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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 5 mars 2008, n° 06/06566

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MAI NAE (SARL)

Défendeur :

PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. BOUGON

Conseillers :

M. ORS, M. LEGRAS

Avoués :

SCP LABORY-MOUSSIE & ANDOUARD, SCP BOYREAU ET MONROUX

Avocat :

Me MARTY

Bordeaux, du 7 déc. 2006

7 décembre 2006

Par acte sous seing privé du 25 septembre 2000 la SNC PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE donnait à bail commercial pour une durée de 9 ans à Pierre X..., agissant tant en son nom personnel que pour le compte de la SARL MAI NAE alors à constituer et dont il devait devenir le gérant, un local à usage commercial sis ... moyennant un loyer annuel de 120.000F pour l'exploitation d'un fonds de commerce de vente de meubles.

Par acte du 2 décembre 2005 la SARL MAI NAE signifiait à la bailleresse qu'elle entendait faire valoir son droit de déspécialisation plénière prévu par les articles L 145-2 et L 145- 48 à L 145-55 du Code de commerce.

En réponse la SNC PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE lui faisait délivrer le 20 décembre 2005 un commandement visant la clause résolutoire du bail aux fins de règlement d'une somme de 12.150,82 

La SARL MAI NAE faisait alors délivrer le 17 janvier 2006 à la SNC PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE une assignation devant le tribunal de grande instance de BORDEAUX aux fins de voir ordonner la déspécialisation totale du bail commercial et juger que le changement de destination des lieux est tout à fait compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble.

Par jugement contradictoire du 7 décembre 2006 le tribunal a :

  • débouté la SARL MAI NAE de sa demande ;
  • rejeté la demande en dommages-intérêts de la SNC PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE ;
  • condamné la SARL MAI NAE à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile de 1.000 euros .

La SARL MAI NAE a interjeté appel le 29 décembre 2006 appel de ce jugement dont, par uniques écritures du 23 avril 2007, elle conclut à la réformation en reprenant ses demandes de première instance. Elle demande une indemnité de 2.000 € au titre des frais irrépétibles.

La SNC PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE, intimée et appelante incidente, a conclu le 22 août 2007 à la confirmation du jugement sauf à ce qu'il soit fait droit à sa demande de 10.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive. Elle demande d'autre part 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M O T I F S E T D E C I S I O N

Attendu que le bail commercial signé le 6 novembre 2000 stipulait "le preneur ne pourra sous aucun prétexte modifier la destination des lieux loués affectés spécialement à l'exploitation d'un fonds de commerce de vente de meubles" ;

Motifs

Attendu que l'exercice par le locataire du bail commercial de son droit de déspécialisation plénière nécessite qu'il fasse la démonstration que, l'activité nouvelle et différente envisagée étant appréciée en fonction de la conjoncture économique et des nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, conditions cumulatives, l'activité exercée est inadaptée et que l'activité nouvelle s'impose ;

Qu'il doit résulter de la première démonstration que l'activité exercée en vertu du bail est devenue insuffisamment rentable parce qu'elle ne correspond plus aux besoins de la clientèle et aux modes d'exploitation en cours ;

Qu'à cet égard l'appelante produit des pièces d'où il ressort d'une part que son chiffre d'affaires a chuté (de 20.706 € à 6.507 € ) entre 2002 et 2003 et d'autre part que ce phénomène coïncide avec la période pendant laquelle les travaux d'installation du tramway ont largement perturbé la circulation dans l'hyper centre de BORDEAUX et notamment cours de l'Intendance ;

Qu'il ne peut cependant être tiré des documents intitulés "Observatoire des effets du tramway" édités par la C.U.B. et la C.C.I. de BORDEAUX en 2004 aucune conclusion précise ni ciblée concernant le type d'activité concernée sur le secteur précis considéré, ou encore sur le comportement de la clientèle visée, la conclusion globale étant d'une forte diminution de l'activité économique pendant la période des travaux ;

Que par ailleurs, il est établi que la SARL MAI NAE a pratiquement cessé son activité depuis la fin de l'année 2003 alors que les travaux du tramway étaient achevés sur le secteur, en sorte que l'appréciation de la viabilité de l'activité prévue au bail à partir de l'achèvement des travaux est impossible ;

Attendu que la seconde démonstration consiste pour le locataire à justifier que l'activité nouvelle et différente envisagée présente, au contraire de l'actuelle, tous les critères de rentabilité et d'adaptation aux besoins de la clientèle et aux modes d'exploitation ;

Or attendu que sur ce second point il doit être constaté qu'il n'est produit aucune étude ni même aucun projet précis, l'appelante procédant par affirmation et n'étant même pas fixée sur le choix de sa nouvelle activité, celles citées de salon de thé et de salon de beauté ou d'amincissement étant sans aucun rapport l'une avec l'autre ;

Attendu que l'article 145-48 du Code de commerce posant également comme condition que l'activité envisagée soit compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble, l'intimée observe en outre sans être utilement contredite que telle n'est pas le cas d'une activité de salon de thé avec notamment l'installation d'une terrasse extérieure, ne serait-ce que par le risque induit de pollution sonore et olfactive ;

Que s'agissant des nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution il est observé que l'installation d'un salon de beauté viendrait en concurrence directe et immédiate avec le commerce à l'enseigne "Marionnaud" implanté dans le même immeuble ;

Attendu enfin qu'en dehors de l'insuffisance de sa démonstration l'appelante s'est, en s'abstenant de s'acquitter de ses loyers avec pour résultat sa condamnation à quitter les lieux par une ordonnance de référé du 3 avril 2006 ayant constaté la résiliation du bail au 20 janvier 2006 par le jeu de la clause résolutoire, décision certes frappée d'appel mais ayant donné lieu à exécution avec son expulsion des lieux loués en juin 2006 avec un impayé de loyers de plus de 26.000 euros, placée dans une situation incompatible avec la reprise dans de bonnes conditions d'une activité quelle qu'elle soit dans les mêmes lieux ;

Attendu en conséquence que, le refus par le bailleur de la demande de déspécialisation plénière étant justifié par un motif grave et légitime, l'appelante sera déboutée, le jugement déféré étant confirmé ;

Attendu qu'à défaut d'établir un abus de procédure l'intimée sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts ;

Qu'il sera en revanche fait droit à sa demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dispositif

P A R C E S M O T I F S

LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement,

DEBOUTE la SARL MAI NAE de toutes ses demandes,

DEBOUTE la SNC A... SAURAT ET COMPAGNIE de sa demande en dommages-intérêts,

CONDAMNE la SARL MAI NAE à payer et porter à la SNC PATRICK SAURAT ET COMPAGNIE la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

CONDAMNE la SARL MAI NAE aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP d'avoués BOYREAU et MONROUX.