-un miroir rond

-une commode 4 tiroirs

-un caisson 2 tiroirs

-un buffet bas dessus marbre

-4 tabourets de bar

•            Condamner la société BPL à payer à la SCI Le Montfort la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,

•            Débouter la société BPL de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions.

•            Condamner la même en tous les dépens.

Par dernières conclusions n°2 transmises au greffe le 21 janvier 2021 auxquelles il est expressément renvoyé, la société B. Pharmaceuticals Limited demande à la cour au visa des articles R. 221-51 du code des procédures civiles d'exécution, 1856 et 2276 du code civil, et R. 123-181 du code de commerce, de :

•            Confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

•            Débouter la SCI Le Montfort de l'ensemble de ses demandes ;

•            Condamner la SCI Le Montfort aux entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile ;

•            Condamner la SCI Le Montfort à verser à BPL la somme de 30 000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 février 2021. L'audience de plaidoirie a été fixée au 17 février 2021 et le prononcé de l'arrêt au 8 avril 2021 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a relevé qu'en vertu de la règle suivant laquelle en fait de meubles possession vaut titre figurant à l'article 2276 du code civil, et puisque la SCI Le Montfort loue la villa non meublée à M et Mme M., les meubles saisis dans les lieux sont présumés être la propriété de ces derniers; qu'il appartient donc à la partie revendiquant certains meubles, de faire la preuve de sa propriété. Le juge a estimé que cette preuve n'était pas rapportée par les factures et photographies produites aux débats, et d'autant moins que la SCI n'ayant déclaré aucun revenu ni entré à son bilan lesdits biens à l'époque de leur acquisition sa démonstration apparaissait douteuse.

Le SCI Le Montfort soutient que la règle de l'article 2276 du code civil ne serait pas pertinente faute pour le premier juge d'avoir appliqué les règles de propriété applicables entre époux séparés de biens, que sont M et Mme M., et faute d'avoir tenu compte du fait que l'immeuble où étaient les meubles saisis, est sa propriété, où elle a fixé son siège social et où elle exerce son activité de gestion immobilière de sorte que les meubles présents dans ces locaux affectés à son activité professionnelle sont également présumés lui appartenir.

Il importe cependant de relever en premier lieu que la propriété de l'immeuble n'emporte pas de présomption de propriété des meubles meublants le garnissant, qui n'ont pas été immobilisés par destination.

En second lieu, sur la violation prétendue de l'article 1538 du code civil, et la non prise en compte du régime matrimonial des époux M., sauf pour la SCI Le Montfort à faire l'aveu d'une confusion d'intérêts et de patrimoines avec ces derniers, étant rappelé que nul ne plaide par procureur, la procédure de distraction fondée sur l'article R221-51 du code des procédures civiles d'exécution ne repose que sur la preuve par un tiers de SA propriété portant sur des biens saisis au préjudice du débiteur. La propriété des biens du débiteur lui-même ou de son conjoint et les règles qu'ils ont pu instaurer entre eux au titre de la gestion patrimoniale conventionnelle de leurs biens, est parfaitement inopposable au et par le tiers demandeur à la distraction. Au demeurant, il est intéressant de constater d'une part que Mme O. épouse M. en sa qualité de débiteur saisi, en contestant la validité de la saisie-vente du 31 mai 2018, n'a pas invoqué la nullité de la saisie en ce qu'elle porterait sur un bien dont elle ne serait pas propriétaire comme elle aurait dû le faire si tel était le cas, en application de l'article R221-50 du code des procédures civiles d'exécution, et d'autre part, il n'a pas été fait état par les parties de ce que M M. en qualité d'époux de Mme M. aurait lui-même exercé une action en distraction des biens le concernant, à l'appui de laquelle il aurait pu opposer les présomptions de propriété résultant éventuellement de son contrat de mariage.

En troisième lieu, la cour note que l'ensemble des factures et autres pièces produites pour preuve de l'acquisition des biens dont la distraction est demandée au nom de la SCI Le Montfort, sont datées de 1987, et 1988.

Or, en vertu d'un bail notarié du 13 février 1989, la SCI Le Montfort a donné à bail d'habitation à M et Mme M., l'ensemble de la maison située [...] sur 4 niveaux du sous-sol aux combles, et le jardin attenant pour une surface de 50 a 00 ca, destinée à l'habitation du locataire, à compter du 1er janvier 1989, et soumis à la loi du 23 décembre 1986, exclusive de la location de logement meublé. Les locataires se sont vu octroyer la jouissance pleine et entière de la totalité du bâti et du terrain, sans aucune réserve d'une surface déterminée au profit de la SCI propriétaire. Il n'a été fait non plus aucune mention spéciale sur des biens meubles déterminés, appartenant à la SCI propriétaire, laissés dans les lieux à la disposition des locataires, à charge pour eux de les représenter en fin de bail. Il apparait seulement à l'état des lieux d'entrée que la cuisine est équipée « Norform ' Versailles, tout matériel neuf ».

Il n'est produit aucun avenant au bail postérieur, venant réduire la surface louée à raison d'une réserve de jouissance au profit du bailleur pour des motifs professionnels, ni aucun contrat de mise à disposition des locataires sans transfert de propriété à leur profit, postérieurement au 1re janvier 1989, d'une liste de meubles pouvant correspondre tout à la fois aux factures produites remontant aux années 1987 et 1988, et aux meubles dont la SCI Le Montfort revendique la restitution dans le cadre de la présente procédure.

Il en résulte que par application de l'article 2276 du code civil, l'ensemble des biens meubles garnissant l'immeuble loué par les M. à cette adresse [...] depuis le 1er janvier 1989, sur lesquels les locataires exercent une possession exempte de vice, sont dans leurs rapports avec le bailleur, réputés être leur propriété.

La désignation de cette adresse comme étant le siège social de la SCI Le Montfort, est inefficace à faire tomber cette présomption.

En outre, les biens dont la SCI Le Montfort sollicite la distraction, en s'appuyant notamment sur des photographies correspondant manifestement à une période contemporaine à la saisie, sont à l'évidence, à l'usage exclusif des locataires de l'immeuble pour leurs besoins domestiques et leur confort personnel: salon, bibliothèques, décoration, meubles de rangement, tables de chevet situées dans une chambre à coucher, équipement de bureau domestique'.et sans lien avec l'objet social de la SCI. A cet égard, la cour note avec intérêt que la SCI Le Montfort, qui prétend exercer son activité professionnelle dans les lieux loués à M et Mme M., n'exerce pas son action en distraction sur le matériel informatique et bureautique inventorié par l'huissier de justice à son procès-verbal de saisie.

Si les époux M. ont pu accueillir la tenue de certaines assemblées générales sur leur lieu d'habitation, cela n'a pu être que sur leur invitation, et sans remettre en cause la qualité et l'efficacité de leur possession sur les biens garnissant leur logement.

En ce qui concerne le buffet qualifié par l'huissier à son inventaire « buffet bas dessus marbre », dont il n'est pas contesté qu'il correspond au meuble objet des photographies portant les numéros 36 et 131 au bordereau de pièces de la SCI Le Montfort, cette dernière soutient qu'il s'agit de l'un des éléments de la cuisine livrée et installée en 1988 par la société Norform, dont il pourrait en effet être déduit à la lecture de l'état des lieux d'entrée des époux M., qu'il fait partie de l'équipement de la cuisine telle que louée toute équipée par la SCI aux locataires. Cependant, à la lecture du détail du devis de la société Norform du 26 février 1988 (pièce n°38), alors qu'il peut être retrouvé sur les photographies, les éléments hauts et bas inclus au devis (avec éléments coulissants, corbeilles, colonnes, blocs avec un certain nombre de tiroirs, éléments d'angle avec un certain nombre d'étagères, de tiroirs, de portes, etc'), aucun article ne correspond à la description de cet élément bas revendiqué, présentant deux portes séparées par 4 étagères incurvées, et couvert d'un plan de travail en granit. Au demeurant, l'état des lieux ne mentionne que trois éviers, trois robinets et deux éléments de cuisine, ce qui désigne nécessairement au vu des photographies produites, le plan de travail central comportant un évier, et la partie arrière sur le mur du fond, comportant les deux autres éviers et surmontée des éléments hauts, lesquels sont immeubles par destination. Si ce troisième élément ajouté sur la face externe du plan central avait été présent, nul doute qu'il aurait été mentionné. A défaut, il n'est pas démontré qu'il ait fait partie des éléments de cuisine mis à la disposition des locataires par le bailleur.

C'est donc avec raison que le premier juge a débouté la SCI Le Montfort de toutes ses demandes.

Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

La SCI Le Montfort supportera les dépens d'appel et l'équité commande d'allouer à société B. Pharmaceuticals Limited la somme de 14 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Statuant publiquement par décision contradictoire rendue en dernier ressort,

CONFIRME la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Condamne la SCI Le Montfort à payer à la société B. Pharmaceuticals Limited la somme de 14 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI Le Montfort aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions posées par l'article 699 alinéa 2 du code de procédure civile ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.